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Date : 20060213

Dossier : IMM-6577-05

Référence : 2006 CF 169

ENTRE :

COCA CAMARA

Partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

Partie défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de la Section d'appel de l'immigration (la SAI), en date du 4 octobre 2005, rejetant l'appel présenté par le demandeur en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi sur l'immigration et le protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la Loi) à l'encontre de la mesure d'expulsion émise contre lui. Cette mesure de renvoi a été émise parce que le demandeur est interdit de territoire pour grande criminalité selon l'alinéa 36(1)a) de la Loi et pour criminalité selon l'alinéa 36(2)a).

* * * * * * * *

[2]      Coca Camara (le demandeur) est un citoyen de la Guinée.

[3]      Le 14 octobre 1991, le demandeur est arrivé au Canada comme passager clandestin.

[4]      Le 18 juin 1992, il a été reconnu « réfugié au sens de la Convention » .

[5]      En septembre 1992, le demandeur a commis sa première infraction criminelle au Canada, soit le vol d'un véhicule d'une valeur dépassant 5 000 $.

[6]      Le 28 juillet 2000, il a été reconnu coupable d'entrave à un agent de la paix dans l'exécution de ses fonctions et a été condamné à payer une amende de 150 $.

[7]      Le 9 juillet 2001, il a été reconnu coupable de possession de biens criminellement obtenus d'une valeur dépassant 5 000 $ (véhicule moteur Honda) et a été condamné à une peine de 30 jours d'emprisonnement.

[8]      Le 27 août 2001, il a été trouvé coupable d'un vol d'une valeur ne dépassant pas 5 000 $, d'un méfait à l'égard d'un bien d'une valeur dépassant 5 000 $, et de possession d'outils de cambriolage. Il a été condamné à une peine d'emprisonnement d'un jour pour chaque chef d'accusation, concurrent au premier chef d'accusation, et à une probation de deux ans sans surveillance.

[9]      Le 29 août 2001, il a été reconnu coupable de vol de carte de crédit, de voies de fait et de voies de fait contre un agent de la paix dans l'intention de résister à son arrestation ou à sa détention légale. Il a été condamné à une peine d'emprisonnement de 14 jours pour chaque chef d'accusation, concurrent au premier chef d'accusation, et à deux ans de probation sans surveillance.

[10]    Le 28 février 2002, il a été trouvé coupable de plusieurs infractions, soit :

-     Vol d'une valeur ne dépassant pas 5 000 $ (véhicule à moteur), pour lequel il a été condamné à huit mois d'emprisonnement et à un an de probation sous surveillance, suivi de deux ans de probation sous conditions usuelles;

-     Entrave à un agent de la paix, pour laquelle il a été condamné à huit mois d'emprisonnement et à un an de probation sous surveillance, suivi de deux ans de probation sous conditions usuelles;

-     Deux autres vols d'une valeur ne dépassant pas 5 000 $, pour lesquels il a été condamné à huit mois d'emprisonnement pour chaque infraction, concurrent au premier chef et à un an de probation sous surveillance, suivi de deux ans de probation sous conditions usuelles.

[11]    Le 18 novembre 2002, il a été trouvé coupable de tentative de vol (d'un véhicule à moteur) et a été condamné à une peine de huit mois d'emprisonnement et à deux ans de probation sous surveillance et sous conditions usuelles. Il a également été trouvé coupable de possession d'outils de cambriolage et a été condamné à une peine de huit mois d'emprisonnement, concurrent et à deux ans de probation sous surveillance et sous conditions usuelles.

[12]    Le 22 novembre 2002, en raison des multiples actes criminels qu'il avait commis, une mesure d'expulsion a été émise contre le demandeur. Ce dernier a déposé un appel à l'encontre de cette mesure à la SAI.

[13]    Le 28 novembre 2003, le demandeur a de plus été reconnu coupable de voies de fait et a été condamné à une peine d'emprisonnement de quatre mois et à deux ans de probation sans surveillance. Il a également été reconnu coupable d'omission de se conformer à une condition, une promesse ou un engagement et a été condamné à deux mois d'emprisonnement.

[14]    Le 23 février 2004, il a aussi été reconnu coupable de tentative d'introduction par effraction dans un dessein criminel et condamné à un an d'emprisonnement et à deux ans de probation sans surveillance.

[15]    Le 30 septembre 2004, Me Sonia Rodrigue, avocate du demandeur à l'époque, a informé la SAI qu'elle ne pouvait plus représenter ce dernier car elle ne pouvait plus établir de contact avec lui.

[16]    Le 25 octobre 2004, la SAI a rejeté l'appel déposé par le demandeur à l'encontre de la mesure d'expulsion émise contre lui.

[17]    Le 24 novembre 2004, le demandeur a reçu un avis de l'Agence des services frontaliers du Canada (l'Agence) indiquant que cette dernière avait l'intention de demander, en vertu de l'alinéa 115(2)a) de la Loi, un avis quant à savoir s'il constituait un danger pour le public.

[18]    Le 24 février 2005, suite à une requête présentée par la nouvelle avocate du demandeur, Me Chantal Ianniciello, la SAI a réouvert l'appel du demandeur.

[19]    Le 14 juin 2005, Me Ianniciello a avisé le SAI qu'elle n'avait plus le mandat de représenter le demandeur et a demandé qu'un représentant désigné soit nommé pour lui.

[20]    Le 6 juillet 2005, la SAI a désigné madame Marian Shermarke à titre de représentante désignée du demandeur.

[21]    Le 13 septembre 2005, le délégué du ministre a rendu sa décision selon laquelle le demandeur est un danger pour le public selon l'alinéa 115(2)a) de la Loi. Cette décision a fait l'objet d'une demande de contrôle judiciaire dans le dossier IMM-5903-05 (cette demande a été rejetée aujourd'hui même).

[22]    Le 4 octobre 2005, la SAI a rejeté l'appel présenté par le demandeur à l'encontre de la mesure de renvoi émise contre lui en 2002. C'est cette décision qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[23]    Le 15 décembre 2005, le demandeur a demandé un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi du Canada et sa requête a été remise sine die par le juge en chef Lutfy.

* * * * * * * *

[24]      Il convient ici d'énoncer le libellé des paragraphes pertinents de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés :

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

a) être déclaré coupable au Canada d'une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans ou d'une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

[...]

(2) Emportent, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour criminalité les faits suivants :

a) être déclaré coupable au Canada d'une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de deux infractions à toute loi fédérale qui ne découlent pas des mêmes faits;

[...]

67. (1) Il est fait droit à l'appel sur preuve qu'au moment où il en est disposé :

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

c) sauf dans le cas de l'appel du ministre, il y a -- compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché -- des motifs d'ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l'affaire, la prise de mesures spéciales.

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

[...]

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

[...]

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

[...]

(2) A foreign national is inadmissible on grounds of criminality for

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by way of indictment, or of two offences under any Act of Parliament not arising out of a single occurrence;

[...]

67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

[...]

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

[...]

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

* * * * * * * *

[25]      Le 4 octobre 2005, après avoir considéré l'ensemble de la preuve et appliqué les facteurs énoncés par la jurisprudence en la matière, la SAI a déterminé qu'il n'existait pas de motifs humanitaires suffisants pour justifier la prise d'une mesure spéciale.

Contexte légal

[26]      Devant la SAI, le demandeur ne contestait pas la légalité de la mesure de renvoi, mais fondait exclusivement son appel sur l'alinéa 67(1)c) de la Loi, alléguant l'existence de motifs humanitaires justifiant la prise de mesures spéciales.

[27]      Dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire que lui octroie la disposition, la SAI considère les facteurs non exhaustifs énoncés dans la décision Ribic c. Canada (M.E.I.), [1985] I.A.B.D. no 4 (QL), facteurs qui ont été entérinés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Chieu c. Canada (M.C.I.), [2002] 1 R.C.S. 84, à la page 108 :

. . . Ces circonstances comprennent la gravité de l'infraction ou des infractions à l'origine de l'expulsion et la possibilité de réadaptation ou, de façon subsidiaire, les circonstances du manquement aux conditions d'admissibilité, qui est à l'origine de la mesure d'expulsion. La Commission examine la durée de la période passée au Canada, le degré d'établissement de l'appelant, la famille qu'il a au pays, les bouleversements que l'expulsion de l'appelant occasionnerait pour cette famille, le soutien dont bénéficie l'appelant, non seulement au sein de sa famille, mais également de la collectivité, et l'importance des difficultés que causerait à l'appelant le retour dans son pays de nationalité. . . .

[28]      La Cour d'appel fédérale a en outre indiqué que les circonstances de l'affaire à considérer, dans l'exercice discrétionnaire prévu à l'alinéa 67(1)c), ne comprennent pas seulement les circonstances de la personne concernée mais l'ensemble des circonstances, comprenant celles relatives au bien de la société (Canepa c.Canada (M.E.I.), [1992] 3 C.F. 270 (C.A.)).

[29]      En ce qui concerne le fardeau de la preuve, tel que le rappelait récemment cette Cour dans l'affaire Bhalru c. Minister of Citizenship and Immigration, 2005 FC 777, la personne invoquant l'alinéa 67(1)c) demande un privilège de nature discrétionnaire et elle a le fardeau de démontrer l'existence de motifs exceptionnels justifiant qu'il lui soit permis de demeurer au Canada :

[16]          In Prata v. Canada (Minister of Manpower and Immigration) [[1976] 1 S.C.R. 376 at page 380], the Supreme Court of Canada stated that a removal order "establishes that, in the absence of some special privilege existing, [an individual subject to a lawful removal order] has no right whatever to remain in Canada. [An individual appealing a lawful removal order] does not, therefore, attempt to assert a right, but, rather, attempts to obtain a discretionary privilege."

[17]          As a person seeking "special relief" or a discretionary privilege, the onus was on Mr. Bhalru to establish exceptional reasons why he should be allowed to remain in Canada (Chieu v. Canada (M.C.I.) [[2002] 1 S.C.R. 84].

Norme de contrôle

[30]      Quant à la norme de contrôle judiciaire, cette Cour a réitéré les principes applicables dans une affaire mettant en cause l'alinéa 70(1)b) de la Loi sur l'immigration, l'équivalent de l'alinéa 67(1)c) de la présente Loi, et a conclu que la norme de la retenue judiciaire devant être accordée aux conclusions de fait tirées par la SAI est celle de la décision manifestement déraisonnable (Badhan c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2004 CF 1050, Bhalru, ci-dessus et Jessani c. Canada (M.C.I.), [2001] A.C.F. no 662 (C.A.) (QL)).

Déni de la maladie mentale

[31]      Le demandeur plaide, d'une part, que la preuve au dossier révèle sans équivoque qu'il est atteint d'une pathologie psychiatrique d'un registre psychotique de l'ordre du trouble schizo-affectif.

[32]      Il soutient, d'autre part, que l'opinion experte du Dr Jacques Talbot et que les documents intitulés « Co-occurring Substance Abuse and Schizophrenia : Treatment Approaches and Practices » et « A Training Session on the Integrated Model of Dual Disorders Intervention » illustrent clairement que les patients atteints de maladie psychiatrique nient fréquemment leur maladie et que ce déni fait même partie du syndrome de celle-ci.

[33]      Le demandeur soutient que, par conséquent, la SAI ne pouvait conclure à l'absence de motifs de compassion sous prétexte que le demandeur a, par le passé, nié et/ou reconnaît actuellement difficilement ses problèmes de santé mentale. Cette conclusion est arbitraire en regard de la preuve présentée au sujet du déni de la maladie psychiatrique chez les malades mentaux. Conséquemment, la conclusion du refus de l'octroi d'une mesure spéciale est entachée d'une erreur mixte de faits et de droit.

[34]      Toutefois, la preuve était claire à l'effet que le demandeur niait ou admettait difficilement ses problèmes de santé mentale. À mon avis, le fait que le déni des problèmes psychiatriques puisse être une conséquence de la maladie du demandeur n'empêchait pas la SAI de considérer ce déni dans le contexte de l'ensemble des circonstances.

[35]      En effet, pendant les nombreuses années où il a vécu au Canada, le demandeur a pu bénéficier de soins et d'aide, mais cela n'a donné aucun résultat positif.

[36]      De plus, rien dans la preuve ne permettait de croire qu'en dépit de toute l'aide offerte au demandeur, cette situation pouvait changer de façon significative. D'ailleurs, à la dernière page de son expertise, après avoir énuméré les suggestions de traitement formulées par le Dr Levy dans son expertise, le Dr Talbot a mentionné que « ces recommandations doivent être considérées comme illusoires » .

[37]      Dans les circonstances, donc, le fait que l'attitude de déni du demandeur face à ses problèmes psychiatriques puisse être un symptôme de sa maladie ne pouvait être une considération déterminante.

Le refus de reconnaître ses problèmes de criminalité

[38]      Le demandeur soutient que l'examen psychiatrique fait par le Dr Lévy révèle chez lui un diagnostic de trouble schizo-affectif de type bipolaire; il se réfère également à un précédent diagnostic de trouble schizo-affectif fait par le Dr Lévesque en octobre 2000. Le Dr Lévy déclare aussi que la capacité d'introspection est très faible et le jugement altéré; elle mentionne également dans son rapport que le demandeur présente des idées délirantes de persécution ainsi que des idées de référence.

[39]      Le demandeur réfère aussi à l'opinion suivante du Dr Talbot, à la page 9 de son expertise :

Antérieurement, il appert que son apragmatisme et les symptômes négatifs qu'il a présentés aient pu l'empêcher de s'exprimer, ou de s'exprimer d'une façon négative, ce qui n'est plus le cas actuellement.

[40]      Le demandeur soutient qu'il est raisonnable d'estimer que l'altération du jugement du demandeur l'ait porté à nier ou minimiser ses antécédents criminels, tel que l'indique le Dr Talbot.

[41]      Le demandeur soutient donc que cette conclusion de lui refuser l'octroi d'une mesure spéciale à cause de son manque de remords et son refus de reconnaître son problème de criminalité est arbitraire, vu la preuve présentée devant la SAI.

[42]      Cependant, le Dr Talbot, qui a rencontré le demandeur moins d'une semaine avant son audience devant la SAI, mentionnait que, bien que les symptômes négatifs aient pu empêcher le demandeur de s'exprimer dans le passé, ce n'était plus le cas.

[43]      De plus, une simple lecture de la transcription de l'audience devant la SAI permet de constater que le demandeur s'exprimait de façon cohérente et qu'il était capable de donner des détails et des précisions. Or, à aucun moment durant son témoignage, le demandeur n'a exprimé de remords, et, en outre, il a pratiquement nié les multiples infractions criminelles pour lesquelles il a été condamné.

[44]      De plus, depuis sa majorité, le demandeur a été trouvé coupable de 16 infractions criminelles. Si le jugement du demandeur avait été altéré au point de ne pas comprendre la portée et la gravité de ses actes criminels, il n'aurait pas été condamné.

[45]      Conséquemment, il était tout à fait pertinent pour la SAI de considérer le fait que le demandeur n'avait aucun remords et qu'il niait son comportement criminel. Ces éléments étaient très importants car, jumelés au fait que le demandeur avait continué à commettre des infractions criminelles même après l'émission de la mesure de renvoi, ils démontraient une très faible possibilité de réhabilitation.

Possibilité d'un traitement pour le demandeur

[46]      Le demandeur soutient que le Dr Emmanuelle Lévy, psychiatre, pharmacologie clinique et professeure adjointe au Département de psychiatrie de l'Université McGill, recommande qu'il soit traité en le forçant à prendre ses médicaments.

[47]      Le demandeur souligne, quant à l'évaluation faite par le Dr Talbot, que ce dernier exprime l'opinion qu'une ordonnance de traitements forcés ainsi suggérée par le Dr Lévy pourrait difficilement être obtenue, compte tenu de l'absence d'une dangerosité psychiatrique telle que définie par la Loi sur la protection du malade mental, L.R.Q., ch. P-41. Toutefois, le Dr Talbot ajoute à la page 8 de son expertise que l'alternative serait possible si le demandeur se retrouvait en traitement dans un milieu comme le Programme Le Portage. Conséquemment, le demandeur soutient que la conclusion de la SAI relative à l'impossibilité de traitement dans son cas est tirée de façon absurde et ne repose pas sur la preuve au dossier.

[48]      À mon avis, le demandeur se méprend quant à la nature de la conclusion de la SAI. Voici ce que la SAI a conclu, quant à la question du traitement :

[15]      Lors de l'audience, l'appelant a difficilement reconnu ses problèmes de santé mentale et le tribunal n'est pas convaincu que l'appelant se servirait des différentes ressources disponibles dans le milieu de la santé mentale.

Donc, la SAI n'a pas conclu que le traitement du demandeur serait impossible, mais plutôt que la preuve ne permettait pas de croire que le demandeur se soumettrait aux traitements disponibles.

[49]      À mon avis, cette conclusion est des plus raisonnables compte tenu de la preuve déposée devant la SAI.

[50]      En effet, dans son expertise, le Dr Talbot explique que les recommandations de traitements mentionnées par le Dr Levy dans son expertise sont illusoires. À la fin de son expertise, le Dr Talbot invoque le Programme Le Portage comme pouvant être une ultime alternative. Par ailleurs, il apparaît clairement que le Dr Talbot fondait peu d'espoir sur une possible réussite du programme pour le demandeur car il écrit :

L'existence d'une pathologie mixte, psychiatrique et toxique renforce encore les éléments pronostiques négatifs.

Une alternative resterait possible : que monsieur se retrouve en traitement dans un milieu comme le Programme Le Portage où les « doubles problématiques » , une maladie psychiatrique et une toxicomanie, peuvent être traités.

Cette ressource peut intervenir à l'intérieur d'un cadre probatoire forcé par la Cour, d'une part, ou encore à l'intérieur d'une entente volontaire, laquelle implique des éléments critiques et un niveau de motivation élevé. De tels traitements doivent s'étaler sur plusieurs mois, au-delà même d'une année...

Il me paraît donc que les multiples niveaux de pathologie présentés par M. Camara - en termes de désinsertion sociale, de marginalisation socioprofessionnelle, d'expériences positives d'autonomie, de dépendance et de passivité, de comportements toxiques, d'un maladie psychiatrique concomitante, des effets cumulatifs d'une désinsertion sociale très importante encore amplifiée par des symptômes négatifs qui ont été fréquemment notés chez lui, représentent chez lui des éléments pronostiques négatifs.

Même si les problèmes présentés sont très importants, l'utilisation d'une ressource comme le Programme Le Portage pourrait être ultimement tentée...

[51]      À mon avis, le pronostic négatif énoncé par le Dr Talbot et l'utilisation des points de suspension à la fin de son commentaire démontrent que, même si une possibilité de traitement existait, il doutait fortement que celui-ci puisse réussir dans le cas du demandeur.

[52]      En outre, tel que le Dr Talbot l'indique et tel qu'il ressort de la documentation produite par le demandeur à ce sujet, le Programme le Portage s'applique sur une base volontaire. La personne concernée doit accepter de se soumettre au traitement. Or, la preuve déposée devant la SAI démontrait clairement que, de façon générale, le demandeur ne voulait pas se soumettre aux soins et à la médication qui lui étaient offerts.

[53]      À mon avis, compte tenu de l'ensemble des éléments de preuve, il n'était pas manifestement déraisonnable pour la SAI de ne pas être satisfaite que le demandeur utiliserait les diverses ressources disponibles pour lui en matière de santé mentale.

Famille en Guinée

[54]      Selon le demandeur, la SAI a tiré une conclusion de fait de façon absurde et sans tenir compte des éléments dont elle disposait en décidant, quant aux motifs humanitaires, que le demandeur aurait, en Guinée, de la famille qui pourrait peut-être l'aider à se refaire une vie.

[55]      La SAI s'exprime ainsi :

. . . En Guinée, même si cela fait longtemps qu'il est à l'extérieur même s'il a quitté son pays natal depuis longtemps, il a néanmoins de la famille qui pourrait peut-être l'aider à se refaire une vie.

[56]      Le demandeur soutient que rien dans la preuve au dossier ne révèle que le demandeur ait gardé un contact significatif avec sa famille au cours des 14 dernières années et non plus qu'elle lui apporterait un soutien quelconque dans l'éventualité d'un retour en Guinée.

[57]      Cependant, la preuve révélait aussi que le demandeur n'avait aucun membre de sa famille au Canada, ceux-ci habitant tous en Guinée.

[58]      À mon avis, cependant, le fait que le demandeur ait de la famille dans son pays d'origine était un élément pertinent que la SAI pouvait prendre en considération, d'autant plus que le demandeur avait témoigné avoir été en contact avec certains membres de sa famille (Dossier du tribunal, aux pages 392 et 393).

[59]      Il n'était donc pas manifestement déraisonnable pour la SAI de considérer le fait que le demandeur avait de la famille en Guinée et que celle-ci pouvait peut-être l'aider.

Risque de retour en Guinée

[60]      Le demandeur soutient que la SAI a ni analysé, et ni balancé judicieusement la preuve présentée à l'audience quant à la situation en Guinée, relativement au respect des droits humains, à la sécurité, à la disponibilité de soins psychiatriques, aux liens aléatoires du demandeur avec sa famille, à la situation socio-économique déplorable du pays et le tout, sans prendre en compte l'état psychologique du demandeur.

[61]      Le demandeur souligne qu'il est mentionné à l'Avis du ministre produit sous la pièce R-16 au dossier de la SAI :

The presidential Guard, or Red Berets, are accountable to virtually no one except the President. There was no effective civilian control of the security forces. Some members committed serious human right abuses. . . . Civilian and military security forces beat and otherwise abused civilians, often with impunity. Prison conditions were inhuman and life threatening. Arbitrary arrest and prolonged pretrial detention were problems. The Government infringed on citizens' privacy rights.

Le rapport Mission internationale d'enquête, Guinée de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme indique :

. . . Avec 40% de sa population vivant en-deçà du seuil de pauvreté monétaire et des indicateur sanitaires et sociaux déplorables, la Guinée occupe un des derniers rangs mondiaux en matière de développement humain. . . .

Le demandeur soutient que, dans ce contexte, la conclusion de la SAI que « [l]e danger à la société canadienne est plus élevé que le risque de retourner l'appelant dans son pays natif » est tout à fait arbitraire, ne tenant compte ni de la preuve, ni de l'expectative légitimement prévisible et grandement plus élevée en terme de danger pour le demandeur, considérant son degré de dangerosité pour le Canada.

[62]      Selon le demandeur, sans minimiser les condamnations criminelles pour lesquelles il a été reconnu coupable au Canada, il y a lieu de se questionner sur sa dangerosité. Il soutient qu'on doit rappeler que « sa déviance s'est manifestée surtout contre la propriété et non contre la personne. » De plus, la conclusion du Tribunal administratif du Québec du 2 mars 2001 était :

[17]      Le tribunal estime que l'accusé ne représente pas un danger important pour la société.

[63]      Le demandeur soutient que l'évaluation de son degré de dangerosité dans le présent dossier devait assurément faire référence à des infractions criminelles de même nature que les exemples donnés dans les lignes directrices, lesquels réfèrent tous à des infractions violentes, ce qui n'est pas le cas ici, sauf pour une condamnation pour tentative d'introduction par effraction le 23 février 2004.

[64]      Quant aux circonstances de sa tentative d'introduction par effraction, le demandeur a témoigné devant la SAI qu'il marchait, buvait et cherchait un endroit où soit se réfugier et passer la nuit, soit s'asseoir.

[65]      Le demandeur soutient de plus que les infractions pour lesquelles il a été reconnu coupable ne sont pas des crimes impliquant un degré de violence inacceptable. Il ajoute que c'est dans cet esprit que l'Avis du ministre en vertu de l'alinéa 115(2)a) de la Loi, auquel se réfère la SAI au paragraphe 18 de sa décision, a fait aussi l'objet d'une demande d'autorisation de contrôle judiciaire devant cette Cour dans le dossier IMM-5903-05 (après autorisation et audition de cette demande de contrôle judiciaire, celle-ci a été rejetée aujourd'hui même).

[66]                  Or, lors de l'audience, le demandeur a déclaré ce qui suit quant au problème vécu dans son pays :

Q.            Avez-vous...aviez-vous eu des...aviez-vous été impliqué avec les...

                les autorités de votre pays quand vous y étiez?

               

                R.             Oui.

Q.                   Qu'est ce qui s'était passé?

                R.             Bien, j'ai fait une fois arrêté, tout ça, c'est pour ça je suis parti.

Q.                   Vous vous étiez fait arrêter, puis c'est pour ça que vous êtes parti.

Vous vous étiez fait arrêter pourquoi?

R.                    Bien, parce que je...

-               Essayez de parler un peu plus fort.

R.                    Parce que j'habitais juste tout près du port, alors des fois je fréquentais

                le port... et le... le grand port de Conakry de (inaudible).

                C'est pourquoi je... quelque chose est arrivé comme ça et puis il y a

                certains de mes amis qui se sont fait arrêter et puis moi aussi, mais moi

                j'ai eu la chance de me faufiler et de partir.

Il apparaissait donc que le demandeur avait été victime d'une détention arbitraire peu avant de quitter son pays. Cependant, il n'y avait aucun élément de preuve démontrant que, 14 ans plus tard, il était toujours à risque.

[67]      Quant à la situation des soins de santé en Guinée, cet élément ne pouvait être considéré comme créant un risque pour le demandeur, puisque la preuve démontrait que, de façon générale, ce dernier ne voulait pas se prévaloir des soins de santé disponibles pour lui. De plus, le sous-alinéa 97(1)b)(iv) de la Loi indique que l'incapacité d'un État de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats n'est pas considérée comme une menace à la vie ou à des traitements cruels et inusités.

[68]      Donc, d'une part, le demandeur n'avait pas démontré qu'il pouvait être exposé à risque personnel dans son pays et, d'autre part, la preuve établissait que :

-          Depuis son arrivée au Canada, le demandeur avait commis de multiples infractions criminelles dont certaines sur la personne;

-          Malgré un séjour d'environ 14 ans au Canada, le degré d'établissement du demandeur était pratiquement inexistant (presque pas d'amis, très peu travaillé, etc.)

-          Le demandeur refusait de reconnaître ses problèmes de criminalité et de santé mentale;

-          Aucun élément ne militait en faveur d'une possible réhabilitation.

[69]      En outre, à la fin de son expertise psychiatrique faite en 2005, le Dr Talbot indiquait :

Persiste une dangerosité sociale ou légale liée à l'addition des éléments pathologiques reconnus chez monsieur.

[70]      J'estime que compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il n'était pas manifestement déraisonnable pour la SAI de conclure que le risque pour la société canadienne était plus élevé que le risque auquel le demandeur pouvait être exposé dans son pays.

* * * * * * * *

[71]      Par ces motifs, il n'était pas manifestement déraisonnable, i.e. clairement irrationnel (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20), pour la SAI de ne pas avoir conclu à l'existence de motifs exceptionnels pouvant justifier qu'il soit permis au demandeur de demeurer au Canada. L'intervention de cette Cour n'est donc pas justifiée et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                ____________________________________

                                                                                                                                    JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 13 février 2006


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-6577-05

                        INTITULÉ :                COCA CAMARA c. LE MINISTRE DE LA

                                                            CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 2 février 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE PINARD

DATE DES MOTIFS :                       Le 13 février 2006

COMPARUTIONS:

Me Diane Petit

Me Jean Fauteux

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Marie-Claude Demers

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Diane Petit

Aide juridique de Montréal

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

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