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Date : 20240227


Dossier : IMM-3869-23

Référence : 2024 CF 316

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 février 2024

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE:

AMINA ADAM MOHAMMED

MERYM MOHAMMEDSANI

SARA MOHAMMEDSANI

ALARETH MOHAMMEDSANI

ALIHUSSIEN MOHAMMEDSANI

ALI MOHAMMEDSANI

AMAL MOHAMMEDSANI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 8 février 2023 par laquelle l’agent principal (l’agent) a rejeté leur demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) présentée en vertu de l’article 112 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). L’agent n’était pas convaincu que les demandeurs seraient exposés à des menaces à leur vie ou au risque de persécution, de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités s’ils étaient renvoyés en Éthiopie.

[2] Les demandeurs soutiennent que l’agent n’a pas examiné les éléments de preuve contradictoires et le profil de risque des demandeurs, et qu’il s’est fondé à tort sur la décision d’un autre décideur.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de l’agent est déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II. Analyse

A. Le contexte

[4] Amina Adam Mohamed (la demanderesse principale) et ses six enfants sont des citoyens éthiopiens arrivés au Canada en 2017. Le 10 mars 2022, les demandeurs ont présenté une demande d’ERAR. Dans sa décision du 8 février 2023, l’agent a rejeté cette demande.

[5] L’agent a d’abord conclu que les trente-et-un éléments de preuve présentés par les demandeurs à l’appui de leur demande ne constituaient pas des éléments de preuve « survenus depuis le rejet » de leurs demandes d’asile, au sens de l’alinéa 113a) de la LIPR. L’agent a également conclu que les demandeurs auraient pu, à de nombreuses occasions, présenter les risques allégués, et qu’il n’était pas raisonnable de penser que la demanderesse principale ne fut pas au courant des activités politiques de son mari. L’agent a tenu compte de l’allégation concernant les risques auxquels les filles de la demanderesse principale étaient exposées, mais a conclu que ces risques auraient pu être portés à l’attention de la Section de la protection des réfugiés. L’agent a conclu que les documents que la demanderesse avait fournis pour démontrer que son frère avait été mis en détention en raison de l’activisme politique de leur père étaient illisibles et qu’il y avait des incohérences entre les originaux et les traductions. L’agent a également conclu que les éléments de preuve, même s’ils étaient présumés véridiques, n’ont pas établi que les demandeurs étaient exposés à un risque en raison des activités politiques du mari ainsi que du père de la demanderesse principale. De plus, l’agent a conclu que les demandeurs n’avaient pas présenté d’éléments de preuve pour réfuter la conclusion de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle ils pouvaient retourner en Éthiopie et s’installer ailleurs dans ce pays.

[6] L’agent a donc conclu que les demandeurs n’étaient pas exposés à un risque en Éthiopie.

B. La question en litige et la norme de contrôle applicable

[7] La seule question en litige en l’espèce est celle de savoir si la décision de l’agent est raisonnable.

[8] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable au bien-fondé de la décision de l’agent est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux para 25, 86-87 (Vavilov)). Je suis d’accord.

[9] La norme de la décision raisonnable est fondée sur la déférence, mais elle est néanmoins rigoureuse (Vavilov, aux para 12-13). La cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle, y compris le raisonnement qui la sous-tend et son résultat, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Le caractère raisonnable d’une décision dépend du contexte administratif particulier, du dossier dont disposait le décideur et des conséquences de la décision sur les personnes visées (Vavilov, aux para 88-90, 94, 133-135).

[10] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit établir qu’elle souffre d’une lacune suffisamment capitale ou importante (Vavilov, au para 100). Ce ne sont pas toutes les erreurs ou préoccupations au sujet d’une décision en particulier qui justifieront une intervention. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve qui était à la disposition du décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, elle ne modifie pas les conclusions de fait de ce dernier (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou les insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au bien‑fondé de la décision ni constituer une « erreur mineure » (Vavilov, au para 100).

C. L’agent a commis plusieurs erreurs susceptibles de contrôle

[11] Les demandeurs soutiennent que l’agent s’est mépris au sujet de plusieurs éléments de preuve contradictoires et qu’il a également commis une erreur en omettant de faire mention du profil associé au risque auquel ils seraient exposés (Nekenkie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 271 (Nekenkie), au para 23). De plus, les demandeurs soutiennent que l’agent a omis de traiter leur demande d’asile comme une demande sur place et qu’il s’est indûment fondé sur le raisonnement qui sous-tend la décision relative à leur demande fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire.

[12] Le défendeur soutient que l’agent a raisonnablement fondé ses conclusions sur des éléments de preuve pertinents au sujet de membres de la famille de la demanderesse principale et de leur militantisme politique. Le défendeur soutient que les demandeurs invoquent indûment la décision Nekenkie, que leurs arguments concernant la demande sur place ne sont pas fondés et que l’agent n’a pas commis d’erreur en s’appuyant sur les conclusions tirées relativement à la demande fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire.

[13] Je retiens la thèse des demandeurs. La décision de l’agent n’est ni intelligible ni justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles (Vavilov, aux para 15, 99-101).

[14] À mon avis, l’agent a commis la même erreur que celle que l’agent a commise dans l’affaire Mohamed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 637 (Mohamed 1). Je suis d’accord avec mon collègue, le juge Zinn, pour dire que le défaut de l’agent de se renseigner au sujet de l’incohérence apparente concernant les dates dans l’original et la traduction des dossiers de police/d’arrestation du frère de la demanderesse principale est déraisonnable (Mohamed 1, au para 43), tout comme le scepticisme de l’agent quant à l’incohérence du montant de la caution figurant dans le document original et celui figurant dans la traduction (Mohamed 1, au para 41). J’estime que cette conclusion est conforme aux exigences selon lesquelles les décideurs doivent être sensibles au fait que les documents étrangers peuvent ne pas suivre les mêmes coutumes, traditions ou conventions que celles qui nous sont familières au Canada, et qu’ils ne peuvent pas fonder leurs conclusions en matière de preuve sur des considérations anodines (Oranye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 390, aux para 23-24).

[15] Cependant, même après avoir accepté cet élément de preuve comme véridique, l’agent a conclu que les demandeurs ne couraient aucun risque. Cette conclusion est déraisonnable à mon avis. Lorsqu’il existe des éléments de preuve importants qui contredisent la conclusion de fait, l’agent doit fournir les motifs pour lesquels les éléments de preuve contradictoires n’ont pas été jugés pertinents ou dignes de foi (Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 50, au para 25, renvoyant à Ramirez Chagoya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 721 (CanLII), au para 19; Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); 1998 CanLII 8667 (CF), [1998] ACF no 1425 (QL); et Matute Andrade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1074 (CanLII), au para 64). Le juge Zinn a statué que l’élément de preuve relatif à l’arrestation du frère de la demanderesse principale constituait « un élément essentiel de l’affirmation des demandeurs » concernant le risque allégué (Mohamed 1, au para 20). Toutefois, en l’espèce, l’agent n’a fourni aucune raison convaincante pour expliquer en quoi cet élément de preuve, présumé véridique, n’établissait pas que les demandeurs seraient exposés à un risque en raison de l’activisme politique du père de la demanderesse principale. Cette conclusion de l’agent n’est ni intelligible ni justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles l’agent était assujetti (Vavilov, aux para 15, 99‑101).

III. Conclusion

[16] La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agent est déraisonnable. Aucune question n’a été soumise aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.




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