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Date : 20240221


Dossier : T-2528-22

Référence : 2024 CF 282

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 21 février 2024

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

RONALD LARRY HOUSE

demandeur

et

DREW SHAW (PRÉSIDENT D’ÉLECTION) ET PREMIÈRE NATION DE PAUL, CASEY BIRD, FARON BULL, DWIGHT PAUL, DARREN S RAIN, DELORES RAIN ET JASON SAULTEAUX

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Monsieur House demande à la Cour d’invalider les élections du conseil de la Première Nation de Paul, au motif que le président d’élection a rejeté sa candidature à tort. J’estime que la candidature de M. House n’aurait pas dû être rejetée, puisqu’il a finalisé celle-ci conformément aux exigences dans le délai prescrit. Cependant, je rejette sa demande, au motif qu’il n’a pas demandé que la situation soit rectifiée dès qu’il en a eu connaissance.

I. Contexte

[2] Les élections du chef et du conseil de la Première Nation de Paul, qui se trouve en Alberta, sont régies par la Loi sur les élections au sein des premières nations, LC 2014, c 5 [la Loi]. La dernière élection s’est tenue le 2 novembre 2022. Le défendeur Drew Shaw en était le président d’élection. Il a rempli cette fonction par l’intermédiaire de la firme One Feather, dont le siège se situe à Victoria (Colombie-Britannique).

[3] Lors de l’assemblée de mise en candidature qui s’est tenue le 26 septembre 2022, M. House a été mis en candidature au poste de conseiller. Aux termes de l’article 9 du Règlement sur les élections au sein de premières nations, DORS/2015-86 [le Règlement], M. House devait remettre sa caution au président d’élection avant 18h00 le troisième jour suivant l’assemblée de mise en candidature, c’est-à-dire le 29 septembre 2022. Cependant, les différents avis préparés par le président d’élection indiquaient comme échéance le 29 septembre 2022 à 16h00. M. House a remis sa caution après 16h00, mais avant 18h00, à cette date.

[4] Le nom de M. House ne figurait ni sur la liste définitive des candidats ni sur le bulletin de vote.

[5] Monsieur House conteste maintenant par la présente demande le résultat de l’élection en vertu de l’article 31 de la Loi.

[6] Un autre candidat, William House, conteste lui aussi l’élection, mais pour d’autres motifs. Je me prononce sur sa demande dans une décision distincte : House c Première Nation de Paul, 2024 CF 283 [William House].

II. Question préliminaire : signification de la requête à tous les candidats

[7] La Première Nation de Paul soulève une objection préliminaire. Elle soutient que M. House n’a pas signifié son avis de demande aux candidats n’ayant pas été élus, en contravention à l’article 34 de la Loi. Il n’a désigné comme défendeurs que les candidats qui ont été élus, et n’a signifié sa requête qu’à eux.

[8] Pour les motifs que j’expose dans la décision William House, aux paragraphes 7 à 14, j’estime que le fait que M. House n’a pas respecté l’article 34 ne justifie pas l’invalidation de sa demande. Par conséquent, la requête de la Première Nation de Paul est rejetée.

III. Analyse

[9] Je rejette la demande de M. House. Bien que je conclue que le président d’élection a contrevenu à la Loi et au Règlement, il n’y a pas de preuves suffisantes de l’incidence de cette contravention sur le résultat de l’élection. En outre, étant donné que M. House n’a pas effectué des démarches en temps utile pour remédier à la situation, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire pour rejeter sa demande.

[10] Le cadre législatif régissant la contestation d’élections en vertu la Loi est expliqué dans la décision William House, aux paragraphes 16 à 20. Il comporte trois étapes : (1) déterminer s’il y a eu contravention à la Loi ou au Règlement; (2) déterminer si la contravention a eu une incidence sur le résultat de l’élection; (3) déterminer si la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour invalider l’élection.

A. Contravention à la Loi

[11] Je conclus que le rejet de la candidature de M. House constitue une contravention à la Loi, parce qu’il s’était conformé aux exigences du Règlement pour finaliser sa candidature.

[12] La preuve démontre que M. House s’est rendu dans une Banque TD le 29 septembre 2022 et a déposé 250 $ en espèces sur le compte bancaire de One Feather à 16h51. J’estime qu’en agissant ainsi, il a versé la caution « en espèces, par chèque certifié, mandat postal ou transfert électronique libellé au nom du président d’élection », au sens de l’alinéa 9(1)b) du Règlement. Le président d’élection n’était pas présent dans la communauté pour recevoir les paiements en espèces. Au lieu de cela, il a chargé des employés de la Première Nation de Paul de fournir aux candidats les renseignements relatifs au compte bancaire de One Feather. Je suis d’avis que le transfert de l’argent vers ce compte était conforme au Règlement.

[13] Bien que la Première Nation de Paul doute du fait que le président d’élection ait réellement reçu l’argent, le contre-interrogatoire de Mme Shalanna Rain l’atteste. Elle a déclaré que le président d’élection avait reçu la caution de M. House après 16h00 le 29 septembre 2022.

[14] Je suis d’avis que M. House a respecté le Règlement en effectuant son paiement avant 18h00, l’échéance indiquée dans le Règlement. Le président d’élection n’avait pas le pouvoir de modifier l’échéance en indiquant une heure différente sur certains avis. Le fait que d’autres candidats aient respecté l’échéance de 16h00 n’est pas pertinent.

[15] Par conséquent, M. House s’est conformé à toutes les exigences pour devenir candidat. Son nom aurait dû figurer sur le bulletin de vote. Puisqu’il n’y était pas, il y a eu contravention à la Loi.

B. Incidence sur le résultat

[16] Il est difficile de déterminer si cette contravention a eu quelque incidence sur les résultats de l’élection. Il faut garder à l’esprit que plus de trente candidats étaient en lice pour cinq postes de conseillers. Le dernier des candidats élus a obtenu 116 voix; de nombreux candidats ont recueilli entre 50 et 110 voix.

[17] Le critère du « nombre magique » est souvent utilisé dans les affaires d’élections pour déterminer si une irrégularité a eu une incidence sur le résultat. En termes simples, si le nombre de voix affectées par la contravention est égal ou supérieur à la marge du candidat élu, il y a eu une incidence sur le résultat : Opitz c Wrzesnewskyj, 2012 CSC 55 au paragraphe 71, [2012] 3 RCS 76.

[18] Cependant, il est plus difficile d’appliquer le critère du nombre magique dans des situations où une candidature a été rejetée par erreur, parce qu’il n’existe aucun moyen de savoir combien de voix le candidat en question aurait recueillies et surtout parce qu’il est impossible de déterminer le nombre de voix affectées par l’irrégularité. De plus, l’hypothèse qui sous-tend le critère du nombre magique, à savoir que les voix entachées auraient été en faveur du candidat arrivé deuxième, est moins vraisemblable lorsque l’élection concerne plusieurs postes et que les voix sont réparties entre un grand nombre de candidats : Pastion c Première nation Dene Tha’, 2018 CF 648 au paragraphe 53, [2018] 4 RCF 467.

[19] Monsieur House soutient qu’il n’a pas eu la possibilité de voter pour lui-même parce qu’il ne figurait pas sur le bulletin de vote, ce qui aurait eu pour résultat d’enlever une voix à un autre candidat. D’autres électeurs auraient pu également voter pour lui plutôt que pour un autre candidat. Comme le nombre magique est de un dans la présente affaire, il avance qu’il y a eu, par conséquent, une incidence sur le résultat.

[20] Je ne peux souscrire à cet argument. Bien qu’il y ait de fortes chances que M. House eût voté pour lui-même, on ne peut savoir quel candidat aurait perdu cette voix, si cela aurait conduit à une égalité ou si cela aurait eu une incidence sur les résultats d’une quelconque autre manière. Il n’existe aucun moyen de déterminer combien d’autres voix il aurait recueillies.

[21] Il est également erroné d’affirmer que le nombre magique dans le présent dossier est un. Les candidats élus ont respectivement recueilli 171, 164, 147, 117 et 116 voix. Bien que l’on puisse supposer que la présence du nom de M. House sur le bulletin de vote aurait eu pour effet de priver chacun d’entre eux de certaines voix, les trois premiers candidats ont gagné avec des marges considérables, et il est hautement spéculatif de soutenir qu’il y aurait eu une incidence sur leur élection.

[22] En théorie, il est plus probable qu’il y ait eu une incidence sur l’élection des candidats ayant recueilli 117 et 116 voix, car le candidat arrivé derrière eux a recueilli 115 voix. Cependant, toute voix qu’aurait obtenue M. House si son nom avait figuré sur le bulletin de vote aurait pu être soustraite des voix recueillies par n’importe quel autre des 36 candidats. Par conséquent, il n’existe qu’une très faible possibilité que le classement de ces trois candidats ait été différent.

[23] Compte tenu des circonstances propres à la présente affaire, la preuve est insuffisante pour que je conclue qu’il y a eu une incidence sur les résultats de l’élection.

C. Mesures de réparation

[24] Quoi qu’il en soit, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire me permettant de ne pas invalider l’élection, parce que M. House n’a pas agi en temps opportun pour rectifier le rejet de sa candidature.

[25] En contre-interrogatoire, M. House a parlé du fait qu’il faisait partie d’une équipe de candidats. Il semble qu’il se soit essentiellement fié sur les candidats de son équipe en ce qui concernait les exigences à remplir pour devenir candidat. L’équipe disposait en outre des conseils juridiques de l’avocat actuel de M. House.

[26] Alors que M. House avait à l’origine déclaré qu’il avait appris le rejet de sa candidature seulement le jour même de l’élection, il a admis en contre-interrogatoire qu’il avait été informé avant cette date qu’il ne figurait pas sur la liste des candidats. Il a aussi reconnu que deux de ses sœurs avaient essayé de porter ce problème à la connaissance du président d’élection, mais qu’elles n’avaient pas reçu de réponse. Il a déclaré qu’il n’avait pas fait de démarches pour corriger la situation parce qu’il avait supposé que le président d’élection se rendrait compte de son erreur.

[27] De plus, la preuve révèle que le président d’élection a autorisé certains candidats à fournir leur déclaration attestant qu’ils consentent à devenir candidats ou leur caution après l’échéance de 18h00 le 29 septembre 2022. Le lendemain, le président d’élection a publié une liste prétendument définitive des candidats sur laquelle figuraient 31 candidats au poste de conseiller. Cependant, le 3 octobre 2022, il a publié une liste modifiée comportant 36 candidats. Selon le témoignage de Shalanna Rain en contre-interrogatoire, la liste a été modifiée pour inclure des candidats qui avaient contacté le président d’élection pour finaliser leur candidature après l’échéance.

[28] En l’absence d’affidavit présenté par le président d’élection, je n’ai à ma disposition aucune preuve expliquant pourquoi il n’a pas inclus le nom de M. House sur la liste des candidats, alors qu’il a inclus des candidats supplémentaires une fois l’échéance passée. Néanmoins, cela tend à démontrer que le président d’élection était prêt à accorder aux candidats la possibilité de corriger les lacunes dans leurs documents de candidature.

[29] Je suis d’avis que M. House ne s’est pas comporté en candidat consciencieux, car il n’a pas vérifié si son nom figurait sur la liste des candidats et il n’a pas pris de mesures immédiates pour remédier à la situation. En contre-interrogatoire, il a affirmé que d’autres personnes avaient pris connaissance de la situation et avaient effectué des démarches en son nom. Cependant, la preuve qu’il a fournie demeure vague et il n’a pas présenté d’affidavits de ces personnes. Le manque de diligence de M. House joue fortement contre l’annulation des résultats de l’élection. Un candidat qui découvre que son nom a été omis de la liste des candidats ne peut tout simplement pas attendre que les élections soient passées pour signaler le problème.

IV. Dispositif

[30] Bien que le fait d’avoir omis le nom de M. House de la liste des candidats et du bulletin de vote constitue une violation de la Loi, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire de n’ordonner aucune mesure de réparation, car M. House n’a pas effectué de démaches pour corriger l’omission dès qu’il en a pris connaissance. Par conséquent, la demande est rejetée.

[31] À l’audience, les défendeurs ont affirmé solliciter des dépens de 1 000 $. Je suis d’avis qu’il s’agit d’un montant raisonnable compte tenu des circonstances.


JUGEMENT dans le dossier T-2528-22

LA COUR ORDONNE :

1. La requête en radiation de la présente demande présentée par la Première Nation de Paul est rejetée.

2. La demande est rejetée.

3. Le demandeur est condamné aux dépens, fixés à 1 000 $, débours et taxes compris, à verser aux défendeurs.

« Sébastien Grammond »

Juge


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

T-2528-22

 

INTITULÉ :

RONALD LARRY HOUSE c DREW SHAW (PRÉSIDENT D’ÉLECTION) ET PREMIÈRE NATION DE PAUL, CASEY BIRD, FARON BULL, DWIGHT PAUL, DARREN S RAIN, DELORES RAIN ET JASON SAULTEAUX

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 JANVIER 2024

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 21 FÉVRIER 2024

 

COMPARUTIONS :

Dipesh C. Mistry

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Will Willier

Darin Gette

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dipesh C. Mistry

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Willier and Company

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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