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Date : 20240202


Dossier : IMM-8322-22

Référence : 2024 CF 173

Ottawa (Ontario), le 2 février 2024

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

KUJTIM CANAJ

BRISILDA CANAJ

TEUTA CANAJ

XHESIKA CANAJ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR] qui annule une décision antérieure de la SPR qui leur conférait le statut de réfugié. Se fondant sur l’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], la SPR a conclu que les demandeurs avaient obtenu le statut de réfugié sur le fondement de fausses représentations.

[2] Les demandeurs ont contesté la compétence de la SPR pour annuler leur statut de réfugié, puisqu’ils sont devenus citoyens canadiens avant que leurs fausses représentations ne soient découvertes. Ils soutiennent que la Loi ne s’applique pas à des citoyens canadiens. Ils affirment que si le ministre souhaitait révoquer leur citoyenneté, il aurait dû présenter une demande en vertu de l’article 10 de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29. La SPR a rejeté ces prétentions en se fondant sur la décision rendue par mon collègue le juge Simon Fothergill dans l’affaire Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Zaric, 2015 CF 837, [2016] 1 RCF 407 [Zaric]. La SPR a tranché simultanément l’objection à la compétence et le fond de la demande d’annulation.

[3] Devant notre Cour, les demandeurs soutiennent tout d’abord que la SPR aurait dû statuer sur leur objection à la compétence avant d’entendre le fond de l’affaire. Or, un tribunal administratif comme la SPR est en principe maître de sa propre procédure, sous réserve des dispositions de la Loi et des règlements : Prassad c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 RCS 560 aux pages 568 et 569. Les demandeurs n’ont fait valoir aucune disposition législative ou réglementaire qui obligerait la SPR à statuer sur leur objection à la compétence avant d’entendre le fond de l’affaire. Le fait que d’autres sections de la CISR procèdent habituellement en deux étapes dans certaines catégories d’affaires n’oblige pas la SPR à faire de même. Contrairement à ce qu’affirment les demandeurs, trancher la question de la compétence en même temps que le fond ne prive pas d’effet leur objection à la compétence. Si cette objection est accueillie, la SPR rejettera nécessairement la demande d’annulation. Il est vrai que dans certains cas, procéder en deux étapes peut favoriser l’économie des ressources judiciaires. Cependant, la question de savoir si cet objectif a été atteint dans un cas précis n’est pas un motif de contrôle judiciaire.

[4] Les demandeurs réitèrent ensuite les arguments qu’ils ont fait valoir pour s’opposer à la compétence de la SPR. J’estime qu’ils sont entièrement dépourvus de fondement. Rien dans le libellé de l’article 109 ne permet de croire qu’il ne pourrait s’appliquer à des personnes protégées qui sont devenues citoyennes canadiennes : Zaric, au paragraphe 30. De plus, les demandeurs n’ont fait valoir aucune disposition de la Loi sur la citoyenneté qui obligerait le ministre à rechercher d’abord la révocation de la citoyenneté plutôt que celle de l’asile.

[5] Les demandeurs font valoir qu’il serait illogique de retirer le statut de résident permanent à des citoyens canadiens, puisque, selon l’alinéa 46(1)a) de la Loi, l’octroi de la citoyenneté emporte la perte du statut de résident permanent. Cependant, l’article 109 vise la perte de l’asile et non celle du statut de résident permanent. Les arguments des demandeurs liés à l’article 46 sont donc dénués de fondement. Comme le juge Fothergill le rappelle dans l’affaire Zaric, au paragraphe 31, sur le plan technique, les demandeurs bénéficient toujours de l’asile malgré l’obtention de la citoyenneté canadienne et l’annulation de l’asile demeure une question d’actualité.

[6] De plus, les demandeurs citent hors contexte une décision de la Section d’appel de l’immigration afin de soutenir que la Loi ne s’applique pas aux citoyens canadiens. Cette prétention est directement contredite par la décision Zaric. Même s’il est vrai que dans la plupart des cas, la Loi ne vise pas les citoyens canadiens, ce n’est pas une règle absolue, comme on peut le voir par exemple aux articles 18, 117 ou 148.

[7] Enfin, les demandeurs soutiennent que la SPR n’avait pas compétence pour convoquer un citoyen canadien à une audience, indépendamment de sa compétence pour entendre la demande d’annulation de l’asile conféré à une personne ayant acquis la citoyenneté canadienne par la suite. J’avoue avoir bien du mal à comprendre cette prétention. Si la SPR a compétence pour entendre la demande du ministre en l’espèce, il va de soi qu’elle a compétence pour convoquer les demandeurs à une audience. Ces deux questions ne peuvent pas être indépendantes l’une de l’autre. La prétention des demandeurs concernant le pouvoir de les convoquer à une audience est entièrement dépourvue de fondement.

[8] Dans l’affaire Zaric, le juge Fothergill a certifié une question en vertu du paragraphe 74d) de la Loi, afin que la Cour d’appel fédérale puisse examiner l’affaire. Cependant, un désistement est survenu et la Cour d’appel fédérale n’a pas tranché la question. En l’espèce, les demandeurs ont proposé deux questions à certifier. La première est exactement la question qui avait été certifiée dans l’affaire Zaric. La seconde porte sur la prétendue obligation de la SPR de statuer sur sa compétence avant d’entendre le fond de l’affaire.

[9] Je suis d’avis de ne certifier aucune question. Selon l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Laing, 2021 CAF 194 au paragraphe 11, « [p]our être dûment certifiée, la question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale ».

[10] La première question proposée devrait être reformulée pour refléter les différences entre les arguments présentés par les parties dans l’affaire Zaric et ceux des demandeurs dans le présent dossier. Malgré cela, j’estime que les demandeurs n’ont pas démontré en quoi la question proposée, même si elle était reformulée, a des conséquences importantes ou une portée générale. Même si une question a été certifiée dans l’affaire Zaric, je constate que le juge Fothergill n’a pas précisé les motifs pour lesquels il estimait que les critères applicables étaient satisfaits. Je refuse donc de certifier cette question.

[11] Quant à la deuxième question, le principe selon lequel les tribunaux administratifs sont maîtres de leur propre procédure est bien établi. Il n’y a pas lieu de certifier une question lorsque le droit est bien établi : Mudrak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178 au paragraphe 36.

[12] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée et aucune question ne sera certifiée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-8322-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM-8322-22

 

INTITULÉ :

KUJTIM CANAJ, BRISILDA CANAJ, TEUTA CANAJ, XHESIKA CANAJ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 janvier 2024

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 février 2024

 

COMPARUTIONS :

Stéphane Handfield

 

Pour les demandeurs

 

Daniel Latulippe

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stéphane Handfield

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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