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Date : 20240214


Dossier : T-1516-23

Référence : 2024 CF 219

Ottawa (Ontario), le 14 février 2024

En présence de madame la juge Azmudeh

ENTRE :

ALEXIS DESCHÊNES

et DROITS COLLECTIFS QUÉBEC

demandeurs

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et ÉLECTIONS CANADA

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Par leur requête, les demandeurs demandent à cette Cour d’émettre une injonction pour l’obtention d’un sursis d’application, pour les circonscriptions électorales de la province de Québec, de la Proclamation donnant force de loi aux décrets de représentation électorale avec effet à compter de la première dissolution du Parlement postérieure au 22 avril 2024, TR/2023-57, enregistrée le 27 septembre 2023 (la « Proclamation »), jusqu’au jugement final à être rendu dans la présente instance.

[2] La requête s’inscrit dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire (la « Demande de contrôle judiciaire ») instituée contre le Procureur général du Canada et Élections Canada (les « défendeurs ») au terme de laquelle les demandeurs recherchent l’émission d’un bref de certiorari à l’encontre de la recommandation de la Commission de délimitation des circonscriptions électorales fédérales pour le Québec (la « Commission »), contenue dans son rapport final déposé à la Chambre des communes le 21 juin 2023, d’abolir la circonscription électorale fédérale actuelle d’Avignon-La Mitis-Matane-Matapédia et d’en redistribuer le territoire entre les actuelles circonscriptions de Gaspésie-Les Îles-de-la-Madeleine et de Rimouski-Neigette-Témiscouata-Les Basques (la « recommandation de la Commission »). En vertu de l’article 15 de la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales, LRC (1985), c E-3 (la « Loi sur la révision »), la Proclamation donne force de loi à la réduction de quatre (4) à trois (3) du nombre de circonscriptions électorales pour la région allant de Montmagny aux Îles-de-la-Madeleine en supprimant la circonscription d’Avignon-La Mitis-Matane-Matapédia.

[3] Par leur demande de contrôle judiciaire, les demandeurs recherchent notamment l’émission des ordonnances suivantes :

(a) une ordonnance déclarant nulle la recommandation de la Commission;

(b) une ordonnance ordonnant le maintien de la délimitation actuelle des circonscriptions d’Avignon-La Mitis-Matane-Matapédia, de Gaspésie-Les Îles-de-la-Madeleine et de Rimouski-Neigette-Témiscouata-Les Basques;

(c) une ordonnance déclarant nulle la suppression d’un siège de députés en Gaspésie;

(d) une ordonnance ordonnant le maintien du nombre actuel de sièges de députés en Gaspésie; et

(e) une ordonnance afin de modifier la Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (représentation électorale), LC 2022, c 6, afin d’établir le nombre de sièges de députés au Québec à 79 sur un total de 344 pour l’ensemble du Canada.

[4] Le 27 septembre 2023, en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur la révision, le gouverneur en conseil a donné force de loi au décret de représentation électorale adoptant la recommandation de la Commission.

[5] Dans leur requête, les demandeurs demandent à cette Cour d’ordonner un sursis d’application de la Proclamation jusqu’au jugement final à intervenir sur la demande de contrôle judiciaire.

II. Décision

[6] La requête des demandeurs est rejetée pour les raisons suivantes.

III. Question préliminaire : est-ce qu’Élections Canada est un défendeur approprié?

[7] Le défendeur Élections Canada n’a introduit aucune requête pour être mis hors de cause, bien que des arguments à cet égard figurent dans son mémoire. En l’absence d’une telle requête, je ne me prononcerai pas sur cette question.

IV. Test légal : injonction

[8] C’est l'arrêt RJR-MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), 1994 CanLII 117 (CSC), [1994] 1 RCS 311 (RJR-MacDonald) qui définit le critère conjonctif pour une injonction : une injonction interlocutoire pour l’obtention d’un sursis jusqu’au jugement final à intervenir, les demandeurs doivent 1) établir qu’il y a une question sérieuse à juger, 2) qu’ils subiront un préjudice irréparable en cas de refus d’octroyer le redressement demandé, et 3) que la balance des inconvénients milite en leur faveur. Les demandeurs ont le fardeau de démontrer que leur requête satisfait ces critères cumulatifs bien établis.

[9] Pour démontrer qu’ils subiront un préjudice irréparable, les demandeurs doivent établir « qu’[ils] subir[ont] un préjudice réel, certain et inévitable – et non pas hypothétique et conjectural » (Janssen Inc. c Abbvie Corporation, 2014 CAF 112 au paragraphe 24 (Janssen)).

[10] La jurisprudence de cette Cour est claire à l’effet qu’un préjudice irréparable ne puisse être fondé sur une simple hypothèse. Il doit être établi au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants (Newbould c Canada (Procureur général), 2017 CAF 106 aux paragraphes 28-29.)

[11] Cette démonstration exige la production d’éléments de preuve suffisamment probants, dont il ressort une forte probabilité que, faute de sursis, un préjudice irréparable sera inévitablement causé. Cette preuve n’a pas été faite en l’espèce (Glooscap Heritage Society c Canada (Revenu national), 2012 CAF 255 au paragraphe 31).

[12] Il est incontestable que des élections libres et équitables sont la pierre angulaire de la démocratie canadienne et que toute ingérence indue dans ces élections sera indûment préjudiciable à l'électorat. Cependant, en l'espèce, rien dans les documents des demandeurs ne démontre que, sans l'injonction, les demandeurs subiraient un préjudice irréparable, tel que la dilution indue de leur vote lors d'une prochaine élection fédérale. Il n'y a aucune explication quant à la raison pour laquelle leur capacité à voter dans une circonscription électorale constituée différemment serait affectée. En fait, les documents déposés par les demandeurs, à savoir la page 24 du « Rapport de la commission de délimitation des circonscriptions électorales fédérales pour la province de Québec », affirment que la Commission a fondé sa recommandation sur des données statistiques étayées par le recensement, dans le seul but d'empêcher une élection qui ne serait pas fondée sur une représentation adéquate.

[13] Plutôt qu'une preuve concrète d'un préjudice potentiel sur l'effet de la réduction des circonscriptions électorales de 4 à 3 dans l'est du Québec, les demandeurs présentent un argument de principe selon lequel la recommandation de la Commission entrant prochainement en vigueur est en soi préjudiciable. Cela n'équivaut pas à un préjudice irréparable.

[14] Les demandeurs soutiennent également qu’en l’absence d’injonction, face à l’incertitude qui entoure la redistribution des circonscriptions électorales du territoire, l’électorat dans les limites modifiées par la recommandation de la Commission subirait un préjudice à cause de la confusion quant à leur droit de vote et leur représentation, en particulier si et lorsque la demande de contrôle judiciaire est acceptée, ce qui entraînerait probablement un retour aux anciennes limites. Là encore, en l'absence de preuve sur la manière dont les nouvelles limites auront un impact négatif réel, certain et inévitable sur les droits démocratiques de l'électorat, cet argument est hypothétique (Janssen au paragraphe 24).

[15] Le demandeur fait également valoir qu'en cas d'élection, Élections Canada pourrait ne pas avoir suffisamment de temps pour se préparer aux élections. Je ne dispose d'aucune preuve me permettant de conclure qu’Élections Canada ne serait probablement pas en mesure de respecter le régime en place et prescrit par la loi. En fait, contrairement à l'argument du demandeur, sa présentation du témoignage de Marc Maynard devant une commission parlementaire témoigne de la capacité d'Élection Canada à respecter les délais prescrits par la loi. Le défendeur n'apporte aucune preuve qu'Élections Canada soit incapable de respecter ses obligations. Je conclus que les spéculations du demandeur ne constituent pas une preuve de préjudice irréparable.

[16] Comme indiqué, le test tripartite de l’arrêt RJR-MacDonald est conjonctif, ce qui signifie que les trois volets du critère doivent être satisfaits pour que l’injonction soit accordée. En l'espèce, les demandeurs n'ont pas réussi à démontrer qu'ils subiraient un préjudice irréparable et, par conséquent, le critère ne peut être rempli.

[17] La requête est donc rejetée, le tout avec dépens.


ORDONNANCE AU DOSSIERT-1516-23

LA COUR ORDONNE que la requête est rejetée, le tout avec dépens.

 

« Negar Azmudeh »

blank

Juge



COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1516-23

INTITULÉ :

ALEXIS DESCHÊNES ET

DROITS COLLECTIFS QUÉBEC ET PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET

ÉLECTIONS CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA, Ontario

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 février 2024

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AZMUDEH

DATE DES MOTIFS :

LE 14 FÉvRier 2024

COMPARUTIONS :

Me François Boulianne

POUR LES DEMANDEURS

Me Daniel Baum

Me Jean-Philippe Dionne

 

POUR LE DÉFENDEUR

ÉLECTIONS CANADA

Me Claude Joyal

Me Pascale-Catherine Guay

Me Émilie Tremblay

Me Amélia Couture

POUR LE DÉFENDEUR

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me François Boulianne

Avocats

Québec (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

LANGLOIS AVOCATS S.E.N.C.R.L.

POUR LE DÉFENDEUR

ÉLECTIONS CANADA

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

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