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Date : 20240110

Dossier : IMM-475-23

Référence : 2024 CF 41

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Edmonton (Alberta), le 10 janvier 2024

En présence du juge Sébastien Grammond

ENTRE :

 

JANE UGO NDUKWE

CHINONYEREM ADA NDUKWE

OBINNA NNAEMEKA NDUKWE

CHIDERA OLAMMA NDUKWE

CHIDUBEM FAVOUR NDUKWE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Mme Ndukwe sollicite le contrôle judiciaire de la décision défavorable relative à son examen des risques avant renvoi [ERAR]. J’accueille la demande, parce que la décision semble fondée sur des conclusions déguisées quant à la crédibilité.

I. Contexte

[2] Les demandeurs sont Mme Ndukwe et ses enfants, qui sont tous des citoyens du Nigéria. Mme Ndukwe est bisexuelle. Bien qu’elle soit mariée à un homme, elle a eu des relations amoureuses avec des femmes. Lorsque son mari l’a appris, il s’est d’abord mis en colère et en a parlé aux membres de sa famille, et ceux‑ci ont ensuite menacé de tuer Mme Ndukwe. Mme Ndukwe est venue au Canada avec ses enfants, et ils ont demandé l’asile.

[3] La Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté leur demande d’asile. La SPR a cru que Mme Ndukwe était bisexuelle, mais a souligné que la demanderesse s’était réconciliée avec son mari et qu’elle avait l’intention de demeurer avec lui à long terme. La SPR a estimé que la question déterminante était l’existence d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] à Lagos, où il était peu probable que la belle‑famille de la demanderesse la trouve. Notre Cour a rejeté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire.

[4] Les demandeurs ont ensuite sollicité un ERAR. Mme Ndukwe affirme qu’après la décision de la SPR, différents organismes de sa ville natale ont essayé de la trouver. De jeunes militants chrétiens y ont notamment brûlé sa maison. De plus, plusieurs organismes ont communiqué avec son mari pour lui demander de leur livrer la demanderesse pour un rite traditionnel qui mettrait sa vie en danger. Ces organismes ont aussi communiqué avec la sœur de la demanderesse. La police a également interrogé le mari de Mme Ndukwe à plusieurs occasions pour savoir où elle se trouvait. Mme Ndukwe a présenté des affidavits de son mari et de sa sœur, ainsi que des copies des lettres qu’ils ont reçues.

[5] L’agent d’ERAR a refusé la demande. Après avoir longuement examiné les nouveaux éléments de preuve déposés par la demanderesse, l’agent a conclu que les organismes qui ont écrit les lettres étaient situés à une distance considérable de Lagos. Compte tenu de la taille du Nigéria et de sa population, l’agent a conclu que les demandeurs seraient en mesure de s’installer à Lagos en toute sécurité.

[6] Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de l’ERAR défavorable.

II. Analyse

[7] À mon avis, la décision relative à l’ERAR est déraisonnable. Bien que je ne souscrive pas à tous les arguments de Mme Ndukwe, celle-ci a relevé suffisamment de lacunes pour que la Cour doute du bien-fondé de la décision.

[8] Le principal problème est que les conclusions principales de la décision ne peuvent pas être expliquées par l’insuffisance de la preuve, comme le suggère le ministre. Elles ne peuvent s’expliquer que par des conclusions déguisées quant à la crédibilité.

[9] J’en arrive à cette conclusion principalement parce que la preuve présentée par Mme Ndukwe, si on lui porte foi, contribuerait grandement à prouver que Mme Ndukwe risque d’être persécutée si elle retourne au Nigéria et qu’elle n’aurait pas de PRI valable. Lorsqu’on accorde peu de poids à des éléments de preuve ayant une importante valeur probante, cela indique que ces éléments ont été jugés non crédibles : Cho c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1299, aux paragraphes 24 et 26; Osikoya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 720, au paragraphe 51; Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1207, au paragraphe 31; Islam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 261, au paragraphe 43.

[10] Plus précisément, le mari de Mme Ndukwe déclare que la police l’a interrogé à plusieurs reprises pour savoir où se trouvait sa femme. Cela s’est produit lorsqu’il vivait dans un État différent de celui où se trouve sa ville natale et où l’incendie de sa maison a eu lieu, puis dans un autre village où il avait déménagé pour essayer d’éviter de nouveaux contacts avec la police. Si l’on porte foi à ces éléments de preuve, ils tendent à prouver que la police fait des efforts soutenus pour trouver Mme Ndukwe à différents endroits au Nigéria. On ne trouve aucune analyse de cette preuve dans la décision de l’agent d’ERAR.

[11] De plus, l’agent d’ERAR a noté que la preuve fournie par Mme Ndukwe [TRADUCTION] « provient de personnes ayant un intérêt dans le résultat de la demande et, pour cette raison, un poids minimal lui est accordé ». Notre Cour a conclu à plusieurs reprises que des affirmations semblables étaient déraisonnables : Magonza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14, [2019] 2 RCF F‑8, aux paragraphes 44 et 45. Cela démontre que la demande a été rejetée pour des raisons de crédibilité et non à cause du caractère insuffisant de la preuve. L’agent d’ERAR a aussi fait remarquer les contradictions entre le compte rendu de Mme Ndukwe et les déclarations qu’elle a faites à un conseiller clinicien, ce qui relève également de la crédibilité.

[12] Cependant, à l’exception de la contradiction mentionnée précédemment, la décision ne comporte aucune explication qui justifie une conclusion générale défavorable concernant la crédibilité. Nous nous retrouvons donc face à une situation où le motif principal de la décision est dépourvu de justification. Cela ne peut être raisonnable. De plus, si les préoccupations concernant la crédibilité étaient la raison principale de la décision, il est fort possible que l’agent aurait dû tenir une audience.

[13] Un autre problème découle de la manière dont l’agent a traité l’affirmation de Mme Ndukwe selon laquelle elle avait l’intention de demeurer dans une relation à long terme avec son mari et de s’abstenir d’entretenir des relations amoureuses avec d’autres femmes. L’agent d’ERAR semble considérer que cela protégerait Mme Ndukwe de la persécution fondée sur son orientation sexuelle. Or, là n’est pas la question. La preuve tend à démontrer que Mme Ndukwe serait perçue comme étant bisexuelle, peu importe ses intentions actuelles. Ce qui est pertinent, c’est le point de vue de l’agent de persécution : Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 à la p. 747.

[14] En dernier lieu, l’agent d’ERAR accorde beaucoup d’importance aux conclusions de la SPR concernant la PRI. Ce faisant, l’agent ne tient pas compte du fait que la preuve dont il dispose est très différente de celle qui a été présentée à la SPR.

III. Conclusion

[15] Pour ces raisons, la décision relative à l’ERAR est déraisonnable. Par conséquent, j’accueille la demande de contrôle judiciaire, j’annule la décision relative à l’ERAR, et je renvoie l’affaire à un autre agent pour un nouvel examen.

[16] À l’audience, l’avocat de Mme Ndukwe a demandé plus de temps pour penser à une question à certifier pour la Cour d'appel fédérale. Compte tenu du résultat du contrôle judiciaire, je n’ai pas à trancher cette question. Je souligne simplement que les Lignes directrices consolidées pour les instances d'immigration, de statut de réfugié et de citoyenneté de notre Cour (24 juin 2022) exigent qu’un avocat informe préalablement l’avocat de la partie opposée avant de proposer une question à certifier. Quoi qu’il en soit, la présente demande ne soulève essentiellement que des questions de fait qui ne justifient pas que la Cour certifie de question.


JUGEMENT dans le dossier IMM-475-23

LA COUR ORDONNE :

1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2. La décision relative à l’examen des risques avant renvoi de la demanderesse datée du 6 octobre 2022 est annulée.

3. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour un nouvel examen.

4. Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-475-23

 

INTITULÉ :

JANE UGO NDUKWE, CHINONYEREM ADA NDUKWE, OBINNA NNAEMEKA NDUKWE, CHIDERA OLAMMA NDUKWE, CHIDUBEM FAVOUR NDUKWE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 JanVIER 2024

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 JanVIER 2024

 

COMPARUTIONS :

Nduka Ahanonu

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Michael Digout

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Duke Law Office

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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