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Date : 20240116

Dossier : T-2181-23

Référence : 2024 CF 60

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2024

En présence de Monsieur le juge adjoint Benoit M. Duchesne

ENTRE :

SEJ ESTATE TRUST # T39406183

 

demanderesse

 

et

 

MINISTRE DES FINANCES DU CANADA

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie de deux requêtes.

[2] La première est une requête en radiation introduite par le Ministre des finances du Canada (la « Défenderesse ») en vertu de la Règle 369 des Règles des cours fédérales (les « Règles » ) pour une ordonnance qui radie la demande de la demanderesse sans possibilité de modification en vertu de la Règle 4 des Règles et des principes expliqués dans l’arrêt JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c Canada (Revenu national), 2013 CAF 250 (CanLII), [2014] 2 RCF 557 et dans l’arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., 1994 CanLII 3529 (CAF), [1995] 1 C.F. 588 (C.A.).

[3] La deuxième est une requête par la Demanderesse pour l’autorisation de la Cour afin de lui permettre de modifier sa demande et son Avis de demande que la Défenderesse veut faire radier.

[4] Pour les motifs qui suivent, la requête par la Demanderesse pour l’autorisation de la Cour afin de lui permettre de modifier sa demande et son Avis de demande est rejetée, et la requête en radiation introduite par la Défenderesse est accordée.

I. ANALYSE

A. Requête de la Demanderesse

[5] La demanderesse a déposé une requête pour une ordonnance lui accordant l’autorisation de modifier sa demande et son Avis de demande.

[6] Le fardeau de preuve sur la requête de la Demanderesse repose avec la Demanderesse. Son fardeau de preuve est de démontrer à la Cour que la Cour devrait l’autoriser à modifier sa demande et son Avis de demande à la lumière des modifications proposées sachant que la Cour doit considérer si l’autorisation cause une injustice à l’autre partie que des dépens ne pourraient réparer, si les modifications proposées servent les intérêts de la justice, et si la ou les modifications présentent une possibilité raisonnable de succès (McCain Foods Limited c J.R. Simplot Company, 2021 CAF 4 (CanLII), paras 19 à 23). Les intérêts de la justice sont déterminés en considérant, entre autres, le moment auquel est présentée la requête visant la modification ou la rétractation, la mesure dans laquelle les modifications proposées retarderaient l'instruction expéditive de l'affaire, la mesure dans laquelle la thèse adoptée à l'origine par une partie a amené une autre partie à suivre dans le litige une ligne de conduite qu'il serait difficile, voire impossible, de modifier, et la mesure dans laquelle les modifications demandées faciliteront l'examen par la Cour du véritable fond du différend (Janssen Inc. c. Abbvie Corporation, 2014 CAF 242 (CanLII) au para 3).

[7] Il est impossible à la Cour de procéder à l’analyse requise sans un dossier de preuve qui fait état des éléments que la Cour doit considérer, y compris les modifications proposées.

[8] La requête de la Demanderesse ne contient aucun affidavit, donc aucune preuve, et aucun projet d’acte de procédure modifié. Il s’ensuit que la Demanderesse ne satisfait pas le fardeau de preuve qui lui incombe et sa requête doit être rejetée.

[9] Le 8 janvier 2024, la Demanderesse a signifié et déposé des prétentions écrites en réponse en vertu de la Règle 369(3). Les prétentions écrites contiennent un projet d’avis de demande de contrôle judiciaire modifié avec un projet d’affidavit de la Demanderesse. La Règle 369(3) permet à la partie requérante de présenter des prétentions écrites additionnelles seulement. La Règle 369(3) ne permet pas à la partie requérante d’ajouter des documents, preuves documentaires ou affidavits à son dossier de requête qui a été signifié et déposé en vertu de la Règle 369(1). Il s’ensuit que le projet d’Avis de demande de contrôle judiciaire modifié ainsi que le projet d’affidavit de la Demanderesse qui ont été soumis dans le dossier de réponse de la Demanderesse en vertu de la Règle 369(3) sont inadmissibles et sont rejetés.

[10] Bien que la Cour n’ait pas à déterminer la question à savoir si la Demanderesse doit être représentée par une avocate pour trancher la requête de la demanderesse, il est tout de même utile pour les parties que la Cour se penche sur la question.

[11] La Règle 120 des Règles précise qu’une personne morale, une société de personnes ou une association sans personnalité morale doit se faire représenter par un avocat dans toute instance, à moins que la Cour, à cause de circonstances particulières, ne l’autorise à se faire représenter par un de ses dirigeants, associés ou membres, selon le cas. Or, la Demanderesse, étant une fiducie, est ni une personne morale, ni une société de personne et ni une association sans personnalité morale.

[12] Une fiducie résulte d’un acte d’un acte par lequel une personne, le constituant, transfère de son patrimoine à un autre patrimoine qu’il constitue, des biens qu’il affecte à une fin particulière et qu’un fiduciaire s’oblige, par le fait de son acceptation, à détenir et à administrer (art. 1260, Code civil du Québec). Le fiduciaire de la fiducie a la maîtrise et l’administration exclusive du patrimoine fiduciaire et les titres relatifs aux biens qui le composent sont établis à son nom; il exerce tous les droits afférents au patrimoine et peut prendre toute mesure propre à en assurer l’affectation. Il agit à titre d’administrateur du bien d’autrui chargé de la pleine administration. (art. 1278, Code civil du Québec). Il est clair que le fiduciaire peut agir en justice pour la fiducie.

[13] La Règle 112(1) des Règles prévoit qu’une instance peut être introduite par ou contre les fiduciaires, les liquidateurs, les exécuteurs testamentaires ou les administrateurs d’une succession ou d’une fiducie sans qu’il soit nécessaire de faire intervenir les bénéficiaires de la succession ou de la fiducie. Bien que l’Avis de demande ne soit pas clair à cet égard et que l’acte de procédure ne contient pas d’allégations en ce sens, la signature de l’Avis de demande suggère que Sacha Evenotte Joseph est la représentante autorisée de la fiducie demanderesse. Madame Joseph ne peut toutefois pas agir seule à titre de représentante de la fiducie dans un litige: la Règle 121 exige que Madame Joseph, à titre de représentante d’une fiducie, doit être représentée par un ou une avocate à moins que la Cour n’en ordonne autrement.

II. Requête de la Défenderesse

[14] La Défenderesse demande à la Cour de radier la demande de la Demanderesse, entre autres, pour le motif qu’elle ne repose sur aucune disposition de droit substantif de droit fédéral et que la réparation recherchée n’est pas conforme à la législation applicable.

[15] Bien que signifiée avec la requête en radiation le 14 décembre 2023 tel qu’il appert du dossier de la Cour, la Demanderesse a ni signifiée ni déposée de dossier de réponse à l’intérieur du délai fixé par la Règle 369(2). Vu qu’aucune demande de prorogation de délai n’a été reçue par la Cour depuis l’expiration du délai pour la signification et le dépôt d’un dossier de réponse, la Cour procède sur la requête de la Défenderesse sans représentations contraires de la Demanderesse.

[16] La Cour doit entreprendre une « appréciation réaliste » de la « nature essentielle » de la demande de la demanderesse en s’employant à en faire une lecture globale et pratique, sans s’attacher aux questions de forme (JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c Canada (Revenu national), 2013 CAF 250 (CanLII), [2014] 2 RCF 557, au para 50 (« JP Morgan ») afin de déterminer si l’Avis de demande de contrôle judiciaire est « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli », ou affecté par un vice fondamental et manifeste qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base sa capacité à instruire la demande (JP Morgan, au para 47 et la jurisprudence qui y est citée). Autrement dit, la Cour doit déterminer s’il est manifeste et évident que l’acte de procédure de la Demanderesse ne révèle pas de cause d’action valable en supposant que les faits qui y sont plaidés sont véridiques (Jensen v Samsung Electronics Co. Ltd., 2023 FCA 89 (CanLII) au para 15; Canada (Procureur général) c Jost, 2020 CAF 212 (CanLII), au para 29 et la jurisprudence qui y est citée).

[17] Dans son analyse, la Cour doit s’arrêter à considérer que l’Avis de demande et tout autre document qui y est plaidé et y est incorporée par référence. La preuve par affidavit n’est pas admissible sur une requête en radiation sauf pour produire une copie du document plaidé et incorporé par référence dans l’Avis de demande (JP Morgan, aux paras 51 à 54).

[18] L’Avis de demande de la Demanderesse recherche une ordonnance qui :

a) ordonne au Ministre des finances d’honorer la revendication de la bénéficiaire de droit de la sûreté;

b) ordonne au Ministre des finances d’honorer la revendication de la bénéficiaire de droit de la titulaire des droits du compte et des titres de ses valeurs mobilières; et,

c) condamne le Ministre des finances à lui payer 100 000 $ à titre de dommages-intérêts.

[19] Les allégations de fait contenues dans l’Avis de demande exposent que le Ministre des finances n’aurait pas retourné de réponses à la Demanderesse et qu’en se faisant, le Ministre aurait fait défaut d’honorer ses obligations à titre de fonctionnaire public. Lisant l’Avis de demande de façon large pour en comprendre sa nature essentielle, il appert que la Demanderesse aurait eu des communications et aurait remis des demandes, endossements, ordres et instructions au Ministre des finances par rapport à des lettres de change et au transfert de valeurs mobilières qui n’ont pas été suivis.

[20] L’Avis de demande n’articule pas de fondement juridique pour la réclamation avancée. Hormis l’allégation que le Ministre des finances a un devoir particulier visant la Demanderesse à titre de fonctionnaire publique, ce qui n’est manifestement pas le cas en droit, l’Avis de demande n’articule pas de cause d’action ou de base de réclamation en droit administratif qui est de la compétence de la Cour à trancher.

[21] De plus, il n’y a pas d’allégation contenue dans l’Avis de demande qui fonde une base juridique pour une condamnation au paiement de dommages-intérêts par le Ministre des finances.

[22] Même en supposant que les allégations contenues dans l’Avis de demande sont vraies, il est tout de même manifeste et évident que l’Avis de demande de la Demanderesse n’a aucune chance d’être accueilli et est voué à l’échec. Puisque la nature de la cause d’action et la base de la réclamation voue la demande à l’échec, il n’y a pas de raison de croire qu’une ou des modifications de l’Avis de demande puissent rétablir la réclamation à titre de réclamation valable sans pour autant plaider une nouvelle cause d’action ou base de remède administratif (Collins v Canada, 2011 FCA 140 (CanLII), au para 26). Il n'y a pas lieu d'offrir une chance à la Demanderesse de modifier sa demande.

[23] La requête de la Défenderesse est donc accordée.

LA COUR ORDONNE que :

1. La requête par la Demanderesse pour l’autorisation de la Cour afin de lui permettre de modifier sa demande et son Avis de demande déposée le 13 décembre 2023 est rejetée.

2. La requête en radiation de la Défenderesse en date du 14 décembre 2023 est accordée, et la demande de la Demanderesse introduite par Avis de demande en date du 17 octobre 2023 est radiée.

3. L’adjudication des dépens est réservée. Les parties sont encouragées à régler les dépens des deux requêtes avant le 26 janvier 2024 et d’en aviser la Cour par une lettre ou demande informelle sur consentement. Si les parties ne règlent pas les dépens avant le 26 janvier 2024, la Défenderesse aura jusqu’au 31 janvier 2024 pour signifier et déposer ses représentations sur les dépens, n’excédant pas 3 pages à double interligne, avec annexes et autorités en sus, avec preuve de signification, et la Demanderesse aura jusqu’au 7 février 2024 pour signifier et

déposer ses représentations sur les dépens, n’excédant pas 3 pages à double interligne, avec annexes et autorités en sus, avec preuve de signification.

blanc

« Benoit M. Duchesne »

blanc

Juge adjoint

 


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS


DOSSIER :

T-2161-23

 

ÉNONCÉ DE LA CAUSE:

SEJ ESTATE TRUST #39406183 c MINISTRE DES FINANCES DU CANADA

 

ENDROIT DE L’AUDIENCE:

 

OTTAWA, ONTARIO (PAR ÉCRIT)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 13 ET 14 DÉCEMBRE 2023

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

JUGE ADJOINT BENOIT M. DUCHESNE

 

DATE:

LE 16 JANVIER 2024

AVOCATS INSCRITS :

Sacha Evenotte Joseph

Représentante de la fiducie

Montréal, QB

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Béatrice Stella Gagné et Hubert Nunes (stagiaire en droit)

Procureur général du Canada

Montréal, QB

 

pour le défendeur

 

 

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