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Date: 20240219

Dossier: IMM-7331-22

Référence: 2024 CF 269

Ottawa (Ontario), le 19 février 2024

En présence de monsieur le juge Régimbald

ENTRE :

ELHADJI MOR GUEYE

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur est citoyen du Sénégal. Il demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR], datée du 29 juin 2022, rejetant son appel et confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR], datée du 12 novembre 2021, rejetant sa demande d’asile. La SAR a conclu qu’il n’est pas reconnu comme ayant qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La décision de la SAR est claire, justifiée, et intelligible au regard de la preuve soumise (Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 [Mason] au para 8; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 99). Le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer que la décision de la SAR était déraisonnable.

I. Contexte factuel

[3] Le demandeur, Elhadji Mor Gueye [demandeur], est Sénégalais. Il a fait une demande d’asile auprès du Canada par crainte de retourner au Sénégal en tant qu’homme bisexuel, en raison de son orientation sexuelle.

[4] Le demandeur était marié à une femme depuis septembre 2017, avec qui il a eu une fille. Entretemps, le demandeur maintenait aussi une relation avec un amant qu’il a eu de 2001 jusqu’à son départ du Sénégal, en mai 2018.

[5] Quelque temps après son mariage à sa conjointe, le demandeur a été surpris par celle-ci avec son amant durant une relation intime. Suite à cet incident, sa conjointe a commencé à le menacer de révéler son orientation sexuelle à sa famille. Le demandeur faisait aussi face à la colère de son amant, et de ses propres parents, qui ont éventuellement appris ce qui est arrivé.

[6] En juillet 2018, le demandeur présenta sa demande d’asile en disant craindre sa conjointe, son amant, et sa propre famille. Sa demande d’asile a été entendue par la SPR le 28 juillet 2021 et 29 octobre 2021, et a été rejetée dans une décision datée du 12 novembre 2021, car la SPR a conclu que son témoignage manquait de crédibilité. Le demandeur a porté cette décision en appel auprès de la SAR, qui a confirmé la décision de la SPR et a refusé sa demande d’asile dans une décision datée du 29 juin 2022.

[7] La décision de la SAR fait l’objet de cette demande de contrôle judiciaire.

II. Norme de contrôle et question en litige

[8] La seule question en litige devant la Cour est à savoir si la décision de la SAR selon lequel le demandeur n’est pas un réfugié ni une personne à protéger, en raison de son manque de crédibilité, est raisonnable.

[9] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Vavilov aux para 10, 25; Mason aux para 7, 39–44). Une décision raisonnable est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85; Mason au para 8); et qui est justifiée, transparente et intelligible (Vavilov au para 99; Mason au para 59). Un contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas qu’une « simple formalité »; c’est une forme de contrôle rigoureuse (Vavilov au para 13; Mason au para 63). Une décision peut être déraisonnable si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte (Vavilov aux para 125–126; Mason au para 73). Finalement, il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov au para 100).

III. Analyse

[10] La SAR a conclu que le témoignage du demandeur sur son orientation sexuelle n’était pas crédible, car il contenait des omissions importantes ainsi que des contradictions en fonction de son fondement de demande d’asile [FDA].

[11] La SAR a soutenu que les éléments suivants du témoignage du demandeur minaient à sa crédibilité : son omission de faire mention du fait que son amant l’aurait menacé de mort deux fois; ses récits contradictoires au sujet de l’attaque qu’aurait subie sa conjointe; son délai à quitter le Sénégal suite à l’obtention d’un visa canadien; et son incapacité de répondre à des questions de bases quant à une relation alléguée avec un homme au Canada. Bref, la totalité de ces éléments de preuve a mené la SAR à conclure que le demandeur n’est pas crédible.

[12] Le demandeur soutient que la décision de la SAR est déraisonnable, car elle n’a pas considéré les explications du demandeur sur ses omissions. Le demandeur dit qu’il est normal d’oublier certains détails lors d’une audience, et que la SAR ne devrait pas traiter l’audience comme un test de mémoire, car la mémoire humaine n’est pas infaillible. Le demandeur soutient aussi qu’il a omis de mentionner les menaces de mort reçues de son amant, car il est peu éduqué et ne pouvait adéquatement structurer ses idées.

[13] Par la suite, selon le demandeur, la SAR n’aurait pas dû accorder autant de poids au temps écoulé entre l’obtention du visa canadien et son départ du Sénégal. En réalité, il explique que ce délai était causé par des facteurs que la SAR aurait dû considérer dans son analyse, telle que les difficultés financières du demandeur à obtenir de l’argent pour quitter le pays. La SAR aurait donc erré en accordant un poids déterminatif à ce délai dans son analyse de crédibilité.

[14] Finalement, le demandeur reproche à la SAR d’avoir accordé trop de poids aux conclusions de la SPR, et d’avoir essentiellement réitéré la décision de la SPR plutôt que de faire sa propre évaluation du dossier.

[15] À mon avis, les arguments du demandeur sont mal fondés. Tout d’abord, les omissions qui lui ont été reprochées ne sont pas des omissions mineures et sans conséquences; au contraire, il s’agit d’omissions sur des éléments constitutifs de son FDA (Irivbogbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 710 au para 32; Badr Dabaa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 907 au para 42). En d’autres mots, les menaces de mort de son amant constituaient un élément central de la crainte du demandeur d’être persécuté advenant son retour au Sénégal. La conclusion de la SAR à l’effet que l’omission de cette contradiction dans le FDA ne puisse s’expliquer par la nature défaillante de la mémoire humaine, et refuser d’accorder le bénéfice du doute au demandeur, est raisonnable (Hidalgo Carranza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 914 au para 22).

[16] De plus, le demandeur a présenté deux récits distincts et contradictoires sur l’attaque qu’aurait subie son épouse. Encore une fois, les faits concernant cette attaque constituent un élément central de la demande d’asile du demandeur, et touchent les agents de persécution du demandeur ainsi que le risque prospectif auquel il sera potentiellement exposé advenant son retour au Sénégal. Il n’est pas déraisonnable que la SAR se soit fondée sur ces contradictions et incohérences majeures pour conclure que le demandeur n’était pas crédible (Tovar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 598 au para 19; Linares Morales c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1496 au para 21).

[17] Le demandeur prétend aussi que le délai entre l’obtention de son visa et son départ du Sénégal n’aurait pas dû être un facteur déterminant au sujet de sa crédibilité. Je ne suis pas d’accord avec cette interprétation de l’analyse de la SAR. La SAR n’a pas traité le délai en soi comme un facteur déterminant pour rejeter sa demande; au contraire, le délai reproché faisait partie d’un des motifs parmi tant d’autres qui ont mené la SAR à sa conclusion sur la crédibilité du demandeur (Osinowo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 284 aux para 21–23; Gebremichael c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 547 au para 44). La pondération de la preuve est « au cœur de la compétence de la SAR » (Csoka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1220 au para 12), et je n’identifie aucune raison justifiant l’intervention de la Cour dans la pondération de cette preuve.

[18] Ensuite, le demandeur prétend que la SAR n’a pas considéré adéquatement sa participation aux activités d’un centre communautaire LGBTQ+. Selon moi, la SAR a considéré cette preuve, mais elle n’était pas suffisante pour réhabiliter les carences majeures quant à la crédibilité de la preuve du demandeur dans son ensemble. Par ailleurs, la Cour a, à maintes reprises, indiqué que la participation à des activités avec des groupes LGBTQ+, en soi, pouvait ne pas être suffisante afin de permettre à un demandeur de se décharger de son fardeau de preuve (Oviawe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 204 au para 38; Obalade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1030 au para 23; Jayaraman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 458 aux para 59–60).

[19] Finalement, le demandeur a plaidé son rapport psychologique pour justifier ses omissions et sa difficulté de présenter un témoignage clair et précis lors de l’audience devant la SPR. Je souligne que cet argument n’a pas été soulevé dans le mémoire du demandeur dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire devant cette Cour. Quoi qu’il en soit, comme l’a noté la SAR, le rapport psychologique ne saurait justifier les omissions majeures dans le FDA du demandeur, et qui expliquent son manque de crédibilité.

[20] En somme, la question principale soulevée dans ce dossier et une question de crédibilité, et il faut faire preuve de grande déférence à la SAR sur ses conclusions en cette matière (Zhao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1593 au para 33; Yan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 146 au para 25). Le demandeur exige essentiellement que la Cour analyse et pondère à nouveau la preuve présentée devant la SPR. Or, ce n’est pas le rôle de la Cour en contrôle judiciaire (Ossomo Ngandzigui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 121 au para 22).

[21] En se basant sur l’ensemble du dossier qui lui a été présenté, la décision de la SAR s’inscrit dans les issues possibles acceptables et se justifie au regard des faits et du droit, et est raisonnable (Vavilov aux para 86, 304). Par conséquent, une intervention de cette Cour n’est pas justifiée en l’espèce.

IV. Conclusion

[22] La décision de la SAR est, dans son ensemble, raisonnable et justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques du dossier (Vavilov au para 99).

[23] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[24] Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification, et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7331-22

LA COUR STATUE:

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Guy Régimbald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER:

IMM-7331-22

INTITULÉ:

ELHADJI MOR GUEYE c MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE:

MONTRÉAL, QUÉBEC

DATE DE L’AUDIENCE:

LE 8 FÉVRIER 2024

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE RÉGIMBALD

DATE DES MOTIFS:

LE 19 FÉVRIER 2024

COMPARUTIONS:

Me Christian Ndjock

POUR LE DEMANDEUR

Me Aboubacar Touré

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Limalaya Law Firm

Montréal, (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Montréal, (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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