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Date : 20240118


Dossier : IMM-12323-22

Référence : 2024 CF 80

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Montréal (Québec), le 18 janvier 2024

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

 

ENTRE :

GURPREET SINGH

SIMRAN JEET KAUR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] M. Singh et Mme Kaur, des citoyens de l’Inde, ont demandé l’asile. Ils allèguent qu’ils appartiennent à des castes différentes et qu’ils se sont enfuis en 2017 pour se marier contre la volonté de l’ex‑fiancé de Mme Kaur et de la famille de celle-ci. Ces personnes, à la suite du mariage des demandeurs, auraient menacé la famille de M. Singh. De plus, au retour des demandeurs dans leur ville natale en 2018, M. Singh a été détenu et torturé par la police avant d’être libéré en échange d’un pot-de-vin.

[2] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] et la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ont rejeté leurs demandes au motif qu’ils disposaient d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] à Mumbai ou à New Delhi. La SAR a conclu que ni l’ex-fiancé de Mme Kaur, ni la famille de celle‑ci, ni la police de l’État de l’Haryana n’ont la motivation ou les moyens de leur faire du mal à Mumbai ou à New Delhi.

[3] M. Singh et Mme Kaur sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR. Lors du contrôle judiciaire, mon rôle ne consiste pas à apprécier de nouveau la preuve ou à trancher l’affaire à nouveau. Je ne puis intervenir à l’égard des conclusions de fait que si la SAR « s’est fondamentalement mépris[e] sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au paragraphe 126, [2019] 4 RCS 653.

[4] S’appuyant sur les décisions Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 93, AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 915, et Huerta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 586, M. Singh et Mme Kaur font d’abord valoir que l’on ne peut affirmer qu’il existe une PRI lorsque les membres de la famille auraient à mentir aux agents de persécution au sujet de l’endroit où se trouvent les demandeurs; autrement dit, que l’on ne peut affirmer qu’il existe une PRI lorsque les demandeurs doivent en fait se cacher et ne pas divulguer leur localisation à leur propre famille. Toutefois, comme mon collègue le juge Denis Gascon l’a expliqué aux paragraphes 47 et 48 de la décision Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1715, dans ces affaires, les conclusions tirées étaient propres aux faits et il y avait des preuves de menaces graves contre des membres de la famille. Ces décisions n’établissent pas une présomption selon laquelle il n’existe aucune PRI lorsque les agents de persécution ont harcelé des membres de la famille. Voir aussi Shakil Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 156. En l’espèce, compte tenu de la preuve, il était raisonnable pour la SAR de conclure que le père ou l’oncle de M. Singh ne se mettraient pas en danger s’ils refusaient de divulguer des renseignement permettant de localiser les demandeurs.

[5] M. Singh et Mme Kaur contestent également la conclusion de la SAR selon laquelle ils ne seraient pas exposés à un risque à l’extérieur de l’État de l’Haryana, à New Delhi ou à Mumbai. Ils soutiennent que la SAR a fondé sa conclusion exclusivement sur le fait que les agents de persécution ne les ont pas recherchés à l’extérieur de l’État de l’Haryana, et qu’elle n’a pas tenu compte du fait que des membres de la famille ont été harcelés, que le risque est lié à un crime d’honneur et que la police a accusé les demandeurs de terrorisme.

[6] La SAR n’a pas ignoré ces faits. Elle a reconnu qu’il y avait des éléments de preuve concernant des crimes d’honneur commis en Inde, mais elle a conclu que les menaces visant M. Singh et Mme Kaur étaient de nature locale. Elle a également conclu que la police n’aurait pas relâché M. Singh si elle avait vraiment cru qu’il se livrait à des actes de terrorisme. La SAR a donc estimé que l’arrestation était probablement illégale et n’avait donc pas été consignée dans les bases de données de la police, et qu’il est peu probable que la police de l’Haryana déploie des efforts pour retrouver M. Singh et Mme Kaur dans un autre État. La SAR a également tenu compte de toutes les occasions où les agents de persécution ont communiqué avec le père et l’oncle de M. Singh. Tous les incidents allégués ont eu lieu dans la ville natale des demandeurs, dans l’État de l’Haryana. Il n’y a qu’une seule exception, soit lorsque l’oncle de M. Singh a reçu la visite des policiers dans une ville située à environ 50 km de la ville natale des demandeurs, toujours dans l’État de l’Haryana.

[7] Bien qu’ils puissent être en désaccord avec les conclusions de la SAR, M. Singh et Mme Kaur n’ont pas démontré que la SAR s’est fondamentalement méprise sur la preuve ou qu’elle n’en a pas tenu compte.

[8] Enfin, M. Singh et Mme Kaur contestent le renvoi de la SAR à la décision Enweliku c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 228, selon laquelle on peut s’attendre à ce que « des membres de la famille ayant protégé l’endroit où un demandeur d’asile se trouve continuent de le faire ». À mon avis, ce renvoi n’a rien de déraisonnable. Le point important est que la preuve étaye la conclusion de la SAR selon laquelle le père et l’oncle de M. Singh ne risquaient pas de subir un préjudice et qu’il n’y avait aucune raison de croire qu’ils seraient contraints de révéler où se trouvent M. Singh et Mme Kaur dans les villes proposées comme PRI.

[9] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de M. Singh et de Mme Kaur sera rejetée.

 




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