Décisions de la Cour fédérale

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Date: 20231227


Dossier: T-1427-22

Référence: 2023 CF 1731

Montréal, Québec, le 27 décembre, 2023

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE:

MARIE-CLAUDE SIOUI

demanderesse

et

CONSEIL DE LA NATION HURONNE-WENDAT

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS CORRIGÉE

I. Introduction

[1] La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire, déposée par Mme Marie-Claude Sioui, à l’encontre de la décision arbitrale rendue par Me Dominique-Anne Roy [le Tribunal] le 15 juin 2022. Le Tribunal, mandaté par les parties pour examiner la décision du Conseil de la Nation huronne-wendat [le Conseil] de résilier le contrat de travail de Mme Sioui, rejette alors le recours de Mme Sioui eu égard à sa fin d’emploi à titre de Directrice de cabinet et responsable des communications du Conseil, mais conclut par ailleurs que le Conseil a commis certaines fautes contractuelles.

[2] Dans ses motifs, le Tribunal examine notamment sa compétence vu le recours entrepris. Le Tribunal souligne notamment qu’une contestation portant sur un aspect de la Politique unifiée de gestion des cadres, adoptée par le Conseil par voie de résolution le 7 décembre 2009, doit passer par le mécanisme obligatoire d’arbitrage privé convenu de manière contractuelle par les parties et que la décision ne fera pas l’objet de publication.

[3] Devant la Cour, Mme Sioui soutient notamment que la Cour fédérale a compétence pour entendre la présente demande de contrôle judiciaire. Elle avance que le Tribunal est un office fédéral au sens de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 et que le litige porte sur des questions de droit de nature publique. Elle ajoute que le Tribunal a erré en décrétant que le mécanisme d’arbitrage obligatoire est privé et contractuel et que sa décision ne fera pas l’objet de publication.

[4] Le Conseil, défendeur dans la présente instance, soumet quant à lui que la Cour fédérale n’a pas compétence pour entendre la présente demande puisque le Tribunal n’est pas un office fédéral au sens de la Loi sur les Cours fédérales. Il ajoute que subsidiairement, même si le Tribunal devait être reconnu comme un office fédéral, la Cour fédérale n’a pas compétence puisque le litige porte sur des questions de droit de nature privée.

[5] Pour les motifs détaillés ci-après, je conclus que la demande de contrôle judiciaire ne relève pas de la compétence de la Cour fédérale. En bref, je conclus d’abord que le Tribunal n’est pas un office fédéral au sens de la Loi sur les Cours fédérales et subsidiairement, que le Tribunal exerçait des pouvoirs de nature privée qui ne peuvent être assujettis au pouvoir de contrôle de la Cour fédérale. Par conséquent, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire.

II. Contexte

[6] La Nation huronne-wendat est une Première nation située sur le territoire Wendake au Québec. Elle est visée par la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I-5 et administrée par le Conseil. Mme Sioui est membre de la Nation huronne-wendat.

[7] Le 21 décembre 2017, Mme Sioui et le Conseil signent un premier contrat d’emploi, d’une durée d’un an, confirmant que Mme Sioui assumera les fonctions d’Attachée au bureau politique et aux communications. Ce contrat est ensuite renouvelé.

[8] En juin 2019, le Conseil octroie à la firme Deloitte un mandat d’accompagnement pour la mise en place d’un plan de relève. La firme Deloitte recommande alors en outre de transformer le rôle d’Attachée au bureau politique et aux communications.

[9] Le 13 juillet 2020, le Conseil adopte une résolution pour créer le poste de Directrice de cabinet et responsable des communications du bureau du Grand Chef et pour nommer Mme Sioui à ce nouveau poste. Le 17 juillet 2020, les parties signent donc un nouveau contrat, à durée indéterminée, qui prévoit que Mme Sioui assumera les fonctions de Directrice de cabinet et responsable des communications.

[10] En novembre 2020, un nouveau Grand Chef est élu et assermenté. Le 23 novembre 2020, invoquant une restructuration administrative, le Conseil adopte une résolution prévoyant notamment l’abolition du poste de Directrice de cabinet et responsable des communications. Le 26 novembre 2020, le Directeur des Services juridiques de la Bande confirme à Mme Sioui les discussions relativement à la fin d’emploi de cette dernière, la date à laquelle son emploi prend fin et l’offre qui lui est présentée au titre des indemnités.

[11] Le 11 décembre 2020, le Conseil annonce la restructuration et la création de deux postes, soit un poste de Coordonnateur en communications qui relèvera de la direction des ressources humaines et un poste de Conseiller au bureau du Grand Chef. Mme Sioui pose sa candidature au poste de Coordonnateur en communications et le 20 janvier 2021, sa candidature est refusée au motif qu’elle ne rencontre pas les exigences du poste. Mme Sioui ne pose pas sa candidature au poste de Conseiller au bureau du Grand Chef.

[12] Mme Sioui dépose initialement une plainte en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2, mais elle s’en désiste ensuite et se prévaut de la procédure de règlement de différends prévue à la Politique unifiée de gestion des cadres.

[13] Le Tribunal est nommé d’un commun accord des parties et il entend les parties. Le 15 juin 2022, il rend sa décision.

[14] Dans ses motifs, le Tribunal (1) détaille sa compétence vu le recours entrepris; (2) conclut que la preuve établit que le poste de Mme Sioui n’a pas fait l’objet d’une abolition fictive; (3) conclut que Mme Sioui occupait un poste politique, poste pour lequel une discrétion étendue est dévolue au Conseil en matière de comblement; (4) conclut que le Conseil pouvait mettre fin à l’emploi de Mme Sioui, surtout considérant que cette dernière était toujours en période d’essai, et que le versement du délai-congé est la seule contrepartie exigible – le droit à la réintégration n’est pas une avenue ouverte; et (5) conclut que le Conseil a commis des fautes en refusant de fournir une lettre de référence puis en faisant défaut de verser à Mme Sioui des sommes dues suivant la Politique unifiée de gestion des cadres; notant que le montant des dommages devra être fixé à l’étape ultérieure du quantum.

III. Documents pertinents

A. Le contrat d’emploi entre Mme Sioui et le Conseil

[15] Le 17 juillet 2020, le Conseil et Mme Sioui signent un contrat d’emploi à durée indéterminée qui compte 20 articles et auquel est annexée une description d’emploi. Notons les articles suivants de façon particulière :

  • L’article 1 prévoit que Mme Sioui assumera les fonctions de Directrice de cabinet et responsable des communications. Elle aura un statut de cadre d’une durée indéterminée dont les conditions de travail sont assujetties à la Politique unifiée de gestion des cadres;
  • L’article 17 prévoit la non-confidentialité du contrat;
  • L’article 18 prévoit que le contrat constitue l’entente complète entre les parties;
  • L’article 19 prévoit que le contrat peut être résilié selon les termes définis à l’article 5 de la Politique unifiée de gestion des cadres;
  • L’article 20 prévoit la règle d’interprétation et prévoit notamment que le contrat est régi par le Code canadien du travail et que son interprétation est soumise à cette loi.

B. La Politique unifiée de gestion des cadres

[16] Le 7 décembre 2009, le Conseil adopte la Politique unifiée de gestion des cadres par voie de résolution. Selon son article 1.1, la politique « vise à établir les règles régissant la gestion et les conditions de travail des cadres de la Nation huronne-wendat ». La Politique unifiée de gestion des cadres contient 10 articles. Notons les articles suivants de façon particulière :

  • L’article 3.2 prévoit la procédure en matière de réaffectation et de réorganisation administrative;
  • L’article 4 prévoit la procédure d’abolition de poste et l’indemnité à laquelle le cadre a droit;
  • L’article 5 prévoit le service continu, période d’essai et fin d’emploi; l’article 5.6 prévoit particulièrement les seuls cas où le cadre perd son emploi et ses droits; et l’article 5.7 prévoit l’indemnité tenant lieu de préavis dans un contexte de licenciement ou de congédiement sans cause juste et suffisante;
  • L’article 9 prévoit le processus de règlement des litiges qui inclut, à la deuxième étape, la soumission du litige à un arbitre choisi d’un commun accord et prévoit que la décision de l’arbitre est finale et sans appel.

IV. Analyse

[17] À la lumière des représentations des parties, la présente demande soulève plusieurs questions, mais une permet d’en disposer, celle de la compétence de la Cour fédérale pour entendre la demande de contrôle judiciaire.

A. Position des parties

[18] Mme Sioui soutient que la Cour est compétente pour se prononcer sur la demande en contrôle judiciaire. Elle soutient que le Tribunal tire sa juridiction d’un règlement adopté par le Conseil, la Politique unifiée de gestion de cadres, et qu’à ce titre il n’y a pas de doute que le Tribunal est donc un « office fédéral » au sens de la Loi sur les Cours fédérales. Mme Sioui soumet, en premier lieu, qu’une institution régie par la Loi sur les Indiens, tel qu’un conseil de bande, exerce des activités qui relèvent de la compétence législative fédérale et en deuxième lieu, qu’on ne peut prétendre que les pouvoirs exercés en l’espèce sont de nature purement privée.

[19] Mme Sioui soumet donc que, puisque la Politique unifiée de gestion des cadres est un outil législatif adopté sous la compétence fédérale par un conseil de bande, il va de soi que la source de la compétence du Tribunal est fédérale. À titre d’analogie, elle souligne que les résolutions prises par un conseil de bande constituent également des décisions au sens de la Loi sur les Cours fédérales et qu’elles peuvent faire l’objet d'une demande en contrôle judiciaire (Vollant c Sioui, 2006 CF 487 au para 25). Elle soumet que, dit autrement, il serait contre l’ordre public que Mme Sioui soit désavantagée et dispose de droits moindres que ceux prévus au Code canadien du travail compte tenu de l’application de la Politique unifiée de gestion des cadres. Elle ajoute qu’un mécanisme procédural qui élargit l’accès à la justice ne modifie pas pour autant le fondement d’un recours visé par la législation fédérale (Banque de Montréal c Li, 2020 CAF 22 au para 34).

[20] Aussi, Mme Sioui soumet que, compte tenu de la nature et du contenu de la Politique unifiée de gestion des cadres, celle-ci présente un important élément d’intérêt public qui se distingue nettement des cas de recours « purement commerciaux » (Pitawanakwat c Service de police tribale de Wikwemikong, 2010 CF 917 [Pitawanakwat]). D’ailleurs, Mme Sioui indique que tous les contrats d’emploi conclus avec le Conseil sont publics et contiennent une clause de non-confidentialité et que cette notion de contrat d’emploi public découle du Code de représentation de la Nation huronne-wendat.

[21] Mme Sioui souligne que le processus d’arbitrage est prévu dans la Politique unifiée de gestion des cadres qui est un règlement adopté par le Conseil suivant les dispositions de la Loi sur les Indiens et de la Loi sur les élections au sein de premières nations, LC 2014, c 5. Elle soutient qu’en conséquence, l’objet de la compétence du Tribunal est fédéral et ne constitue pas un arbitrage privé.

[22] Mme Sioui souligne qu’il n’existe pas d’autre décision impliquant un arbitre qui serait nommé par un règlement d’un conseil de bande qui prévoit un système de résolution des litiges en matière d’emploi. Cependant, Mme Sioui cite plusieurs décisions impliquant un conseil de bande et appliquant la notion « d’office fédéral » et invite la Cour à conclure que le Tribunal dans le présent dossier rencontre la notion d’office fédéral : Ratt c Matchewan, 2010 CF 160; Parisier v Ocean Man First Nation, [1996] FCJ No 129 (FCTD), 108 FTR 297 [Parisier]; Gabriel c Canatonquin, [1978] 1 CF 124, 9 CNLC 74; Première Nation d'Ermineskin c Minde, 2008 CAF 52; Pitawanakwat ; Maloney c Première nation de Shubenacadie, 2014 CF 129.

[23] Le Conseil soutient quant à lui que la Cour n’a pas compétence pour entendre la demande de contrôle judiciaire de la décision en l’espèce, puisque le Tribunal n’est pas un « office fédéral » au sens de la Loi sur les Cours fédérales. Le Conseil soumet d’une part que le Tribunal n’est pas une entité constituée en vertu d’une loi fédérale, tirant plutôt sa compétence du contrat de travail entre le Conseil et Mme Sioui, d’une politique interne et d’une décision consensuelle des parties et d’autre part, que ses pouvoirs sont de nature privée (Anisman c Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 52 [Anisman] aux para 29-30). Le Conseil soutient que la Politique unifiée de gestion des cadres n’est pas un règlement administratif adopté en vertu de la Loi sur les Indiens, et qu’elle ne peut donc être assimilée à une loi fédérale.

[24] Alternativement, le Conseil soutient que, même si le Tribunal tirait sa compétence d’une loi fédérale, le fait qu’il exerce ici des pouvoirs privés fait en sorte que sa décision n’est pas assujettie au pouvoir de contrôle de la Cour fédérale. En particulier, le Conseil soutient que le Tribunal est un décideur privé qui n’est pas mandataire de la Couronne ou du gouvernement fédéral, qu’il était saisi d’une question de nature privée fondée sur le droit civil et, surtout, son pouvoir relevait d’une décision volontaire de Mme Sioui de s’assujettir à sa compétence. Ainsi, il soutient que les facteurs développés par la Cour d’appel fédérale dans sa décision Air Canada c Administration portuaire de Toronto, 2011 CAF 347 [Air Canada] confirment en l’espèce que le Tribunal exerçait un pouvoir de nature privée. Le Conseil cite également des arrêts à titre d’illustration de décision de nature privée relevant du droit privé, incluant Cyr c Première Nation Ojibway de Batchewana, 2022 CAF 90 [Cyr] aux para 61 et 76 et DRL Vacations Ltd c Administration portuaire de Halifax, 2005 CF 860 [DRL Vacations Ltd] aux para 48–62.

B. Décision

[25] Tel que le souligne mon collègue le juge Grammond dans sa récente décision George c Conseil tribal Heiltsuk, 2023 CF 1705 au para 32 [George], la Cour Suprême du Canada nous rappelle, aux paragraphes 16 à 18 de l’arrêt Strickland c Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, qu’avant l’entrée en vigueur de la Loi sur les Cours fédérales, le contrôle judiciaire d’une mesure administrative du gouvernement fédéral était effectué par les cours supérieures provinciales dans l’exercice de leur compétence inhérente. La Cour suprême note aussi que l’accroissement des régimes de réglementation et des tribunaux administratifs fédéraux et diverses autres préoccupations ont incité le législateur à assujettir plutôt le contrôle judiciaire des décisions des offices, commissions et tribunaux fédéraux à la compétence exclusive de la Cour fédérale (Loi sur les Cours fédérales à l’art 18) et que le législateur espérait ainsi assurer l’uniformité et prévenir la multiplication des recours (Canada (Procureur général) c TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 RCS 585 aux para 49-50 [TeleZone Inc.]; Canada (Commission des droits de la personne) c Canadian Liberty Net, [1998] 1 RCS 626, 157 DLR (4e) 385 au para 35). Ainsi, pour reprendre les mots de la Cour suprême, en adoptant la Loi sur les Cours fédérales, le législateur a « retir[é] aux cours supérieures des provinces leur compétence en matière de brefs de prérogative, jugements déclaratoires et injonctions visant des offices fédéraux et [. . .] attribu[é] cette compétence (légèrement modifiée) à une nouvelle cour fédérale », référant à Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 au para 34; Conseil canadien des relations du travail c Paul L’Anglais Inc. et autre, [1983] 1 RCS 147, 146 DLR (3e) 202 à la p 154.

[26] La Cour fédérale doit détenir la compétence nécessaire pour entendre la demande qui lui est présentée. Ainsi, une demande qui n’est pas autorisée par la Loi sur les Cours fédérales ou qui ne vise pas des questions de droit public peut être annulée (Droits des voyageurs c Canada (Office des Transports) 2020 CAF 155 au para 25; Wenham c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 au para 36). La compétence de la Cour fédérale en matière de demande de contrôle judiciaire est énoncée aux articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.

[27] D’abord, tel que le prévoit la Loi sur les Cours fédérales et tel que le souligne la Cour d’appel fédérale dans Air Canada « Aux termes de la Loi sur les Cours fédérales, une demande de contrôle judiciaire ne peut viser qu’un « office fédéral » » (Air Canada au para 44).

[28] La compétence de la Cour est donc ici circonscrite par la définition du terme office fédéral énoncée à l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales, soit un « Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale […]». Dans l’arrêt TeleZone Inc., la Cour suprême souligne que la définition est « très large » et que les entités visées vont « du Premier ministre et des organismes les plus importants jusqu’au garde‑frontière et au douanier locaux, et englobent tous ceux qui se situent entre ces deux extrêmes » (TeleZone Inc. au para 3). Ceci étant dit, la définition d’office fédéral n’est néanmoins pas suffisamment large pour inclure les décisions prises par toutes les entités qui sont liées, même vaguement, à la Couronne fédérale.

[29] La Cour d’appel fédérale a indiqué qu’il faut procéder à une analyse en deux étapes pour déterminer si un organisme ou une personne constitue un « office fédéral ». Il est ainsi nécessaire en premier lieu de déterminer la nature de la compétence ou du pouvoir que l’organisme ou la personne cherche à exercer. Deuxièmement, il y a lieu de déterminer la source ou l’origine de la compétence ou du pouvoir que l’organisme ou la personne cherche à exercer. Le fait qu’un organisme doit son existence à une législation fédérale est insuffisant (Anisman au para 29; George au para 38).

[30] Il est bien établi que les conseils de bande établis en vertu de la Loi sur les Indiens constituent, lorsqu’ils exercent leurs pouvoirs sur les membres de la bande en vertu d’une loi fédérale, un « office fédéral » dont les décisions sont sujettes à un contrôle judiciaire selon l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales (Horseman c Première Nation de Horse Lake, 2013 CAF 159 au para 6; Sebastian c Première nation Saugeen no 29 (Conseil de la) (C.A.), 2003 CAF 28 au para 51). Cela s’étend aux organismes et personnes exerçant des pouvoirs dont ils sont investis par le conseil de bande (Parisier; Pitawanakwat; Cyr aux para 41-44).

[31] Cependant, la décision qui est devant la Cour en l’instance n’est pas celle du Conseil, mais bien celle du Tribunal et ce constat ne trouve donc pas application. Le Tribunal est nommé selon l’article 9 de la Politique unifiée de gestion des cadres et il est investi, par les parties, du pouvoir de régler leurs différends. La compétence du Tribunal n’est pas tirée d’une loi fédérale bien que ce soit le Conseil qui ait adopté la résolution adoptant la politique. Ainsi, à cet égard, je souscris ici à la position du Conseil; le pouvoir du Tribunal découle de la Politique unifiée de gestion des cadres, laquelle n’est pas un règlement administratif et ne tire pas sa source de la Loi sur les Indiens ou d’une autre loi fédérale telle le Code canadien du travail, et il découle aussi du contrat de travail et de la décision consensuelle des parties. Le Tribunal ne détient pas ses pouvoirs en vertu d’une loi fédérale ou d’une ordonnance prise en vertu d’une prérogative de la Couronne fédérale (Anisman au para 30) et il n’est donc pas un office fédéral au sens de la Loi sur les cours fédérales. La mention, dans le contrat de travail intervenu entre Mme Sioui et le Conseil, que ledit contrat est régi par le Code canadien du travail et que son interprétation est soumise à cette même loi, n’a pas d’impact en l’instance puisque le Code canadien du travail ne pouvait s’appliquer.

[32] Au surplus, la Cour fédérale n’a pas compétence puisque le Tribunal exerce ici un pouvoir de nature privée et la décision ne peut donc pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire.

[33] Comme le soulignent les parties, les décisions d’une nature purement privée, ou relevant du droit privé, échappent au pouvoir de contrôle des cours et en l’instance à celui de la Cour fédérale (Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses (Judicial Committee) c Wall, 2018 CSC 26 au para 14; Air Canada; Peace Hill Trust Company c Moccasin, 2005 CF 1364).

[34] Dans l’arrêt Air Canada, la Cour d’appel fédérale note que la question de savoir ce qui est de nature publique ou privée est, bien sûr, délicate et que dans les arrêts Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 et Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 RCS 504, la Cour suprême, bien qu’elle ait examiné cette question, n’a pas fourni de réponse complète (Air Canada au para 56).

[35] Toujours dans l’arrêt Air Canada, la Cour d’appel fédérale note que pour trancher la question de la nature publique ou privée d’une mesure, il convient d’apprécier l’ensemble des circonstances. Elle énumère un certain nombre de facteurs qu’il convient de prendre en compte pour décider si une question est associée à une caractéristique, à un élément ou à un contexte suffisamment public pour qu’elle relève du droit public. Elle ajoute que la question de savoir si un facteur ou un ensemble de facteurs particuliers fait pencher la balance d’un côté et rend une question « publique » dépend des faits de l’affaire et de l’impression d’ensemble donnée à la Cour. Ces facteurs sont :

  • (1)la nature de la question visée par la demande de contrôle;

  • (2)la nature du décideur et ses attributions;

  • (3)la mesure dans laquelle la décision est fondée et influencée par le droit et non pas par un pouvoir discrétionnaire de nature privée;

  • (4)les rapports entre l’organisme en cause et d’autres régimes législatifs ou d’autres parties du gouvernement;

  • (5)la mesure dans laquelle le décideur est un mandataire du gouvernement ou est dirigé, contrôlé ou influencé de façon importante par une entité publique;

  • (6)le caractère approprié des recours de droit public;

  • (7)l’existence d’un pouvoir de contrainte; et

[36] une catégorie d’affaires « exceptionnelles » dans laquelle les mesures prises ont acquis une dimension publique importante (Air Canada au para 60).

[37] Je constate notamment qu’en l’instance (i) la demande vise la décision du Tribunal et non pas une décision du Conseil; (ii) Mme Sioui s’est volontairement assujettie à la compétence du Tribunal; (iii) il s’agit ici d’une question privée, même si elle n’est pas confidentielle pour les membres de la bande; (iv) le Tribunal est choisi et mandaté par les parties pour régler leur différend et ne représente pas la Couronne ou un organisme administratif; (v) le Code canadien du travail ne s’applique pas et le Tribunal doit interpréter et appliquer les dispositions du contrat d’emploi conclu entre les parties, de la Politique unifiée de gestion des cadres adoptée par le Conseil et du Code civil du Québec; (vi) il n’y a pas d’indication que le Tribunal choisi par les parties selon la politique est intégré à un réseau gouvernemental; (vii) il n’y a pas d’indication que le Tribunal a l’obligation de faire approuver ou contrôler par le gouvernement les politiques, règlements administratifs ou autres questions ou encore qu’il est contrôlé par une entité publique.

[38] L’examen des facteurs énoncés par la Cour d’appel fédérale nous permet de conclure que le Tribunal traitait d’une question de droit de nature privée et que sa décision ne peut donc pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire devant notre Cour (Cyr; DRL Vacations Ltd).

V. Conclusion

[39] Je conclus que le Tribunal n’est pas un office fédéral au sens de la Loi sur les Cours fédérales. Subsidiairement, je conclus que le Tribunal a exercé des pouvoirs de nature privée qui ne peuvent être assujettis au pouvoir de contrôle de notre Cour. La Cour fédérale n’a donc pas compétence pour examiner la demande de contrôle judiciaire et cette dernière sera rejetée.

 


JUGEMENT dans le dossier T-1427-22-

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les dépens sont accordés au défendeur selon la règle 407 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

« Martine St-Louis »

Judge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1427-22

INTITULÉ :

MARIE-CLAUDE SIOUI c CONSEIL DE LA NATION HURONNE-WENDAT

LIEU DE L’AUDIENCE :

QUÉBEC (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 JUIN 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

Le 20 DÉCEMBRE 2023

COMPARUTIONS :

Laval Dallaire

Pour le demandeur

André Sasseville

Julien Fournier

Matilda Bourdeau-Chabot

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Therrien Couture Joli-Cœur S.E.N.C.R.L.

Québec (Québec)

Pour le demandeur

Langlois avocats

Montréal (Québec)

Services juridiques du Conseil de la Nation huronne-wendat Wendake (Québec)

Pour le défendeur

 

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