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Date : 20220926


Dossier : T-611-22

Référence : 2022 CF 1335

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 septembre 2022

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

ROBERT DAVID KNIGHT

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. La nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 16 mars 2022 par laquelle l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] a conclu que le demandeur n’était pas admissible à la prestation canadienne de la relance économique [la PCRE], parce qu’il ne respectait pas le critère du revenu. Pour avoir gain de cause, le demandeur doit démontrer que la décision de l’agent est déraisonnable.

II. Les faits

[2] Les faits exposés ci-après ne sont pas contestés.

[3] La PCRE a été instaurée dans le cadre d’une loi adoptée par le Parlement du Canada en réponse à la pandémie de COVID‑19 : Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12. Le Parlement en a réservé l’accès aux contribuables qui respectaient certains critères. L’un de ces critères requérait que le demandeur ait gagné un revenu d’au moins 5000 $ pour l’année 2019 ou 2020, ou au cours des douze mois précédant la date d’une demande. Le Parlement a également décidé que seuls les revenus provenant des sources suivantes étaient admissibles :

revenu d’emploi (revenu total ou salaire brut);

revenu net d’un travail que le demandeur exécute pour son compte [revenu de travail indépendant] (après déduction des dépenses);

prestations de maternité et prestations parentales de l’assurance-emploi ou autres prestations semblables du RQAP;

prestations régulières ou spéciales d’assurance-emploi si la période de prestations a été établie le 27 septembre 2020 ou après cette date.

[4] Pour les années 2019 et 2020, les revenus du demandeur étaient les suivants :

  • a)4 672,00 $ en 2019, à titre de revenu d’emploi;

  • b)3 674,00 $ en 2020, à titre de revenu d’emploi;

  • c)Le demandeur a également tiré un revenu d’environ 30 000 $, pour chacune des années 2019 et 2020, d’un fonds enregistré de revenu de retraite (comme l’indique le feuillet T4RIF). Cependant, le revenu indiqué dans le feuillet T4RIF ne fait pas partie des revenus admissibles pour les besoins de la PCRE.

[5] Le 7 septembre 2020, l’ARC a conclu que le demandeur n’avait pas droit à la PCRE [la première décision], parce qu’il n’avait pas gagné un revenu d’emploi ou un revenu de travail indépendant d’au moins 5000 $ au cours de la période visée. De plus, il n’a pas respecté une condition préalable supplémentaire pour recevoir la PCRE (point qui n’est pas en cause en l’espèce), car il n’a pas subi une réduction d’au moins 50 p. 100 de ses revenus hebdomadaires moyens par rapport à l’année précédente.

[6] Le 23 septembre 2021, le demandeur s’est opposé à la première décision et a soulevé plusieurs questions, notamment :

La violation de ses droits garantis par la Charte, plus précisément des articles 7, 12 et 15;

L’omission de l’ARC de prendre en compte son revenu tiré de « fonds de pension »;

D’autres allégations distinctes concernant de la « torture » qu’aurait commise le CN, des représailles de la part des « maçons » et des préjugés à son égard en tant que « vieil homme blanc ».

[7] Le 16 mars 2022, l’ARC a examiné l’opposition et a de nouveau conclu que le demandeur n’était pas admissible à la PCRE [la seconde décision].

[8] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la seconde décision. Le défendeur souligne que le demandeur a soulevé des questions qui n’avaient pas été abordées précédemment, notamment le fait que celui-ci avait gagné 5057,50 $ au cours des douze mois précédant la date à laquelle il avait présenté sa demande et que l’ARC avait tenu compte, à tort, de son revenu net plutôt que de son revenu brut.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[9] Les deux décisions ont été communiquées au moyen d’une série de notes rédigées par des agents de l’ARC. Je me concentrerai sur la seconde décision, datée du 16 mars 2022, car c’est celle dont le demandeur sollicite le contrôle judiciaire.

[10] L’agent mentionne que le demandeur n’a pas, en 2019 ou en 2020, gagné le revenu d’emploi ou de travail indépendant d’au moins 5000 $ qui était requis. Les notes de l’agent indiquent que le demandeur avait l’impression que le revenu déclaré dans son T4RIF était admissible à titre de revenu de travail indépendant. Ce n’était pas le cas, car ce revenu ne pouvait être pris en compte pour déterminer l’admissibilité à la PCRE.

[11] De plus, les notes révèlent que le demandeur n’a fourni aucun document à l’appui de son admissibilité fondée sur les revenus. La demande du demandeur a donc été rejetée.

IV. La question en litige

[12] L’unique question à trancher en l’espèce est de savoir si la décision de l’ARC est raisonnable.

V. La norme de contrôle

[13] Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, qui a été rendu en même temps que l’arrêt Vavilov, le juge Rowe, s’exprimant au nom des juges majoritaires de la Cour suprême du Canada, explique ainsi les attributs que doit présenter une décision raisonnable et les exigences imposées à la cour de révision qui contrôle une décision selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « [...] ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [. . .] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100). [...]

[Non souligné dans l’original.]

VI. Analyse

[14] Je me pencherai d’abord sur une question préliminaire posée par le défendeur, qui sollicite une ordonnance visant à modifier l’intitulé afin que le procureur général du Canada soit désigné comme le défendeur en l’espèce. Cette demande sera accueillie, avec effet immédiat.

[15] Ensuite, en ce qui concerne le fond de la présente demande, le demandeur, qui agit pour son propre compte, n’a pas déposé l’habituel mémoire des faits et du droit. Il a plutôt déposé un document d’un paragraphe :

[traduction]
Mémoire des faits et du droit. Je dépose la présente demande de contrôle judiciaire en lien avec la lettre relative au second examen du 16 mars 2022, comme quoi le rajustement demandé avait été rejeté sous l’autorité de Donna Boivin, gestionnaire des services de validation des prestations canadiennes d’urgence de l’Agence du revenu du Canada, qui avait cette autorité en vertu de la Loi sur l’agence du revenu du Canada, la Loi de l’impôt sur le revenu et la Loi sur l’assurance-emploi. Je dépose donc la présente demande de contrôle judiciaire en vertu de toutes les lois fédérales et provinciales applicables, et sur lesquelles s’appuie la lettre relative au second examen du 16 mars 2022 de Donna Boivin de l’Agence du revenu du Canada, notamment, mais sans s’y limiter, la Loi sur l’agence du revenu du Canada, la Charte canadienne des droits et libertés, la Loi de l’impôt sur le revenu et la Loi sur l’assurance-emploi.

[16] À l’audience, le demandeur a présenté diverses observations factuelles et juridiques, qui indiquaient essentiellement que la loi adoptée par le Parlement qui régit l’admissibilité à la PCRE est trop stricte et qu’elle l’a privé du soutien requis dans sa situation. Il a travaillé longtemps et a payé de l’impôt. Il souligne que les personnes ayant gagné un revenu de 5000 $ ou plus ont reçu la PCRE, mais que celles dont les revenus étaient légèrement inférieurs n’ont reçu aucune prestation en raison de cette limite. Il soutient également que le revenu d’emploi est jugé admissible et que les revenus de prestations de maternité et d’assurance-emploi le sont aussi. Or, les retraits de fonds épargnés, comme c’est le cas en l’espèce, ne constituent pas des revenus admissibles.

[17] Les observations du demandeur posent problème, parce que la Cour doit suivre les seuils établis par le Parlement, y compris le critère du revenu minimal de 5000 $ et les définitions des revenus admissibles pour les besoins de la PCRE.

[18] Je conviens avec le demandeur que la limite de 5000 $ et les définitions des revenus admissibles ne sont pas flexibles.

[19] Toutefois, la décision du Parlement d’imposer des limites pour déterminer les personnes admissibles à la PCRE n’est pas une question à l’égard de laquelle je peux intervenir dans la présente demande de contrôle judiciaire.

[20] Toute modification à la loi du Parlement doit être apportée par le législateur.

[21] Je conviens avec le défendeur que la Cour ne peut accorder le redressement fondé sur la Charte que sollicite le demandeur. Compte tenu de l’état actuel des choses et du dossier dont je dispose, je ne suis pas convaincu que le demandeur a démontré que les dispositions de la loi sur la PCRE violent ses droits garantis par les articles 7, 12 et 15 de la Charte. Le demandeur n’a pas rempli les exigences de l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, selon lesquelles les divers procureurs généraux doivent être avisés des questions constitutionnelles, et cette omission constitue un obstacle supplémentaire à sa demande de redressement.

[22] Le défendeur fait valoir que l’ARC était tenue de respecter la loi sur la PCRE adoptée par le Parlement, c’est-à-dire la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, et son paragraphe 2. Je suis du même avis.

[23] Le Parlement n’a pas conféré à l’ARC le pouvoir discrétionnaire d’accorder une dispense permettant d’échapper à la rigidité de la loi sur la PCRE, relativement au seuil minimal de 5000 $ qu’elle fixe ou aux définitions des sources de revenus admissibles pour les besoins de la PCRE.

[24] Le dossier établit de manière raisonnable, comme l’a conclu l’ARC, que le demandeur n’a pas respecté le seuil de revenus de 5000 $ pour l’année 2019 ou 2020, ou au cours des douze mois précédant la date de sa demande de PCRE.

[25] Dans les faits, il est également démontré de manière raisonnable, comme l’a aussi conclu l’ARC, que les revenus du demandeur ne répondent pas aux définitions des revenus admissibles établies par le Parlement pour les besoins de la PCRE. Les fonds de pension ne peuvent pas raisonnablement être pris en compte dans l’évaluation de l’admissibilité.

[26] Je juge également raisonnable la conclusion factuelle de l’ARC selon laquelle le demandeur a gagné moins de 5000 $ au cours des douze mois précédant la date à laquelle il a présenté sa demande. L’affirmation du demandeur voulant qu’il ait gagné un revenu de 5057,50 $ au cours de la période de douze mois visée ne peut être raisonnablement retenue, parce qu’elle est erronée dans les faits. À la lumière de la preuve dont elle dispose, même si la Cour devait choisir la date de présentation de la demande la plus favorable au demandeur, le revenu de celui-ci serait tout de même inférieur au seuil de 5000 $.

[27] Le défendeur fait également valoir que l’ARC a bien tenu compte du revenu brut du demandeur dans le cadre de son évaluation, contrairement à ce que prétend le demandeur. D’après les observations du défendeur, les montants calculés par l’ARC sont fondés sur le total de la rémunération assurable déclarée dans le relevé d’emploi du demandeur. Ce total de la rémunération assurable constitue le revenu brut du demandeur. Je ne vois rien de déraisonnable à cet égard.

[28] De même, à cet égard, je conclus aussi que l’ARC a tenu compte comme il se doit, et donc raisonnablement, du revenu brut du demandeur dans le cadre de son évaluation de l’admissibilité. Ce constat ressort clairement de la lettre relative au second examen envoyée au demandeur, dans laquelle il est indiqué que le revenu pris en compte est celui [traduction] « avant impôts ». Cette précision figure également dans le relevé d’emploi.

[29] La Cour suprême du Canada m’oblige à respecter les contraintes juridiques et factuelles. Je ne suis pas autorisé à tirer des conclusions qui vont à l’encontre de la loi ou qui ne sont pas étayées par la preuve.

[30] Compte tenu des contraintes contenues dans la loi sur la PCRE et de celles inhérentes aux faits de l’espèce concernant les revenus du demandeur au cours des périodes visées, je n’ai nul autre choix que de juger la décision raisonnable. Elle est justifiée au regard des faits et du droit, et elle est transparente et intelligible.

[31] Cela étant dit, l’avocat du défendeur donnera au demandeur les coordonnées d’un organisme d’aide aux victimes de la région qui pourrait l’aider, car celui-ci affirme avoir été victime d’un crime. La Cour lui en est reconnaissante. Elle a également soulevé la possibilité que le demandeur présente une demande d’aide sociale.

VII. Conclusion

[32] À mon humble avis, le demandeur n’a pas démontré que la seconde décision de l’ARC était déraisonnable. L’ARC a évalué et appliqué de manière raisonnable les critères d’admissibilité adoptés par le Parlement. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

VIII. Les dépens

[33] Le défendeur n’a pas demandé de dépens, et aucuns dépens ne seront adjugés.


JUGEMENT dans le dossier T-611-22

LA COUR STATUE :

  1. L’intitulé est modifié de façon à désigner le procureur général du Canada comme le défendeur, avec effet immédiat.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Philippe Lavigne-Labelle


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-611-22

 

INTITULÉ :

ROBERT DAVID KNIGHT c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 SEPTEMBRE 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :


LE 26 SEPTEMBRE 2022

COMPARUTIONS :

Robert David Knight

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Alexander Millman

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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