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Date : 20240125


Dossier : T-608-18

Référence : 2024 CF 125

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2024

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE:

CONFÉRENCE FERROVIAIRE
DE TEAMSTERS CANADA

demanderesse

et

COMPAGNIE DE CHEMIN DE FER
CANADIEN PACIFIQUE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Voici les motifs faisant suite à l’audience sur la peine qui a suivi la décision Conférence ferroviaire de Teamsters Canada c Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2023 CF 796 [décision d’outrage au tribunal], dans laquelle la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique [le CP] a été déclarée coupable d’outrage au tribunal pour avoir omis de se conformer aux dispositions de cessation de la décision arbitrale en matière de travail déposée auprès de la Cour fédérale par la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada [la CFTC].

[2] Le CP et la CFTC n’ont présenté aucun élément de preuve lors de l’audience sur la peine.

I. Contexte

[3] Dans la décision d’outrage au tribunal, le CP a été déclaré coupable d’outrage au tribunal pour avoir omis de se conformer à la décision, rendue le 23 mars 2018, par l’arbitre du travail Graham Clarke [la décision Clarke] concernant 22 incidents survenus entre juin 2018 et avril 2019.

[4] Dans sa décision, l’arbitre Clarke a conclu que le CP avait enfreint les dispositions relatives au repos de deux conventions collectives et a prononcé une ordonnance de cessation de cette pratique en ces termes :

[TRADUCTION]

222. La CFTC a également convaincu l’arbitre de rendre une ordonnance de cessation, étant donné le grand nombre d’exemples de situations où le droit des employés à bénéficier d’une période de repos dans les 10 heures n’a pas été respecté, en utilisant même les propres chiffres et explications fournis par le CP. La présente ordonnance de cessation s’applique également aux employés qui ont le droit d’être au travail pendant 12 heures et de quitter le travail dans les 12 heures.

[5] Dans le cadre de l’audience sur la peine, la CFTC a rédigé sa demande en ces termes :

[TRADUCTION]

a. que le CP se conforme sans délai à la décision Clarke du 23 mars 2018 et à l’ordonnance de la Cour;

b. que le CP, dans les 30 jours suivant la décision de la Cour sur la peine, démontre à la Cour qu’il a mis fin à son outrage et qu’il se conforme durablement à la décision Clarke et à l’ordonnance de la Cour;

c. si le CP ne parvient pas à établir qu’il a mis fin à son outrage et qu’il se conforme durablement à la décision Clarke et à l’ordonnance de la Cour dans le délai prescrit, qu’il lui soit imposé une amende supplémentaire de 100 000 dollars par jour jusqu’à ce qu’il ait démontré ce fait à la satisfaction de la Cour;

d. si le CP ne met pas fin à son outrage et ne démontre pas qu’il se conforme durablement à la décision Clarke et à l’ordonnance de la Cour dans le délai de 30 jours, que la Cour tienne une autre audience pour traiter, le cas échéant, de l’imposition de toute amende supplémentaire ou croissante;

e. que le CP soit condamné à une amende de 250 000 dollars pour chaque incident établi d’outrage au tribunal, conformément aux principes de la Cour selon lesquels une amende ne doit pas être simplement un « montant symbolique » et doit être un montant suffisamment élevé pour dissuader le CP ou d’autres de bafouer la loi s’il est financièrement avantageux de le faire;

f. qu’il soit ordonné au CP de verser à un ou plusieurs organismes de bienfaisance du choix de la demanderesse la valeur de toute amende imposée, sans publication de la part du CP;

g. que le CP paie à la demanderesse les dépens sur la base avocat-client.

[6] Avant l’audience sur la peine, les parties ont indiqué qu’elles avaient réglé la question des dépens adjugés à la CFTC dans la décision d’outrage au tribunal. Ainsi, la seule question à trancher est celle de la peine adéquate.

II. Question en litige

[7] La seule question en litige est celle de la peine à imposer au CP en fonction des éléments suivants :

  • (i)les considérations générales en matière de détermination de la peine;

  • (ii)la dissuasion spécifique et générale;

  • (iii)les circonstances aggravantes et atténuantes;

  • (iv)le principe de la parité.

III. Analyse

A. Considérations générales en matière de détermination de la peine

[8] Il convient de commencer par l’article 472 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [Règles], dont le texte suit :

Peine

472 Lorsqu’une personne est reconnue coupable d’outrage au tribunal, le juge peut ordonner :

a) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans ou jusqu’à ce qu’elle se conforme à l’ordonnance;

b) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans si elle ne se conforme pas à l’ordonnance;

c) qu’elle paie une amende;

d) qu’elle accomplisse un acte ou s’abstienne de l’accomplir;

e) que les biens de la personne soient mis sous séquestre, dans le cas visé à la règle 429;

f) qu’elle soit condamnée aux dépens.

Penalty

472 Where a person is found to be in contempt, a judge may order that

(a) the person be imprisoned for a period of less than five years or until the person complies with the order;

(b) the person be imprisoned for a period of less than five years if the person fails to comply with the order;

(c) the person pay a fine;

(d) the person do or refrain from doing any act;

(e) in respect of a person referred to in rule 429, the person’s property be sequestered; and

(f) the person pay costs.

[9] Dans le cadre de l’outrage civil, l’objectif premier des sanctions ou des peines est coercitif, puisqu’il s’agit d’assurer le respect des ordonnances judiciaires (Carey c Laiken, 2015 CSC 17 au para 31).

[10] Les principes applicables que le tribunal doit prendre en compte lors de la détermination de la peine ont été exposés de manière utile dans l’arrêt Tremaine c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 2014 CAF 192 aux paragraphes 19 à 26, dont voici les points saillants :

  • « [d]ans les cas d’outrage de nature civile, les principes ordinaires de détermination de la peine en matière d’outrage de nature criminelle jouent »;

  • « le juge chargé de la détermination de la peine doit tenir compte de l’échelle des peines infligées relativement à des infractions similaires dans la jurisprudence et ajuster la peine en fonction des objectifs de détermination de la peine et de toute circonstance aggravante ou atténuante pertinente à l’affaire dont il est saisi »;

  • « l’importance de la dissuasion spécifique et générale pour préserver la confiance du public envers l’administration de la justice, tout en respectant le principe de la proportionnalité en matière de détermination de la peine »;

  • « la gamme de circonstances aggravantes et atténuantes que le juge peut prendre en compte au moment d’infliger une amende et/ou une peine d’emprisonnement relativement à une déclaration de culpabilité pour outrage. Par exemple, le juge a pour directive d’examiner la gravité de l’outrage au regard des faits de l’affaire dont il est saisi, sur le plan de l’administration de la justice […] Sont visées notamment “la gravité objective du comportement constituant un outrage au tribunal [et] la gravité subjective de ce comportement (à savoir si le comportement constitue un manquement de forme ou si le contrevenant a agi de façon flagrante en sachant bien que ses actions étaient illégales)” […] La jurisprudence qualifie parfois la gravité de l’infraction de “circonstance aggravante” […] Toutefois, dans d’autres cas, la jurisprudence relève simplement que la gravité de l’infraction doit être prise en compte; l’on peut en inférer que si la gravité est au bas de l’échelle, elle peut également constituer une circonstance neutre ou atténuante »;

  • « [q]uant aux autres circonstances atténuantes à prendre en compte, il faut rechercher s’il s’agit d’une première infraction […] et si le contrevenant s’est excusé, s’il a admis sa responsabilité ou s’il a fait des efforts de bonne foi pour se conformer à l’ordonnance »;

  • « [e]n revanche, lorsque le contrevenant a enfreint à maintes reprises des ordonnances judiciaires ou a refusé de s’excuser ou de prendre des mesures pour se conformer à l’ordonnance, il peut y avoir circonstances aggravantes ».

[Renvois omis]

[11] En me fondant sur ces principes, je passe maintenant à l’examen de la peine adéquate au vu des faits et des circonstances de la présente affaire. Plusieurs facteurs doivent être pris en compte pour déterminer la peine adéquate, notamment la dissuasion, les circonstances aggravantes et atténuantes et le principe de parité. Je les examine ci-dessous.

B. Dissuasion spécifique et générale

[12] Un aspect du principe de la dissuasion est l’importance de préserver la confiance du public envers l’administration de la justice, tout en respectant le principe de la proportionnalité en matière de détermination de la peine.

[13] Dans la décision récente Grain Workers’ Union (International Longshoreman’s Warehousemen’s Union, Local 333) v Viterra Inc., 2023 FC 766 (CanLII) [Viterra], le juge Gleeson fournit un éclairage intéressant sur le contexte précis de l’arbitrage en droit du travail. Il note aux paragraphes 53 et 54 :

[traduction]

[53] Le non-respect par la défenderesse de la décision arbitrale relève du régime fédéral de droit du travail prévu par le Code. L’arbitrage a été reconnu comme « une pierre angulaire des relations de travail modernes » (BCT, Local 446 v McKenzie’s Sales Ltd, (1993) 124 NSR (2d) 135, 1993 CarswellNS 236 (Westlaw) aux paras 47–48, renvoyant à St Anne-Nackawic Pulp & Paper Co Ltd v Canadian Paper Workers Union, Local 219 (1986) 28 DLR (4th) 1).

[54] La jurisprudence citée au paragraphe précédent confirme qu’il existe un intérêt public stratégique important que les employeurs et les syndicats respectent les décisions arbitrales et s’y conforment. J’estime que ce principe est très pertinent en l’espèce pour deux motifs. Premièrement, la partie III du Code, où se trouvent les dispositions relatives au nombre maximal d’heures de travail, a été qualifiée de « filet de protection tissé d’exigences minimales [offert aux employés] » (Banque de Montréal c Li, 2020 CAF 22 au para 43). Deuxièmement, le non-respect par la défenderesse des exigences légales survient dans un lieu de travail susceptible d’exposer les employés et les infrastructures, voire le public, à des risques importants si les lignes directrices et les procédures en matière de sécurité étaient négligées ou non respectées.

[14] La présente affaire s’inscrit également dans le contexte de l’arbitrage en droit du travail, raison pour laquelle la CFTC incite la Cour à adopter une approche semblable à celle adoptée dans la décision Viterra.

[15] La CFTC soutient que la dissuasion devrait jouer un rôle important dans la peine imposée au CP. Elle avance que le CP devrait être condamné à une amende de 250 000 dollars pour chacun des 22 incidents, soit un total de 5,5 millions de dollars. Elle estime que cette amende est juste et proportionnelle lorsqu’on la compare au revenu net de 2,852 milliards de dollars du CP en 2021.

[16] La CFTC soutient également que, comme dans la décision Viterra, le CP devrait être tenu de prouver qu’il a mis fin à son outrage et devrait être condamné à une amende de 100 000 dollars par jour jusqu’à ce qu’il se conforme à l’ordonnance de la Cour.

[17] Le CP s’oppose à une amende en faisant valoir qu’il a été publiquement pénalisé par des reportages négatifs dans les médias. Par ailleurs, il soutient que toute amende devrait être d’un montant global modeste et qu’elle ne devrait pas être calculée en fonction des 22 incidents. Il propose une amende de 200 000 dollars payable à un organisme de bienfaisance. Il s’oppose aussi à une amende quotidienne récurrente, au motif qu’il n’y a pas d’éléments de preuve montrant une violation récurrente de la décision Clarke et qu’une telle allégation nécessiterait une nouvelle décision.

[18] Dans l’examen des arguments de la CFTC et du CP, la question de la proportionnalité est importante.

[19] La CFTC soutient que le CP continue d’agir en violation de la décision Clarke, mais il ne s’agit pas d’un cas où il est facile de déterminer s’il y a une violation récurrente. Dans la décision d’outrage au tribunal, je n’ai pas conclu que chaque « incident de type heures en trop » était un incident d’outrage. La seule conduite pertinente pour déterminer la peine est celle reliée aux 22 incidents.

[20] Soyons clairs, je ne suis pas disposée à déterminer la peine en fonction d’une conduite qui serait survenue après l’outrage. Les allégations selon lesquelles la décision Clarke continue d’être violée nécessiteraient un examen distinct. Je suis d’accord avec le CP que tout autre acte allégué qui serait en conformité avec la décision Clarke ou en contravention de celle-ci devrait faire l’objet d’une nouvelle décision. Il ne s’agit pas d’un cas où chaque « incident de type heures en trop » constitue une preuve prima facie d’outrage au tribunal (Society of Composers, Authors and Music Publishers of Canada c Trillion Investment Corp., 1999 CanLII 7690 au para 9; CE International Resources Holdings LLC v Yeap Soon Sit, 2013 BCSC 186 au para 47; Chiang (Re), 2009 ONCA 3).

[21] De plus, compte tenu de l’ampleur et de la portée des activités du CP, qui comptait 250 000 départs d’équipes de train à l’époque pertinente, un total de 22 « incidents de type heures en trop » est minime. Je ne veux pas dire que les actes d’outrage ne sont pas graves et qu’ils ne méritent pas d’être sanctionnés; mais de manière proportionnelle en fonction de l’ensemble des activités du CP, l’ampleur des incidents d’outrage se situant au bas de l’échelle. Je reconnais que la CFTC a choisi de porter devant les tribunaux 38 incidents d’outrage même si elle soutient qu’il y en a eu un plus grand nombre dans le passé et que ceux-ci se produisent de façon récurrente. Cependant, le dossier présenté devant la Cour ne concernait que 38 incidents, dont 22 ont été jugés comme étant en violation de la décision Clarke et, par conséquent, de l’ordonnance de la Cour.

C. Circonstances aggravantes et atténuantes

[22] Les circonstances aggravantes et atténuantes à prendre en considération comprennent la gravité ou la sévérité des infractions, dont la nature, l’effet et la durée des actes.

[23] L’ordonnance de cessation de l’arbitre Clarke découlait de la violation de la convention collective négociée par les parties. Il existe une considération d’intérêt public à ce que les décisions arbitrales soient respectées par les employeurs et les syndicats. Cette considération milite en faveur de la conclusion selon laquelle les 22 incidents d’outrage sont graves.

[24] Cependant, un examen détaillé de chaque incident démontre que certains « incidents de type heures en trop » étaient de courte durée. Par exemple, les incidents 15 et 16 ont duré 10 minutes ou moins (décision d’outrage au tribunal au para 99). Ainsi, en ce qui concerne la gravité de la conduite, j’estime qu’elle se situe au bas de l’échelle. J’ajouterais également que, bien que les dispositions relatives au repos soient intrinsèquement axées sur la sécurité, il n’y a aucun élément de preuve indiquant que les équipes de train ou le public ont été exposés à un risque en lien avec quelconque des 22 incidents.

[25] En outre, il n’y a aucun élément de preuve indiquant que la conduite de la direction ou des employés du CP était délibérée. Rien ne permet non plus d’affirmer que les incidents étaient prémédités ou qu’ils découlaient d’un plan visant à contourner l’ordonnance de la Cour. Les « incidents de type heures en trop » étaient plutôt le résultat de lacunes dans le fonctionnement du CP.

[26] Le CP fait valoir comme circonstance atténuante le fait qu’il s’agit de la première déclaration d’outrage prononcée contre la société en 142 ans d’existence. Dans la décision d’outrage au tribunal, j’ai reconnu que le CP avait fait des efforts pour se conformer (décision d’outrage au tribunal aux paras 68 et 62).

[27] Dans ses observations pour l’audience sur la peine, à titre d’indication supplémentaire de leur intention de se conformer à la convention collective, le CP s’engage à ce qui suit :

[traduction]

La réalité fondamentale est que le CP ne peut pas légiférer pour que ses employés se conforment parfaitement aux politiques de la société, y compris en ce qui concerne les directives sans équivoque exigeant le respect de la décision arbitrale et de l’ordonnance de la Cour. Néanmoins, le CP continue de faire tout ce qui est en son pouvoir pour que ses employés se conforment à la décision arbitrale et à l’ordonnance de la Cour. À cette fin, le CP s’engage à entreprendre les mesures suivantes, en plus de celles qu’il a déjà mises en œuvre :

(a) Émettre d’autres communications de la part des cadres du CP aux employés du CP impliqués dans la gestion des périodes d’affectation des équipes de train afin de continuellement souligner les attentes des cadres dirigeants du CP, à savoir que le respect de la décision arbitrale et de l’ordonnance de la Cour est obligatoire et que les équipes de train doivent être relevées en temps opportun chaque fois. Ces communications ont déjà commencé à être diffusées et le CP s’est engagé à diffuser d’autres communications régulières sur une base trimestrielle (ou, si la Cour l’ordonne, selon le calendrier que la Cour juge approprié).

(b) Créer un programme de formation actualisé qui explique les dispositions pertinentes de la convention collective, les modalités de la décision arbitrale et de l’ordonnance de la Cour, ainsi que les conclusions formulées par la Cour dans la décision de première instance. Ce programme de formation actualisé sera obligatoire pour tous les employés actuels du CP impliqués dans la gestion des périodes d’affectation des équipes de train, peu importe leur ancienneté ou leur mandat, ainsi que pour tous les nouveaux employés du CP embauchés à l’avenir dans le cadre de leur formation d’orientation.

(c) Améliorer le processus disciplinaire à appliquer aux employés du CP impliqués dans la gestion des périodes d’affectation des équipes de train (peu importe leur ancienneté) pour que le processus soit appliqué de façon uniforme dans l’ensemble de l’organisation et d’une manière qui tient compte de façon appropriée des obligations du CP de s’assurer que les mesures disciplinaires sont appropriées et qui renforce l’engagement du CP à se conformer à l’ordonnance de la Cour à l’avenir.

[28] Bien que des excuses puissent constituer une circonstance atténuante, le CP estime qu’il n’est pas approprié d’en présenter puisqu’il a interjeté appel de la décision d’outrage au tribunal. Le CP s’appuie sur les affaires dans lesquelles les tribunaux ont reconnu qu’il serait injuste de retenir l’absence d’expression de remords contre un délinquant qui a fait appel du verdict de culpabilité (R c Laroche, 2011 QCCA 1892 aux paras 64-65; Kamali-Mafroujaki v Ontario (Registrar Motor Vehicle Dealer Act, 2002), 2015 ONSC 3989 (CanLII)). Bien que les libertés personnelles en jeu dans les affaires invoquées par le CP ne soient pas entièrement comparables à celles en jeu dans la présente affaire, je considère que l’absence d’excuses de la part du CP est une considération neutre dans la détermination de la peine.

[29] La CFTC affirme que le CP n’a pas mis fin à son outrage. Toutefois, le CP soutient qu’il est impossible de le faire puisque les incidents se sont produits dans le passé. Je suis d’accord avec le CP. Je ne vois pas quelles mesures le CP pourrait prendre maintenant pour rectifier les 22 incidents particuliers d’outrage.

[30] En ce qui concerne le motif du profit, il n’y a aucun élément de preuve montrant que le CP a pu tirer des profits des 22 incidents. Bien que le CP soutienne que les « incidents de type heures en trop » ont entraîné des pertes de rendement et de productivité et, par conséquent, une réduction de ses profits, encore une fois, il n’y a pas d’éléments de preuve à l’appui de cette affirmation.

[31] Enfin, la CFTC demande à la Cour de considérer comme étant une circonstance aggravante le fait qu’aucun des cadres dirigeants du CP n’a assisté à l’audience sur l’outrage au tribunal ou à la présente audience sur la peine. Elle s’appuie sur la décision James Fisher and Sons Plc c Pegasus Lines Ltd SA, 2002 CFPI 650 aux paragraphes 24 et 25, où la Cour a noté :

[24] À l’audience, le 25 avril 2002, la Cour a aussi soulevé le fait que M. Karathanos n’était pas présent. En son nom, M. Sproule a soutenu que sa présence n’était pas requise par les Règles de la Cour fédérale, non plus qu’elle n’était clairement prescrite dans l’ordonnance de M. le juge Pinard qui avait écrit ceci : « J’ordonne par conséquent à James Karathanos de comparaître... », sans toutefois dire qu’il devait comparaître personnellement. En fait, d’autres juges de notre Cour ont exprimé la même préoccupation étant donné la nature quasi criminelle des procédures d’outrage au tribunal, qui peuvent se solder par l’emprisonnement. Néanmoins, il est clair que des défendeurs ont été trouvés coupables d’outrage civil, même s’ils n’avaient pas compar[u] à leur audience : Société canadienne des auteurs, éditeurs et compositeurs de musique c. Timberlea Investments Ltd. (1998), 152 F.T.R. 198, Société canadienne des auteurs, éditeurs et compositeurs de musique c. 946945 Ontario Inc., [1999] A.C.F. no 287 (1re inst.).

[25] Quoi qu’il en soit, l’avocat de M. Karathanos fait de la sémantique et, selon moi, il est face à une ordonnance claire du juge Pinard. L’absence de M. Karathanos à l’audience tenue devant moi est encore une autre circonstance aggravante et une preuve additionnelle de son manque total de respect pour les ordonnances de notre Cour. Je considère donc qu’elle est pertinente lorsqu’il s’agit de déterminer quelle sera la sanction.

[32] Dans la présente affaire, j’estime que l’absence de comparution personnelle d’un « cadre dirigeant » du CP ne constitue pas une circonstance aggravante.

[33] De plus, je ne peux conclure que le CP est un récidiviste.

D. Principe de la parité

[34] La CFTC s’appuie sur la décision Viterra pour faire valoir qu’une approche de détermination de la peine semblable devrait être adoptée en l’espèce, à savoir une amende importante et un suivi par la Cour.

[35] Bien que je reconnaisse que la décision Viterra soit une affaire comparable en ce sens qu’elle découle d’un arbitrage en droit du travail et qu’il y a été conclu que l’employeur avait commis un outrage à une décision arbitrale, il y a des différences entre les deux affaires. Dans la décision Viterra, la Cour a estimé que le manquement par l’employeur s’était poursuivi (Viterra au para 48). Les actes de manquement dans l’affaire Viterra étaient facilement identifiables—pas de quart de travail de plus de 10 heures à la fois. Il n’en va pas de même en l’espèce. Dans la présente affaire, plusieurs facteurs doivent être examinés avant qu’il ne soit possible de conclure que la conduite après l’outrage au tribunal constitue une violation récurrente de l’ordonnance.

[36] Ainsi, bien que les principes de détermination de la peine énoncés dans la décision Viterra soient applicables, les faits diffèrent.

[37] Par ailleurs, il n’y a pas d’autres affaires comparables sur le plan des faits.

IV. Conclusion

[38] L’imposition d’une peine est fondamentalement un exercice discrétionnaire.

[39] À mon avis, la gravité de l’outrage se situe au bas de l’échelle et je ne qualifierais pas la conduite du CP de provocante ou de flagrante. Dans ces circonstances, je refuse d’imposer une amende calculée selon le nombre d’incidents, car cela ne reflète pas la réalité fonctionnelle dans laquelle les incidents d’outrage ont eu lieu. Par exemple, 10 incidents se sont produits à la même date et découlent d’une erreur qui a eu des répercussions en cascade et a donné lieu à de multiples incidents (décision d’outrage au tribunal aux paras 91‑95).

[40] Rien n’indique que l’un ou l’autre des 22 incidents ait généré des profits pour le CP ni qu’il y ait eu préméditation.

[41] Puisque l’objectif principal de la peine est d’assurer le respect des ordonnances judiciaires, j’estime qu’il est raisonnable d’imposer une amende au CP. J’accepte la recommandation du CP selon laquelle une amende de 200 000 dollars est raisonnable dans les circonstances.

[42] Enfin, à l’audience, les parties ont convenu que toute amende imposée par la Cour serait versée aux Fondations d’hôpitaux pour enfants du Canada.

V. Dépens

[43] La CFTC a droit aux dépens pour l’audience sur la peine.


JUGEMENT dans le dossier T-608-18

LA COUR STATUE :

  1. La Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique est condamnée à une amende de 200 000 dollars, qui sera versée aux Fondations d’hôpitaux pour enfants du Canada.

  2. La CFTC a droit aux dépens dans le cadre de la présente audience sur la peine.

blank

« Ann Marie McDonald »

blank

Juge

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-608-18

 

INTITULÉ :

CONFÉRENCE FERROVIAIRE DE TEAMSTERS CANADA c COMPAGNIE DE CHEMIN DE FER CANADIEN PACIFIQUE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (ONtario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 NOVEMBRE 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 JANVIER 2024

COMPARUTIONS :

Robert Church

POUR LA DEMANDERESSE

 

Ian Campbell

Christopher J. Rae

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

CaleyWray

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Fasken Martineau DuMoulin LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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