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Date : 20240118


Dossier : IMM-9807-22

Référence : 2024 CF 79

Montréal (Québec), le 18 janvier 2024

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

IRENE CONTRERAS CALLADO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Mme Contreras, une citoyenne du Mexique, a présenté une demande d’asile. Elle allègue craindre une cliente de la boutique où elle travaillait. Elle aurait publié des messages sur Facebook affirmant que cette cliente ne payait pas ses dettes. La cliente aurait ensuite menacé Mme Contreras et son patron. Ceux-ci ont ensuite été victimes de diverses agressions.

[2] Mme Contreras a ensuite tenté de fuir dans deux autres villes du Mexique. Elle affirme que deux hommes ont tenté de l’aborder dans l’une des villes où elle avait cherché refuge et qu’elle a aperçu des voitures suspectes dans l’autre ville.

[3] De plus, Mme Contreras allègue craindre son ex-conjoint qu’elle a rencontré alors qu’elle se trouvait au Canada. Celui-ci est un citoyen de l’Équateur et est également demandeur d’asile.

[4] La Section de la protection des réfugiés [SPR] et la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR] ont rejeté la demande d’asile de Mme Contreras. La SAR a jugé que Mme Contreras disposait d’une possibilité de refuge interne [PRI] dans la ville de Mérida, au Mexique. Selon la SAR, l’agente de persécution n’avait pas la motivation nécessaire pour rechercher Mme Contreras en dehors de sa ville natale. Elle a jugé que la preuve ne permettait pas de conclure que l’agente de persécution était liée aux événements qui ont eu lieu dans les deux villes où Mme Contreras a cherché refuge. De la même manière, la SAR a jugé que la preuve ne permettait pas d’établir de lien entre l’agente de persécution et un vol dont la mère de Mme Contreras a été victime. La SAR a également conclu qu’il ne serait pas déraisonnable pour Mme Contreras de déménager à Mérida.

[5] Quant à l’ex-conjoint, la SPR a jugé que celui-ci n’avait ni l’intérêt, ni les moyens de s’en prendre à Mme Contreras si celle-ci retourne au Mexique. Devant la SAR, Mme Contreras n’a pas contesté cette conclusion.

[6] Mme Contreras sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

[7] Lors d’un contrôle judiciaire, le rôle de la Cour n’est pas de juger l’affaire à nouveau ou de substituer son opinion à celle de la SAR, mais plutôt de s’assurer que la décision de la SAR est raisonnable. Lorsqu’il s’agit de questions factuelles, la Cour n’intervient que si la SAR « s’est fondamentalement mépris[e] sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au paragraphe 126, [2019] 4 RCS 653. Or, les questions soulevées par Mme Contreras sont essentiellement des questions de fait. À mon avis, Mme Contreras n’a pas démontré que les conclusions de la SAR étaient déraisonnables, en ce sens qu’elles ne pourraient pas s’appuyer sur la preuve.

[8] Dans ses prétentions, Mme Contreras met l’accent sur la Directive no 4 du président de la CISR, concernant les considérations liées au genre. Elle soutient que la SAR aurait fait défaut d’appliquer cette directive, même si elle la mentionne dans ses motifs. Cependant, la demanderesse avait le fardeau de démontrer en quoi la SAR aurait omis de tenir compte de la Directive no 4. En réalité, Mme Contreras utilise simplement la Directive no 4 pour mettre l’accent sur des prétentions qui se fondent sur des principes généraux d’évaluation de la preuve. Mme Contreras n’a pas démontré que la Directive no 4 ajoute quoi que ce soit à l’analyse.

[9] Sur le plan des faits, la principale prétention de Mme Contreras est que la SAR a erré en affirmant que les incidents survenus dans les autres villes étaient spéculatifs, en ce sens que rien ne démontrait qu’ils étaient liés à l’agente de persécution. À mon avis, Mme Contreras n’a pas démontré en quoi cette conclusion est déraisonnable. Même si le vocabulaire employé par la SAR est parfois ambigu, la lecture de l’ensemble de la décision montre bien qu’il s’agit d’une conclusion d’insuffisance de la preuve et non d’une conclusion relative à la crédibilité. En d’autres termes, la SAR ne doute pas que les événements relatés par Mme Contreras ont eu lieu, mais elle constate que rien ne permet de les relier à l’agente de persécution. Puisqu’il ne s’agissait pas d’une question de crédibilité, rien n’obligeait la SPR à questionner davantage Mme Contreras à ce sujet. Il n’y a pas eu de violation de l’équité procédurale ni de la Directive no 4.

[10] J’ajoute que les principes de l’arrêt Maldonado c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 CF 302 (CA), n’exigent pas que l’on accepte les inférences qu’un demandeur tire des faits qu’il a personnellement observés : Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1410 au paragraphe 16.

[11] De la même manière, la SAR pouvait raisonnablement conclure, à l’égard de la preuve, que le vol dont la mère de Mme Contreras a été victime n’était pas lié à l’agente de persécution.

[12] Un autre volet de l’argumentaire de Mme Contreras a trait au deuxième volet du critère de la PRI, à savoir le caractère raisonnable de la relocalisation à Mérida. La prétention principale de Mme Contreras, à cet égard, est qu’il n’est pas raisonnable d’exiger qu’elle s’abstienne d’utiliser son vrai nom sur les réseaux sociaux. Mme Contreras a été questionnée à ce sujet par la SPR. Cependant, la SAR ne mentionne pas cette question dans sa décision. J’ai du mal à comprendre comment un élément qui ne figure pas dans la décision de la SAR peut rendre celle-ci déraisonnable. De toute manière, il n’est pas déraisonnable d’exiger d’un demandeur d’asile qu’il prenne certaines précautions pour ne pas que l’agent de préjudice le retrouve dans la PRI.

[13] Plus généralement, Mme Contreras soutient que la SAR a erré dans l’évaluation du caractère raisonnable de la relocalisation à Mérida. En particulier, elle prétend que la SAR aurait omis de tenir compte de la Directive no 4. Or, la SAR mentionne explicitement la Directive no 4 et examine en quoi les questions liées au genre pourraient rendre déraisonnable la relocalisation à Mérida. Le fait que Mme Contreras soit en désaccord avec la conclusion tirée par la SAR ne suffit pas à rendre celle-ci déraisonnable. Le fardeau de preuve de Mme Contreras quant à cette question est très exigeant. Elle n’a pas démontré en quoi la SAR aurait omis de tenir compte de la preuve ou se serait fondamentalement méprise quant à la portée de celle-ci.

[14] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de Mme Contreras sera rejetée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-9807-22

LA COUR STATUE que

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2. Aucune question n’est certifiée.

 

« Sébastien Grammond »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM-9807-22

 

INTITULÉ :

IRENE CONTRERAS CALLADO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 janvier 2024

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 janvier 2024

 

COMPARUTIONS :

Félix F. Ocana Correa

 

Pour la demanderesse

 

Maximilien Sauvé-Bourassa

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Félix F. Ocana Correa

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

Procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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