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Date : 20240129


Dossier : IMM-9482-21

Référence : 2024 CF 134

Ottawa (Ontario), le 29 janvier 2024

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

GURPREET SINGH

SUDESH DEVI

MANPREET KAUR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la Section d’appel des réfugiés (« SAR ») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La SAR a rejeté l’appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés (« SPR »), au motif que les demandeurs n’ont pas qualité de réfugiés ni de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 puisqu’il existe une possibilité de refuge intérieur (« PRI ») pour les demandeurs dans les villes de Mumbai et de Delhi en Inde.

[2] Les demandeurs soutiennent que la décision de la SAR n’est pas raisonnable, et ils demandent que la Cour accueille leur demande et annule la décision de la SAR.

[3] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la décision de la SAR est raisonnable et que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

I. Contexte

[4] Les demandeurs, Gurpreet Singh (« le demandeur principal »), Sudesh Devi (« la demanderesse » et l’épouse du demandeur principal), et Manpreet Kaur (la fille de la demanderesse d’un mariage précédent) sont des citoyens de l’Inde. Ils pratiquent la religion sikhe.

[5] Les demandeurs craignent les militants, qui ont reçu l’aide du frère du demandeur, et les autorités, qui croient que le demandeur a des liens avec les militants et des gangsters. Voici le récit des demandeurs.

[6] Le frère du demandeur principal ainsi que le prêtre du temple sikh du village où vivent les demandeurs ont aidé des militants à trouver refuge dans le village. En 2016, la police les a arrêtés et torturés pendant trois jours. Les demandeurs, avec l’aide d’un comité du temple du village, ont soudoyé les autorités afin de libérer le frère et le prêtre. Ensuite, des policiers ont visité, maltraité, et harcelé les demandeurs chez eux, et ont fouillé leur foyer. Des rumeurs couraient que le prêtre a rejoint les rangs des militants.

[7] En février 2017, la police a de nouveau arrêté et torturé le frère du demandeur, croyant qu’il était impliqué avec l’ex-prêtre et les militants dans une explosion. Les demandeurs et le conseil du village ont de nouveau aidé à libérer le frère du demandeur. Après, la police a harcelé le frère du demandeur, et, en avril 2017, il a été appelé au poste de police et battu. En juin 2017, le foyer des demandeurs a été fouillé à nouveau par la police, à la suite de quoi le frère du demandeur a rencontré un avocat afin de discuter de potentielles poursuites contre la police. Avant qu’il n’ait pu donner la preuve documentaire à son avocat, le frère du demandeur a de nouveau été arrêté par la police, mais il a réussi à s’échapper. Depuis, la police harcèle le demandeur principal afin de retrouver son frère, croyant que ce dernier a rejoint les militants.

[8] Le 16 juillet 2017, des policiers ont fouillé la maison des demandeurs et ont emmené l’épouse (la demanderesse) au poste de police, l’ont battue et l’ont violée, et ont questionné le père du demandeur principal et l’ont informé qu’il devrait emmener le demandeur et son frère au poste de police afin que la demanderesse soit relâchée.

[9] Le lendemain, le demandeur s’est présenté au poste de police et son épouse a été relâchée. Le demandeur a été battu, torturé, et questionné concernant ses liens allégués avec les militants, et concernant son frère. Le conseil du village et sa famille ont fait pression et ont soudoyé la police, et le demandeur a été relâché le 21 juillet 2017. Après ces événements, les demandeurs ont été hospitalisés.

[10] À partir du 1er septembre 2017, le demandeur devait se présenter mensuellement au poste de police, mais durant la première semaine d’août 2017 les demandeurs ont décidé de quitter le village pour vivre chez des membres de leur famille à Salwan dans l’état de l’Haryana. Durant la dernière semaine d’août, les demandeurs sont partis pour vivre avec un agent à Delhi, car leur famille avait peur de les héberger. Le père du demandeur principal a été battu lorsque le demandeur ne s’est pas présenté pas au poste de police comme prévu.

[11] Les demandeurs ont obtenu des visas pour le Canada, où ils sont arrivés le 23 janvier 2018, à la suite de quoi ils ont fait une demande d’asile.

[12] La SPR a rejeté la demande d’asile au motif que les demandeurs ont une PRI à Dehli ou Mumbai. Concernant le premier élément de l’analyse d’une PRI, la SPR a déterminé que, bien que les demandeurs aient déposé quelques éléments de preuve à cet effet, ils n’ont pas démontré que les persécuteurs avaient la motivation ou la capacité de retrouver les demandeurs à l’extérieur de leur village natal. Concernant le second élément de l’analyse d’une PRI, la SPR a déterminé que le demandeur principal pourrait trouver du travail à Delhi ou Mumbai, où le punjabi et l’anglais sont parlés, même si le demandeur n’y connaît encore personne, et que les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils y seraient particulièrement à risque de discrimination pour leurs croyances. Dans ses motifs, la SPR a précisé qu’à part quelques allégations concernant une PRI, le récit des demandeurs est crédible.

II. La décision sous contrôle

[13] La SAR a rejeté l’appel des demandeurs et a déterminé que la SPR avait correctement décidé que les demandeurs peuvent bénéficier d’une PRI à Mumbai et à Dehli. La SAR a conclu que les demandeurs n’ont pas établi une possibilité sérieuse de persécution dans ces villes, ou que la police du Pendjab aurait encore la motivation de les chercher à l’extérieur du Pendjab.

[14] La SAR a déterminé que l’affidavit du père du demandeur, indiquant que la police du Pendjab lui aurait rendu visite, n’est pas daté et ne précise pas la date de la visite des policiers; il a donc une faible valeur probante pour démontrer leur intérêt continu à retrouver les demandeurs. De plus, bien que les demandeurs ont témoigné que le père du demandeur a reçu la visite de la police du Pendjab en février ou mars 2020, la SAR a estimé que les demandeurs n’ont pas présenté de preuve démontrant que la police du Pendjab serait encore à leur recherche depuis lors. Par ailleurs, la SAR a déterminé que les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils seraient des personnes d’intérêt pour la police du Pendjab, ou que celle-ci déploierait du temps et des ressources pour les retrouver à Delhi ou à Mumbai.

[15] La SAR a comparé les actions de la police du Pendjab envers les demandeurs à celles qu’elle aurait dû entreprendre dans le respect des dispositions législatives si les demandeurs avaient été des personnes d’intérêt perçues comme ayant des liens avec les militants : la police aurait dû présenter un mandat d’arrestation, les emmener devant un juge dans les 24 h suivant leur arrestation, rédiger un rapport de police contre eux; et par ailleurs, elle pouvait détenir les demandeurs en détention sans accusation jusqu’à 30 jours (ou 180 jours en cas de soupçon de terrorisme ou de menace à la sécurité), et saisir leurs passeports. Puisque la police n’a pas pris ces mesures, la SAR a conclu que la police n’a pas perçu les demandeurs comme des personnes d’intérêt. De plus, et bien que la police ait tenté de retrouver les demandeurs chez les membres de leur famille en 2017, les demandeurs n’ont pas démontré qu’elle aurait visité les membres de leur famille habitant dans d’autres états ou villages depuis le départ des demandeurs.

[16] La SAR a estimé que la preuve documentaire ne démontre pas que la police du Pendjab aurait la capacité de retrouver les demandeurs à l’extérieur du Pendjab, notamment en raison d’un manque de ressources humaines et technologiques, d’une absence de communication entre les corps policiers de différents états (sauf pour « les crimes les plus sérieux »), et du fait que les demandeurs ne sont pas fichés dans la base de données de la police.

[17] La SAR a rejeté l’argument des demandeurs qu’il serait déraisonnable pour eux de s’établir à Mumbai ou à Delhi, notamment parce que la vérification des locataires y est obligatoire, ce qui les mettrait à risque, en raison du fait que les demandeurs ne sont pas fichés dans la base de données de la police. La SAR a estimé que le demandeur principal et son épouse pourraient y trouver du travail, et que la fille du demandeur aurait droit à l’éducation gratuite entre 6 et 14 ans.

[18] Pour tous ces motifs, la SAR a rejeté l’appel des demandeurs. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de cette décision.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[19] La seule question en litige en l’instance est la suivante : la SAR a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs bénéficient d’une PRI à Delhi ou à Mumbai?

[20] Les demandeurs soutiennent que la décision de la SAR est déraisonnable, parce que :

  1. la SAR a commis une erreur en omettant de tenir compte des éléments de preuve selon lesquels ils étaient des personnes d’intérêt pour les autorités;
  2. la SAR a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’ensemble des renseignements sur la capacité de la police à les retrouver en Inde.

[21] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable selon le cadre d’analyse établi dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] Afin de déterminer si une décision est raisonnable, la cour de révision doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi et vérifier si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci (Vavilov au para 85).

IV. Analyse

A. La SAR n’a ignoré aucun élément de preuve concernant l’intérêt continu de la police

[22] Les demandeurs soutiennent que la SAR n’a pas tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve démontrant qu’ils sont toujours des personnes d’intérêt pour la police. Ils font valoir que la SAR a accepté leur récit, qui démontrait l’ampleur du harcèlement et de la violence subis par la police. Bien que la SAR ait remis en question l’affidavit du père parce qu’il n’était pas daté, elle a accepté d’autres éléments de preuve démontrant un intérêt continu de la police à leur égard. En particulier, la SAR a accepté le fait que le père du demandeur lui ait dit que la police s’était rendue à sa maison pour l’interroger sur l’emplacement du demandeur en février ou en mars 2020. Selon les demandeurs, cela prouve qu’ils sont toujours des personnes d’intérêt pour la police, et démontre qu’ils sont à risque même s’ils se rendaient dans les PRI.

[23] Les demandeurs font valoir que les autorités les ont poursuivies en raison de leurs liens perçus avec des militants et qu’ils sont donc toujours à risque. Ils font remarquer que la SAR a accepté les éléments de preuve du demandeur au sujet de l’appel téléphonique avec son père en 2020, trois ans après le début des attaques contre leur famille. Toutefois, la SAR n’a pas reconnu que cela démontrait qu’ils continuaient d’être des personnes d’intérêt pour la police.

[24] De plus, les demandeurs soutiennent que la SAR n’a pas tenu compte de l’incidence de leur retour en Inde sur les membres de leur famille, à savoir qu’ils devraient dissimuler leur emplacement à leur famille afin de les empêcher d’être victimes de harcèlement continu de la part des autorités. Ils affirment que leur situation est semblable aux faits dans l’affaire AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 915 [AB], où la Cour a annulé une conclusion de PRI où la sécurité des demandeurs dépendait de leur clandestinité continue dans les PRI, et où les membres de leur famille devaient « mett[re] leur propre vie en danger en niant leur connaissance du lieu où se trouve un demandeur d’asile, ou en induisant en erreur les agents de persécution » (AB, au para 20, citant Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 93 au para 49).

[25] En ce qui concerne l’intention et la capacité des autorités indiennes de les retrouver dans les PRI, les demandeurs soutiennent que leur situation est semblable à celle décrite dans la décision AB, au paragraphe 24 :

[24] Le fait que les agents de persécution aient eu accès aux membres de la famille, et les aient systématiquement ciblés, pour obtenir des informations sur le lieu où se trouvaient les demandeurs, est un élément pertinent en ce qui concerne la question des moyens. Le fait que le chef soit disposé à utiliser les membres de la famille de la DP pour tenter de retrouver les demandeurs est révélateur de son intention continue et de sa capacité à retrouver les demandeurs s’ils sont renvoyés au Nigéria. La sœur de la DP à Port Harcourt a fui la ville à la suite de la visite du chef, mais la mère de la DP à Abeokuta a reçu la visite du chef à plusieurs reprises.

[26] Compte tenu des menaces, de la violence et du harcèlement continus que la police leur a infligé depuis 2017, ainsi que de la visite de la police à la résidence du père en 2020, les demandeurs soutiennent qu’ils font face à une menace continue dans n’importe quelle PRI en Inde. S’ils sont forcés de retourner dans leur pays, ils devront vivre dans la clandestinité et dissimuler leur lieu de résidence à leurs familles.

[27] Le défendeur fait valoir que l’analyse par la SAR de leur risque continu est raisonnable et fondée sur un examen minutieux des éléments de preuve au dossier. La SAR a raisonnablement tenu compte du profil des demandeurs, faisant remarquer que leur recherche par la police avait été limitée, et qu’ils n’avaient pas été accusés de « crimes graves » et qu’ils ne seraient donc probablement pas poursuivis dans les PRI. La SAR a raisonnablement fait remarquer que l’intérêt principal des autorités était de retrouver le frère du demandeur et le prêtre du village. La SAR a également conclu qu’il n’y avait eu aucune arrestation officielle ou autre procédure judiciaire contre les demandeurs ni aucune condition imposée à leur libération au-delà de la déclaration habituelle à la police. Ils ont été libérés après chaque détention, après le paiement d’un pot-de-vin, et les autorités n’ont pris aucune autre mesure contre eux, comme de saisir leurs passeports.

[28] De plus, le défendeur fait valoir que la SAR a raisonnablement conclu que les éléments de preuve ne démontraient pas des efforts continus de recherche de la part des autorités. Outre la seule visite en 2020, rien n’indiquait que d’autres efforts avaient été déployés pour les retrouver après leur départ pour le Canada. Le défendeur fait valoir que l’absence de preuve d’intérêt continu de la part des autorités distingue le cas des demandeurs de la situation dans l’affaire AB. La SAR a raisonnablement tenu compte des lacunes et des contradictions dans les éléments de preuve des demandeurs (par exemple, le père n’a pas mentionné avoir été battu par la police, ce qui contredit le récit du demandeur).

[29] En résumé, le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement apprécié tous les éléments de preuve dans le cadre d’une analyse détaillée et que sa conclusion était raisonnable.

[30] En ce qui concerne la présente question, les arguments des demandeurs ne me convainquent pas. La décision de la SAR contient une analyse détaillée des éléments de preuve au dossier, et il n’appartient pas à une cour de révision d’apprécier à nouveau les éléments de preuve. La SAR a raisonnablement relevé les faiblesses dans les éléments de preuve des demandeurs, y compris le fait que l’affidavit du père n’était pas daté et qu’il ne précisait pas les dates auxquelles la police se serait rendue à son domicile. Les demandeurs s’appuient sur l’acceptation par la SAR de la déclaration du père lors de l’appel téléphonique de 2020 selon laquelle la police s’était rendue à son domicile. Ils soutiennent que la SAR n’a pas accordé suffisamment de poids à ces éléments de preuve. Il ne s’agit pas d’un motif suffisant pour infirmer la décision. La SAR a accepté ces éléments de preuve, les a appréciés et a conclu qu’ils n’étaient pas suffisants pour démontrer un intérêt continu à poursuivre les demandeurs dans les PRI. Il s’agissait d’une conclusion raisonnable, compte tenu des éléments de preuve dont était saisie la SAR.

[31] Bien que la SAR ait accepté les éléments de preuve selon lesquels les autorités avaient visité la maison du père en 2020, elle a également noté l’absence de preuve de tout autre effort au cours de l’année qui a suivi cet événement. La SAR s’est également raisonnablement concentrée sur la question particulière pertinente à l’évaluation des PRI, soit de savoir si les éléments de preuve démontraient que la police punjabie avait la motivation de dépenser les ressources nécessaires pour rechercher les demandeurs dans les PRI. À cet égard, l’analyse de la SAR est claire et fondée sur les éléments de preuve. Elle n’a trouvé aucun élément de preuve selon lequel la police s’était rendue chez d’autres membres de la famille du demandeur ou de la demanderesse depuis leur départ. Il était raisonnable pour la SAR de conclure que ces éléments de preuve n’étayaient pas l’allégation du demandeur quant au risque continu.

[32] De plus, la SAR a également évalué de façon raisonnable le profil des demandeurs, au regard des éléments de preuve. Elle a fait observer que les autorités n’avaient pas pris les mesures légales nécessaires pour poursuivre les demandeurs ou les garder en détention en vertu de toute disposition de sécurité qui aurait permis une plus longue peine de prison; les autorités n’avaient pas non plus pris d’autres mesures autorisées par la loi en Inde, notamment l’imposition de conditions de libération strictes ou la saisie de leur passeport pour les empêcher de fuir le pays. La SAR a raisonnablement apprécié le fait que les autorités n’aient pas pris l’une ou l’autre de ces mesures dans son évaluation de leur risque futur. Sa conclusion selon laquelle les demandeurs n’avaient pas le profil de personnes soupçonnées de crimes graves ou qu’ils étaient des personnes d’intérêt pour la police est clairement expliquée par les éléments de preuve.

[33] Je conclus que les faits en l’espèce se distinguent de la situation dans l’affaire AB, principalement en raison de l’absence de preuve de menaces et de poursuites continues et constantes. Le fait que le père du demandeur ait été visité une seule fois par la police locale depuis leur départ ne permet pas de conclure que les membres de leur famille seraient menacés par l’ensemble de l’appareil de sécurité partout au pays, ou que les demandeurs devraient vivre dans la clandestinité dans les PRI.

[34] Rien ne justifie d’infirmer la décision pour ce motif.

B. La capacité de la police à retrouver les demandeurs

[35] Les demandeurs contestent la conclusion de la SAR concernant la capacité de la police à les retrouver dans les PRI. La SAR a conclu que les éléments de preuve objectifs démontraient que la police avait une capacité limitée à retrouver des personnes en raison des faiblesses des systèmes de renseignement et du manque de personnel. En outre, la SAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi que leurs renseignements avaient été saisis dans ce système. Les demandeurs soutiennent que cette conclusion est erronée parce qu’elle ne tient pas compte des éléments de preuve les plus récents au sujet des systèmes de localisation de la police.

[36] Les demandeurs mentionnent plusieurs documents figurant dans le cartable national de documentation, y compris ceux sur lesquels s’est appuyée la SAR. Ils font valoir que la SAR a procédé à un examen sélectif de ces éléments de preuve et qu’elle n’a pas mentionné les renseignements les plus récents qui démontrent la portée, l’ampleur et l’efficacité du système.

[37] Les demandeurs ne sont pas d’accord avec la conclusion de la SAR selon laquelle leurs arrestations étaient « extrajudiciaires », et font plutôt valoir que les arrestations étaient arbitraires. La police a pris leurs empreintes digitales et leurs photos, et les a fait signer des feuilles blanches. Le demandeur a été mis en liberté, mais la police a imposé une condition de déclaration hebdomadaire, qu’il n’a pas respectée. Les demandeurs soutiennent que cela démontre qu’ils présentaient un intérêt pour la police et que leurs renseignements se trouvaient dans le CCTNS.

[38] Les demandeurs mentionnent des passages précis du cartable national de documentation qui démontrent des améliorations dans le système de suivi électronique ainsi que le fait que le système comprend maintenant à la fois les « dossiers judiciaires et […] [les] antécédents criminels d’une personne […] ». Ils font valoir que la SAR n’a pas tenu compte de ces éléments de preuve et s’est plutôt appuyée sur un examen sélectif de renseignements désuets.

[39] Le défendeur soutient que l’analyse de la SAR est détaillée et précise, et qu’elle est présumée tenir compte de tous les renseignements au dossier. Le fait qu’elle n’ait pas procédé à un examen ligne par ligne de tous les renseignements contenus dans le cartable national de documentation n’est pas un motif suffisant pour conclure que la décision est déraisonnable.

[40] Je ne suis pas convaincu que l’analyse de la SAR de la capacité de la police à retrouver les demandeurs dans les PRI est déraisonnable.

[41] L’un des aspects clés du raisonnement de la SAR était sa conclusion selon laquelle les arrestations du demandeur étaient « de nature extrajudiciaire ». Les demandeurs ne sont pas d’accord avec cette conclusion, faisant valoir qu’ils ont plutôt été soumis à des arrestations arbitraires, puis à une violence illégale (et que la demanderesse a subi une violence sexuelle) pendant leur détention. Ils soutiennent que les éléments de preuve appuient une conclusion selon laquelle il existerait certains dossiers officiels de leurs arrestations, en particulier parce que le demandeur était tenu de comparaître chaque semaine devant la police après sa libération, et il ne l’a pas fait.

[42] À mon avis, cet argument demande à la Cour d’apprécier à nouveau les éléments de preuve. Il convient de réitérer qu’en vertu de l’arrêt Vavilov, « [i]l est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours doivent s’abstenir “d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur” » (Vavilov au para 125, références omises). Il n’y a pas de « circonstances exceptionnelles » en l’espèce.

[43] De plus, je ne vois aucune raison de remettre en question la conclusion clé de la SAR concernant la capacité de la police à retrouver les demandeurs, à savoir que les éléments de preuve n’ont pas démontré que la police aurait saisi leurs renseignements dans le système électronique. Il s’agissait d’une conclusion qui était loisible à la SAR de tirer, compte tenu des éléments de preuve du demandeur concernant la nature de leurs arrestations et de leurs détentions, et de leur libération après le paiement d’un pot-de-vin.

[44] Je ne suis pas non plus convaincu que l’évaluation de la SAR du cartable national de documentation ait été sélective ou unilatérale au point de la rendre déraisonnable. La SAR est présumée avoir examiné tous les documents; en effet, la décision cite plusieurs des documents sur lesquels se sont appuyés les demandeurs. Dans les observations orales, les demandeurs ont reconnu que les éléments de preuve concernant le système de suivi sont contradictoires, ce qui est précisément la conclusion qu’a tirée la SAR. Le SAR a raisonnablement tenu compte des éléments de preuve du demandeur concernant ses arrestations et ses détentions, et a conclu que les documents sur ces événements n’étaient vraisemblablement pas consignés de façon officielle. Il était loisible à la SAR de tirer cette conclusion.

V. Conclusion

[45] Pour tous les motifs susmentionnés, je ne suis pas convaincu que la décision de la SAR selon laquelle les demandeurs disposent d’une PRI à Mumbai ou à Delhi soit déraisonnable. Les conclusions qui appuient l’analyse de la SAR sont clairement exprimées et sont étayées par les éléments de preuve.

[46] Pour les présents motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[47] Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.


JUGEMENT au dossier IMM-9482-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-9482-21

INTITULÉ :

GURPREET SINGH ET AL et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

via zoom

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 aoÛt 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

LE 29 janvier 2024

COMPARUTIONS :

Me Viken G. Artinian

POUR LES DEMANDEURS

Me Julien Primeau-Lafaille

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Allen & Associés

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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