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Date : 20231201


Dossiers : T-2183-22

T-2188-22

Référence : 2023 CF 1620

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2023

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

GINETTE TROTTIER

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse, Mme Ginette Trottier, demandait le contrôle judiciaire de trois décisions prises par des fonctionnaires habilités de l’Agence du revenu du Canada, le tout en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7.

[2] Les trois décisions procédaient de décisions négatives quant à l’admissibilité de Mme Trottier à trois programmes fédéraux mis en place durant la pandémie de la COVID-19. Quoique les programmes soient distincts, ils procèdent d’une même logique et les critères d’admissibilité sont d’une proche parenté.

[3] Cependant, Mme Trottier s’est désisté de son contrôle judiciaire qui portait le numéro de dossier T-2187-22 à la veille de l’audition des contrôles judiciaires. Il en résulte qu’il n’y a plus maintenant que deux contrôles judiciaires devant la Cour.

[4] Ainsi, la demanderesse a eu raison d’entreprendre deux contrôles judiciaires différents étant donné la règle 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, qui requiert spécifiquement qu’une demande de contrôle judiciaire ne porte que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée.

[5] Par ailleurs, la juge adjointe Tabib a ordonné que les trois demandes originales de contrôle judiciaire soient entendues ensemble (Ordonnance du 9 décembre 2022); de même, les parties n’ont produit qu’un seul mémoire des faits et du droit chacune pour les trois demandes. De fait, les trois avis de demande de contrôle judiciaires avaient une ressemblance prononcée. Il n’en reste maintenant plus que deux.

[6] Dans ces circonstances, une décision sera rendue par la Cour dans les deux dossiers qui restent, copie de la décision devant être déposée dans chacun des dossiers.

I. Les faits

[7] Afin d’aider face aux répercussion de la pandémie de la maladie de coronavirus 2019 [COVID-19], le Parlement a adopté des lois visant à mettre sur pied des programmes permettant le paiement de prestations imposables offrant un soutien financier aux employés et travailleurs indépendants directement touchés par la COVID-19. Les lois adoptées prévoient les conditions d’admissibilité, et les programmes sont administrés par l’Agence du revenu du Canada.

[8] Dans le cadre de cette administration, l’Agence du revenu du Canada passe en revue des paiements faits pour vérifier l’admissibilité de personnes qui ont réclamé des prestations. C’est le cas de Mme Trottier qui aura réclamé et reçu des paiements pour des programmes différents, dont deux font l’objet de demande de contrôle judiciaire en l’espèce :

  • Prestation canadienne de maladie pour la relance économique [PCMRE] [T‑2183‑22];

  • Prestation canadienne pour la relance économique [PCRE] [T‑2188‑22].

[9] Ces programmes couvraient des périodes qui se recoupaient dans une certaine mesure. Un programme d’urgence, qui n’est pas partie du présent litige, avait cours du 15 mars 2020 au 26 septembre 2020. Les programmes qui nous intéressent plus particulièrement ont eu cours durant les périodes suivantes :

  • relance économique (PCRE) : 27 septembre 2020 au 23 octobre 2021;

  • maladie (PCMRE) : 7 septembre 2020 au 7 mai 2022.

Le programme qui avait donné lieu au troisième contrôle judiciaire (ayant fait l’objet du désistement) couvrait la période du 24 octobre 2021 au 7 mai 2022. Il consistait en la Prestation canadienne pour les travailleurs en cas de confinement [PCTCC].

[10] Dans les affaires qui nous importent, Mme Trottier s’est prévalue du PCMRE pour une seule période, du 31 mai 2021 au 5 juin 2021 (500 $). Elle indique maintenant que c’était par erreur, recherchant plutôt durant cette période des prestations au titre de la relance économique. Mme Trottier a touché des prestations à hauteur de 24 600 $ pour les périodes du 27 septembre 2020 au 22 mai 2021, puis du 6 juin 2021 au 23 octobre 2021.

II. Les décisions

[11] Au final, toutes les prestations payées à Mme Trottier ont été désavouées une fois que l’Agence du revenu du Canada aura examiné de plus près si la demanderesse satisfaisait les conditions d’admissibilité. Je commence donc par la présentation des conditions pour chacun des deux programmes. On pourra ensuite voir les raisons données pour conclure que l’une ou l’autre des conditions n’était pas remplie pour l’obtention des prestations reçues.

[12] Le programme créant la Prestation canadienne de maladie pour la relance économique trouve sa source dans la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2 [Loi]. On y retrouve les conditions d’admissibilité à la prestation canadienne de relance économique à la Partie 1, sur laquelle nous reviendrons, et les conditions relatives au cas de maladie, qui se trouvent à la Partie 2.

[13] Les conditions nécessaires communes pour les deux programmes sont de détenir un numéro d’assurance sociale valide, d’être âgé d’au moins quinze ans, de résider et d’être présent au Canada au cours de la période visée. Quant à la maladie, la condition d’admissibilité qui est pertinente se trouve à l’alinéa 10(1)f) de la Loi :

10 (1) Est admissible à la prestation canadienne de maladie pour la relance économique, à l’égard de toute semaine comprise dans la période commençant le 27 septembre 2020 et se terminant le 7 mai 2022, la personne qui remplit les conditions suivantes :

10 (1) A person is eligible for a Canada recovery sickness benefit for any week falling within the period beginning on September 27, 2020 and ending on May 7, 2022 if

[…]

f) au cours de la semaine visée, elle a été incapable d’exercer son emploi pendant au moins cinquante pour cent du temps durant lequel elle aurait par ailleurs travaillé — ou a réduit d’au moins cinquante pour cent le temps qu’elle aurait par ailleurs consacré au travail qu’elle exécute pour son compte — pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

(f) they have as an employee been unable to work for at least 50% of the time they would have otherwise worked in the week, or they have as a self-employed person reduced the time devoted to their work by at least 50% of the time they would have otherwise worked in the week, because

(i) elle a contracté la COVID-19 ou pourrait avoir contracté la COVID-19,

(i) they contracted or might have contracted COVID-19,

(ii) elle a des affections sous-jacentes, suit des traitements ou a contracté d’autres maladies qui, de l’avis d’un médecin, d’un infirmier praticien, d’une personne en situation d’autorité, d’un gouvernement ou d’un organisme de santé publique, la rendraient plus vulnérable à la COVID-19,

(ii) they have underlying conditions, are undergoing treatments or have contracted other sicknesses that, in the opinion of a medical practitioner, nurse practitioner, person in authority, government or public health authority, would make them more susceptible to COVID-19, or

(iii) elle s’est mise en isolement sur l’avis de son employeur, d’un médecin, d’un infirmier praticien, d’une personne en situation d’autorité, d’un gouvernement ou d’un organisme de santé publique pour des raisons liées à la COVID-19;

(iii) they isolated themselves on the advice of their employer, a medical practitioner, nurse practitioner, person in authority, government or public health authority for reasons related to COVID-19;

[…]

En deux mots, la demanderesse n’avait ni contracté la COVID-19, ni n’avait de certificat pouvant la qualifier sous les alinéas (ii) ou (iii). C’est ainsi qu’elle concède de façon loyale que la réception de prestation au titre de la maladie ne rencontre pas les conditions de la Loi.

[14] Les prestations obtenues au titre de la relance économique constituent la grande majorité des sommes qui sont réclamées à la demanderesse. La Loi requiert un seuil minimum de revenu provenant d’un emploi, de travail que la personne exerce pour son compte (“self-employment”), de prestations en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi, LC 1996, c 23, ou de certaines allocations provinciales. Le seuil se situe à 5 000 $ au cours des périodes indiquées à la Loi. Ainsi, pour les périodes de deux semaines qui débutent en 2020, la Loi requiert que des revenus de $5 000 ont été gagnés en 2019 ou au cours des douze mois qui ont précédé la demande de prestation (alinéa 3(1)d) de la Loi). Pour les périodes qui débutent en 2021, les revenus gagnés pour l’année 2019 ou 2020, ou au cours des douze mois qui précèdent la date à laquelle la demande est présentée, s’élèvent à au moins 5 000 $ (alinéa 3(1)d) de la Loi).

[15] D’autres conditions doivent être remplies. Je note pour nos fins les conditions suivantes :

3 (1) Est admissible à la prestation canadienne de relance économique, à l’égard de toute période de deux semaines comprise dans la période commençant le 27 septembre 2020 et se terminant le 23 octobre 2021, la personne qui remplit les conditions suivantes :

3 (1) A person is eligible for a Canada recovery benefit for any two-week period falling within the period beginning on September 27, 2020 and ending on October 23, 2021 if

[…]

f) au cours de la période de deux semaines et pour des raisons liées à la COVID-19, à l’exclusion des raisons prévues aux sous-alinéas 17(1)f)(i) et (ii), soit elle n’a pas exercé d’emploi — ou exécuté un travail pour son compte —, soit elle a subi une réduction d’au moins cinquante pour cent — ou, si un pourcentage moins élevé est fixé par règlement, ce pourcentage — de tous ses revenus hebdomadaires moyens d’emploi ou de travail à son compte pour la période de deux semaines par rapport à :

(f) during the two-week period, for reasons related to COVID-19, other than for reasons referred to in subparagraph 17(1)(f)(i) and (ii), they were not employed or self-employed or they had a reduction of at least 50% or, if a lower percentage is fixed by regulation, that percentage, in their average weekly employment income or self-employment income for the two-week period relative to

(i) tous ses revenus hebdomadaires moyens d’emploi ou de travail à son compte pour l’année 2019 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle présente une demande, dans le cas où la demande présentée en vertu de l’article 4 vise une période de deux semaines qui débute en 2020,

(i) in the case of an application made under section 4 in respect of a two-week period beginning in 2020, their total average weekly employment income and self-employment income for 2019 or in the 12-month period preceding the day on which they make the application, and

(ii) tous ses revenus hebdomadaires moyens d’emploi ou de travail à son compte pour l’année 2019 ou 2020 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle présente une demande, dans le cas où la demande présentée en vertu de l’article 4 vise une période de deux semaines qui débute en 2021;

(ii) in the case of an application made under section 4 in respect of a two-week period beginning in 2021, their total average weekly employment income and self-employment income for 2019 or for 2020 or in the 12-month period preceding the day on which they make the application;

[…]

i) elle a fait des recherches pour trouver un emploi ou du travail à exécuter pour son compte au cours de la période de deux semaines;

(i) they sought work during the two-week period, whether as an employee or in self-employment;

j) elle n’a pas restreint indûment sa disponibilité pour occuper un emploi ou exécuter un travail pour son compte au cours de la période de deux semaines;

(j) they did not place undue restrictions on their availability for work during the two-week period, whether as an employee or in self-employment;

k) si elle n’a pas reçu de prestation au titre de la présente partie précédemment, elle n’a pas :

(k) if they have not previously received any benefits under this Part, they have not,

(i) d’une part, depuis le 27 septembre 2020, quitté son emploi ou cessé de travailler volontairement, sauf s’il était raisonnable de le faire,

(i) on or after September 27, 2020, quit their employment or voluntarily ceased to work, unless it was reasonable to do so, and

(ii) d’autre part, au cours de la période de deux semaines à laquelle la demande présentée en vertu de l’article 4 se rapporte ni au cours des quatre périodes de deux semaines précédant immédiatement cette période, à l’exclusion de toute période de deux semaines commençant avant le 27 septembre 2020 :

(ii) in the two-week period in respect of which their application under section 4 relates and in any of the four two-week periods beginning on September 27, 2020 that are immediately before that two-week period

(A) refusé de recommencer à exercer son emploi lorsqu’il était raisonnable de le faire, si son employeur le lui a demandé,

(A) failed to return to their employment when it was reasonable to do so if their employer had made a request,

(B) refusé de recommencer à exécuter un travail pour son compte lorsqu’il était raisonnable de le faire,

(B) failed to resume self-employment when it was reasonable to do so, or

(C) refusé une offre raisonnable d’emploi ou de travail à son compte qui aurait débuté au cours de cette période;

(C) declined a reasonable offer to work in respect of work that would have started during the two-week period;

l) si elle a déjà reçu une prestation au titre de la présente partie, elle n’a pas :

(l) if they have previously received any benefits under this Part, they have not,

(i) d’une part, depuis le premier jour de la première période de deux semaines à l’égard de laquelle elle a reçu une prestation au titre de la présente partie, quitté son emploi ou cessé de travailler volontairement, sauf s’il était raisonnable de le faire,

(i) on or after the first day of the first two-week period for which any benefits were paid to them under this Part, quit their employment or voluntarily ceased to work, unless it was reasonable to do so, and

(ii) d’autre part, au cours de la période de deux semaines à laquelle la demande présentée en vertu de l’article 4 se rapporte ni au cours des quatre périodes de deux semaines précédant immédiatement cette période, à l’exclusion de toute période de deux semaines commençant avant le 27 septembre 2020 :

(ii) in the two-week period in respect of which their application under section 4 relates and in any of the four two-week periods beginning on September 27, 2020 that are immediately before that two-week period

(A) refusé de recommencer à exercer son emploi lorsqu’il était raisonnable de le faire, si son employeur le lui a demandé,

(A) failed to return to their employment when it was reasonable to do so if their employer had made a request,

(B) refusé de recommencer à exécuter un travail pour son compte lorsqu’il était raisonnable de le faire,

(B) failed to resume self-employment when it was reasonable to do so, or

(C) refusé une offre raisonnable d’emploi ou de travail à son compte;

(C) declined a reasonable offer to work;

[…]

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[16] Ces conditions, dont la lecture n’est certes pas facile, manifestent l’intention du législateur que non seulement il y avait nécessité d’un revenu minimum avant qu’une personne puisse avoir accès aux prestations de relance économique, mais encore faut-il que les revenus de la personne soient sensiblement réduits pour des raisons liées à la COVID-19 (alinéa 3(1)f) de la Loi). On requiert aussi la recherche de travail à son compte (alinéa 3(1)i) de la Loi) sans restreindre indûment la disponibilité pour l’emploi ou le travail pour son compte (alinéa 3(1)j) de la Loi). Il est aussi prévu que la personne ne cesse pas, ou refuse, de travailler volontairement sauf si raisonnable de le faire, selon les modalités décrites aux alinéas 3(1)k) et l) de la Loi. J’ai souligné dans les dispositions citées les passages pertinents au cas de Mme Trottier qui était une personne travaillant à son compte.

[17] Le décideur administratif a refusé dans les deux cas de reconnaître l’admissibilité aux prestations de la demanderesse (Décision rendue le 22 septembre 2022). En ce qui concerne la PCMRE (maladie), la décision note simplement que la demanderesse n’est pas admissible à cette prestation parce que « [v]otre horaire de travail hebdomadaire n’a pas été réduit d’au moins 50 % parce que vous êtes en isolement pour des raisons liées à la COVID-19 ». Comme vu plus tôt, cette prestation était pour les personnes incapables de travailler parce que malades de la COVID‑19 et devaient s’isoler ou souffraient d’un problème de santé sous-jacent les rendant plus vulnérables à la COVID-19, preuve à l’appui. Ce n’était pas le cas de Mme Trottier et elle admet qu’elle n’a donc pas pu voir son revenu réduit en raison de la maladie.

[18] Pour ce qui est de la PCRE (relance économique), la Décision du 22 septembre 2022 déclare que : (1) Mme Trottier ne travaillait pas « pour des raisons autres que la COVID-19 » et, (2) quoique capable de travailler, la demanderesse ne cherchait pas d’emploi. L’articulation des motifs de refus se trouve au rapport de deuxième examen. Notre Cour a établi depuis longtemps que ce rapport fait partie intégrante de la décision prise (Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139), prenant en cela appui sur Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817, au para 44). Il faut donc s’y référer pour comprendre l’articulation des raisons du refus.

[19] Quant à la PCMRE (maladie), aucune note n’a été fournie, mais c’est sans importance puisque la demanderesse a confirmé, même à l’audience de la demande de contrôle judiciaire, qu’elle n’y était pas admissible. Quant à la PCRE (relance économique) les notes articulent les raisons pour lesquelles la demanderesse n’était pas admissible et elles présentent les éléments suivants comme justification du refus de reconnaître l’admissibilité :

  • la demanderesse, à titre d’explication, dit ne pas avoir abandonné son travail volontairement. Elle était travailleuse autonome enseignant l’anglais à son domicile, chez les clients ou dans des bibliothèques publiques qui ont été fermées le 20 mars 2020;

  • cette explication pourrait justifier des prestations en cas d’urgence, disent les notes, mais pas celles qui ne deviennent disponibles que le 27 septembre 2020. La contribuable a plutôt confirmé en septembre 2022 qu’elle n’a pas repris ses activités : « elle n’a pas non plus essayé de trouver un autre emploi en raison la peur du virus ». Selon le rapport, Mme Trottier aurait dit à une fonctionnaire le 20 septembre 2022 « qu’il était hors de question qu’elle travaille, elle refusait tout contact avec les gens par crainte d’attraper la COVID-19 »;

  • Mme Trottier n’entendait pas recommencer à travailler tant que le port du masque ne serait pas levé. Étant âgée de plus de 65 ans, elle disait suivre les consignes du gouvernement de demeurer à la maison;

  • de plus, Mme Trottier disait être immunosupprimée, mais elle aurait aussi affirmé être apte à travailler; elle n’avait pas reçu de recommandation médicale relativement à la COVID-19;

  • la demanderesse n’a pas tenté de reprendre ses activités lors de périodes de réouverture. De fait, elle a « fermé son site internet en 2020, peu après le confinement initial, car elle ne prévoyait pas retourner au travail ».

[20] Le rapport d’enquête fait alors ses constations à partir des faits établis quant au refus de travailler pour des raisons autres que la COVID-19 :

  • la demanderesse ne voulait pas avoir de contact avec des gens;

  • elle a volontairement décidé de fermer son site internet;

  • elle ne voulait pas travailler tant que le port du masque était requis;

  • âgée de plus de 65 ans, elle n’a pas tenté de reprendre ses activités d’enseignement.

Selon le rapport, cela justifie la conclusion que la demanderesse ne travaillait plus pour des raisons qui sont autres que la COVID-19.

[21] Quant à la deuxième raison pour laquelle l’admissibilité aux prestations était refusée, elle se fonde sur le fait que la demanderesse, quoiqu’apte à travailler, n’a pas cherché d’emploi ou fait des démarches pour reprendre des activités d’enseignement. Elle a été explicite à cet égard. La demanderesse a mentionné le 20 septembre 2022 « qu’il était hors de questions [sic] qu’elle recommence avant le retrait du port du masque obligatoire ». On note spécifiquement au rapport que non seulement la demanderesse aurait déclaré ne pas avoir « essayé de trouver un autre emploi en raison de la peur du virus » mais dans un même souffle le rapport ajoute que « [d]ans sa lettre soumise le 2022-06-06, elle indique qu’elle n’a reçu aucun appel. Le fait d’attendre des appels n’est pas considéré comme des recherches d’emploi ».

III. Les demandes de contrôle judiciaire

[22] Alors que trois avis de demande de contrôle judiciaire ont été déposés (il n’en reste que deux), comme il se devait, la demanderesse n’a produit qu’un seul mémoire des faits et du droit.

[23] En ce qui a trait à la PCMRE (maladie), au dossier T-2183-22, l’avis de demande reconnaît que la demanderesse ne souffrait pas de la COVID-19. Ce serait par erreur qu’elle aurait demandé cette prestation alors qu’elle aurait dû demander et recevoir celle relative à la relance économique (PCRE). Pour un motif inexpliqué, la demanderesse allègue malgré tout que la décision est « manifestement déraisonnable », ce qui devrait mener au renvoi de l’affaire à un décideur administratif différent pour une nouvelle détermination. Des prétentions écrites, on croit comprendre qu’on demande à la Cour de transformer la demande pour la PCMRE en une demande pour la PCRE. Il n’est pas indiqué comment une telle transformation pourrait être faite, d’autant que le paragraphe 11(2) de la Loi spécifie qu’« [a]ucune demande ne peut être présentée plus de soixante jours après la fin de la semaine à laquelle la prestation se rapporte ». À moins qu’il soit possible de créer une demande valide de prestation de relance économique avec effet rétroactif, cette demande est tout simplement hors délai, après que la seule demande faite pour la période invoquée ne puisse qu’être déclarée invalide puisque la condition essentielle, la maladie, n’existait pas. Puisque le contrôle judiciaire ne peut qu’être rejeté, la demanderesse devait démontrer l’existence d’un remède alors même que la demande de contrôle judiciaire ne peut qu’être rejetée.

[24] La demande relative à la relance économique (PCRE) [T-2188-22] allègue que Mme Trottier est une travailleuse honnête enseignant l’anglais comme travailleuse autonome depuis quinze ans. La pandémie aura considérablement affecté son modèle d’affaire, en particulier à cause de la fermeture de locaux publics où elle dispensait son enseignement. L’avis de demande déclare, sans plus, que la demanderesse respectait les critères et que la décision est donc « manifestement déraisonnable ».

[25] Le mémoire des faits et du droit est aussi dénué d’articulation. On y introduit, sans preuve à l’appui, que la raison d’une absence de recherche d’emploi était l’état de santé de la demanderesse. Elle souffrirait d’arthrite rhumatoïde qui la rendrait vulnérable à la COVID-19 (parce qu’immunosupprimée) et pourrait entraîner des complications sévères si elle contracte la maladie. Aucune preuve à cet égard n’est au dossier. Aucune expertise médicale n’est fournie au décideur administratif, celui à qui la preuve devait être offerte. Le mémoire indique aussi qu’ayant atteint l’âge de la retraite, « il est normal qu’elle ne cherche plus à travailler maintenant ». Enfin, on annonce que la demanderesse a abandonné son entreprise à cause de la fermeture des endroits publics qu’elle utilisait pour dispenser les cours et la prohibition de rassemblement intérieurs. Ainsi, la demanderesse limitait la possibilité de travailler à sa seule entreprise dans un lieu public ou a domicile.

IV. Analyse

[26] Le défendeur a raison que la preuve soumise par la demanderesse dans son affidavit du 23 février dernier est inadmissible. Une demande de contrôle judiciaire est entendue sur la base du dossier devant le décideur administratif (Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, aux para 13 et ss; dans un contexte semblable à celui en l’espèce, voir entre autres Sid Seghir c Canada (Procureur général), 2022 CF 466 [Sid Seghir], aux para 9 à 14). Celle-ci doit donc être rejetée.

[27] Dans des notes supplémentaires qui ont été permises aux parties lorsque la demanderesse s’est déclarée surprise par le dépôt d’une décision de notre Cour qui traitait entre autres du critère de la recherche d’emploi (Lalonde c Canada (Agence du revenu), 2023 CF 41 [Lalonde]), celle-ci a cherché à présenter un argument au sujet de la recherche d’emploi sur la base d’une nouvelle preuve soumise avec l’affidavit de la demanderesse postérieur à la décision. Cette preuve est inadmissible sur contrôle judiciaire et l’argumentation ne peut donc pas être considérée sur contrôle judiciaire. À tout événement cette preuve n’aurait eu aucune incidence sur les décisions que la Cour était appelée à rendre en l’espèce.

[28] En ce qui a trait à la PCMRE (maladie), comme indiqué plus haut, il ne fait aucun doute que la demanderesse n’y avait pas droit. Elle l’admet. Il en découle bien sûr que sa demande de contrôle judiciaire ne peut qu’être rejetée. Le décideur administratif ayant évidemment déclaré que la demanderesse n’était pas admissible, aucune erreur révisable ne peut donner ouverture à réparation. La décision sous étude ne peut qu’être raisonnable et une réparation n’est due que si une décision est favorable au demandeur. J’ajoute que la demanderesse n’a offert aucune autorité pour sa proposition créative que la Cour pourrait, sur contrôle judiciaire, ordonner le paiement d’une prestation sans que les conditions expresses prévues à la loi ne soient suivies, forçant ainsi le gouvernement à prélever sur le trésor des sommes en paiement alors même que la loi n’a pas été respectée. La primauté du droit commande à mon sens que l’on résiste à une telle suggestion étant donné la nature même du contrôle judiciaire : la cour de révision contrôle la légalité de la décision prise par l’administration. Dans la mesure où cette décision est légale parce qu’elle est raisonnable, la cour de révision en rend compte en rejetant la demande de contrôle judiciaire. Cela met fin au rôle à jouer sur contrôle judiciaire.

[29] La PCRE (relance économique) n’a pas fait l’objet de la même concession que dans le cas de la PCMRE. Au contraire. Le décideur administratif a donc examiné le dossier pour tirer deux conclusions quant à l’admissibilité de la demanderesse. Elle a cessé de travailler pour des raisons qui sont autres que la COVID-19 et, même si capable de travailler, la demanderesse n’a pas cherché d’emploi ou de travail à son compte comme la Loi le requiert.

[30] Le fardeau est sur les épaules de la demanderesse d’établir que la décision prise n’est pas raisonnable au sens du droit administratif. Cela implique que la cour de révision doit accepter le principe de la retenue judiciaire et adopter une attitude de respect à l’égard du décideur administratif. Il n’en reste pas moins que la décision doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov], aux para 13, 14 et 85). Il est dit que les caractéristiques d’une décision raisonnable sont la justification au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes (Vavilov, au para 99). Ce sera à un requérant de satisfaire la cour de révision de lacunes graves pour permettre de conclure qu’on ne satisfait pas aux exigences de justification, de transparence et d’intelligibilité.

[31] Cette démonstration de la demanderesse a fait défaut en l’espèce. Une décision peut être défectueuse par son résultat, qui ne rencontrerait pas les caractéristiques de la décision raisonnable, ou par le raisonnement qui a mené à un résultat donné (Vavilov, au para 87). Il ne suffit pas que la décision soit justiciable : elle doit être justifiée. Mais c’est à la demanderesse de faire la démonstration du caractère non raisonnable.

[32] Comme indiqué plus haut, l’avis de demande de contrôle judiciaire de la demanderesse repose exclusivement sur la prétention que son modèle d’affaire a été « complètement chamboulé » en mars 2020. Fort bien. Mais le programme PCRE arrive en place sept mois plus tard et il requiert, entre autres, que la personne n’exécute pas un travail pour son compte pour des raisons liées à la COVID-19 (alinéa 3(1)f) de la Loi) et qu’elle a fait des recherches pour trouver du travail pour son compte (alinéa 3(1)i) de la Loi).

[33] La preuve devant le décideur administratif, qui n’est d’ailleurs aucunement contredite, est plutôt que la demanderesse, à compter de septembre/octobre 2020, ne recherchait aucune occasion d’emploi ou de faire quelque travail à son compte. De fait, le mémoire de la demanderesse ne fait que confirmer le tout. Essentiellement, on y explique qu’au moment où elle a cessé de travailler en mars 2020, elle avait atteint l’âge de la retraite et elle n’a pas cherché activement un nouveau travail. Comme le mémoire le dit, « [i]l n’était pas judicieux pour elle de chercher un nouveau domaine à cet âge et de prendre le risque de contracter la COVID-19 en se mettant en contact avec des personnes inconnues. En somme, il est normal qu’elle ne cherche plus à travailler, car elle est à l’âge de la retraite » (mémoire des faits et du droit, au para 3). Cela me semble confirmer les notes prises et qui font partie du dossier : la demanderesse avait choisi de ne pas être en recherche de travail.

[34] Il en ressort qu’on voit mal comment la décision de rejeter l’admissibilité de Mme Trottier en raison du fait qu’elle n’était pas en recherche de travail puisse être dite comme étant déraisonnable. Le fardeau sur la demanderesse n’a aucunement été déchargé.

[35] La décision Lalonde (précité) est essentiellement au même effet. Comme ici, Mme Lalonde a confirmé au deuxième agent qu’elle ne recherchait pas un emploi pour combler sa perte de revenu. Comme le dit notre Cour, « [e]lle devait activement chercher des occasions d’emploi et offrir ses services à d’autres clients potentiels notamment par une publicité tel que décrit dans les lignes directrices sur la PCRE » (au para 92). La preuve devant le décideur administratif était au même effet. Il n’a pas été établi que la décision n’a pas les apanages de la décision raisonnable.

[36] J’aurais été enclin à questionner la conclusion du décideur que la demanderesse ne travaillait pas pour des raisons qui sont autres que la COVID-19. Comme il est noté dans Sid Seghir (précité), la Loi parle de raisons liées à la COVID-19. Il eut été approprié pour le décideur d’expliquer davantage en quoi l’arrêt en mars 2020, qui s’est poursuivi à l’automne 2020, n’était pas lié à la COVID-19 plutôt que de simplement parler de raisons autres que la COVID-19, ce qui peut être différent de raisons liées à la COVID-19. Si c’était le cas, on aurait pu argumenter que ce sont les motifs de la décision qui sont défectueux. Cependant, la demanderesse n’a pas allégué un défaut dans le raisonnement et les motifs qui ont mené au résultat, ce qui aurait permis au défendeur d’argumenter le contraire à son tour si l’argument avait été fait. Dit autrement, il n’a pu y avoir de participation sur une question qui n’a pas été soulevée. Il est donc préférable d’éviter de commenter sur cette question étant donné que le critère de la recherche de travail est une condition essentielle à l’admissibilité au programme PCRE. Cela suffit pour disposer de cette demande de contrôle judiciaire.

V. Conclusion

[37] Par conséquent, les deux demandes de contrôle judiciaire qui restent devant la Cour doivent être rejetées. Le défendeur qui avait originellement demandé ses dépens y a renoncé à l’audience. Aucuns dépens ne seront donc adjugés.

 


JUGEMENT aux dossiers T-2183-22 et T-2188-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire dans le dossier portant le numéro T-2183-22 relatif à une prestation reçue au titre de la Prestation canadienne de maladie pour la relance économique est rejetée.

  2. La demande de contrôle judiciaire dans le dossier portant le numéro T-2188-22 relatif aux prestations reçues au titre de la Prestation canadienne pour la relance économique est rejetée.

  3. Copie de ce jugement et de ses motifs sera versées auxdits dossiers T-2183-22 et T-2188-22.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Yvan Roy »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T-2183-22 et T-2188-22

 

INTITULÉ :

GINETTE TROTTIER c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 novembre 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE Roy

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1er décembre 2023

 

COMPARUTIONS :

Me Sophie Mongeon

Pour la demanderesse

Me Samantha Jackmino

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Desroches Mongeon Avocats inc.

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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