Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20240208


Dossier : T-956-22

Référence : 2024 CF 211

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 février 2024

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

CHRISTINA SUN

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Christina Sun est citoyenne canadienne et résidente de la Colombie-Britannique. Le 2 janvier 2022, elle est revenue des États-Unis d’Amérique par le point d’entrée de Douglas. Elle était accompagnée de son fiancé Chad Heltzel. Ils ont dit qu’ils n’avaient rien à déclarer.

[2] Un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a remarqué un colis qui n’avait pas été ouvert et dont l’étiquette d’expédition portait mention d’une adresse en Oregon. Mme Sun et M. Heltzel ont affirmé qu’il s’agissait d’une imprimante qu’ils avaient apportée aux États-Unis du Canada. L’agent les a renvoyés pour une inspection secondaire.

[3] Au cours de l’inspection secondaire, l’agente de l’ASFC Jessica Maier a trouvé, dans le sac à main de Mme Sun, une boîte à bijoux rouge contenant une bague à diamant. Selon les dires de Mme Sun, la bague avait été achetée par sa belle-mère en Oregon et elle la portait lorsqu’elle était revenue par avion au Canada en août 2021. Elle a avoué ne pas avoir déclaré la bague à ce moment. Elle ne croyait pas qu’il fallait déclarer une bague de fiançailles, étant donné qu’il s’agit d’un cadeau d’une grande valeur sentimentale.

[4] À la suite d’un appel téléphonique avec sa mère, M. Heltzel a estimé la valeur de la bague à 10 000 $ US. L’agente de l’ASFC a fait remarquer qu’elle pouvait conserver la bague afin d’en faire apprécier la valeur, mais elle a accepté l’estimation de 10 000 $ US. Après avoir appliqué le taux de change du 2 janvier 2022, l’agente a évalué la valeur de la bague à 12 678 $ CA.

[5] L’agente de l’ASFC a conclu que Mme Sun avait contrevenu à l’article 12 de la Loi sur les douanes, LRC 1985, c 1 (2e suppl) [la Loi], qui établit les exigences relatives à la déclaration des marchandises importées au Canada. L’agente a saisi la bague et elle a infligé à Mme Sun une pénalité de « niveau 1 ». Selon le Manuel d’exécution de l’ASFC [le Manuel], [traduction] « le niveau 1 s’applique aux violations auxquelles s’attache une moindre culpabilité » et « pourrait généralement s’appliquer aux infractions par omission ». En outre, le Manuel classe les marchandises en groupes. Les bijoux relèvent du Groupe 1, pour lequel la pénalité de niveau 1 est de 30 % de la valeur des marchandises saisies.

[6] La bague a été restituée à Mme Sun moyennant le paiement d’une pénalité de 3 803,40 $ CA. Cette somme correspond à 30 % de la valeur de la bague, à laquelle s’ajoute la taxe de vente de 887,46 $ CA.

[7] Mme Sun a demandé que le ministre révise sa contravention en vertu de l’article 129 de la Loi. Le ministre, s’il est convaincu qu’il y a eu contravention à la Loi, peut, en vertu de l’article 133 de la Loi, restituer les marchandises saisies et réduire ou augmenter la pénalité.

[8] Dans une communication par courriel datée du 28 janvier 2022, un agent principal des appels de la Direction des recours de l’ASFC a résumé en ces termes les motifs avancés par Mme Sun au soutien de sa demande de révision présentée au ministre :

[traduction]

Nous vous remercions pour vos commentaires. Nous en prenons bonne note. En bref, vous interjetez appel de cette mesure d’exécution au motif que vous avez admis à l’agente que, lors de votre retour après vos fiançailles en août, vous n’aviez pas déclaré la bague à l’aéroport de Vancouver, car vous ignoriez les exigences relatives à la déclaration des cadeaux. La bague est un héritage familial et elle était un cadeau de votre future belle-mère, de sorte que vous n’avez jamais su sa valeur. Vous avez demandé à l’agente de ne payer que les droits et les taxes sur la bague, mais elle a rejeté votre demande. Vous interjetez appel de cette mesure d’exécution. Vous demandez la clémence à l’égard de cette première infraction et vous sollicitez l’autorisation de ne payer que les droits et taxes sur la bague de fiançailles. Après cette expérience difficile, vous êtes maintenant au fait des lois en matière de déclaration et, à l’avenir, vous avez l’intention de déclarer correctement vos achats et cadeaux.

[9] L’agent principal des appels a également informé Mme Sun du droit applicable et il lui a donné l’occasion de soumettre des renseignements et des documents supplémentaires. Elle a admis avoir acheté l’imprimante en Oregon, et elle en a présenté le reçu.

[10] Le 5 avril 2022, la déléguée du ministre, Julie Vinette, a rendu sa décision. Elle a pris acte des affirmations de Mme Sun selon lesquelles elle n’était au courant ni des exigences en matière de déclaration ni de la valeur de la bague. Selon Mme Sun, l’agente de l’ASFC lui a dit qu’elle devrait payer une pénalité de 25 %. Elle a donc été surprise d’apprendre qu’une pénalité de 30 % avait été appliquée. Elle a exprimé des remords et elle a demandé que sa responsabilité soit limitée aux droits et aux taxes exigibles.

[11] La déléguée du ministre a souligné la nécessité de déclarer les marchandises en application de l’article 12 de la Loi :

[traduction]

[…] Cette exigence s’applique aux marchandises achetées, reçues, données ou autrement acquises à l’étranger, qu’elles soient neuves ou usagées, à usage personnel ou commercial, et qu’elles soient importées de façon permanente ou temporaire. Il incombe à la personne qui voyage à l’étranger de connaître et de respecter ces exigences. Si l’une ou l’autre des exigences précédentes n’est pas respectée, les marchandises, y compris les moyens de transport utilisés pour les importer, peuvent être confisquées et saisies.

[12] La déléguée du ministre a conclu que Mme Sun avait enfreint l’article 12 de la Loi lorsqu’elle avait omis, en août 2021, de déclarer la bague qu’elle rapportait au Canada. Mme Sun avait admis son omission durant l’examen secondaire, à l’agente de l’ASFC, ainsi que lors de la révision demandée au ministre.

[13] L’affirmation de Mme Sun selon laquelle elle n’était pas au courant des exigences en matière de déclaration des marchandises ne constitue pas une excuse, car [traduction] « l’obligation énoncée à l’article 12 de la Loi sur les douanes n’est restreinte en aucune manière par une mention de la connaissance du voyageur ou de son état d’esprit subjectif ». La déléguée du ministre a souligné que [traduction] « seul l’objet saisi (bague à diamant) [avait] fait l’objet de la révision », et elle n’a donc rendu aucune décision par rapport à l’imprimante non déclarée qui avait été achetée en Oregon.

[14] La déléguée du ministre a noté que la bague était visée par la pénalité la plus faible possible (niveau 1), [traduction] « laquelle s’applique normalement dans les situations où un importateur n’a pas correctement déclaré les marchandises qu’il importe, qu’il n’a pas dissimulé celles-ci et qu’il a relaté tous les faits après la découverte ». Les pénalités sont déterminées en fonction de la marchandise importée, ainsi que du niveau en cause. Les lignes directrices applicables aux bijoux au niveau 1 suggèrent une pénalité de 30 % de la valeur de l’article saisi.

[15] La déléguée du ministre a accepté l’affirmation de Mme Sun selon laquelle l’agente de l’ASFC l’avait informée qu’une pénalité de 25 % lui serait imposée, et elle a réduit la pénalité en conséquence.

[16] La déléguée du ministre a refusé d’écarter la pénalité et elle a affirmé à cet égard ce qui suit : [traduction] « Je ne peux pas passer sous silence le fait qu’il y a eu contravention à la Loi et que, si la bague n’avait pas été trouvée durant l’inspection, elle aurait été importée illégalement au Canada, sans qu’il ne soit rendu compte de sa valeur en bonne et due forme. »

[17] Mme Sun s’est vu restituer 633,45 $ CA, soit 5 % de la valeur estimative de la bague. La taxe de vente est demeurée la même, car elle avait été calculée en fonction de la valeur de la bague et non de la pénalité.

[18] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, Mme Sun conteste le caractère raisonnable de la décision rendue par la déléguée du ministre, et elle se plaint également de manquements à l’équité procédurale. Ses observations écrites ne traitent pas de la question du caractère raisonnable de la décision. Elle soulève plutôt les questions suivantes à l’attention de la Cour :

[traduction]

a. Lors de la fouille, de l’interrogatoire et de la saisie de la bague à diamant, est-ce que l’agente des services frontaliers J. Maier a agi de manière subjective et partiale envers la demanderesse, ce qui l’a menée à appliquer de manière excessive la Loi? Avait-elle l’intention de faire de la demanderesse un exemple devant ses collègues et ses pairs de l’ASFC?

b. Est-ce que Julie Vinette, qui travaille pour l’ASFC, a effectué une révision, à titre de déléguée du ministre, qui peut être considéré comme impartiale en ce qui concerne les échanges entre la demanderesse et l’agente des services frontaliers?

[19] Mme Sun a déposé un affidavit à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire. En ce qui concerne les interactions de Mme Sun avec les agents de l’ASFC du point d’entrée de Douglas, l’affidavit ne comporte aucun élément de preuve qui ne figure pas déjà dans le rapport du 4 janvier 2022 de Mme Maier. Il n’y figure aucun élément de preuve pour appuyer les prétentions de Mme Sun selon lesquelles Mme Maier était partiale ou qu’il y avait partialité institutionnelle de la part de Mme Vinette. Aucune de ces questions n’a été soulevée au cours de la révision demandée au ministre.

[20] Dans sa demande de révision présentée au ministre, Mme Sun affirme ce qui suit :

[traduction]

[…] C’est là que réside le point essentiel de notre appel. Nous avons demandé directement à l’agente de payer seulement la taxe et les droits relatifs à la bague, car les lois relatives aux déclarations quant aux cadeaux (héritages de cette nature) ne nous étaient pas familières et qu’il s’agissait de notre première infraction. Cependant, cette demande a été refusée. De plus, nous avons examiné la facture finale que nous avons payée pour ravoir cette bague significative et dont la valeur est, à nos yeux, inestimable, puisqu’il s’agit d’un héritage familial. Nous y avons constaté un taux de 30 %, alors que l’agente avait précédemment affirmé qu’un taux de 25 % s’appliquerait. La somme payée s’est élevée à 4 690,86 $ CA.

J’aimerais humblement faire appel de cette pénalité monétaire de 30 % à l’ASFC. Je demande de bien vouloir me pardonner cette première infraction et de me permettre de ne payer que la taxe et les droits sur cette bague de fiançailles (soit 12 % et 6,5 % respectivement). À la suite de cette expérience difficile, je suis maintenant pleinement au fait des lois en matière de déclaration. À l’avenir, j’ai l’intention de tout déclarer aux agents de l’ASFC chaque fois que je traverserai la frontière, qu’il s’agisse d’un cadeau ou d’un achat.

[21] Le « point essentiel » des observations présentées par Mme Sun à la déléguée du ministre ressortissait à une demande de clémence fondée sur son ignorance de la loi. Elle n’a pas allégué la partialité ou une autre forme d’injustice. Lorsque la Direction des recours lui a demandé de présenter des observations supplémentaires, elle a répondu, dans un courriel du 30 janvier 2022, qu’elle n’avait [traduction] « aucun renseignement ou document additionnel à fournir ».

[22] Mme Sun a été invitée à répondre à une évaluation préliminaire de son dossier par la Direction des recours. Dans un courriel du 2 mars 2022, elle a déclaré qu’elle [traduction] « [était] entièrement d’accord sur la version des faits présentée par l’agente des services frontaliers ». Rien dans le rapport de Mme Maier ne permet de conclure à la partialité ou à une quelconque conduite manquant de professionnalisme au sein de l’ASFC.

[23] Une allégation de partialité à l’encontre d’un fonctionnaire est une question grave qui doit être soulevée le plus tôt possible (Beddows c Canada (Procureur général), 2020 CAF 166 au para 10). Mme Sun n’a présenté aucun élément de preuve à l’appui de sa prétention, qu’elle n’avait pas non plus fait valoir à la déléguée du ministre. Elle ne peut donc pas le faire maintenant.

[24] Devant notre Cour, Mme Sun demande encore une fois que la pénalité soit écartée. Elle affirme qu’elle a commis une erreur de bonne foi en ne déclarant pas la bague. Elle a présenté une observation semblable à la déléguée du ministre, qui a raisonnablement appliqué les lignes directrices prescrites par le Manuel.

[25] La déléguée du ministre a examiné attentivement les observations de Mme Sun et elle a réduit la pénalité de 30 %, qui s’applique habituellement, pour la fixer à 25 %. La décision de la déléguée du ministre est le résultat de l’exercice d’un vaste pouvoir discrétionnaire (Chen c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CAF 170 au para 35); la Cour doit donc faire preuve de retenue. Mme Sun n’a pas fait la preuve du caractère déraisonnable de cette décision.

[26] Mme Sun s’oppose également à son assujettissement à une surveillance accrue à la frontière pour les six prochaines années. Cependant, comme l’explique le juge Russel Zinn dans la décision Saleem c Canada, 2021 CF 944 (aux para 16-17) :

L’ASFC a pour politique de conserver les dossiers d’infraction pendant six ans. Les voyageurs ayant des antécédents peuvent être soumis à des inspections secondaires de routine. Il s’agit d’une conséquence administrative automatique lorsqu’il est déterminé que le voyageur a enfreint la Loi. Le renvoi à une inspection secondaire à la suite d’infractions antérieures ne constitue pas une sanction, une pénalité supplémentaire ou une conséquence juridique (Dhillon c Canada (Procureur général), 2016 CF 456 aux para 30 et 37).

L’exigence d’une inspection secondaire, en tant que conséquence automatique d’une infraction à la Loi, ne peut être annulée qu’en cas de non-infraction. Monsieur Saleem n’a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision rendue au sujet de l’infraction sous-jacente. Par conséquent, la Cour doit examiner la pénalité infligée en tenant pour acquis que M. Saleem a contrevenu à la Loi et qu’il n’a jamais payé de droits relativement à l’ensemble B. Compte tenu des faits ainsi visés, la décision est raisonnable.

[27] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[28] Le défendeur sollicite des dépens de 2 000 $. Il soutient que Mme Sun a prolongé de façon déraisonnable l’instruction de la présente affaire, ce qui a donné lieu à un avis d’examen de l’état de l’instance et à deux ordonnances de gestion de l’instance. Le défendeur mentionne également que Mme Sun a formulé des allégations non fondées de partialité.

[29] Le comportement de Mme Sun à la frontière et tout au long de la présente instance laisse beaucoup à désirer. Lors de l’audition de la demande, elle n’était pas représentée, mais lors de ses observations orales, elle a été conseillée par M. Heltzel, qui est demeuré à l’écart. Dans les circonstances, une ordonnance quant aux dépens de 2 000 $ serait tout à fait raisonnable. Or, elle peut toutefois sembler disproportionnée par rapport aux pénalités imposées. Par conséquent, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire d’adjuger au défendeur, au titre des dépens, la somme globale de 1 000 $.

[30] Le défendeur demande que l’on désigne comme défendeur le procureur général du Canada, et non l’Agence des services frontaliers du Canada. L’intitulé de la cause sera modifié en conséquence.




 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.