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Date : 20240130


Dossier : T-987-22

Référence : 2024 CF 142

Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2024

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

ADAM ALLDOWELL

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte et faits

[1] Le demandeur, le Sous-lieutenant à la retraite Adam Alldowell, s’est joint aux Forces armées canadiennes (FAC) en août 2007. Il a été libéré en 2011 et a réenrôlé le 6 novembre 2013 dans l’occupation de génie électronique et des communications. En 2017, il a été réassigné dans le métier de génie aérospatial (G AERO).

[2] Le 16 octobre 2017, le demandeur a commencé le Cours de base des officiers G AERO (le Cours G AERO) à l’École de technologie et du génie aérospatial des Forces canadiennes (l’ETGAFC). Toutefois, le commandant de l’ETGAFC a décidé de cesser sa formation en février 2018 et le demandeur a été affecté à la Base des Forces canadiennes (BFC) Trenton pour une période de formation en milieu de travail.

[3] Le 22 octobre 2018, le demandeur a commencé à nouveau une deuxième tentative au Cours G AERO. Malheureusement, entre novembre 2018 et mai 2019, plusieurs instructeurs/observateurs ont évalué son rendement comme étant inférieur à la norme et démontrant un manquement au niveau des qualités professionnelles. Conséquemment, le demandeur a fait l’objet d’une revue indépendante qui a recommandé qu’un comité d’évaluation de progrès (CEP) soit convoqué.

[4] Le CEP a eu lieu en avril 2019. Par la suite, le CEP a recommandé à l’unanimité de mettre fin à l’instruction du demandeur et le commandant de l’ETGAFC, le Lieutenant-colonel Rhéaume, a accepté la recommandation. Vu la nature et la quantité de manquements du demandeur au niveau des qualités professionnelles pour la deuxième année consécutive, le commandant estimait que le demandeur a eu d’amples opportunités de rencontrer le standard et les attentes d’un gradué du cours. Le 13 mai 2019, il a alors pris la décision de cesser la formation parce qu’il « ne considère pas que vous ayez les Aptitudes et Qualités Professionnelles pour répondre à ce qui est attendu d’un Officier G Aéro, d’où la raison de la cessation de votre entraînement ». Le commandant a référé le demandeur au bureau de sélection du personnel pour qu’il puisse choisir une autre occupation militaire.

[5] Le 7 juin 2019, l’instructeur qui avait évalué les pratiques d’entrevues pour l’objectif de rendement (OREN) 406 a informé tous les candidats qu’à la suite d’une révision, personne n’avait échoué les séances d’entretien.

[6] Le 19 juillet 2019, le demandeur a été muté à BFC Trenton.

[7] Le 12 août 2019, le demandeur a déposé un grief (le Grief) contestant la décision du commandant de l’ETGAFC de mettre fin à son instruction.

[8] En janvier 2020, l’officier adjoint aux services du personnel de BFC Trenton a indiqué que le demandeur s’était fait offrir trois options d’occupations vers lesquelles il aurait pu transférer, ce qu’il a refusé.

[9] Le 15 juillet 2020, le demandeur a déposé des griefs pour harcèlement visant deux majors/instructeurs chargés de sa formation de base des officiers G AERO (la majore M et le major A).

[10] Le demandeur a été libéré des FAC le 4 mai 2021 ayant atteint l’âge de la retraite obligatoire.

[11] Le 3 mars 2022, le commandant de l’Aviation royale canadienne, le Lieutenant-général A.D. Meinzinger, en sa qualité d’autorité de dernière instance (ADI) dans le processus de règlement des griefs des FAC, a rejeté le Grief. L’ADI a conclu que le demandeur a été traité équitablement conformément aux règlements et aux politiques applicables et qu’il ne pouvait accorder les mesures de réparation demandées.

[12] Le demandeur sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de l’ADI. Il fait valoir que la décision est fondée sur de fausses informations et que le déroulement de sa formation ne respectait pas les normes d’équité et d’égalité requises. Le demandeur soutient qu’il a été ciblé par l’instructrice majore M, ce qu’il estime a eu pour effet de réduire considérablement ses chances de réussir la formation de base des officiers G AERO.

[13] Après avoir considéré soigneusement les arguments écrits et oraux des parties, je ne peux pas conclure que l’ADI a rendu une décision déraisonnable relativement au Grief du demandeur ni que ses conclusions sont insuffisamment motivées. La décision tient compte de la preuve et constitue une issue pouvant amplement se justifier au regard des faits et du droit.

[14] Pour les motifs détaillés ci-après, la demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

II. Le Grief

[15] Le demandeur prétend que la décision du commandant de l’ETGAFC de cesser sa formation est injuste, étant basée sur de fausses informations et n’ayant pas suivi la procédure établie. Pour ce qui est des fausses informations, il explique que le commandant a basé en partie sa décision sur l’échec prétendu d’OREN 406, mais qu’il n’avait pas échoué à ce cours. En ce qui concerne les procédures, le demandeur soutient que le CEP a été tenu parce que son rendement en présentant un résumé en anglais lors d’un exercice de simulation de fin de stage (ESE2) n’avait pas été à la hauteur du standard requis. Cependant, il maintient que l’exercice avait été mené entièrement en anglais en violation de ses droits linguistiques et qu’il a dû faire face à plus d’intrants que ses pairs, ce qui a eu pour effet de rendre l’exercice plus difficile que la norme. Le demandeur ajoute qu’une partie essentielle de la matière pour la fin de stage n’a été enseignée qu’après l’exercice ESE2.

III. Cadre législatif et réglementaire des griefs des FAC

[16] Les procédures et les principes applicables au processus de règlement des griefs des FAC sont établis par les articles 29 à 29.15 de la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N-5 (la LDN). Selon le paragraphe 29(1) de la LDN, tout officier qui s’estime lésé par une décision dans les affaires des FAC a le droit de déposer un grief dans le cas où aucun autre recours de réparation ne lui est ouvert sous le régime de la LDN. Le processus de règlement des griefs des FAC comporte généralement deux paliers décisionnels : l’autorité initiale (AI) et l’autorité de dernière instance en matière de griefs (ADI) (Beddows c Canada (Procureur général), 2019 CF 671 au para 3). Le Chef d’état-major de la Défense (CEMD) ou sa ou son délégué(e) agissent en tant que ADI (l’article 29.11 et le paragraphe 29.14(1) de la LDN). Dans la présente affaire, les pouvoirs, devoirs et responsabilités du CEMD en tant qu’ADI ont été délégués au Commandant de l’Aviation royale canadienne.

[17] En vertu de l’article 29.12, un grief peut faire l’objet d’un renvoi discrétionnaire devant le Comité externe d’examen des griefs militaires (le Comité). Le Comité est chargé de faire une analyse indépendante du grief et de présenter des conclusions et recommandations non contraignantes à l’ADI (l’article 29.13 de la LDN).

[18] Les Directives et ordonnances administratives de la Défense ou « DOAD » s’agissent d’ordonnances visant les membres des FAC (Walsh c Canada (Procureur général), 2015 CF 775 au para 33) et la DOAD 5039-6 régit la prestation de l’instruction et de l’éducation dans les deux langues officielles. Parmi d’autres normes et directives applicables à l’instruction des membres des FAC, le Volume 5 des Ordonnances de la Division aérienne du Canada (ODAC) s’applique à l’ETGAFC. Ordonnance 5-213 du Volume 5 prévoit qu’un CEP peut être tenu en cas d’échec lorsqu’un candidat démontre un progrès insatisfaisant n’ayant pas été corrigé par les révisions précédentes, y compris des lacunes au niveau des qualités professionnelles attendues. L’autorité de retirer un étudiant d’un cours pour ce motif revient au commandant de l’ETGAFC.

IV. La décision de l’AI

[19] Le 11 mars 2020, le commandant de la 16e Escadre, le Colonel Godbout, agissant comme autorité initiale (AI), a conclu que la décision du commandant de l’ETGAFC de cesser la formation du demandeur a été justifiée et que les points identifiés dans le Grief n’étaient pas les causes principales de la cessation.

[20] L’AI a reconnu que le demandeur n’avait pas échoué l’OREN 406 et a ordonné que le rapport de cours soit corrigé, mais elle était d’avis que ce présumé échec n’a pas été un facteur déterminant dans la décision du commandant. L’AI a aussi convenu avec le demandeur que l’exercice ESE2 n’a pas été mené en conformité avec la DOAD 5039-6 (Prestation de l’instruction dans les deux langues officielles). Toutefois, elle a noté que l’École a offert au demandeur un tutorat individuel, un observateur dont la première langue officielle était le français, et l’opportunité de lui exprimer dans la langue officielle de son choix. L’AI a expliqué que ni l’échec de l’exercice par le demandeur ni la séquence de l’instruction de l’exercice étaient les motifs principaux de la cessation de son Cours G AERO.

[21] L’AI a procédé à une analyse détaillée de toutes les évaluations de la performance du demandeur dans le cadre de son instruction et l’ensemble des normes applicables au CEP et au commandant. L’AI a conclu que la cause principale de la cessation d’instruction du demandeur était ses manquements répétitifs au niveau des qualités professionnelles et non en raison de sa performance académique. Elle a souligné que le commandant de l’ETGAFC avait l’autorité de retirer un étudiant du cours pour ce motif et que la justification de la décision était claire.

[22] En ce qui concerne les remèdes demandés par le demandeur, l’AI l’a encouragé de visiter le centre des services de santé des FAC et de s’informer des services disponibles après sa libération. L’AI a noté que le demandeur a refusé tous les choix de carrière offerts par l’officier de sélection du personnel de la 8e Escadre en octobre 2019, et que le demandeur ne pouvait pas reprendre le Cours G AERO en 2020-2021 parce qu’il atteindrait l’âge de retraite obligatoire le 4 mai 2021, avant la fin du Cours.

V. Les conclusions et recommandations du Comité externe d’examen des griefs militaires (le Comité)

[23] Le Grief a fait l’objet d’un renvoi discrétionnaire devant le Comité conformément à l’article 29.12 de la LDN.

[24] Le 14 septembre 2021, le Comité a complété son analyse indépendante du Grief et a présenté ses conclusions et recommandations détaillées pour l’examen de l’ADI. Le rapport du Comité a été communiqué au demandeur et il a fourni des commentaires écrits pour donner suite au rapport. Ultimement, le Comité a recommandé que le Grief soit rejeté.

[25] Le Comité a débuté son analyse du Grief en constatant les plaintes de harcèlement déposées par le demandeur. Le Comité a expliqué que ces plaintes étaient à l’examen des FAC et qu’il serait donc prématuré pour le Comité d’examiner les allégations du demandeur.

[26] Le Comité a ensuite présenté un survol des normes de qualification applicables au Cours G AERO, notamment les qualités professionnelles que doivent démontrer les candidats et la méthodologie pour l’évaluation de ces qualités professionnelles. Le Comité a observé que le rapport de cours précisait que le Cours G AERO est la dernière phase de la formation de base des officiers de ce métier et que, pour réussir le Cours, un candidat doit atteindre les normes au niveau académique et au niveau des qualités professionnelles.

[27] Le rapport de cours indique que le demandeur a été retiré du Cours pour des manquements aux qualités professionnelles requises chez un officier de G AERO. Le demandeur a académiquement réussi les OREN 402, 406 et 411 et il a atteint la norme quant à la communication écrite et, avec difficulté, au niveau de la supervision, l’initiative, la responsabilité, l’éthique et les valeurs militaires. En revanche, ses qualités professionnelles démontrées pendant le cours ont été jugées inférieures à la norme quant à : son aptitude à développer l’esprit d’équipe et de travailler avec les autres; la résolution de problèmes et prise de décision; l’efficacité; la communication verbale; l’application des connaissances et compétences professionnelles; la gestion des ressources; et la fiabilité.

[28] Le Comité a examiné les comportements reprochés au demandeur :

L’essai biographique : Le demandeur a été évalué comme ayant un rendement en dessous de la norme pour avoir soumis essentiellement le même essai biographique que l’année précédente, avec les mêmes erreurs de grammaire et de structure pour lesquelles il avait reçu une rétroaction. Le demandeur a répondu qu’il a apporté quelques modifications à l’essai de 2017 et l’a remis en expliquant que sa motivation pour devenir officier G AERO n’a pas changé entre 2017 et 2018. Selon le Comité, le fait que son instructeur a tenu compte du manque d’efforts déployés par le demandeur était approprié. Le plan de formation prévoyait que les candidats devaient appliquer leurs connaissances acquises et le demandeur avait reçu de la rétroaction dont il n’a pas tenu compte.

Le retard au gymnase : Le demandeur est arrivé en retard pour une séance de conditionnement physique, sans avoir averti la chaîne de commandement au préalable. L’instructeur a noté que c’était un rendement inférieur à la norme en fonction de la qualité professionnelle (fiabilité). Le Comité a affirmé que le fait de se présenter en retard est un critère mentionné au plan d’instruction qui démontre un rendement inférieur à la norme.

L’évaluation de l’exercice de fin de stage 1 (ESE1) : Le demandeur était évalué comme ayant un rendement en dessous de la norme pour le premier exercice de fin de stage ESE1. Après avoir identifié les points forts du demandeur en tant que rédacteur, l’instructeur a expliqué qu’une entrevue menée par le demandeur ne s’est pas bien déroulée. Bien que le demandeur a réussi certains aspects de l’exercice, le Comité a conclu qu’il n’a pas réussi à démontrer toutes les qualités professionnelles attendues.

Les évaluations de l’exercice ESE2 : À deux reprises, la performance du demandeur a été évaluée comme inférieure à la norme pour l’ESE2. Alors que le demandeur était le chef d’équipe d’un groupe lors de l’exercice, un premier instructeur a déterminé qu’il avait assigné les tâches « de manière incohérente », et ce sans toutes les assigner tel que requis. Un deuxième instructeur a noté que lors d’une autre partie de l’exercice, le demandeur et son équipe ont failli en soumettant des travaux de piètre qualité ou incomplets en ce qui a trait à 35 % des livrables. Le Comité a estimé que l’évaluation faite de sa performance correspondait aux critères de rendement inférieur à la norme.

[29] Le Comité a conclu que la décision du commandant de l’ETGAFC de cesser la formation de base d’officier de G AERO du demandeur était justifiée. Son dossier d’étudiant démontrait qu’il ne rencontrait pas le standard établi pour certaines qualités professionnelles recherchées et qu’il a reçu suffisamment de rétroaction ciblée et claire au cours de plusieurs mois :

Ces lacunes étaient raisonnablement jugées incompatibles avec l’occupation militaire d’officier de génie aérospatial. En conséquence, un CEP a été convoqué en bonne et due forme selon les politiques applicables. Bien que le plaignant a réussi au niveau académique, les candidats au cours doivent également démontrer qu’ils possèdent les qualités professionnelles requises. Le plan de formation prévoit que des échecs au niveau des qualités professionnelles peuvent justifier la cessation de la formation. Je note également que le plaignant est demeuré membre des FAC jusqu’à l’âge obligatoire de la retraite, tel qu’il demandait. Sans avoir examiné les allégations de harcèlement, discrimination et manquements aux langues officielles qui font l’objet d’autres plaintes en cours d’examen, je conclus que le plaignant a été traité équitablement et en conformité avec les politiques pertinentes quant à la décision de cesser sa formation.

[30] Le Comité a recommandé que l’ADI n’accorde pas au demandeur un redressement.

VI. La décision contestée : La décision de l’ADI

[31] L’ADI a examiné le Grief et le cas du demandeur de novo, expliquant que « toute décision antérieure a été écartée » et qu’il a tranché de nouveau les questions soulevées dans le Grief.

[32] L’ADI a commencé son évaluation du Grief en précisant les évaluations pertinentes du demandeur au cours de sa formation de base des officiers G AERO 2018-2019 :

  1. Le 3 octobre 2018 : Le demandeur a été évalué comme ayant un rendement inférieur à la norme pour un essai biographique soumis en préparation au Cours G AERO.

  2. Le 14 novembre 2018 : Un instructeur a évalué la performance du demandeur comme étant inférieur à la norme parce qu’il est arrivé en retard pour le conditionnement physique en groupe sans permission et sans en informer qui que ce soit.

  3. Le 27 janvier 2019 : Un instructeur a évalué la performance du demandeur dans le cadre du ESE1 comme étant inférieur à la norme parce qu’il n’était pas bien préparé à mener une entrevue.

  4. Le 14 février 2019 : Le demandeur a reçu une Revue de développement du personnel et a été conseillé d’améliorer sa gestion du temps et son habileté à agir indépendamment.

  5. Le 10 avril 2019 : Dans le cadre du ESE2, un instructeur a évalué la performance de demandeur comme étant inférieur à la norme, car les tâches de son équipe ont été jugées mal faites, en retard, ou pas complétées.

  6. Le 15 avril 2019 : Encore dans le cadre de l’ESE2, un deuxième instructeur a jugé son rendement comme étant inférieur à la norme parce qu’il avait de la difficulté avec la charge de travail et la délégation aux membres de son équipe.

  7. Le 6 mai 2019 : Le demandeur a été évalué sur son travail comme membre de l’équipe pour le troisième exercice de fin de stage. L’instructeur a conclu que : [Traduction] « Sa performance globale sur l’exercice était bonne avec une certaine marge de progression. Il devrait être considéré pour un futur rôle de leadership ».

[33] Pour rendre sa décision, l’ADI a dû considérer si les manquements au niveau des qualités professionnelles détaillées ci-dessus justifiaient le retrait du demandeur du Cours G AERO. À cette fin, il a examiné les conclusions et recommandations du Comité et a indiqué qu’il était d’accord avec leur analyse.

[34] Au commencement de son analyse, l’ADI a fait référence aux plaintes de harcèlement déposées par le demandeur en juillet 2020 à l’encontre de deux de ses instructeurs/instructrices. Dans ces plaintes, le demandeur allègue le traitement injuste en raison de présomptions d’âgisme, de racisme, de discrimination et d’abus d’autorité. Puisque les deux plaintes ont été renvoyées au Comité pour obtenir ses recommandations, indépendamment du renvoi de Grief, l’ADI ne les a pas traitées.

[35] J’aborderai l’analyse de l’ADI quant au mérite des allégations du demandeur en profondeur dans le cadre de mon analyse, car le demandeur soulève les mêmes allégations et arguments à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. En guise d’aperçu, les arguments présentés à l’ADI par le demandeur étaient : (a) le rôle des fausses informations dans la décision de mettre fin à sa formation; (b) la déviation des normes d’instruction lors de l’exercice ESE2 (l’absence d’instruction et d’évaluation en français, l’augmentation du niveau de difficulté et l’ordre de la prestation); (c) l’absence d’une progression des mesures administratives justifiant la tenue d’un CEP et la décision du commandant de l’ETGAFC.

[36] L’ADI a conclu que le commandant de l’ETGAFC a justifié sa décision de façon claire et raisonnable. Selon l’ADI, cette décision n’était pas uniquement basée sur les résultats académiques du demandeur. La décision a été plutôt prise en fonction de la nature et de la quantité des manquements du demandeur en matière de qualités professionnelles :

Le CEP a correctement expliqué que la principale raison de leur recommandation de cesser votre instruction était les manquements en matière de qualités professionnelles et non votre performance académique. Je suis d’accord : vous avez eu de nombreuses occasions d’améliorer vos qualités professionnelles au cours de vos années dans les FAC et le CEP a été convoqué conformément aux ODAC [les Ordonnances de la Division aérienne du Canada]. Par conséquent, j’estime, tout comme le Comité, que la décision de cesser votre formation était justifiée et raisonnable dans les circonstances.

VII. Remarques préliminaires

[37] Lors de sa plaidoirie dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur soulève de nombreux arguments qui abordent principalement ses plaintes de harcèlement et d’abus de pouvoir. Ses arguments démontrent sa ferme conviction que les actes délibérés des deux majors nommés dans ses plaintes lui ont irrémédiablement ôté toute possibilité d’obtenir un résultat positif dans le Cours G AERO. Je ne doute aucunement de la sincérité de la conviction du demandeur. Toutefois, la présente demande porte uniquement sur la décision de l’ADI de rejeter le Grief et de confirmer la décision du commandant de l’ETGAFC de mettre fin à la formation du demandeur. La Cour examine les motifs de l’ADI qui justifient sa décision, les contraintes et règlements pertinents, la preuve au Dossier certifié du tribunal (DCT) et les arguments des deux parties. Comme le Comité et l’ADI l’ont souligné, les deux plaintes de harcèlement sont traitées selon un processus d’examen distinct et indépendant. Les arguments du demandeur qui sous-tendent à ses plaintes de harcèlement excèdent le cadre de cette demande de contrôle judiciaire et je ne les considère pas.

[38] En outre, le défendeur soutient que plusieurs paragraphes de l’affidavit du demandeur daté du 7 novembre 2022 contiennent des arguments, des opinions et des spéculations plutôt que des déclarations factuelles, contrairement au paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles). Il prétend également que certains de ces paragraphes excèdent le cadre de la demande en contrôle judiciaire, car ils sont liés aux allégations et plaintes de harcèlement, et que le demandeur tente d'introduire de nouveaux faits qui ne sont pas compris dans le DCT.

[39] Je suis d’accord avec le défendeur. Le demandeur cherche à introduire des faits et les éléments de preuve qui n’étaient pas devant l’ADI et ses opinions sur certains aspects du déroulement du Cours G AERO. Je n’accorde pas de poids ni de valeur probante à ces passages, opinions et/ou nouveaux faits (Richard c Canada (Procureur général), 2023 CF 311 aux para 21, 24 (Richard)).

VIII. Norme de contrôle

[40] La décision de l’ADI, une décision de l’autorité de dernière instance dans le processus de règlement des griefs des FAC, s’examine selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 25 (Vavilov); François c Canada (Procureur général), 2017 CF 154 au para 32; Filizola c Canada (Procureur général), 2021 CF 1368 aux para 42-49 (Filizola); Richard au para 26).

[41] Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle d’une cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). Je dois me demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov au para 99). Je reconnais aussi la jurisprudence de cette Cour qui exige qu’« un degré de déférence élevé doit être accordé à l’ADI lorsqu’elle exerce sa compétence en matière de grief » (Filizola au para 45, citant Bond‑Castelli c Canada (Procureur général), 2020 CF 1155 au para 31).

IX. Analyse

[42] Le demandeur soutient que la décision du commandant de l’ETGAFC est injuste. À son avis, les lacunes identifiées par ses instructeurs dans ses qualités professionnelles n’étaient pas suffisamment sérieuses pour justifier la cessation de son entraînement en tant qu’officier G AERO. Le demandeur estime que l’ADI ne devait pas prendre en compte l’évaluation de son essai biographique et que l’échec prétendu de son cours OREN 406 remet en question les conclusions de ses instructeurs concernant ses manquements aux qualités professionnelles. En outre, le demandeur maintient que le déroulement de la formation ne respectait pas les normes d’équité et d’égalité requises, car certaines activités et évaluations, dont l’ESE2, n’ont été offertes qu’en anglais et dans un ordre désavantageant les étudiants.

[43] Les arguments du demandeur ne me convainquent pas. En effet, le demandeur n‘a pas démontré une ou des erreurs révisables dans les motifs et conclusions de l’ADI. Il réitère plutôt les mêmes arguments contestant la décision du commandant de l’ETGAFC qu’il a soulevé dans son Grief. Ces arguments ont été examinés et rejetés par le commandant de l’ETGAFC, l’AI, le Comité et par l’ADI, le tout conformément à la LDN, et aux normes et directives pertinentes. Essentiellement, le demandeur demande à la Cour de réévaluer la preuve dont l’ADI disposait et d’outrepasser son rôle en matière de contrôle judiciaire (Vavilov au para 125; Richard aux para 32-33). L’analyse de la preuve relève à l’ADI et elle commande la retenue.

[44] La décision de l’ADI a été prise après une analyse exhaustive du dossier du demandeur, y compris les conclusions et recommandations du Comité. L’ADI a abordé les arguments principaux du demandeur en détail, un à la fois, et s’est référée aux observations et évaluations des instructeurs complétées tout au long du cours. L’ADI a constaté que le demandeur a reçu, à plusieurs reprises, des rétroactions sur ses manquements et qu’il a eu de nombreuses occasions d’améliorer sa performance au niveau des qualités professionnelles.

[45] Le demandeur soulève les arguments suivants quant aux conclusions de l’ADI.

[46] Premièrement, le demandeur soutient que l’ADI devait ignorer l’évaluation négative de son essai biographique parce que la date de remise de l’essai précédait le début du Cours G AERO. Bien que l’essai était un élément introductif du Cours, cet élément a été néanmoins obligatoire et assujetti à une évaluation formelle. À mon avis, l’ADI n’a pas erré en le considérant dans sa liste des évaluations problématiques.

[47] Deuxièmement, le demandeur soutient que la décision du commandant de l’ETGAFC a été fondée sur de fausses informations, notamment l’échec du cours OREN 406. Cependant, l’argument du demandeur concernant l’importance de cette erreur et le comportement malhonnête allégué de ses instructeurs n’est aucunement pertinent pour la décision de l’ADI. L’ADI a bien noté l’erreur et a rappelé que l’AI a ordonné la modification du rapport de cours et que le demandeur a signé le rapport de cours modifié le 9 juin 2020. L’ADI a conclu :

Cela dit, je suis d’avis que cet échec présumé n’était pas un facteur déterminant dans la décision de cesser votre formation, étant donné que le CEP a été convoqué en raison du fait que vous n’aviez pas atteint la norme de qualités professionnelles exigées dans le cadre du cours.

[48] En bref, l’argument du demandeur quant à l’OREN 406 ne tient pas compte de la décision de l’AI, la correction de l’erreur, et l’analyse et la conclusion de l’ADI. L’ADI n’a pas fondé sa décision sur de fausses informations et il a conclu que l’erreur ne figurait pas de façon importante ni dans la décision de convoquer le CEP ni dans la décision du commandant de l’ETGAFC. Il a été raisonnable pour l’ADI de ne pas retenir les suspicions du demandeur à l’encontre de ses instructeurs.

[49] Troisièmement, l’ADI a abordé l’argument du demandeur selon lequel le fait pour les instructeurs d’avoir dévié des normes d’instruction a conduit à la cessation de sa formation. Le demandeur soutient que la majorité de l’exercice de la fin de cours ESE2 a eu lieu en anglais, et ce en contravention de la DOAD 5039-6 et des principes d’équité et d’égalité pour les étudiants francophones.

[50] Dans sa décision, l’ADI a reconnu que certaines portions de l’instruction et de l’évaluation de l’exercice de fin d’étape n’ont pas été menées en conformité avec la DOAD 5039-6, mais il a conclu que les difficultés linguistiques n’étaient pas un facteur lié à la décision du commandant de l’ETGAFC de mettre fin à l’instruction du demandeur. De plus, l’ADI a noté les aides linguistiques en place pour fournir au demandeur de l’instruction dans les deux langues officielles, entre autres : l’accès à des enseignants qualifiés dans les deux langues officielles, l’interprétation simultanée et la possibilité d’effectuer des travaux écrits et oraux dans la langue de son choix. L’ADI était convaincu que les ressources linguistiques mises à la disposition du demandeur étaient suffisantes pour soutenir l’instruction dans les deux langues officielles.

[51] Les motifs de l’ADI exposent pourquoi les préoccupations linguistiques du demandeur ne minent pas à la décision du commandant de l’ETGAFC. Le demandeur demande à la Cour d’intervenir parce que l’instruction et l’évaluation de l’ESE2 n’étaient pas conformes à la DOAD 5039-6, mais il ne dispute pas la disponibilité des aides linguistiques énumérées par l’ADI. Il n’a pas non plus démontré une erreur révisable dans la conclusion de l’ADI selon laquelle les difficultés linguistiques n’étaient pas un facteur de la cessation de sa formation, étant donné les évaluations de son rendement qui lui avaient été fournies lors du Cours G AERO.

[52] Le demandeur a soutenu dans ses arguments devant l’ADI que le niveau de difficulté de l'ESE2 a été augmenté par l’instructeur et que la plupart des leçons n’avait pas été enseignée au moment de l’évaluation de l’exercice. L’ADI a conclu que rien n’indique que le niveau de difficulté de l’exercice dépassait les normes d’instruction acceptables et que toutes les équipes ont reçu les mêmes intrants dans cet exercice. Selon l’ADI, le but de l'ESE2 était de renforcer les compétences fondamentales « afin que les stagiaires puissent résoudre des problèmes en adoptant la bonne approche et en appliquant leurs connaissances acquises à des situations non familières ». L’ADI était d’avis que le demandeur a démontré certaines lacunes dans l’exercice parce qu’il n’avait pas été en mesure de comprendre la situation, de prioriser les tâches et de reconnaître les forces de son équipe. L’ordre des leçons n’était pas un facteur important dans la décision du commandant de l’ETGAFC. L’ADI exprime intelligiblement son désaccord avec les préoccupations du demandeur concernant le déroulement de l’ESE2.

[53] Enfin, l’ADI a abordé la question de la progression des mesures administratives pour justifier la tenue d’un CEP et la cessation de l’instruction du demandeur. Après avoir examiné le dossier du demandeur, l’ADI a constaté qu’à la lumière des multiples rétroactions qu’il a reçues, le demandeur avait pris connaissance de ces évaluations. De plus, une revue indépendante a eu lieu le 17 avril 2019, ce qui a conduit au CEP. Selon l’ADI, le CEP a été convoqué conformément aux ordonnances et aux normes de qualification applicables au Cours G AERO :

En effet, un CEP peut avoir lieu s’il y a des lacunes au niveau des qualités professionnelles attendues et, tout au long de la formation, vous étiez tenu de démontrer positivement les qualités professionnelles d’un officier en tant qu’attitudes et attributs. Le commandant de l’ETGAFC a clairement et raisonnablement justifié sa décision et elle n’était pas uniquement basée sur vos résultats académiques, comme vous semblez le percevoir.

[54] Les instructeurs évaluent les qualités professionnelles des candidats tout au long du cours. En l’espèce, il y avait des manquements répétitifs de la part du demandeur qui ont mené à une évaluation indépendante par le CEP. À son tour, le CEP a fourni au commandant de l’ETGAFC une recommandation de mettre fin à sa participation dans le Cours G AERO. L’ADI a observé que la décision du commandant de cesser la formation du demandeur a été prise en fonction de la nature et de la quantité des manquements en matière de qualités professionnelles et non de la performance académique du demandeur. Je ne vois aucune erreur dans l’analyse de l’ADI dans ce contexte.

[55] Les rendements auxquels l’ADI fait référence dans sa décision font partie du DCT. Je reconnais l’argument du demandeur selon lequel les manquements n’étaient pas sérieux et les mentions positives de sa performance parsemées dans son dossier, mais il était loisible à l’ADI de conclure que la série de rendements inférieurs à la norme justifiait la cessation de son instruction au cours par le commandant de l’ETGAFC.

[56] Autrement dit, l’analyse et la décision de l’ADI appartiennent aux issues possibles et acceptables dans les circonstances de ce dossier. L’ADI a expliqué clairement et sans ambiguïté les motifs pour lesquels il a affirmé le rejet du Grief et la cessation de la formation de base des officiers G AERO du demandeur. L’ADI a pris en considération tous les arguments du demandeur. Son analyse de la preuve au dossier qui sous-tend ses conclusions est « intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles [il] est assujetti » (Vavilov au para 85). Ainsi, je conclus que la décision répond amplement aux exigences de la Cour suprême du Canada selon lesquelles une décision administrative est raisonnable si elle est transparente, intelligible, et justifiée (Vavilov aux para 15, 99). Le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer que la décision de l’ADI est déraisonnable.

X. Conclusion et dépens

[57] La demande de contrôle judiciaire du demandeur sera rejetée.

[58] En conformité avec la Règle 303(1), l’intitulé de la cause est modifié de façon à ce que le procureur général du Canada soit désigné comme défendeur.

[59] Bien que la pratique habituelle consiste à adjuger les dépens en faveur de la partie gagnante, la Règle 400 prévoit que la Cour conserve de la discrétion à cet égard. Exerçant cette discrétion, je suis d’avis que le demandeur ne devrait pas être condamné à payer les dépens et aucuns dépens ne seront accordés.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-987-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. L’intitulé de la cause est modifié de façon à ce que le procureur général du Canada soit désigné comme défendeur.

  3. Le tout sans dépens.

« Elizabeth Walker »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-987-22

 

INTITULÉ :

ADAM ALLDOWELL c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 septembre 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 janvier 2024

 

COMPARUTIONS :

Adam Alldowell

 

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Me Dylan Smith

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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