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Date : 20060109

Dossier : IMM-3448-05

Référence : 2006 CF 12

Ottawa (Ontario), le 9 janvier 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

RENÉ ALBERTO MEJIA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision rendue le 25 avril 2005 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui n'a pas reconnu à M. René Alberto Mejia (le demandeur) la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la Loi).

FAITS PERTINENTS

[2]     Le demandeur est un citoyen du El Salvador qui est arrivé au Canada le 6 novembre 2004 et qui a demandé la protection du Canada le 22 novembre 2004.

[3]     Le 13 juillet 2002, des membres de la bande criminelle « Mara Salvatrucha » ont exigé du demandeur le somme de cinq dollars par semaine. Sous la menace, le demandeur a payé la somme chaque semaine pendant une période de deux ans.

[4]     Le 2 septembre 2004, les membres de la bande criminelle ont augmenté à vingt-cinq dollars le montant que le demandeur payait pour vivre sur leur territoire. Lors de cet incident, le demandeur a dû payer les vingt-cinq dollars qui lui étaient exigés afin d'éviter que sa famille soit menacée.

[5]     Se sachant incapable de faire le paiement subséquent, le demandeur a demandé à sa femme et à sa fille de quitter la maison.

[6]     Le 5 septembre 2004, le demandeur et un ami, Antonio Landaverde Aguilard, ont été pourchassés par les membres de la bande à coups de fusil. L'ami a été grièvement blessé et est décédé à la suite de ses blessures le lendemain.

[7]     Craignant d'être tué par ces criminels, le demandeur a décidé de fuir la ville et d'aller rejoindre sa femme au village Tapecoyo en attendant de pouvoir quitter le pays.

[8]     Le 20 septembre 2004, le bateau à bord duquel le demandeur travaillait est arrivé en Espagne et devait repartir pour le Canada. Le bateau est arrivé à Hamilton, Ontario. le 6 novembre 2004 et à Montréal, le 19 novembre 2004. Le demandeur a revendiqué le statut de réfugié le 22 novembre 2004.

[9]     Le 25 avril 2005, le demandeur a expliqué sous serment devant la Commission les motifs de sa revendication.

QUESTIONS EN LITIGE

  1. La Commission a-t-elle erré en concluant que la preuve démontre que le demandeur n'était pas en danger quand il a déménagé au El Salvador?

  1. La Commission a-t-elle erré en concluant que le risque posé au demandeur était généralisé et non personnalisé?

  1. La Commission a-t-elle erré en concluant que le demandeur aurait dû rechercher la protection de l'État?

ANALYSE

1. La Commission a-t-elle erré en concluant que la preuve démontre que le demandeur n'était pas en danger quand il a déménagé au El Salvador?

[10]            Dans le procès-verbal de l'audience de la Commission, la question de savoir si le demandeur a eu des problèmes, une fois qu'il est allé rejoindre sa famille, a été soulevée. Le demandeur a indiqué qu'aucun problème n'est survenu; toutefois, il a ajouté qu'il vivait en cachette et évitait d'être vu dans la rue, ce qui explique qu'il n'a pas eu de problème avec les membres de la bande criminelle. Le demandeur soutient que la Commission n'a pas pris en considération cette explication dans sa décision.

[11]            Dans la décision Bilquees c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 157, [2004] A.C.F. no 205, mon collègue le juge Pinard a réitéré le fait qu'une évaluation de crédibilité est une question de fait et qu'il n'appartient pas à cette Cour d'intervenir à moins que cette évaluation soit déraisonnable :

L'agent ERAR a conclu, comme le Tribunal avant elle, que les demandeurs n'étaient pas crédibles. L'évaluation de la crédibilité est une question de fait et il n'appartient pas à cette Cour de se substituer à la décision de l'agent ERAR à moins que le demandeur puisse démontrer que sa décision est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments à sa disposition (voir l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7). L'agent ERAR possède une connaissance spécialisée et a le pouvoir d'apprécier la preuve dans la mesure où ses inférences ne sont pas déraisonnables (Aguebor c. Canada (M.E.I.) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)) et ses motifs sont énoncés de façon claire et compréhensible (Hilo c. Canada (M.E.I.) (1991), 15 Imm.L.R. (2d) 199 (C.A.F.)).

[12]            C'est à la Commission de décider si le demandeur est crédible et s'il dit la vérité par rapport aux faits rapportés. Considérant que la Commission mentionne une partie des propos du demandeur issus du procès-verbal, je suis satisfait du fait que la Commission a pris en considération la totalité du procès-verbal pour émettre sa décision, dont l'explication du demandeur au fait qu'il n'a pas eu de problème avec les bandes criminelles à la suite de son déménagement. Je suis d'avis qu'il n'existe aucune erreur de la part de la Commission et que la décision a été prise après une analyse complète de la preuve devant elle.

2. La Commission a-t-elle erré en concluant que le risque posé au demandeur était généralisé et non personnalisé?

[13]            Le demandeur prétend que la Commission a erré en concluant que le risque posé au demandeur était généralisé et non personnalisé.    

[14]            Dans l'arrêt Kang v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2005 FC 1128, [2005] F.C.J. No. 1400, il est mentionné qu'un individu peut être un réfugié même dans l'absence d'un risque personnalisé. Cependant, le juge Martineau, au paragraphe 10, a indiqué que les victimes d'actes criminels et de corruption ne sont pas réfugiés au sens de l'article 96 de la Loi :

Membership in a particular social group is a recognized ground under section 96 of the Act. Moreover, while personal targeting is not required, refugee claimants must nonetheless establish a link between themselves and persecution for a Convention reason. They must be targeted for persecution in some way, either personally or collectively: Rizkallah v. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1992), 156 N.R. 1 (F.C.A.). On this matter, victims or potential victims of crime, corruption or personal vendettas, generally cannot establish a link between fear of persecution and Convention reasons.

[15]            En l'espèce, le demandeur ne prétend pas être un réfugié au sens de l'article 96 de la Loi. Il cherche plutôt la reconnaissance d'une personne en besoin de protection en raison de menace à la vie ou de risque de traitements ou de peines cruels ou inusités selon l'alinéa 97(1)(b) de la Loi.

[16]            Le fardeau à rencontrer pour une personne en besoin de protection en vertu de l'article 97 est moins exigeant que le fardeau imposé par l'article 96 par rapport au statut de réfugié. Le juge Gauthier dans l'arrêt Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[2004] 3 R.C.F. 501 a affirmé au paragraphe 45 :

Premièrement, il existe déjà des différences importantes entre le critère que la SPR doit appliquer dans le cadre de l'examen d'une demande fondée sur l'article 97 de la Loi et d'une demande fondée sur l'article 96. Dans la décision Shah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1121; [2003] A.C.F. no 1418 (C.F.) (QL), au paragraphe 16, le juge Blanchard a statué que le critère applicable en vertu de l'article 97 de la Loi n'exige pas qu'il soit conclu à l'existence d'une crainte subjective de persécution. Dans la décision Nyathi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1119; [2003] A.C.F. no 1409 (C.F.) (QL), au    paragraphe 21, le juge a ajouté que l'article 97 exige que la SPR applique un critère différent, à savoir si le renvoi d'un demandeur peut avoir pour effet d'exposer personnellement celui-ci à un risque mentionné aux alinéas 97(1)a) et b) de la Loi. Je souscris à ces conclusions.

[17]            Il existe une différence marquante entre le critère que la Commission doit appliquer à l'examen d'une demande de « personne à protéger » et celui que requiert la demande du statut de réfugié au sens de la Convention. Dans le premier cas, il n'est pas nécessaire de conclure à l'existence d'une crainte subjective de persécution comme pour le second; il s'agit plutôt de déterminer si le renvoi du demandeur expose personnellement ce dernier aux dangers et aux risques évoqués dans la Loi. Il doit exister des preuves convaincantes (selon la prépondérance des probabilités) établissant les faits sur lesquels le demandeur d'asile se fonde pour prouver être exposé à un risque grave de torture à son retour au pays (Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), supra; Sivianathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. 662).

[18]            La Commission a conclu que le demandeur était l'objet d'un problème généralisé dans son pays, c'est-à-dire le paiement d'un impôt illégal exigé par un groupe criminel.

[19]            Il n'était pas déraisonnable d'arriver à ces conclusions après l'examen de la preuve présentée et après avoir considéré le comportement du demandeur qui n'a jamais demandé la protection de l'État.

3.       La Commission a-t-elle erré en concluant que le demandeur aurait dû rechercher la protection de l'État?

[20]            Le demandeur prétend que la Commission a erré en concluant que le demandeur aurait dû rechercher la protection de l'État.

[21]            Tel que suggéré par le défendeur, on doit présumer que l'État est en mesure de protéger ses citoyens. Il incombe au demandeur de démontrer l'incapacité de l'État à accorder cette protection.

[22]            En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger ses ressortissants.

[23]            Il n'y a eu aucune preuve claire et convaincante pour démontrer l'incapacité de l'État d'assurer sa protection. Voir à cet effet : Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S 689, pages 731-732; MCI c. Kadenko, A-388-95, 15 octobre 1996 (C.A.F.); Canada (M.E.I.) c. Levkovicz et le Secrétaire d'État du Canada, IMM-599-94, 13 mars 1995 (J. Nadon); Villafranca; (1992) 99 D.L.R. (4th) 334, 18 décembre 1992 (C.A.F.).

[24]            Bien que la décision du Tribunal ne soit pas détaillée, le demandeur ne m'a pas convaincu que le Tribunal ait commis une erreur justifiant l'intervention de la Cour. C'est le demandeur qui a le fardeau de démontrer qu'il est une personne à protéger et il n'a pas réussi.

            LA COUR ORDONNE QUE :

            -            La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

            -            Aucune question ne sera certifiée.

« Pierre Blais »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-3448-05

INTITULÉ :                                        RENÉ ALBERTO MEJIA c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                 MONTRÉAL

DATE DE L'AUDIENCE :               17 NOVEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                      9 JANVIER 2006

COMPARUTIONS:

Me Jamal Addine Fraygui

POUR LE DEMANDEUR

Me Thi My Dung Tran

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Jamal Addine Fraygui
Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.
Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

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