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Date : 20231205


Dossier : IMM-7533-22

Référence : 2023 CF 1641

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2023

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

CHUI LIN SUEN

WAI LIM

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs, Chui Lin Suen et Wai Lim, sont frère et sœur. Arrivés au Canada comme étudiants il y a plus de vingt ans, ils sont restés ici sans statut d’immigration valide. En 2018, ils ont présenté une demande d’asile au Canada, affirmant craindre d’être persécutés à Hong Kong, parce que leur père était emprisonné en Chine en raison de ses croyances religieuses tantriques et de sa sympathie pour le Tibet. Leurs demandes d’asile ont été rejetées par la Section de la protection des réfugiés [la SPR], et ils ont interjeté appel de ce rejet devant la Section d’appel des réfugiés [la SAR]. Cette dernière a fait droit à l’appel et renvoyé l’affaire à la SPR pour nouvelle décision. La SPR a encore une fois refusé leurs demandes d’asile et les demandeurs ont de nouveau fait appel devant la SAR, qui les a déboutés. C’est cette décision de la SAR qui fait l’objet du contrôle judiciaire.

[2] La SAR, comme la SPR, a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi une crainte fondée de persécution ou qu’ils seraient exposés à un risque s’ils retournaient à Hong Kong. Comme la SPR, la SAR a tiré des inférences défavorables en matière de crédibilité en raison des incohérences dans la preuve, de l’insuffisance des éléments corroborants et du dépôt tardif des demandes d’asile au Canada.

[3] Les demandeurs soutiennent que la SAR a entrepris une analyse exagérément minutieuse de la preuve pour trouver des incohérences, qu’elle a déraisonnablement exigé des éléments de preuve corroborants et omis de préciser la raison pour laquelle elle n’acceptait pas leur explication quant au dépôt tardif de leurs demandes d’asile au Canada. Les parties conviennent, tout comme moi, que la décision de la SAR sur ce point est assujettie à la norme de la décision raisonnable.

[4] Je juge que les demandeurs n’ont pas soulevé de lacunes suffisamment graves dans l’analyse que la SAR a faite des incohérences dans la preuve et de l’absence d’éléments corroborants. Cependant, je conviens avec eux que la SAR n’a pas précisé la raison pour laquelle elle n’a pas accepté leur explication concernant le dépôt tardif de leurs demandes d’asile.

[5] Même si je suis d’accord avec les demandeurs sur ce point, je ne crois pas que la question du dépôt tardif puisse justifier le renvoi de l’affaire à la SAR pour nouvelle décision. La conclusion à ce sujet n’était pas cruciale pour la décision finale de la SAR, à savoir que les demandeurs n’avaient pas établi l’existence d’une crainte fondée de persécution. Par conséquent, dans les circonstances de l’espèce, je conclus que de renvoyer l’affaire pour cette raison ne changerait rien à l’issue.

[6] Compte tenu des motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Analyse

A. Dépôt tardif des demandes d’asile

[7] La SAR a énoncé l’explication avancée par les demandeurs pour justifier le dépôt tardif de leurs demandes d’asile : ils s’étaient fait dire qu’ils n’auraient pas gain de cause vu l’absence de preuve étayant leur demande, si bien qu’ils craignaient d’être expulsés et persécutés s’ils attiraient l’attention des autorités canadiennes. La SAR a également fait remarquer que les demandeurs avaient présenté leurs demandes d’asile lorsque l’Agence des services frontaliers du Canada s’est rendu compte qu’ils n’avaient pas de statut d’immigration valide.

[8] La SAR n’a pas précisé pourquoi elle n’acceptait pas l’explication avancée par les demandeurs pour justifier le dépôt tardif de leurs demandes. Elle en a simplement fait mention avant de conclure qu’elle en tirerait une inférence défavorable en matière de crédibilité. Ce n’est pas là une justification suffisante, car aucun raisonnement ne vient préciser pourquoi elle n’a pas accepté l’explication des demandeurs au sujet du retard.

[9] Cependant, je ne crois pas que le défaut de la SAR de fournir une justification sur ce point permette d’infirmer sa décision et de lui renvoyer l’affaire pour nouvelle décision. Comme l’a fait remarquer la SAR et notre Cour à de nombreuses reprises, le retard à présenter une demande d’asile n’est pas déterminant (Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1487 au para 24). En l’espèce, l’inférence défavorable découlant du dépôt tardif des demandes d’asile ne constituait manifestement pas un élément essentiel du raisonnement de la SAR et n’était pas inextricablement liée à l’analyse des raisons pour lesquelles les demandeurs n’avaient pas établi une crainte fondée de persécution à Hong Kong.

B. Incohérences dans la preuve

[10] La SAR a relevé plusieurs incohérences dans la preuve des demandeurs. Les principales tenaient aux différents témoignages qu’ils avaient fournis concernant la date à laquelle leur mère avait été interrogée pour la première fois par les autorités chinoises à propos de l’endroit où ils se trouvaient, et concernant la question de savoir si cette dernière avait renoncé à sa religion ou si elle avait opposé un refus aux autorités chinoises qui lui avaient demandé de le faire. J’ai examiné la transcription des audiences ainsi que les motifs de la SAR; je ne suis pas convaincue par l’argument des demandeurs selon lequel il s’agissait d’incohérences mineures se rapportant à des questions accessoires.

[11] Les différences touchant à ces questions n’étaient pas mineures : soit la mère a renoncé à sa religion, soit elle ne l’a pas fait; elle a été interrogée pour savoir où ils se trouvaient soit quelques mois après l’arrestation de leur père, soit deux à trois ans après. Pour la SAR, une question centrale concernait l’intérêt que les autorités portaient aux demandeurs à Hong Kong vingt ans après l’arrestation de leur père en Chine ainsi que la façon dont les autorités avaient traité leur mère depuis les vingt dernières années à Hong Kong. Il était raisonnablement loisible à la SAR de conclure que la preuve des demandeurs présentait des incohérences sur ces questions. Les demandeurs n’ont pas relevé de lacune suffisamment grave ou fondamentale dans l’analyse de la SAR (Vavilov, aux para 100, 125-126).

[12] Comme la SPR chargée du réexamen avait tenu une audience de novo, l’avocat des demandeurs a soutenu à l’audition de la demande de contrôle judiciaire que la preuve provenant des audiences précédentes n’aurait pas dû être utilisée pour trouver des incohérences. Je ne suis pas d’accord. Comme je l’ai expliqué à l’audition de la demande de contrôle judiciaire, en l’espèce, il n’a pas été statué que le dossier des premières audiences de la SPR ne pouvait pas lui être soumis lors du réexamen; en fait, ce dossier faisait clairement partie des éléments dont elle disposait lors du réexamen. Aucun argument n’a été présenté non plus à la SPR lors du réexamen ni à la SAR ni à moi-même lors du contrôle judiciaire quant à la raison pour laquelle le dossier antérieur contenant les témoignages entendus à l’audience ne devrait pas être soumis à la SPR lors du réexamen.

C. Preuve corroborante

[13] La preuve corroborante déposée en l’espèce était négligeable. Les demandeurs ont soumis quelques lettres de collègues et du frère de leur père confirmant que ce dernier avait été arrêté parce qu’il pratiquait la religion tantrique et qu’il soutenait le Tibet. La SAR a admis que le père des demandeurs avait été arrêté et emprisonné, mais elle a conclu que la preuve n’était pas suffisante pour conclure que les demandeurs seraient exposés à un risque à Hong Kong.

[14] Comme je le mentionne plus haut, l’argument des demandeurs selon lequel leur mère a été interrogée à plusieurs reprises par les autorités en Chine pour savoir où ils se trouvaient était crucial pour leurs demandes d’asile. La SAR a relevé des incohérences dans leur preuve sur ce point, comme je le mentionne plus haut.

[15] La SPR a fait part aux demandeurs de ses réserves quant à la preuve négligeable soumise dans la présente affaire et leur a demandé d’expliquer l’absence de preuve corroborante de la part de leur mère; cette démarche concorde avec l’approche préconisée par notre Cour dans la décision Senadheerage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 968 au paragraphe 36.

[16] Les demandeurs ont expliqué que leur mère n’avait pas fourni d’élément de preuve, parce qu’elle était surveillée par les autorités et que celles-ci pourraient apprendre où ils se trouvent. La SAR, comme la SPR, n’a pas accepté cette explication des demandeurs concernant l’absence de preuve corroborante. Pour la SAR, cette explication contredisait leur preuve selon laquelle leur mère avait envoyé les autres lettres de soutien qu’ils avaient déposées en preuve à la SPR. Il s’agissait là d’une constatation qu’il était raisonnablement loisible à la SAR de faire, compte tenu des explications limitées fournies par les demandeurs. Je ne vois aucune raison de revenir sur la conclusion de la SAR dans les circonstances.

[17] Les parties n’ont pas soulevé de question à certifier et je conviens qu’aucune ne se pose.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7533-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7533-22

 

INTITULÉ :

CHUI LIN SUEN, WAI LIM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1er juin 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 DÉCEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Robert Gertler

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Andrea Mauti

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gertler Law Office

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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