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Date : 20240119


Dossier : T-2742-23

Référence : 2024 CF 92

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2024

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

JESUS DONA

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

I. Introduction

[1] En application des articles 359 et 361 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), le demandeur souhaite obtenir, sur requête ex parte, diverses ordonnances. Dans sa déclaration au principal (la déclaration) déposée le même jour, le demandeur a formulé des demandes de mesures identiques. Le demandeur désigne la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) et la [traduction] « police de Toronto » comme défendeurs à la déclaration et intimés.

[2] D’abord et avant tout, il est important de noter que le procureur général du Canada (ci‑après, le défendeur) a comparu devant la Cour pour la GRC. Le procureur général du Canada aurait dû être désigné comme défendeur, et non la GRC.

[3] Par ailleurs, le demandeur a déposé sa déclaration et sa requête ex parte le 27 décembre 2023. Il a signifié la déclaration au procureur général du Canada, mais n’a déposé aucun avis de requête ni signifié les documents liés à la requête. Le 4 janvier 2024, j’ai indiqué que la Cour n’entendrait pas la requête ex parte, et j’ai donné au greffe la directive de signifier la requête au procureur général du Canada.

[4] De plus, dans une lettre qu’il a déposée le 2 janvier 2024, le demandeur a présenté une demande à la Cour afin que cette dernière entende sa requête ex parte d’urgence. Le 3 janvier 2024, j’ai indiqué que la Cour n’était pas convaincue que la requête devait être entendue d’urgence et précisé que celle-ci serait entendue en personne le 9 janvier 2024, comme prévu.

II. Contexte

[5] Dans ses observations écrites, le défendeur a habilement examiné, dans la mesure du possible, les faits que le demandeur allègue dans ses observations et dans sa déclaration et que je résume ci-dessous.

[6] En janvier 2023, l’épouse du demandeur a fait expulser ce dernier de leur domicile avec l’aide des autorités policières. Elle l’avait déjà fait admettre, à deux reprises, dans des hôpitaux psychiatriques. Le demandeur affirme être par la suite devenu itinérant et avoir trouvé une place dans un centre d’hébergement de Toronto où il réside depuis avril 2023.

[7] Dans sa déclaration, le demandeur affirme que les autorités policières, soit la GRC et la [traduction] « police de Toronto », les soumettent, lui et ses deux enfants, à l’écoute téléphonique et la vidéosurveillance, à la demande de son épouse. Le demandeur fait valoir que, de ce fait, lui et ses enfants ont subi des préjudices psychologiques et des lésions corporelles.

[8] Dans la présente requête, le demandeur reprend et précise les allégations qu’il a faites dans sa déclaration. Il allègue que les autorités policières lui font subir des préjudices autant à l’extérieur qu’à l’intérieur du centre d’hébergement. Plus précisément, le demandeur avance que la nourriture et les boissons qui lui sont données lui causent de [traduction] « fortes douleurs » et que celles-ci réduisent [traduction] « l’espérance de vie de [s]on cerveau »; que des lasers cachés dans les conduits d’air situés au-dessus de son lit lui causent des dommages à la tête, à la peau et aux testicules; et qu’il est contraint de se livrer à des activités sexuelles avec d’autres hommes. Il déclare aussi qu’il est possible que les autorités policières [traduction] « réalisent de fausses vidéos » de lui, le montrant sous un mauvais jour. Le demandeur avance également que l’on considère que ses descendants et lui représentent un intérêt national [traduction] « en raison de bons traits de personnalité et d’une stabilité psychologique incroyable ».

[9] Le demandeur allègue des violations aux articles 2, 6, 7, 8, 12, 15, 24 et 28 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) ainsi qu’à plusieurs articles de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il fait également référence à la primauté du droit, aux principes de justice fondamentale et d’équité procédurale ainsi qu’au [traduction] « droit à la santé et d’être en santé ».

[10] Le demandeur sollicite des dommages de 50 000 000 $ pour son propre compte et de 10 000 000 $ pour le compte de chacun de ses deux enfants. Il sollicite également plusieurs ordonnances visant des autorités policières, des autorités publiques, des institutions privées, des autorités internationales et des autorités scolaires.

[11] Le demandeur présente ses demandes de la manière suivante. Premièrement, il demande à la Cour de rendre diverses ordonnances visant la GRC et la [traduction] « police de Toronto » notamment :

  1. une ordonnance pour que cesse la surveillance dont ses deux enfants et lui font l’objet, ce qui comprend l’annulation de toutes les ordonnances alléguées d’écoute électronique et de vidéosurveillance ainsi que l’interdiction de communiquer les renseignements recueillis;

  2. une ordonnance pour que cessent les actes intentionnels qui leur causent, à ses deux enfants et à lui, des préjudices psychologiques et des lésions corporelles;

  3. une ordonnance pour que cessent les tentatives visant à volontairement entraver, détourner ou contrecarrer le cours de la justice;

  4. une ordonnance pour que cessent les tactiques de manipulation utilisant son épouse et d’autres membres de sa famille dont ses deux enfants et lui font l’objet;

  5. une ordonnance d’interdiction d’entrer dans ses lieux de résidence ou dans ses véhicules;

  6. une ordonnance d’interdiction [traduction] « de [les] contraindre à faire quelque chose, [ses] deux enfants et [lui], par la force, en [les] intimidant ou en [leur] offrant quelque chose en échange, même une activité sexuelle »;

  7. une ordonnance d’interdiction de le forcer à se livrer à des activités sexuelles avec des hommes ou des femmes;

  8. une ordonnance d’interdiction [traduction] « de poursuivre le[s] actions visées par la procédure, ou toute autre action dont il n’est pas fait mention ».

[12] Deuxièmement, le demandeur sollicite une ordonnance d’interdiction visant la direction, les professeurs et les employés de l’école primaire de ses enfants et leur interdisant de [traduction] « manipuler » ses enfants de quelque façon que ce soit.

[13] Troisièmement, le demandeur sollicite une ordonnance d’interdiction visant les entités gouvernementales de quelque pays étranger, y compris les États-Unis d’Amérique, et leur interdisant de les soumettre, ses enfants et lui, à l’écoute téléphonique ou à la vidéosurveillance lors de leurs déplacements.

[14] Enfin, le demandeur sollicite une ordonnance d’interdiction visant toutes les sociétés privées et institutions publiques et leur interdisant d’agir d’une façon qui viole ses droits.

[15] Le défendeur affirme que la Cour devrait rejeter la requête dans son intégralité puisque le demandeur n’a pas pu établir le moindre fondement concernant les diverses ordonnances qu’il a sollicitées. Le défendeur estime également que les documents liés à la requête du demandeur devraient être retirés du dossier de la Cour en application de l’article 74 des Règles. J’ai aussi sollicité les observations des deux parties quant à la possibilité de retirer la déclaration elle-même du dossier de la Cour en application de ce même article des Règles.

III. Questions

[16] La Cour devrait-elle retirer du dossier de la Cour les documents liés à la requête en application de l’article 74 des Règles?

[17] La Cour devrait-elle accueillir la requête du demandeur?

[18] La Cour devrait-elle retirer la déclaration du dossier de la Cour en application de l’article 74 des Règles?

IV. Analyse

A. La requête en application de l’article 74 des Règles

[19] L’article 74 des Règles est rédigé en ces termes :

74(1) Sous réserve du paragraphe (2), la Cour peut, à tout moment, ordonner que soient retirés du dossier de la Cour :

a) les documents qui n’ont pas été déposés en conformité avec les présentes règles, une ordonnance de la Cour ou une loi fédérale;

b) les documents qui sont scandaleux, frivoles, vexatoires ou manifestement mal fondés;

c) les documents qui constituent autrement un abus de procédure.

(2) La Cour ne peut rendre une ordonnance en vertu du paragraphe (1) que si elle a donné aux parties intéressées l’occasion de présenter leurs observations.

[20] Au paragraphe 1 de la décision Gaskin c Canada, 2023 CF 1542 [Gaskin], la Cour a conclu que l’article 74 des Règles l’habilite, à tout moment et de son propre gré, à ordonner qu’un document (y compris l’acte introductif d’instance) soit retiré du dossier de la Cour si, entre autres, celui-ci est scandaleux, frivole, vexatoire ou manifestement mal fondé ou qu’il constitue un abus de procédure, dans la mesure où les parties ont la possibilité de présenter des observations.

[21] Dans la décision Gaskin, la Cour a sollicité les observations des deux parties, a conclu que l’acte introductif d’instance était [traduction] « intrinsèquement frivole et vexatoire », et a ordonné que ce document soit retiré du dossier de la Cour, rejetant ainsi l’instance.

[22] La décision Gaskin a récemment été suivie dans la décision Anwar c Nawaz, 2023 CF 1740. Dans cette dernière, la Cour a sollicité les observations des parties concernant une requête en réexamen. La Cour a conclu que la requête était abusive et a ordonné qu’elle soit retirée du dossier de la Cour.

[23] Le défendeur affirme que les documents liés à la requête du demandeur sont scandaleux, frivoles, vexatoires et manifestement mal fondés. La requête contient des affirmations gratuites et incohérentes qui vont à l’encontre du bon sens, de sorte que le défendeur n’est pas en mesure d’y répondre adéquatement. Le défendeur affirme également que les documents liés à la requête du demandeur sont abusifs puisque leur contenu reproduit celui de la déclaration. À l’audience, le demandeur a présenté des observations contre la position du défendeur.

[24] J’accepte les observations du défendeur et conclus que les documents liés à la requête sont scandaleux, frivoles, vexatoires et manifestement mal fondés et qu’ils sont abusifs. Je conclus aussi que les documents liés à la requête devraient être retirés du dossier de la Cour comme le prévoit l’article 74 des Règles.

B. Le fond de la requête

[25] Même si les documents liés à la requête ne sont pas retirés du dossier de la Cour en application de l’article 74 des Règles, la requête doit tout de même être rejetée pour défaut de compétence et pour absence de fondement en droit ou en fait.

(1) Défaut de compétence

[26] La Cour n’a pas compétence pour examiner les actions de la [traduction] « police de Toronto » ou de toutes autres institutions provinciales. De plus, dans la mesure où les allégations du demandeur pourraient concerner une affaire civile privée contre son épouse, contre une institution non spécifiée ou en lien avec ses droits parentaux ou de garde, notre Cour n’a également pas compétence.

[27] En outre, la Cour n’a pas compétence pour accorder les mesures suivantes :

  1. des ordonnances d’interdiction visant des gouvernements étrangers pour qu’ils mettent fin à la surveillance alléguée dont le demandeur et ses enfants feraient l’objet à l’intérieur de leur territoire respectif;

  2. des ordonnances d’interdiction vagues et générales visant toutes les [traduction] « sociétés privées » et toutes les [traduction] « institutions publiques » et les interdisant de mener des activités illégales;

  3. des ordonnances d’interdiction visant les autorités scolaires de l’école primaire des enfants du demandeur et leur enjoignant de [traduction] « cesser de manipuler » ses enfants.

[28] L’affirmation du demandeur selon laquelle la compétence de la Cour découle de [traduction] « l’intérêt national » que ses descendants et lui représentent [traduction] « en raison de bons traits de personnalité et d’une stabilité psychologique incroyable » est dépourvue de fondement.

(2) Absence de fondement en fait ou en droit

[29] Bien que la Cour fédérale ait compétence pour entendre certaines affaires en lien avec les actions de la GRC, il n’y a aucun fondement en fait ou en droit à l’appui des observations du demandeur à cet égard.

[30] Le demandeur formule des allégations vagues et générales selon lesquelles les autorités policières auraient commis des actes criminels. Le demandeur ne fournit aucune preuve à l’appui de ses accusations, à l’exception de son affidavit, dans lequel il se fonde en grande partie sur ce qu’il croit, sans offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits. Cet élément de preuve est contraire à l’article 81 des Règles, et la Cour devrait l’exclure (Cosentino c Canada (Procureur général), 2020 CF 884 aux para 65-67).

[31] Par ailleurs, le demandeur n’a identifié aucun fonctionnaire de l’État ayant commis l’inconduite alléguée, se contentant d’identifier les autorités policières de manière générale et de nommer la GRC. De plus, les affirmations du demandeur selon lesquelles la GRC est liée de quelque façon que ce soit aux allégations concernant la contamination de nourriture et de boissons, les lasers dans les conduits d’air et les activités sexuelles forcées au centre d’hébergement de Toronto sont dénuées de tout fondement factuel.

[32] Par ailleurs, le demandeur ne précise pas les critères applicables à chaque type d’ordonnance sollicitée ou en quoi il répond à ces critères. La plupart des ordonnances sollicitées sont vagues et inappropriées, et ne constituent tout simplement pas des mesures en droit. Finalement, le demandeur sollicite des ordonnances dénuées de fondement en droit ou en fait et pour lesquelles la Cour ne peut tout simplement pas accorder de mesure.

[33] Il incombe au demandeur de signifier et de déposer un dossier de requête contenant tous les éléments nécessaires afin de s’acquitter du fardeau de la preuve pour chaque ordonnance sollicitée et de convaincre la Cour que les ordonnances sont justifiées. Le demandeur n’a établi aucun fondement à l’égard des diverses ordonnances sollicitées.

[34] Par conséquent, même si les documents liés à la requête n’étaient pas retirés du dossier de la Cour, la requête serait tout de même rejetée.

C. La déclaration en application de l’article 74 des Règles

[35] Le demandeur, dans sa déclaration, reprend les affirmations contenues dans la requête et sollicite sensiblement les mêmes mesures.

[36] J’ai informé le demandeur et le défendeur que, de mon avis, la déclaration est scandaleuse, frivole, vexatoire et manifestement mal fondée et qu’elle est abusive. J’ai également fait savoir aux parties que j’étais enclin à retirer la déclaration du dossier de la Cour conformément au paragraphe 74(1) des Règles, et je les ai invitées à présenter leurs observations orales, comme l’exige le paragraphe 74(2) des Règles, ce qu’elles ont fait.

[37] Après avoir entendu les observations des parties à ce sujet, je suis d’avis que la déclaration est scandaleuse, vexatoire, frivole et manifestement mal fondée, et qu’elle constitue un abus de procédure. En ce qui concerne les documents liés à la requête, la déclaration du demandeur contient des affirmations gratuites et incohérentes de préjudices non prouvés qui lui auraient été infligés par les autorités policières. La déclaration est dépourvue de faits, est dénuée de fondement en droit et va à l’encontre du bon sens de sorte que le défendeur n’est pas en mesure d’y répondre adéquatement.

V. Conclusion

[38] La requête est rejetée.

[39] La déclaration et les documents liés à la requête sont retirés du dossier de la Cour, et par conséquent, l’action est rejetée dans son intégralité, sans autorisation de la modifier ou de l’introduire à nouveau.

[40] Aucuns dépens ne sont adjugés.


ORDONNANCE dans le dossier T-2742-23

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête est rejetée.

  2. L’action est rejetée dans son intégralité, sans autorisation de la modifier ou de l’introduire à nouveau.

  3. La déclaration et les documents liés à la requête sont retirés du dossier de la Cour conformément à l’article 74 des Règles.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Michael D. Manson »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Karyne St-Onge, jurilinguiste


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T-2742-23

 

INTITULÉ :

JESUS DONA c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 JANVIER 2024

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 JANVIER 2024

 

COMPARUTIONS :

Jesus Dona

 

POUR LE DEMANDEUR

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Deniz Samadi

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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