Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20240212


Dossier : T-1773-22

Référence : 2024 CF 112

Ottawa (Ontario), le 12 février 2024

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

VILLE DE LAVAL

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Ville de Laval demande le contrôle judiciaire de la décision de Services publics et Approvisionnement Canada [Services publics] du 3 août 2022 [la Décision], ayant refusé de lui verser le paiement en remplacement d’impôts relativement à une contribution aux fins de parc que le gouvernement du Canada refuse de payer, en lien avec le projet du Centre de surveillance de l’immigration de Laval [Centre de surveillance].

[2] Le présent dossier réfère particulièrement aux quatre concepts suivants : (1) l’immunité de la Couronne fédérale en vertu de l’article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867 (R-U), 30 & 31 Vict, c 3 [Loi constitutionnelle de 1867]; (2) l’immunité interjuridictionnelle selon la règle de l'exclusivité des compétences de la Couronne fédérale; (3) le programme des paiements versés en remplacement d’impôts [PERI] prévu par la Loi sur les paiements versés en remplacement d’impôts, LRC 1985, c M-13 [Loi sur les PERI] et administré par Services publics; et (4) la contribution aux fins de parc découlant de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, RLRQ c A-19.1 [Loi sur l’aménagement] et dans ce cas-ci, des règlements adoptés par Ville de Laval, soit le Règlement de lotissement de la Ville de Laval (L-9500) [Règlement L-9500] et le Règlement L-2000 concernant l'aménagement du territoire, le zonage, l'usage des bâtiments et des terrains et les plans d'implantation et d'intégration architecturale dans la Ville de Laval [Règlement L-2000].

[3] À titre de contexte, notons que le gouvernement du Canada est propriétaire de certains terrains situés à Ville de Laval et que vers 2017, il planifie d’y bâtir le Centre de surveillance. L’assujettissement du projet de Centre de surveillance au versement d’une contribution aux fins de parc est rapidement mentionné dans le cadre des discussions entre le gouvernement du Canada et Ville de Laval. Cependant, dès le 1er août 2017, le représentant de Services publics invoque l'immunité interjuridictionnelle selon la règle de l'exclusivité des compétences en lien avec les questions de zonage, de lotissement et de conformité aux règlements municipaux et il indique à Ville de Laval que les règlements municipaux sont inapplicables, Sa Majesté ayant la compétence exclusive pour légiférer sur ses propriétés (Pièce AF-1 de l’affidavit d’Annie Filion, Dossier modifié de la Demanderesse aux pp 80-81). En somme, Services publics indique alors à Ville de Laval que le gouvernement du Canada n’est pas tenu de payer la contribution aux fins de parc, invoquant l’immunité interjuridictionnelle précitée.

[4] Entre janvier 2019 et le printemps 2020, des rencontres ont lieu entre des représentants de Services publics et des représentants de Ville de Laval. Ces derniers traitent de nouveau de la contribution aux fins de parc; ils informent les représentants de Services publics que la délivrance d’un permis de construction ou de lotissement est, lorsqu’applicable, assujettie à une telle contribution correspondant à 10% de la valeur du terrain visé par le projet et que c’est Ville de Laval qui attribue alors la valeur au terrain. Services publics réitère alors que le gouvernement du Canada n’est pas tenu de payer la contribution aux fins de parc (Affidavit de Maxime Larochelle; Dossier modifié de la Demanderesse à la p 173).

[5] Le 21 décembre 2021, Ville de Laval dépose une demande de PERI auprès de Services publics en vertu de l’alinéa 3(1)a) de la Loi sur les PERI pour récupérer le montant de la contribution aux fins de parc que le gouvernement du Canada ne paie pas, soit quelque 2.6 millions de dollars [la Demande de paiement]. Au paragraphe 13 de son Mémoire modifié des faits et du droit, Ville de Laval souligne alors savoir qu’elle doit démontrer que les critères de la Loi sur les PERI sont satisfaits et croire alors fermement que le gouvernement du Canada ne remet pas en question l’existence d’immunités constitutionnelles faisant en sorte que la contribution aux fins de parc ne peut lui être réclamée directement.

[6] Le 6 avril 2022, Services publics informe Ville de Laval que la Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux [Ministre] n’a pas, en vertu de la Loi sur les PERI, l’autorité requise pour verser un paiement pour la demande telle que présentée. Services publics offre alors à Ville de Laval la possibilité de lui fournir tout détail additionnel qui pourrait affecter son analyse de la Demande de paiement avant de prendre une décision finale.

[7] Le 3 juin 2022, Ville de Laval répond et souligne à Services publics que la Ministre a non seulement l’autorité, mais qu’elle a l’obligation de lui verser un paiement en remplacement de la contribution aux fins de parc puisque cette dernière répond à la définition d’impôt foncier prévue dans la Loi sur les PERI, citant Halifax (Regional Municipality) c Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2012 CSC 29 au para 2 [Halifax]. Ville de Laval souligne alors que les contributions aux fins de parc sont levées par Ville de Laval; qu’elles sont imposées sur les immeubles ou biens réels d’une catégorie donnée; que les propriétaires y sont assujettis et qu’elles sont calculées par application d’un taux à la valeur fiscale des propriétés imposables. Ville de Laval ajoute alors que l’esprit et la lettre de la Loi sur les PERI soutiennent la conclusion que la contribution aux fins de parc doit donner lieu à ce versement, citant les décisions Montréal (Ville) c Administration portuaire de Montréal, 2010 CSC 14 au para 12 [Administration portuaire de Montréal] et Montréal (Ville) c Société du Vieux-Port de Montréal Inc, 2021 CF 806 aux para 183, 186, conf par 2023 CAF 126 [Société du Vieux-Port de Montréal].

[8] Ultimement, le 3 août 2022, Services publics rend la Décision et refuse la Demande de paiement présentée par Ville de Laval. Services publics détermine que la demande de Ville de Laval ne peut faire l’objet de paiement dans le cadre du régime des PERI et fournit les cinq explications suivantes:

  • La contribution aux fins de parc n’est pas un impôt foncier tel que prévu dans la Loi sur les PERI à l’alinéa 3(1)a) et elle n’entre pas non plus dans la définition d’un impôt de façade ou sur la superficie prévue à l’alinéa 3(1)b). La Ministre n’a donc pas l’autorité requise pour effectuer le paiement demandé par Ville de Laval;

  • La contribution aux fins de parc a été qualifiée à l’article 117.16 de la Loi sur l’aménagement et elle n’est ni une taxe, ni une compensation, ni un mode de tarification. Il semble que ce soit un frais afférent et surtout préalable à l’obtention d’un permis quelconque. Le programme des PERI ne s’occupe pas de construction ni de lotissement. En conséquence, la Ministre n’a pas l’autorité nécessaire, dans le cadre du programme des PERI, pour payer ce genre de contribution;

  • Le fait que le propriétaire ait possiblement le choix de céder une partie du terrain ou de verser une somme monétaire semble démontrer que ce type de contribution va à l’encontre de la définition de la Loi sur les PERI;

  • La jurisprudence appuie la position du programme des PERI, que la contribution aux fins de parc ne représente pas une taxe, référant aux paragraphes 29 et 30 de la décision de la Cour d’appel du Québec dans Québec (Ville de) c Société immobilière du Québec, 2013 QCCA 305 [Société immobilière du Québec];

  • La Loi sur l’aménagement définit le pouvoir accordé aux municipalités en matière de contribution aux fins de parc. Ce frais de parc est en fait une contribution unique, exigible au moment d’une demande de permis de lotissement ou de construction.

[9] Ville de Laval demande donc le contrôle judiciaire de la Décision.

[10] Au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, Ville de Laval avance que (1) l’utilisation que fait Services publics de l’article 117.16 de la Loi sur l’aménagement est illogique et indéfendable; (2) le recours à l’arrêt de la Cour d’appel du Québec dans Société immobilière du Québec est illogique et indéfendable; (3) les motifs invoqués par Services publics dans la Décision sont illogiques et indéfendables puisque (a) la contribution aux fins de parc est bien un impôt foncier tel que défini à la Loi sur les PERI; (b) les caractéristiques notées par le décideur (l’application dans un contexte de construction ou de lotissement, l’application dans le contexte de permis et la contribution unique), pour distinguer la contribution aux fins de parc des PERI ne trouvent aucune assise dans la Loi sur les PERI; et (c) selon les règlements de Ville de Laval, ce n’est pas le propriétaire qui choisit de payer par cession de terrain ou par le versement d’une somme d’argent, mais le Comité exécutif de Ville de Laval, faisant en sorte que la Décision est erronée.

[11] Ville de Laval ajoute qu’il est déraisonnable pour la Ministre de conclure que les contributions aux fins de parc ne donnent pas lieu à des PERI. Elle soutient que lesdites contributions se qualifient comme un impôt foncier au sens de la Loi sur les PERI puisque (1) elles sont un prélèvement que Ville de Laval opère sur les biens immeubles de citoyens afin de subvenir à certaines de ses dépenses publiques; (2) elles sont levées par Ville de Laval; (3) elles sont imposées sur les immeubles ou biens réels d’une catégorie donnée; (4) les propriétaires y sont assujettis; et (5) elles sont calculées par application d’un taux (10%) à la valeur fiscale des propriétés imposables.

[12] Le Procureur général du Canada [PGC], défendeur, confirme d’abord que le refus du gouvernement du Canada de payer la contribution aux fins de parc s’appuie sur l’immunité interjuridictionnelle de la Couronne fédérale et non pas sur l’immunité fiscale de l’article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867. Le PGC souligne que les parties sont d’ailleurs engagées dans un litige devant la Cour supérieure du Québec à cet égard. Le PGC répond que la Décision est raisonnable puisqu’il est raisonnable pour Services publics de conclure que la contribution aux fins de parc n’est pas une taxe; et qu’à tout évènement, si la contribution aux fins de parc est une taxe, elle n’est pas un impôt foncier. Le PGC ajoute qu’il est raisonnable pour Services publics de conclure que la Ministre n’a pas l’autorité requise pour effectuer le paiement demandé.

[13] Pour les raisons détaillées ci-dessous, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire. En bref, Ville de Laval n’a pas démontré qu’il est déraisonnable pour Services publics de s’appuyer sur le texte clair de l’article 117.16 de la Loi sur l’aménagement, et sur la décision de la Cour d’appel du Québec dans Société immobilière du Québec, pour conclure que la Ministre n’a pas l’autorité nécessaire pour émettre un PERI.

[14] En effet, je note d’abord que la Loi sur les PERI vise, pour les fins de la présente, l’impôt foncier. Je note au surplus que Ville de Laval a confirmé qu’un impôt foncier est une taxe. Or, la Loi sur l’aménagement prévoit spécifiquement que la contribution aux fins de parc n’est pas une taxe et la Cour d’appel du Québec dans Société immobilière du Québec confirme cette disposition. Services publics n’a d’ailleurs pas invoqué l’immunité fiscale constitutionnelle relative à la taxation (art 125 de la Loi constitutionnelle de 1867) précisément pour ce motif.

[15] Ainsi, si la contribution aux fins de parc n’est pas une taxe, et puisqu’il est admis que l’impôt foncier est une taxe, il n’est pas déraisonnable de conclure, comme l’a fait le décideur, que la contribution aux fins de parc n’est pas un impôt foncier au sens de la Loi sur les PERI.

[16] Je constate par ailleurs que dans sa Décision, Services publics a erronément indiqué que le propriétaire pouvait choisir de verser la contribution aux fins de parc par une cession de terrains ou par un versement en argent. Cependant, cette erreur n’est pas fatale et ne justifie pas l’intervention de la Cour.

II. Analyse

A. Norme de contrôle

[17] Je suis d’accord avec les parties que la Décision doit être contrôlée à l’aune de la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 25 [Vavilov]). En analysant le caractère raisonnable d’une décision, une cour de révision « doit d’abord examiner les motifs donnés avec une ‘attention respectueuse’, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion » (Vavilov au para 84). De plus, « [u]ne décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). La norme de la décision raisonnable exige donc de la cour de révision qu’elle fasse preuve de déférence (Vavilov au para 85). Ainsi, la cour de révision doit tenir compte des contraintes factuelles et juridiques auxquelles le décideur est assujetti mais éviter d’apprécier à nouveau la preuve considérée par le décideur (Vavilov au para 125).

[18] En l’instance, la Cour doit déterminer si Ville de Laval a démontré, tel que son fardeau l’exige, que la Décision de refuser de lui verser un PERI est déraisonnable.

B. Discussion

[19] Aux termes de l’article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867, les propriétés appartenant à la Couronne fédérale jouissent d’une immunité fiscale constitutionnelle et le régime légal de taxation des villes ou municipalités ne leur est pas applicable. Tel que mentionné plus haut, l’article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit que « [n]ulle terre ou propriété appartenant au Canada ou à aucune province en particulier ne sera sujette à la taxation ».

[20] Cependant, reconnaissant l’importance des services offerts par les autorités municipales à ses propriétés et par « souci d’équité, le Parlement a instauré un programme de paiements discrétionnaires versés aux provinces et aux municipalités en remplacement d’impôts » (Halifax au para 2). Ainsi, la Ministre « a le pouvoir discrétionnaire de verser ces paiements et d’en fixer le montant » (Halifax au para 2) par le biais de la Loi sur les PERI.

[21] En conséquence, selon le paragraphe 3(1) de la Loi sur les PERI, la Ministre peut, pour toute propriété fédérale située sur le territoire où une autorité taxatrice est habilitée à lever et à percevoir l’un ou l’autre des impôts mentionnés aux alinéas 3(1)a) et 3(1)b), et sur réception d’une demande à cet effet établie en la forme qu’il a fixée ou approuvée, verser sur le Trésor un paiement à l’autorité taxatrice. L’alinéa 3(1)a) de la Loi sur les PERI prévoit le remplacement de l’impôt foncier pour une année d’imposition donnée et l’alinéa 3(1)b) prévoit quant à lui le remplacement de l’impôt sur la façade ou sur la superficie.

[22] Le programme des PERI découle de, et est directement lié à, l’immunité fiscale prévue à l’article 125 de la Loi Constitutionnelle de 1867. La jurisprudence confirme ce lien sans équivoque. En effet, aux paragraphes 12 et suivants de la décision Administration portuaire de Montréal, la Cour Suprême du Canada décrit les immunités fiscales applicables aux biens gouvernementaux selon l’article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867 et décrit ensuite le régime d’indemnisation créé par le gouvernement fédéral en faveur des municipalités canadiennes, résultant de la volonté que ses administrateurs et ses mandataires agissent comme de bons résidents de la municipalité où se trouvent des propriétés fédérales. Au paragraphe 15 de la même décision, la Cour Suprême note particulièrement que, pour réaliser l’objectif que ses mandataires agissent comme de bons résidents de la municipalité où se trouvent des propriétés fédérales, « le gouvernement fédéral a graduellement établi un système de paiements remplaçant les taxes que les municipalités canadiennes perçoivent habituellement de leurs contribuables » [soulignement ajouté].

[23] Citant la décision Administration portuaire de Montréal aux paragraphes 13 et14 ainsi que celle de notre Cour dans Chelsea (Municipalité) c Canada (Procureur général), 2023 CF 103 au paragraphe 7, mon collègue le juge Guy Régimbald, dans sa décision Procureur général du Canada c Aéroports de Montréal, 2023 CF 1562 au paragraphe 10, souligne que :

[10] Afin de reconnaître et de contribuer aux services fournis par les municipalités, le Parlement a adopté en 1951 un régime prévoyant le versement juste et équitable de montants « en remplacement d’impôts » ou « en lieu de taxes » aux autorités taxatrices, sans abandonner l’immunité fiscale de la Couronne. Il s’agissait d’une façon de compenser les municipalités pour leurs services en payant, sur une base volontaire, ce qui fut appelé des « en lieu de taxe » […].

[24] Il ajoute au paragraphe 12 de la même décision que :

[12] La Loi sur les PERI permet donc à SPAC de verser à une autorité taxatrice un PERI pour une année d’imposition donnée pour toute propriété fédérale située sur le territoire de cette autorité taxatrice. Il s’agit donc d’une façon alternative de percevoir un montant équivalent à des taxes municipales.

[25] Ces propos sont aussi énoncés dans la décision Société du Vieux-Port de Montréal aux paragraphes 2 et 23. Au paragraphe 23, le juge Peter G. Pamel reprend les propos du juge Lebel dans la décision Administration portuaire de Montréal au paragraphe 20 et souligne notamment que :

[23] […]

[20] […]. La LPRI veut ainsi concilier des objectifs différents — l’équité fiscale envers les municipalités et la préservation de l’immunité fiscale constitutionnelle — dont la réalisation exige le maintien d’un pouvoir discrétionnaire administratif encadré en ce qui concerne la fixation des paiements de remplacement. […]

[Souligné dans l’original.]

[26] Il est donc clair que le programme des PERI (1) découle de l’impact de l’immunité fiscale de la Couronne fédérale en vertu de l’article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867; et (2) qu’il est destiné à remplacer des taxes municipales prenant ici la forme, notamment, d’un impôt foncier (real property tax dans la version anglaise) de la Loi sur les PERI.

[27] Or, en lien avec le premier point, le PGC a confirmé, lors de l’audience de la présente demande, que son refus de payer la contribution aux fins de parc ne s’appuyait pas sur l’immunité fiscale prévue à l’article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867, mais sur une autre immunité, l’immunité interjuridictionnelle. Selon les représentations des parties, la question de savoir si cette immunité interjuridictionnelle peut être valablement invoquée fait l’objet d’un litige entre elles devant la Cour supérieure du Québec.

[28] Cependant, si la Couronne n’invoque pas l’immunité qui a engendré l’adoption du programme des PERI parce que la contribution aux fins de parc n’est pas une taxe, il semble raisonnable de conclure que ledit programme ne peut trouver application et que la Ville de Laval ne peut recevoir de paiement. Ceci étant dit, le décideur ne s’est pas prononcé sur cette question en particulier et je n’en dirai donc pas plus sur ce sujet.

[29] En lien avec le deuxième point, il s’agit de déterminer s’il est raisonnable pour le décideur de conclure que la contribution aux fins de parc découlant de la Loi sur l’aménagement, loi adoptée par le législateur québécois, n’est pas un impôt foncier tel que défini dans la Loi sur les PERI, terme auquel la jurisprudence précitée réfère aussi d’ailleurs régulièrement comme une « taxe municipale ». Lors de l’audience de la présente demande de contrôle judiciaire, et tel que mentionné plus haut, Ville de Laval a d’ailleurs confirmé qu’un impôt foncier est effectivement une taxe.

[30] La Loi sur l’aménagement est une loi québécoise qui prévoit notamment que le conseil d’une municipalité peut adopter un règlement de lotissement pour l’ensemble ou une partie de son territoire. L’article 117.1 de la Loi sur l’aménagement prévoit que ledit règlement de lotissement peut prescrire, « aux fins de favoriser […] l’établissement, le maintien et l’amélioration de parcs et de terrains de jeux et la préservation d’espaces naturels […] toute condition préalable […] ».

[31] Ville de Laval a adopté le Règlement L-2000 et le Règlement L-9500 en vertu desquels elle peut lever, au moment du lotissement, une « contribution pour parcs » auprès du propriétaire. Cette contribution représente 10% de la valeur du terrain.

[32] L’article 117.16, au cœur du présent débat, prévoit en particulier que la « somme versée en application d’une disposition édictée en vertu de l’article 117.1 ne constitue ni une taxe, ni une compensation, ni un mode de tarification ».

[33] La Cour d’appel du Québec dans la décision Société immobilière du Québec examine précisément si l’immunité de taxation constitutionnelle prévue à l’article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867 s’applique à la contribution aux fins de parc. La Cour d’appel du Québec conclut que ladite immunité ne s’applique pas et précise, au paragraphe 29 de la décision, que « [l]a contribution aux fins de parcs imposée par le Règlement ne constitue pas une taxe ‘fédérale-provinciale ou provinciale-fédérale’. Il s'agit d'une contribution prévue dans un règlement provincial au profit d'une municipalité ». La Cour d’appel du Québec conclut donc que cette immunité fiscale de la Couronne en lien avec les taxes ne peut être invoquée pour refuser de payer ce qui n’est pas une taxe.

[34] Tel que mentionné plus haut, le PGC a confirmé en l’instance que le gouvernement du Canada ne peut pas invoquer l’immunité fiscale constitutionnelle pour refuser de payer la contribution aux fins de parc puisque cette dernière n’est pas une taxe.

[35] Ville de Laval souligne que l’article 117.16 de la Loi sur l’aménagement a été adopté dans le cadre de la réforme de 1993 qui a fait en sorte que les contributions aux fins de parc sont devenues une importante mesure fiscale pour les municipalités. Ville de Laval note qu’avant la réforme de 1993, la Cour d’appel du Québec avait à deux reprises conclu que certaines entités (par exemple, une communauté urbaine ou une commission scolaire) bénéficiant d’exemptions fiscales en vertu de lois québécoises n’avaient pas à les défrayer (Québec (Communauté urbaine) c St-Augustin de Desmaures (corporation municipale de la paroisse), [1977] CA 396, JE 77-85 (requête pour autorisation de pourvoi à la CSC refusée); Saint-Léonard (Ville) c Commission scolaire Jérôme Le Royer, 1992 RL 535 (QC CA), 1992 CanLII 3965).

[36] Ville de Laval ajoute que le fait de prévoir, à l’article 117.16 de la Loi sur l’aménagement, qu’il ne s’agissait pas d’une taxe était en réalité une manière, pour le législateur québécois, de s’assurer que les personnes exemptées de taxes en vertu de ses propres lois aient malgré tout l’obligation d’acquitter les contributions aux fins de parc.

[37] Ville de Laval soumet qu’il convient cependant d’ignorer l’article 117.6 de la Loi sur l’aménagement et de considérer que la contribution aux fins de parc est effectivement une taxe puisque (1) le recours à une loi provinciale pour déterminer ce qu’est une taxe est illogique et indéfendable dans le contexte d’un débat prêtant sur une immunité constitutionnelle du gouvernement fédéral; et (2) la décision Société immobilière du Québec de la Cour d’appel du Québec n’a pas la portée que lui donne la Ministre, qui cite cet arrêt hors contexte et qui lui donne une portée et une signification qu’il n’a pas. Ville de Laval soutient donc que l’utilisation que la Ministre en fait est illogique et indéfendable eu égard aux contraintes factuelles et juridiques pertinentes.

[38] Cependant, Ville de Laval ne m’a pas convaincue qu’il est déraisonnable pour Services publics de s’appuyer sur le texte clair du législateur québécois prévoyant que la contribution aux fins de parc n’est pas une taxe.

[39] La Loi sur les PERI au paragraphe 2(1) définit ainsi un impôt foncier :

impôt foncier Impôt général :

real property tax means a tax of general application to real property or immovables or any class of them that is

a) levé par une autorité taxatrice sur les immeubles ou biens réels ou les immeubles ou biens réels d’une catégorie donnée et auquel sont assujettis les propriétaires […];

(a) levied by a taxing authority on owners of real property or immovables […], and

b) calculé par application d’un taux à tout ou partie de la valeur fiscale des propriétés imposables. (real tax property)

(b) computed by applying a rate to all or part of the assessed value of taxable property; (impôt foncier)

[40] Or, selon la volonté explicite du législateur québécois, la contribution aux fins de parc n’est pas une taxe et ne fait pas partie de l’impôt foncier applicable aux propriétés imposables situées sur le territoire québécois. Ceci élimine la possibilité, pour la Couronne fédérale, d’invoquer l’immunité fiscale constitutionnelle pour se soustraire à son paiement. Le PGC a d’ailleurs confirmé sans équivoque que le gouvernement du Canada n’invoque pas cette immunité fiscale constitutionnelle pour refuser de payer la contribution aux fins de parc dans ce cas-ci, et ce, précisément parce que la contribution aux fins de parc n’est pas une taxe.

[41] Tel que mentionné plus haut, Ville de Laval reconnait d’ailleurs quant à elle que l’impôt foncier est bien une taxe.

[42] Ainsi, et tel que le souligne le PGC, Ville de Laval invite la Cour à ignorer la loi québécoise pour statuer que la contribution aux fins de parc est une taxe. Cette proposition est contraire au texte clair et sans équivoque de l’article 117.16 de la Loi sur l’aménagement qui, tel que le souligne le PGC, faisant partie des dispositions habilitantes des pouvoirs de Ville de Laval en matière de contributions aux fins de parc, ne lui permet pas d’adopter des règlements pour exiger ces contributions à titre de taxes. Au surplus, et tel que l’a souligné le PGC, adopter la position de Ville de Laval aurait pour résultat de conférer le statut de taxe aux seules contributions aux fins de parc visant les propriétés fédérales.

[43] Ville de Laval n’a pas détaillé la base juridique qui permettrait à Services publics de simplement ignorer la loi québécoise dans les circonstances de la présente affaire. Elle n’a d’ailleurs soumis aucune autorité sur laquelle Services publics ou la Cour pourrait s’appuyer à cet égard. Je déclinerai donc l’invitation de Ville de Laval de permettre à Service publics d’ignorer la loi québécoise.

[44] Je conclus au contraire que Services publics pouvait raisonnablement s’appuyer sur le texte clair de la loi québécoise ainsi que sur la décision de la Cour d’appel du Québec interprétant ce texte. Ainsi, puisqu’il est raisonnable de conclure que la contribution aux fins de parc n’est pas une taxe, et puisque l’impôt foncier est une taxe, il est conséquemment raisonnable de conclure que la contribution aux fins de parc n’est pas un impôt foncier. Il est donc aussi raisonnable de conclure que la Ministre n’a pas l’autorité pour verser un PERI dans la présente affaire.

[45] Puisque je conclus qu’il est raisonnable pour Services publics de s’appuyer sur le texte de la Loi sur l’aménagement et sur la décision de la Cour d’appel selon lesquels la contribution aux fins de parc n’est pas une taxe, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres arguments soulevés par Ville de Laval pour tenter de convaincre la Cour que ladite contribution satisfait la définition d’impôt foncier au sens de la Loi sur les PERI et qu’elle est une taxe.

[46] Ville de Laval note avec justesse que la Décision indique erronément que le propriétaire peut choisir d’acquitter la contribution aux fins de parc par cession de terrain ou par une somme d’argent, alors que ce choix relève de la discrétion du Comité exécutif de Ville de Laval et que ce dernier a ici choisi une somme d’argent. Cette erreur du décideur n’est pas fatale et elle est insuffisante pour justifier l’intervention de la Cour.

III. Conclusion

[47] Ville de Laval n’a pas démontré que la Décision est déraisonnable. Je conclus au contraire que la Décision est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qu’elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur était assujetti. Je rejette donc la demande de contrôle judiciaire.

[48] Les parties se sont entendues pour fixer le montant des dépens à une somme forfaitaire de 5 000,00 $.


JUGEMENT dans le dossier T-1773-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les dépens de 5 000,00 $ sont accordés au Procureur général du Canada.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

t-1773-22

INTITULÉ :

VILLE DE LAVAL c PROCUREUR GÉNÉRA DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 NOVEMBRE 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 12 février 2024

COMPARUTIONS :

Me Hugues Doré-Bergeron

Pour LA DEMANDERESSE

Me Diane Pelletier

Me Pavol Janura

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LESAJ, Avocats et notaires

Services des affaires juridiques de la Ville de Laval

Laval (Québec)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.