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Date : 20231215

Dossier : T‑1597‑22

Référence : 2023 CF 1710

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 décembre 2023

En présence de madame la juge Ngo

ENTRE:

DAVOOD KHODAVERDI

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Davood Khodaverdi, a sollicité la prestation canadienne de relance économique [la PCRE], demande qui a été rejetée le 11 juillet 2022 par un agent de l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] à l’issue d’un deuxième examen de son admissibilité à la PCRE [la décision].

[2] Dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur demande à la Cour de déclarer qu’il remplit les conditions d’admissibilité à la PCRE ou encore de rendre une ordonnance annulant la décision et renvoyant l’affaire à l’ARC afin qu’une nouvelle décision soit rendue. Il réclame également des dépens.

[3] Le défendeur affirme que le demandeur n’a pas fourni de renseignements suffisants ni satisfaisants pour démontrer qu’il remplissait les conditions d’admissibilité à la PCRE prévues par la loi.

[4] Il convient de souligner qu’il ne s’agit pas d’un appel et que la seule question que je peux trancher est celle de savoir si la décision doit être annulée et l’affaire renvoyée à l’ARC pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

[5] Pour les motifs exposés ci‑après, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Le demandeur n’a pas démontré que la décision est déraisonnable ni qu’elle est inéquitable sur le plan de la procédure.

II. Loi applicable

[6] La PCRE est un programme de prestation mis sur pied en réaction à la pandémie de COVID‑19. Le paragraphe 3(1) de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12 [la Loi] énonce en détail les conditions d’admissibilité à la PCRE. Les conditions suivantes sont pertinentes en l’espèce :

i) les travailleurs indépendants doivent démontrer avoir touché un revenu net provenant d’un travail exécuté pour leur compte s’élevant à au moins 5 000 $ en 2019, en 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de leur demande;

ii) pour chaque période de deux semaines pour laquelle il présente une demande et pour des raisons liées à la COVID‑19, le contribuable ne doit pas avoir exercé d’emploi ni exécuté un travail pour son compte, ou doit avoir subi une réduction d’au moins 50 % de tous ses revenus hebdomadaires moyens par rapport à l’année précédente;

iii) pour chaque période de deux semaines pour laquelle il présente une demande, le contribuable doit aussi démontrer qu’il faisait des recherches pour trouver un emploi ou du travail à exécuter pour son compte.

III. Questions préliminaires

[7] Au début de l’audience, les deux parties ont soulevé des questions préliminaires liées l’admissibilité d’éléments de preuve.

[8] Le 15 novembre 2023, par voie de requête présentée en vertu des articles 369 et 312 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], le demandeur a voulu déposer un affidavit et des pièces complémentaires [l’affidavit complémentaire]. Le lendemain, la Cour a convenu que la question de l’affidavit complémentaire serait examinée à l’audience du 20 novembre 2023.

[9] L’avocat du défendeur s’est opposé au dépôt tardif de l’affidavit complémentaire, mais a informé la Cour que le demandeur avait communiqué avec lui le 6 novembre 2023 pour l’aviser qu’il souhaitait déposer un autre affidavit.

[10] Le demandeur a expliqué qu’il souhaitait déposer un affidavit complémentaire pour fournir des renseignements contextuels à la Cour concernant sa demande. Les pièces jointes à l’affidavit comprennent des documents d’immigration attestant son statut au Canada, des documents à propos de son entreprise et des copies de trois factures.

[11] Le demandeur a déclaré dans son affidavit complémentaire et a répété dans ses observations orales qu’il avait déclaré les revenus qu’il avait gagnés en 2018 et en 2019 et payé des impôts sur ceux‑ci à l’extérieur du Canada, mais qu’il corrigerait toute erreur dans ses déclarations de revenus, au besoin.

[12] Le demandeur a mentionné que l’affidavit complémentaire permettrait d’appuyer sa prétention selon laquelle il remplit les conditions d’admissibilité à la PCRE. Il a confirmé que les trois factures jointes à l’affidavit complémentaire étaient celles qu’il avait présentées dans le cadre de sa demande de PCRE, mais que les autres documents ou renseignements contenus dans l’affidavit ne faisaient pas partie de sa demande de PCRE.

[13] Le défendeur a contesté l’admission de l’affidavit complémentaire et de certains documents inclus dans le dossier du demandeur. Ses objections se résument comme suit :

  • i)dans le dossier du demandeur, les documents des onglets 5 à 8 ne sont joints à aucun affidavit et ne sont donc pas des pièces pouvant être admises comme preuve (le défendeur a confirmé que certains documents des onglets 5 à 8 du dossier du demandeur se trouvaient également dans le dossier du défendeur);

  • ii)l’onglet 8 du dossier du demandeur contient une lettre datée du 16 juillet 2022 et accompagnée de pièces jointes, rédigée par le demandeur et adressée à l’agent de l’ARC, mais celle‑ci a été envoyée à l’ARC après que cette dernière lui a communiqué sa décision du 11 juillet 2022;

  • iii)tous les documents et toutes les déclarations contenus dans l’affidavit complémentaire sont inadmissibles : les copies des trois factures sont celles fournies dans le cadre de la demande de PCRE du demandeur et tous les autres documents sont nouveaux.

[14] Les articles 80 et 306 des Règles énoncent les exigences relatives aux affidavits qui s’appliquent de manière générale et dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

[15] Après avoir examiné le dossier du demandeur, je constate que ce dernier n’a pas fait mention des documents des onglets 5 à 8 dans son affidavit et qu’il les a simplement inclus dans son dossier. Les documents des onglets 5 à 8 ne satisfont pas aux exigences des Règles, et le demandeur n’a pas fourni d’explication à cet égard.

[16] Il est bien établi en droit que, dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire, le dossier de preuve qui est déposé à la Cour se limite au dossier de preuve dont disposait le décideur et que les parties ne peuvent y ajouter des éléments au moyen de leurs affidavits. Il existe quelques exceptions à cette règle générale, par exemple lorsqu’il s’agit d’éléments qui 1) contiennent des informations générales – il importe alors de s’assurer que l’affidavit ne va pas plus loin en fournissant des éléments de preuve se rapportant au fond de la question déjà tranchée par le décideur administratif; 2) portent à l’attention de la Cour des vices de procédure, ce qui lui permet de remplir son rôle d’organe chargé de censurer les manquements à l’équité procédurale; et 3) font ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le décideur administratif (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux para 19 et 20 [Access Copyright]).

[17] Compte tenu du contexte exposé précédemment, des exceptions énoncées dans l’arrêt Access Copyright et du fait que le demandeur n’a pas fourni d’explication raisonnable, je juge inadmissibles les documents des onglets 5 à 8 du dossier du demandeur qui n’étaient pas à la disposition de l’agent de l’ARC.

[18] Je refuse également d’admettre l’affidavit complémentaire déposé en vertu de l’article 312 des Règles, puisque les documents qu’il contient n’étaient pas à la disposition de l’agent et qu’aucune exception énoncée dans l’arrêt Access Copyright ne s’applique.

IV. Faits

[19] Le dossier de la Cour contient des notes que les agents de l’ARC consignent à la suite de leurs échanges avec les demandeurs dans un système destiné à cette fin (Cas T1). Le dossier du défendeur contient des notes sur les communications entre le demandeur et l’ARC qui ont eu lieu entre le 1er décembre 2021 et le 7 juillet 2022.

[20] Le demandeur a sollicité et reçu la PCRE pour onze périodes de deux semaines comprises entre le 20 décembre 2020 et le 22 mai 2021. Il en a également fait la demande pour neuf périodes de deux semaines comprises entre le 23 mai et le 25 septembre 2021, mais cette demande a été rejetée. Ce sont ces neuf dernières périodes qui font l’objet de la décision de l’ARC.

[21] Le 17 juin 2021, le demandeur a fourni des documents à l’appui de sa demande de PCRE et a affirmé qu’il [traduction] « a[vait] travaillé pour le média d’information Hamshahri en tant que travailleur indépendant » du 1er janvier au 31 mars 2020. Il a présenté une lettre non datée du média Hamshahri qui précisait que [traduction] « M. Davood Khodaverdi travaillait à temps partiel pour notre entreprise en tant que travailleur indépendant et sa [“her”] rémunération mensuelle était de 2 000 $ CA ».

[22] Le demandeur a transmis à l’ARC une copie de cette première lettre à deux autres reprises, soit les 5 et 29 juillet 2021.

[23] Le 3 août 2021, le demandeur a fourni à l’ARC des copies de trois factures et de relevés bancaires. Les trois factures étaient adressées à « Donya‑E‑Safar Business Ltd » pour des services de consultation rendus en avril, en mai et en juin 2021. L’agent de l’ARC a constaté que les factures n’indiquaient pas qui les avait produites, qu’aucun numéro de TPS/TVH ne figurait sur celles‑ci et que la TPS/TVH n’avait pas été prélevée.

[24] Le 26 août 2021, le demandeur a fourni une deuxième lettre du média Hamshahri datée du 22 décembre 2020 qui indiquait ce qui suit : [traduction] « Mme Zohreh Behrouzi a travaillé au sein de l’équipe chargée de l’administration et du marketing du média Hamshahri du 1er janvier au 31 mars 2020. » Mme Behrouzi est l’épouse du demandeur.

[25] Le demandeur a envoyé à l’ARC une copie de la première lettre du média à trois autres reprises, soit le 26 août, le 14 septembre et le 6 octobre 2021.

[26] Le 1er décembre 2021, l’ARC a rejeté la demande de PCRE du demandeur après avoir conclu qu’il n’y était pas admissible. Le demandeur a été informé de cette première décision dans une lettre du 14 février 2022, qui indiquait également qu’il pouvait demander un deuxième examen de sa demande.

[27] Le demandeur a sollicité un deuxième examen et a fourni une lettre du 8 mars 2022 provenant de Syed Hashmi du cabinet comptable SSH Public Accountant. M. Hashmi affirmait dans sa lettre que le demandeur avait reçu 6 000 $ du média d’information Hamshahri, mais que le demandeur avait oublié d’informer le comptable de ce revenu. Une demande de redressement d’une T1 datée du 8 mars 2022, par laquelle le demandeur avait corrigé son revenu pour 2020, le faisant passer à 6 000 $ pour l’année 2020, était jointe à la lettre.

[28] Le 16 mai 2022, l’agent de l’ARC chargé de procéder au deuxième examen a tenté de joindre le demandeur. Le 17 mai suivant, l’agent a parlé avec le demandeur et lui a demandé de [traduction] « transmettre quelques factures et relevés bancaires qui justifient le revenu avancé dans la lettre d’emploi ». Le demandeur a mentionné qu’il fournirait des documents à l’appui de son revenu et de la nouvelle cotisation. D’autres communications entre l’ARC et le demandeur ont eu lieu le 19 mai 2022.

[29] Le 25 mai 2022, le demandeur a envoyé à l’ARC des documents supplémentaires, dont des documents qu’il avait déjà transmis le 8 mars 2022. Il a fourni un avis de nouvelle cotisation daté du 17 mars 2022, qui indiquait qu’il devait payer 264,22 $ à titre d’impôt à la suite de la modification de son [traduction] « revenu brut d’entreprise », qui était maintenant de 6 000 $. Les documents comprenaient également un courriel du demandeur, qui précisait que les 6 000 $ avaient été reçus en argent comptant.

[30] Le 13 juin 2022, l’agent de l’ARC a examiné les documents du demandeur. Il a constaté que la première lettre du média Hamshahri n’était pas datée, qu’on faisait référence à la personne rémunérée au féminin (« her ») et non au masculin, et que l’épouse du demandeur avait présenté une lettre semblable qui indiquait qu’elle avait touché le même salaire que le demandeur, à la différence que la lettre était datée. L’agent a fait remarquer que la première lettre du média Hamshahri ne pouvait être admise comme preuve de revenu et a indiqué ce que le demandeur serait appelé à fournir pour faire la preuve de son revenu, par exemple des relevés de dépôts d’argent, des copies de reçus ou des bulletins de paye, en plus de lui demander combien d’heures il avait travaillé hebdomadairement. L’agent a également indiqué que, si le revenu du demandeur provenant d’un travail exécuté pour son compte pour l’année 2020 ne pouvait être démontré, il vérifierait auprès de lui s’il avait touché d’autres revenus en 2019, en 2020 ou dans les 12 mois précédant la date de sa demande et lui demanderait de transmettre des factures ou des reçus accompagnés des relevés bancaires à l’appui, étant donné que les trois factures et les relevés bancaires déjà fournis ne permettaient pas de confirmer un revenu minimal de 5 000 $.

[31] Le 14 juin 2022, l’agent a parlé avec le demandeur. Selon les notes se rapportant à cet appel, l’agent a informé le demandeur que la demande de redressement d’une T1 et la première lettre du média Hamshahri ne pouvaient être admises comme preuve de revenu et lui a expliqué pourquoi. L’agent a précisé les types de documents acceptables et lui a demandé de fournir une nouvelle lettre de son employeur. Le demandeur a sollicité un délai de dix jours pour rassembler les documents requis, et l’agent le lui a accordé.

[32] Le 21 juin 2022, le demandeur a envoyé des documents additionnels, qui comprenaient une troisième lettre du média Hamshahri, également datée du 22 décembre 2020, indiquant ce qui suit : [traduction] « M. Davood Khodaverdi travaillait à temps partiel pour notre entreprise en tant que travailleur indépendant et sa [“his”] rémunération mensuelle était de 2 000 $ CA. »

[33] Le 28 juin 2022, l’agent a laissé un message au demandeur, dans lequel il lui demandait de [traduction] « passer en revue les documents requis, car ils n’[avaient] pas tous été fournis ».

[34] Le 29 juin 2022, l’agent a appelé le demandeur. Il lui a dit avoir remarqué que la deuxième lettre du média Hamshahri concernait son épouse et lui a demandé s’ils avaient tous deux travaillé pour cet employeur au cours de la même période, ce que le demandeur a confirmé. L’agent lui a demandé qui avait apporté les corrections aux lettres et pourquoi la date sur la nouvelle lettre n’était pas plus récente. Les notes relatives à cet appel indiquent que le demandeur a fourni une explication à l’agent, mais que ce dernier [traduction] « n’[avait] pas très bien compris son explication ». L’agent lui a aussi demandé de fournir une preuve des dépôts et du paiement de la part de son employeur. Le demandeur a sollicité un délai pour rassembler les documents, et l’agent le lui a accordé. Le demandeur n’a fourni aucun autre document à l’ARC après cet appel.

[35] Le 11 juillet 2022, l’ARC a informé le demandeur par écrit qu’elle rejetait sa demande de PCRE à l’issue du deuxième examen. La décision était fondée sur le fait que le demandeur n’était pas admissible à la PCRE pour les périodes visées parce que ses revenus d’emploi bruts ou ses revenus nets gagnés dans le cadre d’un travail exécuté pour son compte pour l’année 2019 ou 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de sa demande ne s’élevaient pas à au moins 5 000 $.

V. Questions en litige

[36] Le demandeur soutient que la décision de l’agent à l’issue du deuxième examen est déraisonnable, puisqu’il remplissait manifestement les conditions d’admissibilité à la PCRE. Dans ses observations écrites, le demandeur affirme que l’ARC n’a pas agi équitablement sur le plan de la procédure, car elle ne lui a pas donné l’occasion de se faire entendre, n’a pas demandé de renseignements additionnels et ne l’a pas informé que les renseignements fournis étaient insuffisants.

[37] Les questions en litige sont les suivantes :

i) Y a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale?

ii) La décision de l’agent est‑elle raisonnable?

VI. Norme de contrôle

[38] Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon une norme semblable à celle de la décision correcte. En fin de compte, la question est de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 56).

[39] La Cour suprême du Canada a établi que lorsqu’une cour procède au contrôle judiciaire d’une décision administrative sur le fond, c’est‑à‑dire un contrôle qui ne comporte pas d’examen d’un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale, il existe une présomption selon laquelle la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 23).

[40] De plus, la Cour a établi que les décisions relatives à l’admissibilité à la PCRE doivent faire l’objet d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable (You c Canada (Attorney General), 2023 CF 1433 au para 15, renvoyant à Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 au para 16 [Aryan]; Walker c Canada (Procureur général), 2022 CF 381 au para 15 [Walker]; décisions rendues suivant le raisonnement de l’arrêt Vavilov, au para 23).

[41] Une cour de justice qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif (Vavilov, au para 13). Elle ne se livre pas à une analyse de novo et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème (Vavilov, au para 83).

[42] Le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » (Vavilov, au para 125). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. La norme de la décision raisonnable exige de la cour de justice qu’elle fasse preuve de déférence envers une telle décision (Vavilov, au para 85).

[43] Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable. Elle doit démontrer à la Cour que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence (Vavilov, au para 100).

VII. Analyse

A. Y a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale?

[44] Il s’agit d’un principe bien établi que chaque personne doit avoir la possibilité de « présenter entièrement et équitablement [sa] position » (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 au para 28).

[45] Selon ses notes, l’agent de l’ARC a eu deux conversations téléphoniques avec le demandeur, soit les 14 et 29 juin 2022.

[46] Durant ces appels, l’agent a informé le demandeur de ses préoccupations à l’égard des documents que ce dernier avait fournis à l’appui de sa demande de PCRE. L’agent lui a mentionné que ces documents ne permettaient pas de justifier son revenu et lui a expliqué pourquoi. L’agent a également précisé les types de documents qui seraient acceptables. Le demandeur avait ainsi l’occasion de fournir des documents additionnels pour appuyer sa demande de PCRE.

[47] Le demandeur n’a pas contesté ce que l’l’agent a écrit dans ses notes à propos des échanges qu’ils ont eus et des documents qui lui ont été demandés durant ces appels.

[48] Compte tenu du dossier, je conclus qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale. Le demandeur connaissait la preuve à laquelle il devait répondre pour être jugé admissible à la PCRE et a eu la possibilité réelle, à maintes occasions, de fournir les documents requis pour appuyer sa demande de PCRE.

B. La décision est‑elle raisonnable?

[49] Le demandeur soutient qu’il ressort clairement de son dossier qu’il était admissible à la PCRE. Il a affirmé qu’il devait gagner plus de 5 000 $ étant donné qu’il lui fallait subvenir aux besoins de sa famille au Canada. Il a également dit qu’il travaillait dans l’industrie du tourisme, qui a été gravement touchée par la pandémie de COVID‑19. Il soutient ne pas comprendre comment l’ARC a pu conclure qu’il n’avait pas gagné le revenu minimal de 5 000 $.

[50] Dans ses documents écrits et ses observations orales, le demandeur s’est appuyé sur les lettres du média Hamshahri qui indiquaient qu’il avait gagné un revenu de 6 000 $, la demande de redressement d’une T1 qui faisait état d’un revenu modifié de 6 000 $, l’avis de nouvelle cotisation qui tenait compte de son revenu modifié de 6 000 $, et les affirmations selon lesquelles sa situation personnelle et les conséquences de la pandémie le rendaient admissible à la PCRE. Il a affirmé qu’il n’était pas satisfait de la réponse du défendeur.

[51] Le demandeur a présenté trois lettres du média Hamshahri, et l’agent a soulevé des réserves et des irrégularités relativement à celles‑ci. Les notes de l’agent figurant au dossier montrent que ce dernier a soulevé ces préoccupations auprès du demandeur, qu’il a informé le demandeur que ces lettres ne pouvaient servir à prouver son revenu auprès de l'ARC, et qu’il a demandé d’autres documents pour justifier le revenu déclaré ainsi qu’une nouvelle lettre de l’employeur.

[52] Le demandeur a transmis des copies de trois factures de 800 $ chacune pour des services de consultation, respectivement datées du 30 avril 2021, du 31 mai 2021 et du 30 juin 2021. Les factures sont adressées à « Donya‑E‑Safar Business Ltd », mais n’indiquent pas qui les a produites. De plus, les dates des factures ne correspondent à aucune des dates comprises dans les périodes de référence de la demande de PCRE. Dans tous les cas, les trois factures ne totalisent pas 5 000 $.

[53] Le demandeur a fourni des copies de relevés bancaires. L’agent n’a pu établir aucune correspondance entre ces relevés et des revenus provenant du média Hamshahri en 2020 ou de services de consultation pour l’entreprise Donya‑E‑Safar en 2021. L’agent n’a pas été en mesure d’établir de lien entre les documents fournis par le demandeur et ses relevés bancaires.

[54] Le demandeur a inclus dans son dossier des copies d’autres relevés bancaires qu’il avait envoyés à l’agent après avoir été informé de la décision de l’ARC. Ces documents n’avaient pas été fournis à l’ARC pour le premier et le deuxième examen. Comme je l’ai mentionné précédemment, je ne tiendrai pas compte de ces relevés bancaires pour statuer sur le caractère raisonnable de la décision.

[55] Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable de la part de l’ARC d’accepter sa demande de redressement d’une T1 et de lui envoyer un avis de nouvelle cotisation concernant l’impôt à payer sur le revenu de 6 000 $ (ce qu’il a fait), mais de refuser ces documents comme preuve de revenu.

[56] Le défendeur fait valoir que le régime fiscal canadien étant fondé sur l’autodéclaration, le formulaire T1 et l’avis de nouvelle cotisation ne permettent pas de prouver le revenu réellement gagné. L’ARC avait le droit de demander au demandeur de fournir des documents visant à confirmer le revenu qu’il affirmait gagner.

[57] Je souscris à l’observation du défendeur selon laquelle le formulaire T1 et l’avis de nouvelle cotisation ne pouvaient, à eux seuls, servir à établir le revenu gagné, et que l’ARC était en droit de demander des documents pour confirmer le revenu déclaré par le demandeur (Aryan, au para 43; Santaguida c Canada (Procureur général), 2022 CF 523 au para 30; Walker, au para 37).

VIII. Conclusion

[58] Même si le demandeur n’est pas d’accord avec l’ARC sur la décision, comme je l’ai mentionné précédemment, ce n’est pas le rôle de la cour de révision de se mettre à la place du décideur et de statuer à nouveau sur le fond de l’affaire.

[59] Compte tenu du dossier de preuve et des conditions d’admissibilité à la PCRE, il était raisonnable pour l’agent de conclure que le demandeur ne remplissait pas les conditions. Le demandeur n’a pas démontré de quelle façon la décision de l’agent ne satisfaisait pas aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence (Vavilov, au para 100). La décision ne contient aucune erreur susceptible de contrôle.

[60] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[61] Les deux parties ont réclamé des dépens dans leurs observations écrites. À l’audience, le défendeur a avancé qu’il serait indiqué d’adjuger une somme globale de 250 $ au titre des dépens. Le demandeur a affirmé que s’il obtenait gain de cause, il ne solliciterait pas de dépens à l’encontre du défendeur.

[62] L'article 400 confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire d’adjuger des dépens. Compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire de ne pas adjuger de dépens.


JUGEMENT dans le dossier T‑1597‑22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

« Phuong T.V. Ngo »

 

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre

 

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1597‑22

 

INTITULÉ :

DAVOOD KHODAVERDI c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 NOVEMBRE 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE NGO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 DÉCEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Davood Khodaverdi

POUR LE DEMANDEUR

(AGISSANT POUR SON PROPRE COMPTE)

Christopher Ware

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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