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Date: 20240125

Dossier: IMM-6279-22

Référence: 2024 CF 121

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2024

En présence de l’honorable juge Régimbald

ENTRE :

ANNE CHRISTIANE OSSOMO NGANDZIGUI

demanderesse

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse est citoyenne du Cameroun. Elle demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR], datée du 26 mai 2022, rejetant son appel et confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR ou le Tribunal], datée du 30 décembre 2021, rejetant sa demande d’asile. La SAR a conclu que la demanderesse n’est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2] La SPR a conclu que la demanderesse n’a pas démontré l’existence d’un risque prospectif de persécution à son retour au Cameroun. La SAR a rejeté l’appel de la demanderesse, et a confirmé la décision de la SPR.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La décision de la SAR est claire, justifiée, et intelligible au regard de la preuve soumise (Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 [Mason] au para 8; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 99). La demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de démontrer que la décision de la SAR était déraisonnable.

II. Contexte factuel

[4] La demanderesse, Anne Christiane Ossomo Ngandzigui [demanderesse], cherche asile au Canada en revendiquant qu’à son retour au Cameroun, elle sera à risque de violence aux mains de son ex-conjoint et de certains membres de la famille de celui-ci.

[5] Le conflit entre elle et son ex-conjoint a débuté en 2011, et a mené à la séparation du couple et à son expulsion du domicile familial en décembre 2011. Cette dispute a mené à une bataille judiciaire entre la demanderesse et son ex-conjoint ainsi que sa belle-sœur qui a duré jusqu’en février 2019.

[6] La demanderesse est arrivée au Canada pour la première fois en 2019 pour une visite familiale. Elle est ensuite retournée au Cameroun, et revenue une deuxième fois au Canada en 2020. C’est lors de cette deuxième visite qu’elle présenta sa demande d’asile au Canada, en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR.

[7] Auprès de la SPR, la demanderesse a présenté des faits qui n’étaient pas dans son formulaire de Fondement de la demande d’asile [FDA]. Elle a témoigné du fait que ses enfants ont été expulsés de chez son ex-conjoint (le père des enfants) en mars 2020, qu’elle a été victime de violence aux mains de son ex-conjoint en novembre 2011, et qu’elle soupçonne son ex-conjoint d’être membre de la secte Famlà.

[8] Dans sa décision du 30 décembre 2021, la SPR a conclu que la demanderesse était crédible, mais a ultimement rejeté sa demande d’asile. La SPR n’était pas convaincue que la demanderesse fait face à un risque prospectif de persécution, ni de menace de son ex-conjoint advenant son retour au Cameroun.

[9] Après une analyse indépendante du dossier, la SAR n’a pas trouvé d’erreurs dans l’analyse de la SPR quant au risque prospectif. La SAR a confirmé la décision de la SPR et a rejeté l’appel de la demanderesse dans sa décision du 26 mai 2022.

III. Norme de contrôle et question en litige

[10] La seule question en litige devant la Cour est à savoir si la décision de la SAR à l'effet que la demanderesse n’a pas démontré qu’elle fera face à un risque prospectif de persécution au Cameroun est raisonnable.

[11] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Vavilov, aux para 10, 25; Mason, aux para 7, 39–44;). Une décision raisonnable est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85; Mason, au para 8); et qui est justifiée, transparente et intelligible (Vavilov, au para 99; Mason, au para 59). Un contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas qu’une « simple formalité »; c’est une forme de contrôle rigoureuse (Vavilov, au para 13; Mason, au para 63). Une décision peut être déraisonnable si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte (Vavilov, aux para 125–126; Mason, au para 73). Finalement, il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100).

IV. Analyse

[12] Il est bien établi qu’une personne revendiquant le statut de réfugié doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle « craint subjectivement et avec raison d’être persécutée et que cette crainte subjective est objectivement justifiée » (Canada (Procureur général) c Ward, 1993 CanLII 105 (CSC), [1993] 2 RCS 689 [Ward]; Alvarez Contreras c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 398 [Alvarez Contreras] au para 16).

[13] L’analyse de la crainte de persécution de la personne revendicatrice « doit être évaluée de manière prospective » (Thavachchelvam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 83 [Thavachchelvam] au para 16). L’évaluation du risque prospectif peut être effectuée à la lumière des événements allégués antérieurs, tout en gardant à l’esprit que ces instances de persécutions antérieures ne suffisent pas, en soi, pour prouver le risque prospectif de persécution (AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 450 [AB] au para 29; Natynczyk c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 914 [Natynczyk] au para 71).

[14] En l’espèce, la demanderesse soumet que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a mal abordé sa crainte quant à l’appartenance de son ex-conjoint à la secte Famlà. Selon la demanderesse, la SAR aurait dû analyser son appartenance alléguée à la secte Famlà séparément du risque général de persécution aux mains de celui-ci et de sa famille. Autrement dit, le silence de la SAR quant à l’appartenance de l’ex-conjoint à la secte Famlà rend la décision déraisonnable.

[15] La demanderesse soumet aussi que la SAR a erré en concluant qu’elle n’a pas subi de violence de la part de son ex-conjoint ni de sa famille depuis 2011. La demanderesse soutient que ceci est faux, et qu’elle était victime de persécution judiciaire entre 2011 et 2019. De plus, puisque les poursuites judiciaires n’ont pas été une réussite, elle craint de nouveau subir des répercussions à son retour au Cameroun.

[16] Selon la demanderesse, la date à partir de laquelle il faudrait évaluer la crainte prospective est 2019. Elle soumet que suite à la fin des procédures judiciaires contre son ex-conjoint en 2019, elle n’a plus de soutien ni de recours pour se protéger face à ses menaces, d’autant plus qu’elle ne peut compter sur ses fils pour la protéger car ils ont été eux-mêmes victimes de violence de leur père et ont été expulsés de chez lui en mars 2020.

[17] De plus, la demanderesse soutient que la SAR aurait dû se fier aux événements antérieurs – soit les neuf ans de persécutions qu’elle aurait subi, les violences familiales, la persécution judiciaire, et la crainte d’être sacrifiée par la secte Famlà – pour déterminer le risque prospectif auquel elle ferait face advenant son retour au Cameroun (Natynczyk, au para 71). La demanderesse est de l’avis que puisque la SAR l’a trouvé crédible et qu’elle a pu établir certains éléments centraux de sa demande d’asile, la SAR devrait lui accorder le bénéfice du doute quant à sa crainte prospective (Chan c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 1995 CanLII 71 (CSC) [Chan]).

[18] Selon moi, la SAR a raisonnablement conclu que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle ferait face à un risque prospectif de persécution aux mains de son ex-conjoint et de sa famille advenant son retour au Cameroun.

[19] Tout d’abord, l’octroi de l’asile est un mécanisme destiné à protéger les personnes contre des préjudices futurs, et non à réparer les préjudices passés (Xiao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 386 [Xiao] au para 19; Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 [Association canadienne] au para 75). Par conséquent, il incombe au demandeur d’asile d’établir l’existence d’une crainte subjective de persécution, ainsi qu’un fondement objectif à sa crainte (Cobian Flores c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 503 [Cobian Flores] au para 26). Pour évaluer cette crainte, il peut être pertinent de se fier aux événements passés; mais ces événements ne sont pas déterminants ni suffisants en soi pour établir l’existence de risque prospectif (AB, au para 29; Natynczyk, au para 71).

[20] Suite à sa propre analyse de l’ensemble de la preuve au dossier, la SAR a rejeté l’appel de la demanderesse et a soutenu la conclusion de la SPR. Selon moi, ses conclusions basées sur la preuve présentée sont raisonnables. La SAR s’est notamment basée sur les faits suivants :

  1. Il n’y a pas de preuve démontrant que la demanderesse a été victime de violence depuis 2011, et ce, même si elle habitait près de son ex-conjoint et le croisait parfois en public;

  2. Les procédures judiciaires se sont terminées en 2019, et il n’y a pas de preuve ni de raison de croire que de nouvelles procédures seront intentées;

  3. Le harcèlement subi antérieurement par la demanderesse, sous forme d’insultes et de menaces, ne s’est jamais concrétisé, et il n’est pas assimilable à la persécution. Les insultes et les menaces étaient de nature générale et ambiguë, et la demanderesse ne reçoit plus d’appels téléphoniques de menaces, ce qui constituait une forme d’intimidation;

  4. La preuve ne démontre pas une volonté continue de l’ex-conjoint ou de sa famille à faire du mal à la demanderesse advenant son retour au Cameroun;

  5. Compte tenu de ces conclusions, la demanderesse n’est pas exposée à un risque de persécution en tant que femme au Cameroun.

[21] Il était aussi raisonnable pour la SAR de conclure que la crainte de la demanderesse en raison de l’appartenance alléguée de son ex-conjoint à la secte Famlà n’était pas objectivement fondée, étant donné que la demanderesse ne s’était pas acquittée de son fardeau de prouver qu’elle avait subi de la violence physique aux mains de son ex-conjoint depuis 2011. Surtout, il n’y avait pas de preuve tangible de l’appartenance de l’ex-conjoint à la secte Famlà puisque de l’aveu même de la demanderesse, il ne s’agissait que de soupçons de sa part.

[22] En l’espèce, la demanderesse exige essentiellement que la Cour analyse et pondère à nouveau la preuve présentée devant la SPR. Or, ce n’est pas le rôle de la Cour en contrôle judiciaire (Zhang v Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 1308 au para 36; Vavilov, aux para 124-125). Comme mon collègue le juge Grammond l’explique dans la décision Contreras Callado c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 79 au para 7 :

[7] Lors d’un contrôle judiciaire, le rôle de la Cour n’est pas de juger l’affaire à nouveau ou de substituer son opinion à celle de la SAR, mais plutôt de s’assurer que la décision de la SAR est raisonnable. Lorsqu’il s’agit de questions factuelles, la Cour n’intervient que si la SAR « s’est fondamentalement mépris[e] sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au paragraphe 126, [2019] 4 RCS 653. Or, les questions soulevées par Mme Contreras sont essentiellement des questions de fait. À mon avis, Mme Contreras n’a pas démontré que les conclusions de la SAR étaient déraisonnables, en ce sens qu’elles ne pourraient pas s’appuyer sur la preuve.

[23] La même conclusion s’applique en l’espèce. La SAR s’est fiée aux éléments de preuve dans le dossier pour arriver à sa conclusion, et la demanderesse ne m’a pas convaincu que la SAR aurait commis une erreur dans son raisonnement qui rendrait la décision susceptible à un contrôle judiciaire.

V. Conclusion

[24] Je suis de l’avis que la décision de la SAR est, dans son ensemble, raisonnable, et est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques du dossier (Vavilov, au para 99).

[25] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[26] Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification, et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6279-22

LA COUR STATUE:

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Guy Régimbald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER:

IMM-6279-22

INTITULÉ:

ANNE CHRISTIANE OSSOMO NGANDZIGUI c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE:

MONTRÉAL, QUÉBEC

DATE DE L’AUDIENCE:

LE 22 JANVIER 2024

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE RÉGIMBALD

DATE DES MOTIFS:

LE 25 JANVIER 2024

COMPARUTIONS:

Aristide M. Koudiatou

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Lisa Maziade

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Koudiatou Avocat

Montréal, (Québec)

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal, (Québec)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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