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Date : 20240123


Dossier : IMM-10764-22

Référence : 2024 CF 107

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 janvier 2024

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

BHARAT BHUSHAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision d’un agent des visas [l’agent] d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC], communiquée par une lettre datée du 24 octobre 2022 [la décision], de rejeter la demande de visa de résident temporaire (visa de visiteur) du demandeur et de le déclarer interdit de territoire pour fausses déclarations.

[2] Comme expliqué en détail ci-dessous, la présente demande est accueillie, car la décision n’est ni transparente ni intelligible et est par conséquent déraisonnable.

II. Contexte

[3] Le demandeur est un citoyen indien qui a présenté une demande de visa de résident temporaire (visa de visiteur) à l’appui de laquelle il a fourni une déclaration de revenus [DR] indienne pour l’année d’imposition 2021‑2022.

[4] Le 8 septembre 2022, IRCC a adressé au demandeur une lettre relative à l’équité procédurale [LEP] l’informant des doutes sur sa possible interdiction de territoire pour fausses déclarations, en vertu des articles 16 et 40 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Il est écrit dans la lettre que la DR fournie par le demandeur à l’appui de sa demande avait été contrôlée, que son caractère frauduleux avait été confirmé et qu’il lui était par conséquent offert la possibilité de répondre à cette allégation.

[5] Le demandeur a répondu à la LEP en affirmant que la DR était authentique et a fourni des documents dans le but d’appuyer cette affirmation.

[6] Le 24 octobre 2022, IRCC a envoyé au demandeur la lettre l’informant de la décision de rejeter sa demande de visa et de l’interdire de territoire pour fausses déclarations. Les notes du système mondial de gestion des cas (SMGC), qui exposent les motifs de la décision, contiennent l’analyse suivante :

[traduction] Le DP a fourni une déclaration de revenus [DR] indienne pour prouver son statut financier en Inde. Cette DR a été contrôlée et son caractère frauduleux/non authentique a été confirmé. Une lettre relative à l’équité procédurale [LEP] a été envoyée au DP pour l’informer de nos doutes relatifs à de fausses déclarations. Dix jours ont été accordés au DP pour nous transmettre une réponse concernant ces doutes. Un examen approfondi et attentif de la réponse du DP à la LEP a été effectué; cependant, je ne suis pas convaincu que les doutes relatifs aux fausses déclarations précédemment soulevés aient été dissipés de façon convaincante. Dans sa réponse, le DP affirme que la DR fournie à l’appui de sa demande est authentique. Il transmet également une lettre de son comptable agréé pour étayer son argument sur l’authenticité de la DR fournie. Cependant, cette réponse ne dissipe pas mes doutes nés du fait que les DR fournies ont échoué les contrôles réguliers de détections des fraudes, ce qui constitue le motif principal de ma décision. […]

III. Questions et norme de contrôle

[7] Dans ses observations, le demandeur soumet les questions suivantes à l’examen de la Cour :

  1. La décision était-elle raisonnable?

  2. L’agent a-t-il manqué à l’obligation d’équité procédurale?

[8] Les parties sont d’avis, et je suis d’accord, que le bien‑fondé de la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable et que la question de l’équité procédurale est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

IV. Analyse

[9] Pour étayer son argument relatif à l’équité procédurale, le demandeur affirme que la mention faite dans la LEP de la vérification et de la confirmation du caractère frauduleux de la DR ne lui donne pas assez de détails pour qu’il sache quelle preuve il devait réfuter et, par conséquent, pour qu’il puisse répondre. Le demandeur affirme que, même à l’heure actuelle, en ayant connaissance de la décision, il ne comprend pas le fondement des doutes de l’agent sur l’authenticité de la DR.

[10] En réponse à l’argument relatif à l’équité procédurale avancé par le demandeur, le défendeur affirme que le demandeur affirme, sans précédent à l’appui, qu’IRCC est tenu de dévoiler ses techniques d’enquête. Le défendeur affirme qu’une telle obligation nuirait à la capacité d’IRCC de détecter les documents frauduleux. Le demandeur soutient qu’il ne demande pas d’informations sur les techniques d’enquête, mais simplement les informations dont il a besoin pour répondre aux doutes d’IRCC.

[11] La Cour n’a pas besoin d’examiner la question du degré de divulgation nécessaire pour qu’il soit satisfait aux exigences applicables en matière d’équité procédurale, ni de déterminer s’il est possible de répondre à ces exigences sans divulguer les techniques d’enquête, car le demandeur n’a pas demandé à IRCC de divulguer de telles informations avant de répondre à la LEP. Comme il est expliqué dans la décision Hassan v Canada (Public Safety and Emergency Preparedness), 2023 FC 1550, il est interdit au demandeur de soulever une question d’équité procédurale de cette nature lorsqu’il a eu l’occasion de le faire auprès du décideur administratif et qu’il ne s’en est pas prévalu (aux para 42-44).

[12] Cependant, j’estime que le caractère raisonnable de la décision est compromis par l’absence d’explication, dans les notes du SMGC ou dans d’autres documents, qui expliquerait les motifs de la décision quant à ce qui a conduit l’agent à conclure que la DR était frauduleuse ou non authentique. C’est d’autant plus crucial que les observations fournies par le demandeur en réponse à la LEP comportent un lien vers le portail en ligne du ministère de l’impôt sur le revenu du gouvernement indien, ainsi que son identificateur d’utilisateur et son mot de passe, pour permettre à IRCC de vérifier si la DR était authentique en accédant aux dossiers en ligne du gouvernement indien.

[13] Le défendeur affirme que les agents des visas ne sont pas tenus de donner suite de la sorte aux informations fournies en réponse à une LEP. Le défendeur se fonde sur la décision Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 72 [Singh], en citant le passage suivant (au para 24) :

24. Un décideur n’est pas « tenu de se renseigner davantage si la réponse des demandeurs à la lettre d’équité était déficiente » (Hosseini Sedeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 424, au paragraphe 46; Ramezanpour c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 751, au paragraphe 21). Dans cette décision, l’agent a souligné les préoccupations dans une lettre relative à l’équité procédurale et il a reçu les observations du conseil des demandeurs en réponse à ces préoccupations. Exiger d’un agent qu’il demande davantage de précisions dans cette situation créerait un fardeau inacceptable pour les décideurs. La Cour a soutenu de manière répétée que les demandeurs n’ont pas droit à un « résultat intermédiaire » des lacunes que comporte leur demande de résidence permanente […]

[14] Je souscris au principe exposé dans la décision Singh; cependant, il n’aide pas le défendeur en l’espèce. Dans l’affaire Singh, le demandeur avait fourni de la correspondance par courriel en réponse à la LEP concernée, et cette correspondance contenait des références à du texte caché, ce qui avait conduit l’agent d’immigration à conclure qu’une partie de la correspondance avait été retirée. La Cour n’a pas souscrit à l’argument du demandeur selon lequel l’agent avait le devoir d’envoyer une deuxième LEP pour lui permettre de répondre à ce doute (au para 23). Dans la présente affaire, le fait que le demandeur a fourni son identificateur d’utilisateur et son mot de passe, pour qu’IRCC puisse vérifier sa DR sur le site du gouvernement indien, ne constitue pas une attente que le décideur se renseigne davantage pour donner suite à une réponse déficiente à une LEP.

[15] Le défendeur affirme également que, bien que les notes du SMGC ne fassent pas mention du portail du gouvernement indien ni de sa consultation par l’agent, cela ne signifie pas que ces éléments de preuve ont été ignorés. Sur ce point, j’admets qu’il est possible que l’agent ait bien consulté le portail au moyen de l’identificateur d’utilisateur et du mot de passe fourni par le demandeur, et que cette démarche ait eu pour résultat de confirmer les doutes de l’agent sur le caractère frauduleux de la DR. Il est également possible que, pour un certain motif, la consultation de la DR sur le portail du gouvernement ne contribuerait pas à dissiper le doute de l’agent sur l’authenticité de la DR. La difficulté tient à ce que le dossier ne fournit aucune information qui permettrait à la Cour de comprendre si, ou comment, cette démarche a joué un rôle dans la décision. Comme l’agent n’a fourni aucune explication sur ce qui l’a conduit à conclure au caractère frauduleux ou non authentique de la DR, la Cour est tout simplement dans l’impossibilité de comprendre le raisonnement de l’agent.

[16] Par conséquent, la décision souffre d’un manque de transparence et d’intelligibilité, lesquelles sont nécessaires à la prise de décisions administratives raisonnables (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 100).

[17] Puisque je conclus que la décision est déraisonnable, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel et aucune question n’est énoncée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-10764-22

LA COUR ORDONNE QUE la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée, et la présente affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-10764-22

 

INTITULÉ :

BHARAT BHUSHAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE SUR ZOOM

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 jaNVIER 2024

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 23 janVIER 2024

 

COMPARUTIONS :

Prabhjot Singh Bhangu

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Stephen Jarvis

POUR LE DÉFENDEUr

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocats

Mississauga (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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