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Date : 20240226


Dossier : T-753-23

Référence : 2024 CF 252

Ottawa (Ontario), le 26 février 2024

En présence de l’honorable madame la juge Rochester

ENTRE :

ANIMAL EXPERT MAISONNEUVE INC.

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Animal Expert Maisonneuve Inc., est une entreprise d’animalerie. Elle sollicite une ordonnance de mandamus de cette Cour afin que le défendeur accepte le dépôt d’une déclaration d’impôt pour l’année fiscale se terminant le 31 janvier 2015 [année 2015], l’examine et fixe l’impôt payable. La demanderesse a déposé sa demande de contrôle judiciaire le 12 avril 2023.

[2] Les parties sont d’accord que la demanderesse n’a pas déposé sa déclaration d’impôt pour l’année 2015 dans le délai prescrit, soit dans un délai de six mois suivant la fin de l’année fiscale se terminant le 31 janvier 2015. En 2016, n’ayant pas reçu la déclaration de revenus de la demanderesse, l’Agence du revenu du Canada [ARC] a préparé une déclaration de revenus avec l’information qu’elle disposait sur la demanderesse, notamment les déclarations de taxe sur les produits et services (TPS). L’ARC a établi une cotisation à l’égard de la demanderesse en date du 17 juin 2016, et, quelque mois plus tard, elle a transmis une lettre de mise en garde juridique à la demanderesse concernant la dette d’impôt. Suivant cette lettre, soit en janvier et février 2017, un agent de l’ARC a eu des échanges avec l’administrateur unique de la demanderesse. Suivant les échanges avec l’ARC, la demanderesse, via son comptable, a tenté de déposer sa déclaration de revenus de 2015 à deux reprises, soit le 9 mai 2017 et le 14 septembre 2017, sans succès. Lors de ces deux tentatives de dépôt, le système de l’ARC a affiché un message d’erreur refusant la déclaration et invitant la demanderesse de communiquer avec l’ARC pour obtenir de l’aide.

[3] L’ARC a tenté de rejoindre la demanderesse par téléphone à multiples reprises en 2018, la plupart du temps sans succès. Il y a eu quelques échanges avec la demanderesse en octobre 2018 où la demanderesse a affirmé que la déclaration de revenus pour l’année 2015 avait déjà été transmise auprès de l’ARC alors que ceci n’était pas le cas. La période de trois ans pour une nouvelle cotisation prévue par l’alinéa 152(3.1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl)) [LIR] a expiré le 17 juin 2019.

[4] La demanderesse admet que le ministre peut refuser d’examiner une déclaration d’impôt qui a été déposée après la période de trois ans, mais soutient que les tentatives de dépôt des déclarations de revenus pour l’année 2015 faites le 9 mai et le 14 septembre 2017 étaient à l’intérieur de la période de nouvelle cotisation. La demanderesse soutient que le message d’erreur, qui indique notamment que « [l]’ARC ne peut pas traiter la déclaration pour cette année d’imposition puisqu’elle a déjà reçu cette déclaration », induit le contribuable raisonnable en erreur, car il laisse croire que la déclaration a été reçue antérieurement. La demanderesse soutient que le message d’erreur est inexact, car c’est l’ARC qui a préparé la déclaration et non elle. Sur cette base, la demanderesse soutient qu’elle a droit au dépôt et à l’examen de sa déclaration de revenus. Selon la demanderesse, l’obligation d’examiner la déclaration de revenus pour l’année 2015 existe envers la demanderesse et par conséquent, elle demande à cette Cour de prononcer une ordonnance de mandamus, car les conditions énoncées par la Cour d’appel fédérale dans Apotex Inc c Canada (Procureur général) (CA), [1994] 1 CF 742 [Apotex] ont été satisfaites.

[5] En contrepartie, le défendeur soutient que le ministre n’a jamais eu l’obligation d’examiner la déclaration de revenus pour l’année 2015 de la demanderesse, car elle n’a pas été soumise avant que le délai pour une nouvelle cotisation expire, et que les tentatives de dépôts électroniques faites le 9 mai et le 14 septembre 2017 ne constituent pas une valable production de sa déclaration de revenus. Le défendeur note que la demanderesse reconnait qu’une fois la période normale pour une nouvelle cotisation est expirée, le ministre n’a pas le pouvoir d’établir une nouvelle cotisation. Le défendeur soutient qu’aucune ordonnance de mandamus ne devrait être octroyée par cette Cour, car les conditions dans Apotex n’ont pas été remplies. Le défendeur souligne qu’il serait inéquitable envers l’ensemble des contribuables diligents de récompenser la négligence de la demanderesse par l’octroi de l’ordonnance demandée, parce que, entre autres, la preuve démontre sans équivoque que malgré ses multiples discussions avec l’ARC, ni la demanderesse ni son comptable à l’époque n’a pris les mesures nécessaires afin de s’assurer que la déclaration de revenus pour l’année 2015 soit produite au cours de la période normale de nouvelle cotisation.

[6] La demanderesse tente de convaincre cette Cour que ses deux tentatives de dépôt en 2017 ainsi que le langage utilisé dans le message d’erreur justifient, entre autres, l’octroi d’une ordonnance de mandamus pour que l’ARC accepte le dépôt et examine la déclaration de revenus pour l’année 2015. Après avoir examiné la preuve au dossier et le droit applicable, je ne suis pas convaincue qu’une ordonnance de mandamus serait appropriée dans le présent cas. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Analyse

[7] À titre préliminaire et avec le consentement des parties, l’intitulé de la présente cause est modifié pour désigner correctement le défendeur, à savoir le Procureur général du Canada.

[8] Également à titre préliminaire, la preuve démontre qu’une copie de la déclaration de revenus pour l’année 2015 au nom de la demanderesse a été envoyée à l’ARC par courrier recommandé le 17 avril 2020. Le 22 juillet 2020, l’ARC a envoyé une lettre à la demanderesse, en vertu du paragraphe 152(4) de la LIR, lui refusant d’établir une nouvelle cotisation pour l’année 2015 car sa déclaration de revenus a été transmise hors délai.

[9] Durant l’audience, la Cour a questionné les deux parties au sujet de l’impact, le cas échéant, de la transmission de la déclaration de revenus de l’année 2015 en 2020 et du refus subséquent de l’ARC de traiter cette déclaration. La demanderesse a déclaré avoir été mise au courant de la tentative de dépôt en 2020 que lors des présentes procédures. Les deux parties ont convenu que la tentative de dépôt en 2020 n'avait, en fin de compte, aucune incidence sur la présente demande parce qu’elle a été déposée hors délai, et que les actions qui sont matérielles en l’espèce sont les tentatives de dépôt faites en 2017, car elles se situent dans le délai applicable.

[10] Pour en revenir à la question qui nous occupe, je suis d'accord avec le défendeur pour dire que les critères à satisfaire pour l’obtention d’une ordonnance de mandamus n'ont pas été remplis. La question déterminante, à mon avis, est que, sur la base des faits en question, le ministre n'a pas l'obligation légale d'examiner la déclaration de l’année 2015, car elle n’a pas été produite dans le délai prescrit par la LIR.

[11] Les parties conviennent que les critères applicables à l’émission d’une ordonnance de mandamus sont énoncés dans Apotex, notamment : (i) il doit y avoir une obligation légale publique d'agir; (ii) l'obligation doit être due au requérant; (iii) il doit y avoir un droit clair à l'exécution de l'obligation; (iv) aucun autre recours adéquat ne doit être disponible; (v) l'ordonnance doit avoir une valeur ou un effet pratique; (vi) il ne doit pas y avoir d'obstacle équitable à la réparation; et (vii) la balance des inconvénients doit être en faveur de l'émission de l'ordonnance (Apotex aux pp 766-769).

[12] Les exigences relatives à l’obtention d’une ordonnance de mandamus sont cumulatives et doivent être respectées par la partie qui demande l’ordonnance (9027-4218 Québec Inc c Canada (Revenu national), 2019 CF 785 au para 66).

[13] La demanderesse fait valoir que le texte du message d’erreur reçu par son comptable n’était pas clair et aurait induit le contribuable raisonnable en erreur. Dans son affidavit, un employé de la demanderesse prétend que lorsque les messages d’erreurs lui ont été transmis, il croyait que les déclarations de revenus pour l’année 2015 avaient été produites. La demanderesse met l’accent sur les mots « cette déclaration » et « a déjà reçu », et plaide que ceux-ci indiquaient que l’ARC avait déjà les déclarations de revenus de la demanderesse. Le message d’erreur complet énonce ce qui suit :

L'ARC ne peut pas traiter la déclaration telle que transmise puisqu’elle a déjà reçu cette déclaration. Si vous soumettez une déclaration modifiée, vous devez l'indiquer dans votre logiciel. Pour de l’aide communiquer avec le Bureau d'aide à la Transmission par Internet des déclarations des sociétés de l'ARC au 1-800-959-2804.

Déclaration T2 a été refusée. Veuillez rectifier l’erreur ci-dessus et transmettre de nouveau.

[14] Bien que je sympathise avec la demanderesse, je ne trouve pas, compte tenu des nombreux échanges avec l’ARC et tentatives d’appels de celle-ci, que la formulation du message d'erreur constitue un motif suffisant pour conclure que le ministre avait l'obligation légale d'examiner la déclaration. Il ressort du dossier que la demanderesse a été informée à plusieurs reprises de l’existence de la déclaration de revenus pour l’année 2015 préparée par l’ARC en 2016. En outre, en septembre 2017, après la deuxième tentative de dépôt de sa déclaration de revenus, l’ARC a appelé la demanderesse afin de lui demander une copie de la déclaration, mais la demanderesse n’a jamais retourné l'appel. Plusieurs autres tentatives ont été faites par l’ARC pour rejoindre la demanderesse en 2018. Lors d'une de ces tentatives réussies en septembre 2018, l’ARC a, de nouveau, informé la demanderesse que la déclaration pour l'année 2015 n'avait pas été produite. La demanderesse a eu de nombreuses occasions de discuter du dossier avec l’ARC, mais la plupart du temps, elle n'a pas répondu ni retourner leurs appels. La demanderesse a également reçu suffisamment d'informations pour prendre des mesures visant à rectifier la situation, mais en fin de compte, elle n'a pas agi à temps sur la base des informations que l’ARC lui avait communiquées.

III. Conclusion

[15] La demanderesse n’a pas démontré que la présente demande répond aux critères énoncés dans l’arrêt Apotex pour qu’une ordonnance de mandamus soit prononcée. Le ministre n’avait aucune obligation légale d’accepter pour dépôt et d’examiner la déclaration fiscale de l’année 2015, malgré les deux tentatives de dépôt. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[16] Le défendeur sollicite les dépens dont il a droit suite au rejet de la demande. Les parties ont convenu sur la question des dépens pour un montant de 2 500 $. Je suis d’avis que cette somme est raisonnable et justifiée.


JUGEMENT au dossier T-753-23

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Des dépens au montant de 2 500 $ sont adjugés au défendeur.

« Vanessa Rochester »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-753-23

INTITULÉ :

ANIMAL EXPERT MAISONNEUVE INC. c LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 JANVIER 2024

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS :

LE 26 FÉVRIER 2024

COMPARUTIONS :

Me Bernard André Larose

Pour LA DEMANDERESSE

Me Marie-Ève Larocque

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bernard André Larose, avocat

Montréal (Québec)

Pour LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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