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Date : 20240207


Dossier : IMM-6568-22

Référence : 2024 CF 201

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Calgary (Alberta), le 7 février 2024

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

NAZANIN GHOLAMI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Nazanin Gholami est une citoyenne iranienne de 33 ans. Elle a présenté une demande de permis d’études le 16 novembre 2021, après avoir été acceptée dans un programme de maîtrise ès arts en leadership à l’Université Trinity Western le 29 septembre 2021. L’époux de la demanderesse prévoyait de la suivre au Canada pour la durée des études envisagées.

[2] Le 30 juin 2022, un agent des visas [l’agent] a rejeté la demande de permis d’études de la demanderesse, ayant conclu que le but de sa visite était incompatible avec un séjour temporaire et que la demanderesse n’avait pas de liens familiaux importants à l’extérieur du Canada [la décision].

[3] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision. Pour les motifs qui suivent, je rejette la demande.

II. Question préliminaire

[4] Conformément au paragraphe 5(2) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22; au paragraphe 4(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27; et à l’alinéa 76a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, le nom du défendeur est modifié et devient le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

III. Questions à trancher et norme de contrôle

[5] La demanderesse soutient que l’agent a manqué à l’équité procédurale et que la décision était déraisonnable.

[6] La norme de contrôle applicable par défaut à l’examen du bien-fondé de la décision est celle de la décision raisonnable, et les circonstances de l’espèce ne justifient pas que l’on déroge à cette norme, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[7] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle empreinte de déférence, mais rigoureuse : Vavilov aux para 12-13. La cour de révision doit déterminer si la décision faisant l’objet du contrôle, tant son raisonnement que son résultat, est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov au para 15. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov au para 85. Le caractère raisonnable d’une décision dépend du contexte administratif pertinent, du dossier dont disposait le décideur et des répercussions de la décision sur la partie visée par ses conséquences : Vavilov aux para 88-90, 94 et 133-135.

[8] Pour qu’une décision soit déraisonnable, le demandeur doit prouver que la décision comporte des lacunes suffisamment capitales ou importantes : Vavilov au para 100. Ce ne sont pas toutes les erreurs ou tous les doutes relatifs à une décision qui justifient une intervention. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait le décideur et de modifier ses conclusions de fait, à moins de circonstances exceptionnelles : Vavilov au para 125. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ni constituer une « erreur mineure » : Vavilov au para 100.

[9] Concernant l’équité procédurale, comme l’avance le défendeur, la norme de contrôle applicable à l’équité procédurale équivaut à la norme de la décision correcte, c’est-à-dire qu’elle exige que la Cour examine si la procédure suivie était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54.

IV. Analyse

[10] La demanderesse ne s’est pas présentée à l’audience et a demandé à la Cour d’examiner ses observations écrites, ce que j’ai fait.

A. L’agent n’a pas manqué à l’obligation d’équité procédurale

[11] La demanderesse soutient qu’elle aurait dû avoir la possibilité de répondre aux conclusions de l’agent, et que le fait qu’on ne lui ait pas offert cette possibilité constitue un manquement à l’obligation d’équité procédurale.

[12] Je rejette les arguments de la demanderesse.

[13] L’obligation d’équité procédurale dont doivent s’acquitter les agents des visas se situe au bas de l’échelle : Zamor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 479 au para 15. Il incombe à la demanderesse de prouver qu’elle quittera le Canada au terme de son séjour autorisé.

[14] Comme l’a confirmé la Cour, lorsque les réserves de l’agent « découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, l’agent des visas n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre » : Hajiyeva c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 71 au para 8, citant Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283 au para 24.

[15] En l’espèce, je conclus que l’agent n’était pas tenu d’informer la demanderesse de ses réserves puisqu’elles portaient sur le caractère suffisant des éléments de preuve de la demanderesse.

B. La décision était raisonnable

[16] Bien que la demanderesse avance plusieurs arguments pour contester le caractère raisonnable de la décision, la plupart ne concordent pas avec les motifs de l’agent exposés dans les notes du Système mondial de gestion des cas [SMGC]. Il semble que la demanderesse se soit appuyée sur des modèles d’observations créés par des avocats, qui peuvent s’appliquer ou non en l’espèce.

[17] Je vais examiner ci-dessous les deux points principaux qui ressortent de la myriade d’arguments avancés :

  • a.La demanderesse conteste la conclusion de l’agent selon laquelle le programme de maîtrise qu’elle a choisi est un projet redondant et ne semble pas s’inscrire dans une progression logique de sa carrière. La demanderesse avance également que l’agent a commis une erreur en concluant que son emploi et ses études antérieurs étaient incompatibles avec son cheminement professionnel.

  • b.La demanderesse avance que l’agent a commis une erreur en basant son rejet sur l’absence de liens avec l’Iran et qu’il n’a pas justifié cette conclusion.

i. But du programme de maîtrise

[18] La demanderesse a précédemment obtenu deux diplômes en Iran, un baccalauréat en architecture et urbanisme et une maîtrise en génie architectural. Elle travaille actuellement comme cheffe de projet pour Boozhgan Architecture Sudio [Boozhgan].

[19] Dans son plan d’études, la demanderesse indique que le programme de maîtrise profiterait à sa carrière en architecture et elle souligne l’importance des compétences en leadership dans le domaine de l’architecture, ainsi que sa promotion au poste d’assistante du DG au sein de l’entreprise Boozhgan une fois ses études terminées.

[20] L’agent note que les études envisagées par la demanderesse ne lui seraient pas avantageuses, compte tenu de son parcours universitaire et professionnel. Dans les notes du SMGC, l’agent conclut :

[traduction]

« Les études antérieures de la cliente étaient dans un autre domaine. Les précédents de la cliente en matière d’emploi et d’études démontrent une incompatibilité quant à son cheminement professionnel. La cliente a déjà réalisé des études d’un même niveau académique que celles envisagées au Canada. Compte tenu des études antérieures et de la carrière actuelle de la DP, le programme envisagé est un projet redondant et ne semble pas s’inscrire dans une progression logique de sa carrière. Études antérieures sont une maîtrise en architecture. Travaille actuellement comme cheffe de projet. Selon moi, la DP ne démontre pas de manière convaincante que le programme d’éducation internationale serait avantageux. »

[21] La demanderesse avance que ses diplômes antérieurs étaient en architecture et que, comme elle ambitionne d’obtenir un poste de gestionnaire plus élevé, elle a besoin d’acquérir des connaissances en leadership. Par conséquent, la demanderesse affirme que le programme d’études envisagé est fondé sur ses objectifs professionnels et non pas nécessairement sur son niveau d’éducation. La demanderesse soutient également que son parcours scolaire et professionnel est logique : elle est titulaire de diplômes en architecture et travaille dans un cabinet d’architecture. La demanderesse répète que les études envisagées en leadership lui permettront d’obtenir sa promotion au poste d’assistante du DG. La demanderesse conteste la conclusion de l’agent selon laquelle le programme d’études envisagé était à la fois sans rapport avec son domaine et redondant.

[22] J’estime que les observations de la demanderesse ne sont pas fondées. Je suis d’accord avec le défendeur lorsqu’il souligne qu’il n’y a pas d’élément de preuve qui étaye que la promotion au poste d’assistante du DG dépendait de l’obtention de la maîtrise envisagée, comme l’affirmait la demanderesse. Bien que la lettre d’autorisation d’absence de Boozghan reconnaisse que la demanderesse veut faire des études au Canada, le document se limite à cette information. Qui plus est, ni l’offre d’emploi ni la lettre d’autorisation d’absence ne mentionnent qu’une promotion tient à une quelconque exigence envers la demanderesse qu’elle obtienne un diplôme supplémentaire.

[23] En l’absence d’éléments de preuve attestant la nécessité pour la demanderesse d’obtenir un diplôme supplémentaire afin d’avoir la promotion, il était raisonnable que l’agent conclue que le programme envisagé était un [traduction] « projet redondant » et ne s’inscrit pas dans une [traduction] « progression logique » de la carrière de la demanderesse.

ii. Liens familiaux et autres

[24] Dans les notes du SMGC, l’agent fait la remarque suivante :

[traduction]

« La DP voyage avec son époux, je crains que ses liens avec l’Iran ne soient pas assez forts pour motiver un départ du Canada. Les liens avec l’Iran sont fragilisés par le voyage au Canada prévu par la cliente puisque le voyage inclut sa famille proche; la motivation de retourner sera affaiblie par le fait que la famille proche de la demanderesse vive avec elle au Canada. »

[25] La demanderesse avance que l’agent a commis une erreur en basant son rejet sur l’absence de liens avec l’Iran et qu’il n’a pas justifié cette conclusion. La demanderesse affirme au contraire qu’elle a fourni des éléments de preuve démontrant ses liens familiaux et économiques avec l’Iran. Ces éléments de preuve comportaient le formulaire Informations sur la famille, le plan d’études, les actifs financiers, l’annonce de la promotion, la lettre d’autorisation d’absence, ainsi que des preuves de l’emploi occupé par son époux et de son retour attendu pour travailler en Iran. La demanderesse soutient que devant tous les éléments de preuve, l’agent a commis une erreur en concluant qu’elle avait davantage de liens avec le Canada.

[26] Je ne suis pas convaincue par l’observation de la demanderesse.

[27] Tout d’abord, la jurisprudence confirme que les agents des visas ne sont pas tenus de fournir des motifs exhaustifs pour que leurs décisions soient raisonnables, étant donné le grand volume de décisions qu’ils rendent : Nimely c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 282 aux para 6-7.

[28] De plus, lors de l’évaluation des liens, il est pertinent de prendre en compte le fait que la famille d’un demandeur veuille l’accompagner au Canada, bien qu’il faille considérer cette conclusion en regard des autres éléments de preuve qui concernent la motivation du demandeur pour retourner dans son pays de résidence à la fin de son séjour : Vahdati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1083 au para 10; Shahrezaei v. Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 499 aux para 18-20; Sayyar v Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 494 aux para 15-16; et Jafari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 183 aux para 18-20.

[29] Dans la décision Hajiyeva au paragraphe 5, le juge Diner a statué qu’il était loisible à l’agent de conclure que le témoignage et les documents à l’appui présentés par la demanderesse n’étaient pas suffisants pour démontrer qu’elle quitterait le Canada à la fin de sa période d’études, étant donné le fait que la famille proche de la demanderesse prévoyait de l’accompagner au Canada.

[30] Je tire la même conclusion en l’espèce. Compte tenu du projet de l’époux de la demanderesse de l’accompagner au Canada et de la conclusion de l’agent concernant le caractère redondant du programme d’études, il était loisible à l’agent de conclure que la demanderesse n’a pas démontré de manière convaincante qu’elle quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Si la demanderesse conteste l’appréciation que l’agent a faite des éléments de preuve, elle ne met en évidence aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision.

[31] La demanderesse invoque plusieurs décisions pour démontrer que la conclusion de l’agent quant à la question des liens familiaux n’est pas fondée sur les éléments de preuve dont il dispose et est par conséquent déraisonnable. J’estime qu’il y a lieu d’établir une distinction entre les décisions invoquées et l’espèce sur le plan des faits, et que la conclusion de l’agent était raisonnablement étayée par les éléments de preuve fournis par la demanderesse.

V. Conclusion

[32] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[33] Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6568-22

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Le nom du défendeur est modifié et devient le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Avvy Yao-Yao Go »

Juge


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6568-22

 

INTITULÉ :

NAZANIN GHOLAMI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 JANVIER 2024

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 7 FÉVRIER 2024

 

COMPARUTIONS :

Brad Gotkin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shirin Taghavikhansari

Taghavi Law Professional Corporation

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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