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Dossier : T-1068-23

Référence : 2024 CF 260

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 16 février 2024

En présence de madame la juge Go

ENTRE:

TAYEBE JOODAKI

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Mme Tayebe Joodaki, la demanderesse, est une artiste. Ses revenus provenaient des toiles qu’elle vendait et des cours qu’elle donnait au domicile de ses étudiants.

[2] Le 16 octobre 2020, la demanderesse a demandé la Prestation canadienne de la relance économique [la PCRE]. Aux termes de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2 [la LPCRE], les personnes admissibles devaient avoir gagné un revenu d’au moins 5 000 $ tiré d’un emploi, d’un travail exécuté pour leur propre compte ou de certaines prestations et allocations gouvernementales prévues par la loi pour l’année 2019 ou 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de leur première demande [l’exigence relative au revenu].

[3] La demanderesse a reçu la PCRE pendant 25 périodes de deux semaines entre le 27 septembre 2020 et le 11 septembre 2021. L’admissibilité de la demanderesse à la PCRE a d’abord fait l’objet de deux examens à l’issue desquels il a été conclu, dans les deux cas, que la demanderesse n’était pas admissible à la PCRE.

[4] Le 11 mai 2023, un gestionnaire de la direction générale de la validation des prestations d’urgence du Canada [l’agent] de l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] a procédé à un troisième examen et a informé la demanderesse qu’elle ne respectait pas l’exigence relative au revenu associée à la PCRE, car ses revenus ne s’étaient pas élevés à au moins 5 000 $ pour l’année 2019, pour l’année 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de sa première demande [la décision]. Il a été exigé de la demanderesse qu’elle rembourse les sommes qu’elle avait reçues au titre de la PCRE.

[5] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision. Bien que je sois sensible à la situation de la demanderesse, je conclus que la décision est raisonnable et, par conséquent, je rejette sa demande de contrôle judiciaire.

II. Question préliminaire

[6] Tout d’abord, le procureur général du Canada devrait être le défendeur désigné.

III. Question en litige

[7] La seule question dont je suis saisie est celle de savoir si la décision est raisonnable.

[8] Le défendeur soutient, et je suis d’accord, que la décision d’un agent quant à l’admissibilité à la PCRE est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, et que les circonstances ne réfutent pas la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable établie dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65. Voir aussi : Walker c Canada (Procureur général), 2022 CF 381 au para 15; Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 au para 16; et Lajoie c Canada (Procureur général), 2022 CF 1088 au para 12.

IV. Analyse

[9] Les principaux arguments de la demanderesse sont les suivants :

[10] Je rejette les arguments de la demanderesse pour les motifs suivants.

[11] Tout d’abord, l’argument de la demanderesse selon lequel la date utilisée pour le calcul de la période de 12 mois précédant sa première demande aurait dû être le 15 mars 2019 est contraire à la LPCRE.

[12] Le défendeur renvoie à l’alinéa 3(1)d) de la LPCRE qui prévoit que la période de 12 mois correspond aux 12 mois précédant la date à laquelle une personne a demandé la PCRE pour la première fois. Le défendeur invoque l’arrêt Flock c Canada (Procureur général), 2022 CAF 187 [Flock].

[13] Je suis d’accord avec le défendeur. Dans l’affaire Flock, l’appelant avait demandé la PCRE pour la période allant du 27 septembre 2020 au 21 novembre 2020. La Cour d’appel fédérale [la CAF] a confirmé, au paragraphe 3 de l’arrêt Flock, qu’« un demandeur qui exécute un travail pour son compte doive avoir gagné au moins 5 000 $ pendant l’une de deux périodes, soit pour l’année 2019, soit au cours des 12 mois précédant la date à laquelle il présente sa demande (LPCRE, alinéa 3(1)d)) ». Dans cet arrêt, la CAF a conclu que « la période de 12 mois se situerait fort probablement au cours de l’année 2020 quand la pandémie a commencé » : Flock, au para 3.

[14] Ainsi, contrairement à ce qu’affirme la demanderesse, la période de 12 mois n’a pas commencé le 15 mars 2019. Elle a plutôt commencé le 16 octobre 2019, soit 12 mois avant que la demanderesse présente sa première demande de PCRE.

[15] De plus, aux fins de l’établissement de l’admissibilité, l’alinéa 3(1)d) de la LPCRE définit le revenu admissible comme étant le revenu provenant des sources ci-après :

[16] Aucune disposition de la LPCRE n’oblige l’agent à tenir compte d’un revenu autre que ceux énoncés à l’alinéa 3(1)d). Par conséquent, l’argument de la demanderesse selon lequel le revenu qui l’avait rendue admissible à la PCU aurait dû être pris en compte n’est pas fondé en droit.

[17] Bien que je reconnaisse que, du point de vue de la demanderesse, la PCU et la PCRE sont toutes deux des prestations que le gouvernement du Canada a mises en place pour fournir un soutien du revenu aux personnes qui ont eu des difficultés à gagner un revenu en raison de la pandémie, il s’agit de deux prestations distinctes avec leurs propres conditions d’admissibilité. Dans la décision Flock c Canada (Procureur général), 2022 CF 305, le juge Fothergill a rejeté l’argument que le contribuable avait présenté, lequel était semblable à celui de la demanderesse en l’espèce :

[21] M. Flock affirme que la transition de la PCU vers la PCRE devait se faire sans heurt et qu’il est inéquitable et injuste qu’il ait touché la PCU, puis qu’on lui ait refusé la PCRE alors que sa situation financière n’avait pas changé. Il soutient que rien dans le questionnaire d’admissibilité qu’il a rempli ne laissait entendre que son admissibilité à la PCRE serait établie en fonction de son revenu net d’un travail exécuté pour son compte plutôt qu’en fonction de son revenu brut d’un travail exécuté pour son compte. Il mentionne qu’il a effectivement obtenu la PCRE pendant quatre périodes de deux semaines, du 27 septembre 2020 au 21 novembre 2020.

[22] Bien que les critiques de M. Flock à l’égard des différents critères d’admissibilité de la PCU et de la PCRE soient logiques, il s’agit plutôt d’une critique de la politique sous-jacente aux deux programmes législatifs que d’une plainte en justice. Il vaut peut-être la peine de mentionner que le Décret de remise avait pour but d’atténuer les effets de la confusion possible entourant l’admissibilité à la PCU, qui a été mise en place à court préavis au début d’une urgence de santé publique. Le Parlement n’était aucunement tenu d’étendre la portée du Décret de remise à la PCRE lorsque la nouvelle prestation a été mise en place sept mois plus tard.

[18] Dans l’arrêt Flock, la CAF a confirmé la conclusion du juge Fothergill. Pour les mêmes motifs, je dois également rejeter l’argument de la demanderesse en l’espèce.

[19] De plus, je ne trouve aucune erreur susceptible de contrôle dans la détermination par l’agent du revenu de la demanderesse puisqu’elle était fondée sur les renseignements que la demanderesse lui avait fournis.

[20] Au cours d’une conversation téléphonique en avril 2023, la demanderesse a informé l’agent que, du 2 février 2019 au 30 novembre 2019, elle avait gagné un revenu de façon intermittente en vendant des toiles et en donnant des cours d’art. Elle a également informé l’agent qu’elle n’avait aucun autre revenu à déclarer pour les années 2019, 2020 et 2021 en raison de la pandémie de COVID-19. Après l’appel téléphonique, la demanderesse a fourni des documents à l’agent, dont des contrats d’un centre d’enseignement où elle enseignait la peinture, des relevés manuscrits des transactions avec ses étudiants, des échantillons de ses toiles, ainsi que des copies des avis de cotisation pour les années 2017 et 2018.

[21] L’agent a rappelé la demanderesse le 8 mai 2023 et lui a demandé pourquoi elle n’avait pas travaillé en 2021. La demanderesse lui a expliqué qu’elle avait perdu des étudiants parce qu’elle ne pouvait pas se rendre au domicile des gens en raison de la pandémie de COVID‑19. La demanderesse a également confirmé qu’elle n’avait pas travaillé entre le 7 septembre 2020 et le 9 octobre 2021 et qu’elle n’avait aucun autre revenu à déclarer pour 2019, 2020 ou 2021.

[22] En se fondant sur les renseignements que la demanderesse avait fournis, l’agent a conclu que cette dernière avait déclaré des revenus de 4 354 $ pour 2019, de 1 230 $ pour 2020 et de 1 630 $ pour la période du 16 octobre 2019 au 16 octobre 2020. La conclusion de l’agent est raisonnablement étayée par la preuve dont il disposait.

[23] À l’audience, la demanderesse a soulevé un nouvel argument, selon lequel une agente lui avait dit au téléphone qu’elle serait admissible à la PCRE lorsqu’elle cesserait de recevoir la PCU, et que c’était la raison pour laquelle elle avait présenté sa demande. Elle n’aurait pas présenté une demande si elle avait eu des revenus. En réponse, le défendeur a souligné que la demanderesse n’avait pas soulevé cette question dans sa demande et que cette conversation n’avait pas été consignée au dossier. Le défendeur a également fait valoir que la jurisprudence confirme que les affirmations d’un agent au téléphone ne sauraient avoir préséance sur la loi. Voir, par exemple, Coscarelli c Canada (Procureur général), 2022 CF 1659 au para 22.

[24] Je note que le dossier certifié du tribunal contient une copie d’une lettre non datée que la demanderesse a adressée à l’ARC et dans laquelle la demanderesse affirme qu’elle a parlé avec une agente le 4 décembre 2020 et qu’elle lui avait [traduction] « tout expliqué ». Elle a ajouté que l’agente lui avait dit qu’elle était admissible à la PCRE, et qu’elle avait donc utilisé le montant de la PCRE pour payer son loyer et d’autres dépenses, et qu’elle ne pouvait pas restituer l’argent.

[25] Je suis sensible à la situation de la demanderesse. Toutefois, comme je l’ai déclaré dans la décision Ibrahim c Canada (Procureur général), 2023 CF 1357 [Ibrahim], le régime fiscal est fondé sur l’autocotisation, et il incombe au contribuable de démontrer qu’il respecte les dispositions fiscales. Dans le contexte de la PCRE, ce fardeau est énoncé à l’article 6 de la LPCRE : Ibrahim, au para 33.

[26] Pour tous ces motifs, je conclus que la décision est raisonnable.

V. Conclusion

[27] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[28] Aucuns dépens ne sont adjugés.




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