Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20240118


Dossier : IMM-1800-23

Référence : 2024 CF 85

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2024

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

ZOHREH DAVOODABADI

MOHAMMADALI KESHAVARZ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs sont citoyens iraniens. La demanderesse principale [DP] a présenté une demande de permis d’études pour faire une maîtrise en leadership dans le domaine de la santé. L’époux de la DP, le demandeur à charge [DC], a présenté une demande de permis de travail ouvert pour conjoint afin de pouvoir accompagner son épouse.

[2] Dans une décision datée du 30 janvier 2023, les demandes de permis d’études et de permis de travail ont été rejetées. L’agent d’immigration [l’agent] n’était pas convaincu que la DP quitterait le Canada au terme de ses études. La demande du DC a été rejetée pour des motifs similaires fondés sur le rejet de la DP; le DC voulait entrer au Canada pour accompagner la DP.

[3] Les demandeurs présentent une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Deux questions sont soulevées :

  1. La décision de l’agent était-elle déraisonnable?

  2. L’agent a-t-il manqué à l’équité procédurale?

[4] Le défendeur soutient que la décision de l’agent, lorsqu’elle est prise dans son ensemble, est raisonnable. Il affirme que l’examen s’est déroulé conformément à l’équité procédurale due dans le contexte de demandes de permis d’études, lequel impose des exigences moindres en matière d’équité.

[5] Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II. Décision faisant l’objet du contrôle

[6] La DP est titulaire d’un baccalauréat en pratique sage-femme et a exercé en tant que sage-femme dans plusieurs hôpitaux en Iran. Elle souhaite étudier au Canada dans le but d’avancer dans sa carrière et de pouvoir prétendre à un poste en Iran.

[7] Lors de l’examen des demandes de visas, l’agent a considéré que la DP n’avait pas démontré qu’elle possédait des actifs financiers suffisants pour couvrir les frais de scolarité, les frais de subsistance et les frais de voyage. L’agent a également noté que les antécédents bancaires fournis ne faisaient pas état de dépôts réguliers et a considéré que les liens de la DP avec l’Iran allaient être fragilisés, car son époux l’accompagnerait au Canada. En outre, l’agent a estimé que la DP n’avait pas fourni de motifs convaincants justifisant les avantages qu’apporteraient des études au Canada. On trouve les motifs du rejet de la demande de la DP dans les notes inscrites par l’agent dans le Système mondial de gestion des cas, qu’il est utile de reproduire ici :

[traduction] J’ai examiné la demande. J’ai pris en compte les facteurs suivants dans ma décision. Je note que de nombreux actes et titres de propriété ont été fournis, cependant, aucun historique des transactions bancaires pour faire état de dépôts à intervalles réguliers provenant desdites propriétés sur les comptes de la demanderesse. Relevés de solde en banque fournis; soldes importants observés, aucun historique de transactions. Je crains que les documents sur les propriétés n’existent qu’à des fins de preuve et qu’ils ne reflètent pas les véritables ressources financières de la demanderesse. En prenant cela en compte, ainsi que le projet d’études de la demanderesse et les relevés bancaires fournis, j’estime que la situation financière de la demanderesse n’atteste pas de fonds suffisants ou disponibles pour les frais de scolarité, de subsistance et de voyage. Je ne suis pas convaincu que les études envisagées soient une dépense raisonnable. La demanderesse n’a pas de liens familiaux importants hors du Canada. La DP voyageant avec son époux, je crains que ses liens avec l’Iran ne soient pas assez forts pour motiver un départ du Canada. Les liens avec l’Iran sont fragilisés par le voyage au Canada prévu par la cliente puisque le voyage inclut sa famille proche; la motivation de retourner sera affaiblie par le fait que la famille proche de la demanderesse vive avec elle au Canada. Le but de la visite de la demanderesse au Canada ne correspond pas à un séjour de courte durée compte tenu des détails fournis dans la demande. Citoyenne iranienne présentant une demande de permis d’études pour suivre une maîtrise en leadership dans le domaine de la santé à l’Université Trinity Western. Études antérieures de baccalauréat en pratique sage-femme. Actuellement employée comme sage-femme. Lettre d’explication de la cliente examinée. Selon moi, la DP ne démontre pas de manière convaincante que le programme d’éducation internationale serait avantageux. Compte tenu de l’éducation antérieure et de l’historique d’emploi de la DP, son désir de faire des études au Canada à l’heure actuelle ne semble pas raisonnable. En soupesant les facteurs en jeu dans cette demande, je ne suis pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de sa période de séjour autorisé. Pour les motifs ci-dessus, je rejette la présente demande.

III. Analyse

A. Norme de contrôle

[8] Les parties considèrent que la décision de l’agent de refuser les permis est susceptible de contrôle suivant la norme applicable par défaut de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10 et 25). La deuxième question soulevée par les demandeurs, celle de l’équité procédurale, est susceptible de contrôle selon une norme s’apparentant à celle de la décision correcte. La question qui se pose est de déterminer si la proécdure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54).

B. La loi

[9] Selon l’article 216 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR], l’agent doit être convaincu, lorsqu’il examine des demandes de permis d’études au Canada, que les preuves établissent que le demandeur quittera le Canada à la fin de son séjour (Chhetri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 872 au para 9 [Chhetri]; Hashem c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 41 au para 31). Il incombe à la personne présentant la demande de permis d’études de prouver qu’elle quittera le Canada à l’expiration de son visa (Jalilvand c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1587 au para 11 [Jalilvand]; Zhang v Canada (Citizenship and Immigration), 2022 FC 1679 au para 6). De façon générale, il incombe au demandeur de fournir des éléments de preuve suffisants pour démontrer qu’il satisfait aux exigences de la LIPR et du RIPR (Omijie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 878 au para 10; Bestar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 483 au para 12 [Bestar]). L’agent est tenu de délivrer un permis d’études lorqu’il est établi que les exigences de l’article 216 du RIPR sont remplies.

[10] Selon l’article 216 du RIPR, l’agent ne peut pas délivrer de permis à moins qu’il ne soit prouvé que le demandeur dispose de ressources financières suffisantes, sans qu’il lui soit nécessaire d’exercer un emploi au Canada, pour payer les frais de scolarité, subvenir à ses besoins et à ceux des membres de sa famille qui l’accompagnent, et payer ses frais de transport ainsi que ceux des membres de sa famille qui l’accompagnent au et depuis le Canada.

[11] Les cours de révision doivent faire preuve d’un haut degré de retenue envers les agents (Momi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 162 au para 26; Chhetri au para 9; Jalilvand au para 11; Bestar au para 13). Les décisions ne sont pas tenues de contenir des motifs exhaustifs; ils peuvent être brefs ou limités (Barril c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 400 au para 12, Groohi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 837 au para 16). L’agent peut fournir des motifs qui ne sont pas étoffés, tant qu’ils donnent une idée de l’analyse menée et justifient l’issue de la décision (Iyiola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 324 au para 18; Shah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 448 au para 21).

C. Les demandeurs n’ont pas démontré d'erreur justifiant une intervention

[12] Les demandeurs affirment que l’agent a traité de manière déraisonnable les preuves financières fournies par la DP et qu’il a conclu de manière déraisonnable que les actifs financiers de la DP n’étaient pas suffisants pour répondre aux besoins lors d’un voyage ayant le but déclaré. Je ne partage pas cet avis.

[13] Dans son évaluation de la situation financière de la DP, l’agent a noté que la DP avait omis de fournir des relevés de transactions bancaires. À la place, la DP avait uniquement fourni des relevés de solde en banque. L’omission de fournir des relevés de transactions est contraire à la liste de contrôle des documents pour les permis d’études fournie aux demandeurs iraniens (Permis d’études - Directives du bureau des visas d’Ankara (IMM 5816 F). Cette liste de contrôle impose aux demandeurs d’inclure dans leurs documents un « [r]elevé de comptes bancaires couvrant les six derniers mois. »

[14] Il était raisonnable de la part de l’agent de noter que cette information avait été omise dans les documents des demandeurs et de conclure, en l’absence d’historique de transactions financières, que la DP ne s’était pas acquittée du fardeau de démontrer qu’elle disposait de fonds suffisants pour payer les frais de scolarité, les frais de subsistance et les frais de voyage. La conclusion de l’agent est justifiée, transparente et intelligible.

[15] Parce qu’il avait conclu raisonnablement que la DP n’avait pas démontré qu’elle disposait de ressources financières suffisantes pour couvrir les dépenses visées à larticle 220 du RIPR, lagent était tenu de rejeter la demande.

[16] La conclusion tirée par l’agent sur le caractère suffisant des informations financières fournies à l’appui de la demande de permis d’études était non seulement raisonnable, mais tranchait à elle seule la demande. Je n’ai pas besoin d’examiner les arguments des demandeurs puisqu’ils portent sur le caractère raisonnable de la décision de l’agent sur les liens familiaux avec l’Iran ou sur les avantages du programme d’éducation internationale que la DP souhaitait suivre.

[17] Sur la question de l’équité, les demandeurs avancent que les conclusions implicites quant à la crédibilité tirées par l’agent et le fait qu’il ait omis de prendre en compte des éléments de preuve, de donner des motifs suffisants et de fournir à la demanderesse l’occasion de répondre à ses questions rendent le processus non équitable. Ces observations sont peu fondées.

[18] Bien que les demandeurs affirment que l’absence de motifs suffisants et le fait que l’agent ait omis de prendre en compte des éléments de preuve soulèvent la question de l’équité procédurale, la jurisprudence sur laquelle ils se fondent démontre systématiquement que le caractère suffisant des motifs et le traitement des éléments de preuve sont des questions qui influent sur le caractère raisonnable de la décision.

[19] De même, il est de jurisprudence constante que le demandeur ne dispose pas du droit d’être informé des lacunes dans sa demande. Le « principe d’équité procédurale ne va pas jusqu’à exiger que l’agent des visas fournisse au demandeur un “résultat intermédiaireˮ des lacunes que comporte sa demande [...] L’agent des visas n’est pas tenu d’informer le demandeur des questions qui découlent directement des exigences de l’ancienne Loi et de son règlement d’application » (Rukmangathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 284 au para 23, cité dans Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 855 au para 22).

[20] Enfin, contrairement à ce qu’affirment les demandeurs, l’agent n’a pas mis en doute l’authenticité des documents sur les propriétés des demandeurs. Lorsque l’agent a conclu que les documents sur les propriétés n’existaient qu’à des fins de preuve, il ne faisait que noter que les biens réels n’indiquent pas la disponibilité de ressources suffisantes pour étayer la demande. L’agent n’a pas non plus outrepassé son pouvoir ni manqué au principe de l’attente légitime en rejetant la demande.

IV. Conclusion

[21] Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée. Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-1800-23

LA COUR ORDONNE :

1. La demande est rejetée.

2. Aucune question n’est certifiée.

 

« Patrick Gleeson »

 

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1800-23

 

INTITULÉ :

ZOHREH DAVOODABADI MOHAMMADALI KESHAVARZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 NovembRE 2023

 

JUGEMENTS ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 18 JanVIER 2024

 

COMPARUTIONS :

Oluwadamilola Asuni

POUR LES DEMANDEURS

Justin Zelowsky

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Oluwadamilola Asuni

Avocat

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.