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Date : 20240118


Dossier : IMM-5444-22

Référence : 2024 CF 78

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Montréal (Québec), le 18 janvier 2024

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

VICTORIA OLABISI ANIBABA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Mme Anibaba demande le contrôle judiciaire du rejet de sa demande d’asile. Elle allègue que le décideur n’a pas tenu compte du fait qu’elle serait exposée à un risque dans son pays d’origine, le Nigéria, parce que sa belle-famille la tient responsable de la mort de son mari et qu’elle est Témoin de Jéhovah. Je rejette sa demande, puisque la décision est compatible avec la preuve qu’elle a présentée.

I. Contexte

[2] Mme Anibaba, une citoyenne nigériane, a demandé l’asile. Elle se dit chrétienne, plus précisément Témoin de Jéhovah. Elle a épousé un musulman, qui est décédé en 2013. La famille de ce dernier a accusé Mme Anibaba d’être responsable de cette mort, l’a menacée et l’a expulsée de la maison familiale. Mme Anibaba a ensuite déménagé à Lagos, où elle s’est cachée chez une amie pendant trois ans avant de venir au Canada.

[3] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] et la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ont rejeté sa demande. Les deux sections ont conclu que Mme Anibaba n’avait pas de crainte fondée d’être persécutée au Nigéria. En particulier, la SAR a noté que Mme Anibaba avait reconnu qu’elle ne risquait pas d’être persécutée par sa belle-famille si elle ne tentait pas de reprendre possession de la maison familiale. En outre, la SAR a noté que la preuve n’établissait pas que, de manière générale, les chrétiens sont exposés à un risque de persécution au Nigéria. Elle a souligné que le groupe terroriste Boko Haram mène principalement ses attaques dans la partie nord du pays et non dans l’État où Mme Anibaba vivait auparavant et où elle est susceptible de retourner.

[4] Mme Anibaba demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

II. Analyse

[5] Je rejette la demande de Mme Anibaba. La panoplie de moyens qu’elle a soulevés pour s’attaquer à la décision peuvent être regroupés en trois catégories : (1) erreurs dans l’évaluation des risques liés à la belle-famille; (2) lien avec les motifs énoncés à l’article 96; (3) erreurs dans l’évaluation du risque lié à la religion. À mon avis, aucune des erreurs alléguées ne rend la décision déraisonnable.

A. La belle-famille

[6] Le principal argument de Mme Anibaba est que la SAR a mal analysé le risque allégué et s’est méprise au sujet du prétendu aveu de Mme Anibaba selon lequel elle ne serait exposée à aucun risque tant qu’elle n’essaierait pas de reprendre possession de la maison familiale.

[7] À cet égard, la conclusion de la SAR quant à l’absence de risque est compatible avec la preuve. Il est vrai que, lors de son témoignage devant la SPR, Mme Anibaba a exprimé l’opinion selon laquelle sa belle-famille [traduction] « ne la laissera pas tranquille » tant qu’elle sera en vie. Cependant, il n’y a aucun fondement objectif à cette affirmation. Sa belle-famille ne lui a rien fait après l’avoir expulsée de la maison familiale. Mme Anibaba n’a eu aucun contact avec sa belle-famille depuis le jour de l’expulsion. Bien que la SAR ait affirmé à tort que Mme Anibaba « reconnaît qu’il n’y a aucun risque de préjudice tant qu’elle n’essaie pas de reprendre possession de son ancien domicile », cette erreur est sans conséquence, car il n’y a aucun fondement objectif à la crainte subjective de Mme Anibaba.

[8] Mme Anibaba soutient également que les conclusions de la SAR sont spéculatives, en ce sens qu’on ne peut pas savoir si la belle-famille a tenté en vain de la retrouver. Il incombe cependant à Mme Anibaba de prouver qu’elle est exposée à un risque. C’est plutôt son argument qui relève de la spéculation. En effet, elle invite la Cour à tirer des conclusions à partir d’une preuve inexistante.

[9] Lors de son témoignage devant la SPR, Mme Anibaba a déclaré qu’elle s’était cachée pendant trois ans chez son amie à Lagos. Elle allègue maintenant que la conclusion de la SAR selon laquelle elle n’est pas exposée à un risque ne tient pas compte de cette partie de son témoignage. Le fait qu’elle se cachait peut démontrer qu’elle avait une crainte subjective. Cependant, pour que l’octroi du statut de réfugié soit justifié, cette crainte doit également être objectivement fondée. La SAR a conclu que ce n’était pas le cas. Comme je l’explique plus haut, cette conclusion est raisonnablement fondée sur la preuve.

B. Le lien avec un motif prévu par la Convention

[10] Les prétentions de Mme Anibaba quant à l’établissement d’un lien avec un motif prévu par la Convention sont nébuleuses. Rien dans la décision ne donne à penser que la SAR n’a pas tenu compte des moyens que Mme Anibaba a invoqués. Au contraire, la SAR a tenu compte du contexte de sa demande dans son intégralité, y compris le fait qu’elle est veuve et Témoin de Jéhovah, qu’elle n’a aucun soutien familial, qu’elle est à la retraite et qu’elle ne peut plus travailler. Il n’en demeure pas moins que Mme Anibaba n’a tout simplement présenté aucune preuve selon laquelle elle était exposée à une menace à sa vie ou exposée à un risque de traitements inhumains ou de persécution.

[11] De même, je n’accepte pas l’argument selon lequel la SAR a omis de tenir compte de la différence entre les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. Les motifs de la SAR sont brefs et ils supposent que le lecteur est familier avec les articles 96 et 97 de la Loi. Or, lorsque la demande est rejetée au motif qu’il n’y a absolument aucune preuve d’un risque prospectif, il n’est pas nécessaire d’examiner la différence entre les articles 96 et 97.

C. La religion

[12] Mme Anibaba conteste également la façon dont la SAR a traité sa crainte d’être persécutée du fait de sa religion. La SAR a conclu ce qui suit :

En ce qui concerne la question du risque découlant du fait que l’appelante est chrétienne, je juge que les nouveaux éléments de preuve admis en appel ne sont pas suffisants pour établir que les chrétiens en général, dans l’ensemble du Nigéria, et l’appelante en particulier, sont maintenant exposés à un risque plus élevé de préjudice en raison de leurs croyances religieuses. Les attaques contre les chrétiens continuent d’être localisées. Les nouveaux évènements font référence à trois attaques qui ont eu lieu dans les États de Kano, de Kaduna et de Kogi, qui se trouvent tous dans la partie nord du Nigéria, où Boko Haram serait présent. Ce n’est pas le cas dans la région du sud du Nigéria, où l’appelante vivait auparavant et où elle retournerait vraisemblablement.

[13] Mme Anibaba n’a pas démontré que ces conclusions, bien que succinctes, sont déraisonnables.

[14] Dans son témoignage, Mme Anibaba n’a décrit qu’un seul incident qu’elle a perçu comme une menace en raison de son travail de prosélytisme en tant que Témoin de Jéhovah. Cet incident, qui s’est produit à une date non précisée, ne justifie pas à lui seul l’octroi du statut de réfugié.

[15] Dans sa décision, la SAR décrit Mme Anibaba comme une chrétienne, mais ne mentionne pas explicitement qu’elle est Témoin de Jéhovah. Néanmoins, rien dans la preuve ne tend à démontrer que le simple fait d’être Témoin de Jéhovah donne lieu à une crainte fondée de persécution au Nigéria.

[16] Mme Anibaba conteste l’affirmation de la SAR selon laquelle les menaces liées au groupe terroriste Boko Haram sont circonscrites à la partie nord du Nigéria, alors que la preuve révèle que des attaques ont également eu lieu dans le sud-est. Cependant, la SAR a constaté que Mme Anibaba ne serait pas exposée à un risque dans la région où elle retournerait, c’est-à-dire aux environs de Lagos. Mme Anibaba n’a pas démontré que cette conclusion précise est contredite par la preuve.

[17] Ainsi, l’argument de Mme Anibaba se résume à l’affirmation selon laquelle la simple pratique de la foi chrétienne au Nigéria fait naître une crainte fondée de persécution. Bien que je reconnaisse l’existence de cas de violence fondée sur la religion au Nigéria, en particulier les attaques menées par Boko Haram, j’estime que Mme Anibaba n’a pas démontré que le rejet de ses prétentions par la SAR était déraisonnable ou inconciliable avec la preuve objective concernant la situation au Nigéria.

III. Conclusion

[18] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de Mme Anibaba sera rejetée.

 




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