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Date : 20240220

Dossier : IMM‑9625‑22

Référence : 2024 CF 268

Ottawa, Ontario, le 20 février 2024

En présence de madame la juge Azmudeh

ENTRE:

Estela Graciela BARRERA CORNEJO

Alejandro Mauricio PASCUAL

Ariadna Kiara PASCUAL

Glenda Magdalena PASCUAL

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs sont citoyens d’Argentine et contestent la décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rendue le 15 septembre 2022, laquelle confirme la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] à l’effet que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger. Le contrôle judiciaire est accueillie pour les raisons suivantes.

I. Aperçu

[2] Le demandeur principal [le « DP »] allègue avoir été persécuté en raison de ses activités avec le « Syndicat de la commission scolaire » (Sindicato Unido de Trabajadores de la Educación – SUTE) en Argentine. Il craint les représailles du président du parti politique « Union civique radicale » (Unión Cívica Radical - UCR), Alfredo Cornejo. Dû aux activités politiques du DP, tous les demandeurs commencent à subir le harcèlement.

[3] La SPR a rejeté la demande essentiellement pour des raisons de crédibilité, et la SAR a confirmé la décision de la SPR. Les faits matériels les plus pertinents sur lesquels la SPR a fondé sa décision négative, et que la SAR a jugé corrects, sont les suivants :

  1. Le DP n'a pas été crédible dans l'établissement de l'identité de son agent de persécution;

  2. Le DP n'a pas été crédible pour établir son rôle dans le syndicat;

  3. L’épouse du DP n'était pas crédible lorsqu'elle a établi qu'un accident de voiture dans lequel elle s'était trouvée avait été délibéré et commandité par l'agent de persécution du DP.

[4] Devant la SAR, les demandeurs ont tenté de déposer les documents supplémentaires suivants, dont la SAR n'a accepté que le dernier, à savoir le rapport psychologique :

  1. Une déclaration devant notaire de M. Sebastián Henríquez, datée du 11 juin 2022. M. Sebastián Henríquez était l'ancien secrétaire général du syndicat et a fourni des informations sur le rôle du DP au sein du syndicat ainsi que sur l'agent de persécution. Il a également expliqué qu'en raison de son propre état psychologique, il n'avait pas fourni la déclaration plus tôt.

  2. Un acte sur les accords non salariaux – Secteur de l’éducation, M. Sebástian Henríquez et autres, daté du 19 décembre 2018;

  3. Copies des communications via Whatsapp, Diego Pascual, daté 26 mai 2022; et

  4. Un rapport psychologique (Estela Garciela Barrera Cornejo), Dr Marta Valenzuela, daté 14 juin 2022. La SAR a accepté ce rapport et ses conclusions sur le fait que le DP souffrait du trouble de stress post-traumatique.

II. Critères d’examen

[5] Les parties soutiennent, et je suis d'accord, que le critère d'examen en l'espèce est celui du caractère raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 (CanLII), [2019] 4 RCS 653 [Vavilov]).

[6] L'argumentation des demandeurs se fonde sur les éléments suivants :

  1. Il était déraisonnable pour la SAR de s'appuyer sur l'analyse de la SPR pour évaluer la crédibilité;

  2. Il était déraisonnable pour la SAR de rejeter les arguments des demandeurs d'asile sur la commissaire de la SPR en faisant preuve d'une crainte raisonnable de partialité; et

  3. Il était déraisonnable pour la SAR de ne pas avoir accepté les nouveaux éléments de preuve, en particulier l'affidavit de M. Sebástian Henríquez.

III. Décision

[7] Je fais droit au contrôle juridictionnel parce qu'il était déraisonnable pour la SAR de ne pas avoir accepté la déclaration de M. Sebástian Henríquez dans les circonstances en l'espèce.

IV. Analyse

[8] En fin de compte, dans cette affaire, la SPR a contesté à la fois l'identité de l'agent de préjudice, à savoir un sénateur du nom d'Alfredo Cornejo, et l'étendue du rôle du DP au sein du syndicat. La SAR a procédé à son analyse et a estimé que la décision de la SPR était correcte. La SAR a ensuite examiné les nouveaux éléments de preuve qu'elle avait admis au début de ses motifs, à savoir le rapport psychologique, et a constaté qu'il ne contenait rien qui aurait pu infirmer les conclusions de crédibilité de la SPR qu'elle avait confirmées. À aucun moment, la SAR n'a examiné le rapport psychologique et ses conclusions pour déterminer s'ils avaient une incidence sur l'actualité des autres documents. La SAR a donc appliqué les principes énoncés à l'article 110(4) de la LIPR à chaque élément de preuve de manière isolée et non dans le contexte dans lequel chacun était présenté.

[9] La SAR a convenu que la déclaration de M. Sebástian Henríquez commentait des événements et des circonstances pertinentes et qu'elle était donc probante, mais comme le contexte de l'activité syndicale et de la crainte du DP était antérieur à la décision de la SPR, il ne s'agirait pas de nouveaux éléments de preuve aux fins du paragraphe 110(4) de la LIPR. Le fait d'attendre de la SAR qu'elle évalue les raisons de la non-disponibilité de la preuve dans le contexte de l'ensemble de la preuve ne modifie pas le fardeau de la preuve qui existe. Cela rappelle simplement à la SAR son devoir d'évaluer la nouveauté de la preuve dans son contexte « dans les circonstances », comme le stipule la Loi :

Éléments de preuve admissibles

Evidence that may be presented

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[Notre soulignement.]

[Emphasis added.]

[10] Le seul rôle du rapport psychologique dans cette affaire était de fournir un contexte de l'état d'esprit des demandeurs d'asile, qui avait une incidence sur l'ensemble de leur comportement. Cependant, la SAR a examiné chaque nouvel élément de preuve, un par un, sans contexte et séparément les uns des autres. Une fois que la SAR a accepté le rapport psychologique, il est devenu déraisonnable de ne pas se demander s'il avait également une incidence sur l'opportunité des autres documents. En dissociant le contexte de son évaluation des nouveaux éléments de preuve, la SAR a adopté une approche mécanique de type « liste de contrôle » qui l'a empêchée de prendre en compte l'exigence législative consistant à déterminer si les demandeurs «ne pouvaient raisonnablement être attendus, dans les circonstances, s'être présentés » au préalable. En fait, l'état mental des demandeurs sur lequel portait le rapport psychologique est une circonstance cruciale qui n'a pas été prise en compte.

[11] Je suis consciente des circonstances restrictives et exceptionnelles que l'article 110(4) est censé créer pour admettre de nouveaux éléments de preuve. Toutefois, le fait d'attendre de la SAR qu'elle apprécie les circonstances de chaque cas en pesant les facteurs établis par Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 96, [2016] 4 RCF 230 et Raza c. Canada (Citoyenneté et Immigration)2007 CAF 385 est conforme à l'intention du législateur.

[12] En l'absence de l'approche contextuelle de la SAR, cette Cour devra spéculer sur la question de savoir si l'évaluation indépendante par la SAR des facteurs de crédibilité pertinents serait restée la même si elle avait correctement évalué l'admission de la déclaration de M. Sebástian Henríquez. Il s'agit là d'une rupture dans la chaîne de raisonnement qui rend la décision dans son ensemble déraisonnable.

[13] La décision de la SAR étant déraisonnable pour les raisons qui précèdent, il n'est donc pas nécessaire d'examiner les autres arguments des demandeurs. Le contrôle juridictionnel est donc accordé.

[14] Il n'y a pas de questions certifiées dans cette affaire.


 

JUGEMENT AU DOSSIER IMM-9625-22

LA COUR STATUE que :

  • 1)La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée à la SAR pour être décidée par un/une autre commissaire.

  • 2)Il n'y a pas de questions certifiées dans cette affaire.

  1.  

« Negar Azmudeh »

blank

Juge



COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

IMM-9625-22

INTITULÉ :

Estela Graciela BARRERA CORNEJO, Alejandro Mauricio PASCUAL, Ariadna Kiara PASCUAL, Glenda Magdalena PASCUAL c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 FÉvRier 2024

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AZMUDEH

DATE DES MOTIFS :

LE 20 FÉvRier 2024

COMPARUTIONS :

Me Jorge Colasurdo

POUR LEs DEMANDEURs

Me Kim Nguyen

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Jorge Colasurdo

Avocat

Montréal (Québec)

POUR LEs DEMANDEURs

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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