Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20240228


Dossier : T-1050-21

Référence : 2024 CF 169

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 février 2024

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

COMITÉ INTERPROFESSIONNEL DU VIN DE CHAMPAGNE

et

INSTITUT NATIONAL DE L’ORIGINE ET DE LA QUALITÉ

demandeurs

et

COORS BREWING COMPANY

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs, le Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne et l’Institut National de l’Origine et de la Qualité, interjettent appel d’une décision de la Registraire des marques de commerce qui a maintenu trois enregistrements de marques appartenant à Coors Brewing Company (la « défenderesse », ou « Coors »).

[2] La défenderesse est la propriétaire enregistrée de trois marques de commerce pour la bière Miller High Life commercialisée sous le nom « Le Champagne des bières ». Les trois enregistrements de marques (LMC 177,553, LMC 319,461 et LMC 325,567) correspondent aux marques : THE CHAMPAGNE OF BEERS, LE CHAMPAGNE DES BIÈRES ET ETIQUETTE & DESSIN MILLER (ci-après « les marques »). Les marques ont été enregistrées en 1971, 1986 et 1987 respectivement.

[3] À la demande des demandeurs, la Registraire a publié un avis en vertu de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, RSC 1985, c T-13 [la Loi], exigeant des défenderesses qu’elles démontrent l’emploi des marques au cours de la période de trois ans précédente, et, sinon, de montrer la date de leur dernière utilisation et la raison de l’absence d’emploi depuis.

[4] La défenderesse a acquis les marques en question par voie de cession six mois avant l’expiration de la période de trois ans, dans le cadre d’une acquisition importante d’une société. Comme elle n’avait aucune preuve de l’utilisation des marques, la défenderesse a invoqué l’article 45(3) de la Loi et a cherché à démontrer la raison de l’absence d’utilisation au cours de la période de six mois suivant l’acquisition.

[5] La Registraire a accepté la preuve et les arguments de la défenderesse sur ce point et a confirmé les enregistrements. Les demandeurs contestent cette décision.

[6] Pour les motifs qui suivent, l’appel des demandeurs sera rejeté.

II. Contexte

[7] Cette affaire concerne les enregistrements suivants :

N° d’enregistrement

Marques

Produits

LMC 177,553

THE CHAMPAGNE OF BEERS

Bière

LMC 319,461

LE CHAMPAGNE DES BIÈRES

Bière

LMC 325,567

ÉTIQUETTE & DESSIN MILLER

Boissons alcoolisées brassées

[8] Depuis le 13 octobre 2016, Molson Coors Brewing Company a acquis tous les actifs de Miller Brewing International, Inc., y compris la propriété des Marques. Cette acquisition comprenait de nombreux actifs, dont des dizaines de marques et de nombreuses marques canadiennes enregistrées. Les éléments de preuve présentés au registraire montrent que l’acquisition globale a été évaluée à 12 milliards de dollars et qu’elle a doublé la taille de la Molson Coors Brewing Company. Molson Canada est la propriétaire canadienne du propriétaire des Marques.

[9] À la demande des demandeurs, le 3 avril 2017, la Registraire a émis à la défenderesse des avis en vertu de l’article 45 exigeant que Coors démontre si les Marques avaient été utilisées au Canada en liaison avec chacun des produits indiqués dans l’enregistrement à un moment quelconque au cours de la période de trois ans précédant immédiatement la date de l’avis et, dans la négative, la date de leur dernière utilisation et la raison de l’absence d’utilisation depuis cette date. La période pertinente pour cette affaire est donc du 3 avril 2014 au 3 avril 2017.

[10] L’affaire devant la Registraire portait sur la question de savoir si la défenderesse avait démontré des circonstances spéciales pour justifier le non-emploi des marques pendant la période pertinente. La Registraire a cité les autorités gouvernantes sur ce point, résumé les positions des parties et déterminé que la défenderesse avait satisfait au critère prévu à l’article 45(3) de la Loi.

[11] La Registraire a fait deux constatations clés qui sont au cœur du débat en appel : (1) étant donné que Coors n’a acquis les marques que six mois avant l’expiration de la période de trois ans, la date d’acquisition devrait être le point de départ de la période de non-emploi; (2) le non-emploi échappait au contrôle de la défenderesse, parce qu’elle avait besoin d’une approbation réglementaire avant de pouvoir commencer à utiliser les marques et devait entreprendre certains travaux préparatoires avant de présenter ses demandes d’approbation. Ces constatations sont examinées plus en détail ci-dessous.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[12] Il y a trois questions en litige dans cette affaire :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. La Registraire a-t-il commis une erreur en utilisant la date d’acquisition comme point de départ pour la période de non-emploi?

  3. La Registraire a-t-il appliqué le mauvais critère pour déterminer si des circonstances spéciales excusaient le non-emploi des marques?

IV. Analyse

A. Quelle est la norme de contrôle applicable?

[13] Il s’agit d’un appel interjeté en vertu de l’article 56 de la Loi. Depuis la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, les appels interjetés en vertu de l’article 56 de la Loi lorsqu’aucun nouveau témoignage n’est déposé sont évalués conformément à la norme habituelle de contrôle en appel énoncée dans Housen c Nikolaisen, [2002] 2 RCS 235 [Housen]; Clorox Company of Canada, Ltd c Chlorotec SEC, 2020 CAF 76 [Clorox] aux paragraphes 21 à 22; Miller Thomson LLP c Hilton Worldwide Holdings LLP, 2020 CA 134 [Miller Thomson] au paragraphe 46.

[14] En l’espèce, même si la défenderesse a déposé de nouveaux éléments de preuve, il s’est avéré qu’ils n’étaient pas pertinents à l’appel parce que les documents supplémentaires se rapportaient à une question soulevée par les demandeurs dans leur avis de demande, mais qu’elles n’ont pas abordé dans leurs observations écrites ou orales. Par conséquent, la norme de contrôle établie dans Housen s’applique.

[15] Conformément à Housen, les questions de droit sont évaluées selon la norme de la décision correcte. Les constatations de fait et les conclusions de fait sont examinées sur la base d’une erreur manifeste et dominante, et il s’agit d’une norme qui appelle à une très grande retenue : Clorox au paragraphe 38; Miller Thomson au paragraphe 120. Les conclusions mixtes de faits et de lois sont évaluées selon la même norme de retenue, à moins qu’une erreur juridique isolable ne puisse être démontrée, auquel cas l’erreur est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[16] Les parties ne sont pas d’accord sur la caractérisation appropriée des questions soulevées dans la présente affaire. Les demandeurs affirment que les questions soulevées font entrer en jeu des questions de droit assujetties à un contrôle selon la norme de la décision correcte. Comme je l’expliquerai ci-dessous, les demandeurs avancent la thèse que la décision de la Registraire repose sur des erreurs juridiques concernant la période de non-emploi et la caractérisation de la justification du non-emploi, et que les questions soulèvent donc des questions de droit. En réponse, la défenderesse définit les questions comme des questions mixtes de fait et de droit. Elle fait valoir que la détermination de la période de non-emploi et la détermination de la circonstance particulière du propriétaire de la marque qui justifie la période de non-emploi sont des questions qui sont essentiellement motivées par des faits, et qu’il n’y a donc aucune question de droit ou de question juridique à isoler.

[17] Comme je l’explique plus en détail ci-dessous, je conclus que la première question en est une mixte de fait et de droit. Je n’accepte pas qu’il y ait une règle juridique fixe qui détermine précisément quand la période de non-emploi commence dans tous les cas, et la Registraire a appliqué les critères juridiques appropriés aux faits de l’affaire. La question soulevée par les demandeurs sur ce point est une question mixte de fait et de droit. De même, j’estime que la question de savoir si le propriétaire de la marque a démontré des circonstances spéciales qui justifient la période de non-emploi est également une question mixte de fait et de droit.

[18] Pour ces raisons, j’appliquerai la norme de l’erreur manifeste et dominante. Comme indiqué plus tôt, il s’agit d’une norme de contrôle qui appelle un degré élevé de retenue. Dans Clorox, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’en vertu de cette norme, l’appelant doit convaincre le tribunal que le décideur a commis une erreur « évidente qui touche directement à l’issue de l’affaire […]. Il s’agit d’une norme de contrôle appelant un degré plus élevé de retenue que la norme de la décision raisonnable appliquée par la Cour fédérale » (au paragraphe 38).

[19] Avant de discuter des deux questions clés soulevées dans la présente affaire, il sera utile de décrire le contexte juridique, y compris la nature d’une procédure en vertu de l’article 45, et le droit concernant l’évaluation du non-emploi en vertu de l’article 45(3).

B. Contexte juridique

[20] Les articles 45(1) et (3) de la Loi ont trait aux questions soulevées en l’espèce :

Le registraire peut exiger une preuve d’emploi

 

45 (1) Après trois années à compter de la date d’enregistrement d’une marque de commerce, sur demande écrite présentée par une personne qui verse les droits prescrits, le registraire donne au propriétaire inscrit, à moins qu’il ne voie une raison valable à l’effet contraire, un avis lui enjoignant de fournir, dans les trois mois, un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, à l’égard de chacun des produits ou de chacun des services que spécifie l’enregistrement ou que l’avis peut spécifier, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier et la raison pour laquelle elle ne l’a pas été depuis cette date. Il peut cependant, après trois années à compter de la date de l’enregistrement, donner l’avis de sa propre initiative.

 

Effet du non-usage

 

(3) Lorsqu’il apparaît au registraire, en raison de la preuve qui lui est fournie ou du défaut de fournir une telle preuve, que la marque de commerce, soit à l’égard de la totalité des produits ou services spécifiés dans l’enregistrement, soit à l’égard de l’un de ces produits ou de l’un de ces services, n’a été employée au Canada à aucun moment au cours des trois ans précédant la date de l’avis et que le défaut d’emploi n’a pas été attribuable à des circonstances spéciales qui le justifient, l’enregistrement de cette marque de commerce est susceptible de radiation ou de modification en conséquence.

 

Registrar may request evidence of use

 

45 (1) After three years beginning on the day on which a trademark is registered, unless the Registrar sees good reason to the contrary, the Registrar shall, at the written request of any person who pays the prescribed fee — or may, on his or her own initiative — give notice to the registered owner of the trademark requiring the registered owner to furnish within three months an affidavit or a statutory declaration showing, with respect to all the goods or services specified in the registration or to those that may be specified in the notice, whether the trademark was in use in Canada at any time during the three-year period immediately preceding the date of the notice and, if not, the date when it was last so in use and the reason for the absence of such use since that date.

 

Effect of non-use

 

(3) Where, by reason of the evidence furnished to the Registrar or the failure to furnish any evidence, it appears to the Registrar that a trademark, either with respect to all of the goods or services specified in the registration or with respect to any of those goods or services, was not used in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and that the absence of use has not been due to special circumstances that excuse the absence of use, the registration of the trademark is liable to be expunged or amended accordingly.

 

[21] L’exigence de l’article 45 selon laquelle le propriétaire d’une marque doit démontrer l’emploi de la marque au cours des trois dernières années découle du principe fondamental du droit des marques au Canada, tel que décrit par la Cour suprême du Canada dans Mattel, Inc c 3 894 207 Canada Inc, 2006 CSC 22 [Mattel] au paragraphe 5 :

Contrairement à d’autres formes de propriété intellectuelle, le droit à une marque de commerce repose essentiellement sur son emploi véritable. Ainsi, l’inventeur canadien a droit à un brevet même s’il n’en fait aucune exploitation commerciale. Le dramaturge conserve son droit d’auteur même si sa pièce n’est pas jouée. Mais, en ce qui concerne une marque de commerce, le mot d’ordre est de l’employer sous peine de la perdre. L’enregistrement d’une marque déposée qui n’a pas été employée est susceptible de radiation (par. 45(3)).

[22] Les procédures visées à l’article 45 sont de nature sommaire. Elles visent à radier du registre les marques qui ne sont plus utilisées, parfois appelées « bois mort », plutôt qu’à traiter des questions litigieuses de propriété ou de contrefaçon de marques. Il n’est pas nécessaire d’avoir une surdose de preuve. Un propriétaire n’a qu’à établir un cas prima facie d’utilisation, et la preuve d’une vente unique d’un bien portant la marque peut suffire : voir Sport Maska Inc c Bauer Hockey Corp, 2016 CAF 44 [Sport Maska] au paragraphe 55.

[23] Il y a une dimension d’intérêt public dans les procédures en vertu de l’article 45, comme en témoigne le fait que quiconque peut lancer un avis et peut ensuite présenter des observations au registraire et lancer ou participer à un appel : Sport Maska au paragraphe 57. Il est reconnu depuis longtemps que les procédures en vertu de l’article 45 constituent un moyen sommaire et rapide de retirer du registre les marques de commerce qui ont été rejetées ou n’ont jamais été utilisées à la suite de l’enregistrement. Ainsi, le monopole de l’utilisation des marques n’est pas prolongé, et d’autres qui peuvent chercher à utiliser les mots ou les symboles ne sont pas inutilement empêchés de le faire.

[24] Même si la règle générale du droit des marques de commerce est celle de la « péremption », la Loi n’exige pas qu’un propriétaire de marque de commerce démontre son emploi en tout temps. L’article 45 exige simplement qu’un propriétaire produise des preuves d’emploi à un moment donné au cours de la période de trois ans précédente. En outre, l’article 45(3) prévoit une soupape de sécurité limitée pour les propriétaires, qui peuvent éviter l’expulsion en démontrant pourquoi leurs marques de commerce n’ont pas été utilisées. Le critère d’évaluation du non-emploi d’une marque de commerce en vertu de l’article 45(3) a été établi initialement au Canada (Registraire des marques de commerce) c Harris Knitting Mills Ltd, [1985] ACF no 226, 4 CPR (3d) 488 (CAF), [Harris Knitting Mills]. Cette décision confirme un certain nombre de principes fondamentaux qui guident l’analyse de « non-emploi », notamment :

1. La règle générale est que l’absence d’emploi est pénalisée par l’expulsion;

2. L’absence d’emploi peut être justifiée par des « circonstances spéciales », c’est-à-dire « qu’elles doivent être des circonstances qui ne se trouvent pas dans la plupart des cas d’absence d’utilisation d’une marque »; et

3. Ces circonstances spéciales doivent être des circonstances attribuables au défaut d’emploi.

[25] La Cour d’appel a estimé que plusieurs considérations étaient pertinentes pour justifier l’absence d’usage, y compris la durée de l’absence d’usage, la probabilité qu’elle dure longtemps et si le défaut d’emploi était « attribuable à la seule volonté du propriétaire de la marque plutôt qu’à des obstacles indépendants de lui ». Les critères ont été précisés dans Scott Paper Limited c Smart & Biggar, 2008 CAF 129 [Scott Paper] au paragraphe 22 :

Voici maintenant les conclusions devant, à mon avis, être tirées de l’analyse :

1- La règle générale porte que le défaut d’emploi est sanctionné par la radiation.

2-Il existe une exception à la règle générale lorsque le défaut d’emploi est attribuable à des circonstances spéciales.

3- Les circonstances spéciales sont des circonstances qui ne se retrouvent pas dans la majorité des cas de défaut d’emploi de la marque.

4-Les circonstances spéciales qui justifient le défaut d’emploi de la marque doivent être les circonstances auxquelles le défaut d’emploi est attribuable.

[26] La décision Scott Paper a clarifié les éléments du critère. Des décisions subséquentes ont établi qu’elle mettait davantage l’accent sur le deuxième des facteurs Harris Knitting, c’est-à-dire que le non-emploi échappait au contrôle du propriétaire inscrit doit être considérée comme une considération obligatoire. Ces décisions ont conclu que si ce facteur n’est pas respecté, le non-emploi ne tombera pas dans l’exception, peu importe la force des autres éléments (voir, par exemple, One Group LLC c Gouverneur Inc, 2016 CAF 109 [One Group CAF] au paragraphe 7). Deuxièmement, Scott Paper a souligné que les circonstances spéciales qui excusent l’absence d’utilisation doivent être les circonstances auxquelles l’absence d’utilisation est due. Ce dernier point a été expliqué dans Scott Paper comme suit (paragraphe 23) : « Ce qu’il faut comprendre, c’est que ce n’est pas la nature des circonstances spéciales qui importe, mais simplement que les circonstances spéciales se rapportent à la cause de défaut d’emploi et non à toute autre considération ».

[27] Les conclusions de Scott Paper illustrent la façon dont ces principes sont appliqués. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a conclu que « il est clair que le défaut d’emploi d’une durée de 13 ans était attribuable à une décision délibérée de ne pas employer la marque » (au paragraphe 26). L’intention du propriétaire de reprendre l’emploi d’une la marque et les mesures prises pour atteindre cet objectif « ne peu[vent] correspondre aux circonstances spéciales qui justifient le non‑emploi de la marque » (Scott Paper au paragraphe 28). Le fait que la décision était motivée par les conditions du marché et que le propriétaire avait clairement l’intention de reprendre l’emploi de la marque à un moment donné à l’avenir pourrait expliquer pourquoi la marque n’est pas utilisée, mais ne constitue pas « des circonstances spéciales »; qui le justifieraient, conformément à l’article 45(3) (Scott Paper au paragraphe 31).

[28] Le dernier élément du cadre juridique qui mérite d’être mentionné ici est que les conclusions de fait faites par le registraire dans l’évaluation du non-emploi en vertu de la disposition doivent être respectées, en particulier parce que la loi ne définit pas le terme « circonstances spéciales » et par conséquent le registraire a une « vaste discrétion » afin qu’il puisse « tenir compte des éléments de preuve propres à chaque situation » : One Group CAF au paragraphe 14.

[29] Dans ce contexte, j’aborderai les questions soulevées dans cette affaire.

C. La Registraire a-t-elle commis une erreur en utilisant la date d’acquisition comme point de départ pour la période de non-emploi?

  • (1)La décision de la Registraire

[30] Coors n’a produit aucun élément de preuve démontrant l’emploi des marques par le propriétaire précédent au cours de la période de trois ans. Elle a plutôt invoqué l’article 45(3), faisant valoir que sa période de non-emploi a commencé à la date à laquelle elle a acquis les marques. La Registraire a accepté la date d’acquisition comme point de départ pour évaluer le non-emploi.

[31] La Registraire a conclu qu’une cession ou un changement de titre pour une marque ne constitue pas en soi une circonstance spéciale. Toutefois, à la lumière des éléments de preuve relatifs à la portée et à l’ampleur de l’acquisition dans cette affaire et du fait qu’elle s’est produite à peine six mois avant les avis, la Registraire a conclu ce qui suit :

[Traduction] J’admets que l’acquisition récente et importante de la Propriétaire, six mois seulement avant les avis, peut être considérée comme une circonstance spéciale que l’on ne retrouve pas dans la plupart des cas d’absence d’emploi, d’autant plus qu’il existait également d’autres circonstances indépendantes de la volonté de la Propriétaire qui, examinées par rapport à la durée du défaut d’emploi des Marques de commerce en question, justifiaient cette absence d’emploi, comme nous le verrons plus loin.

[32] Après avoir pris note des positions divergentes des parties sur la date pertinente pour évaluer le non-emploi, la Registraire a poursuivi en discutant de la jurisprudence. À cet égard, la Registraire a conclu que [traduction] « lorsqu’une marque de commerce a été récemment acquise par un nouveau propriétaire, un certain nombre de décisions ont considéré la date d’acquisition comme la date pertinente aux fins de l’évaluation de la durée du défaut d’emploi […] ». La registraire a conclu que « ce serait une approche trop lourde et très technique que d’exiger de la Propriétaire qu’elle justifie un prétendu défaut d’emploi pendant une période de plusieurs décennies alors qu’elle n’a acquis les Marques en question que six mois avant la date des avis et qu’il n’est pas en mesure d’attester de l’emploi ou de l’absence d’emploi des marques par le propriétaire précédent ».

[33] Enfin, la Registraire a discuté d’un cas sur lequel s’est fondé les demandeurs, Dentons Canada LLP c CanWhite Sands Corp, 2020 COMC 95 [CanWhite Sands], où la Commission d’opposition des marques de commerce (« COMC ») a refusé de considérer la date d’acquisition comme la date pertinente pour évaluer le non-emploi. Cette affaire est examinée plus en détail ci-dessous. À cette étape, il suffit de noter que la Registraire a conclu que [Traduction] « chaque affaire doit être analysée suivant ses propres faits et comme il a été reconnu au paragraphe 37 de la décision Dentons, il peut être approprié d’accepter la date d’acquisition aux fins de l’évaluation de la durée du défaut d’emploi. À mon avis, c’est l’un de ces cas ».

  • (2)Observations des demandeurs

[34] Les demandeurs font valoir que l’utilisation par la Registraire de la date d’acquisition pour évaluer la période de non-emploi est une erreur de droit, car : (i) elle va à l’encontre du libellé clair de l’article 45 et à l’exigence d’utilisation dans le droit des marques de commerce; (ii) elle ignore les principes généraux de propriété de common law; (iii) elle va à l’encontre de la jurisprudence relative aux procédures amorcées en vertu de l’article 45. Les demandeurs font valoir que l’approche adoptée par la Registraire permet effectivement au propriétaire d’une marque d’utiliser une cession comme bouton de remise à zéro et ne tient pas compte de la durée réelle du non-emploi de la marque.

[35] Selon les demandeurs, le libellé de l’article 45 est clair et sans ambiguïté. Il prévoit qu’à la réception d’un avis, le propriétaire d’une marque est tenu, sans exception, de spécifier si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier et la raison pour laquelle elle ne l’a pas été depuis cette date. L’exigence d’établir la date à laquelle la marque a été employée pour la dernière fois est obligatoire. À défaut, les demandeurs font valoir que la date d’enregistrement doit servir de point de départ pour évaluer la durée du non-emploi. Elles font observer que rien dans la Loi ne laisse entendre que l’exigence obligatoire de montrer la date du dernier emploi change ou ne s’applique pas dans le cas d’une cession de la marque.

[36] Les demandeurs soutiennent que la détermination de la date du dernier emploi est essentielle parce que la justification du non-emploi dépendra, en partie, du fait qu’elle a été brève ou prolongée. Elles citent le passage suivant de Scott Paper au paragraphe 21, qui, à son tour, se fonde sur Harris Knitting : « On peut cependant souligner l’importance à cet égard de la durée du défaut d’emploi et de la probabilité qu’il se prolonge longtemps; en effet, des circonstances peuvent justifier un défaut d’emploi pour un bref laps de temps sans pour autant justifier un défaut d’emploi prolongé[…] »

[37] L’obligation d’établir la date du dernier emploi est conforme à l’objet de l’article 45, qui vise à radier du registre les marques qui sont devenues désuètes. Les demandeurs font valoir que l’intérêt qu’un propriétaire peut exprimer dans sa marque de commerce n’est pas le point de mire de l’analyse de l’article 45; c’est plutôt la marque de commerce et la question de savoir si elle est employée qui constitue la considération centrale. Pour bénéficier du monopole pancanadien accordé par le droit des marques de commerce, les propriétaires doivent démontrer l’emploi. Cela découle de l’objet central du droit des marques lui-même, tel qu’exprimé dans Mattel.

[38] L’argument des demandeurs selon lequel l’approche du registraire va à l’encontre des principes de la common law affirme d’abord que les marques sont des droits de propriété assujetties à des principes semblables à ceux qui s’appliquent aux biens meubles corporels. Elles font valoir que l’utilisation de la date de cession comme point de départ pour évaluer le non-emploi va à l’encontre du principe de base selon lequel un acheteur n’acquiert aucun meilleur titre sur un bien que le vendeur avait. Selon cette approche, un nouveau propriétaire acquiert un enregistrement de marque de commerce dans l’état où il était avant la transaction.

[39] Selon les demandeurs, il est improbable qu’un propriétaire de marque invoque l’ignorance quant à l’état d’un enregistrement d’une marque de commerce avant son acquisition. La valeur pratique d’une marque de commerce enregistrée dépend en grande partie de sa validité, qui dépend à son tour de son emploi en liaison avec les produits ou services. Les demandeurs soutiennent que la Registraire a donc commis une erreur en concluant qu’une partie sophistiquée comme la défenderesse n’aurait pas mené le plus simple examen préalable en ce qui concerne l’emploi des marques de commerce, au cours d’une transaction d’une valeur d’environ 12 milliards de dollars.

[40] L’un des principaux éléments de l’argument des demandeurs à cet égard est leur allégation selon laquelle la Registraire a commis une erreur en ne respectant pas la décision de la COMC dans CanWhite Sands, qui, selon eux, est plus conforme à Harris Knitting et Scott Paper que les autres décisions invoquées par la Registraire. Les demandeurs font remarquer que bon nombre de ces décisions antérieures précèdent la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Scott Paper, qui précisait la façon dont les critères énoncés dans Harris Knitting devraient être appliqués. En particulier, Scott Paper a souligné que l’on ne devrait pas insister indûment sur l’intention du propriétaire de reprendre l’emploi de la marque, ce qui nuit à la valeur de ces précédents antérieurs.

[41] La Registraire a également cité d’autres décisions qui ont été rendues après Scott Paper; les demandeurs se fondent sur la conclusion dans l’affaire CanWhite Sands selon laquelle ces décisions ne tenaient pas nécessairement compte de la clarification fournie par Scott Paper.

[42] Enfin, sur ce point, les demandeurs font valoir que tout ce courant jurisprudentiel se fonde sur une interprétation erronée de l’affaire fondamentale Arrowhead Spring Water Ltd c Arrowhead Water Corp, (1992), 44 CP (3d) 412 (COMC); conf par [1993] ACF no 38, 47 CPR (3d) 217 (CF 1re inst) [Arrowhead Spring Water]. L’argument lié à ce courant jurisprudentiel est examiné plus en détail ci-dessous.

  • (3)Observations de la défenderesse

[43] La défenderesse, Coors, soutient que la thèse des demandeurs ne peut être acceptée pour quatre raisons. Premièrement, elle affirme que la Registraire n’est pas tenu de suivre une autre décision de la COMC. Chaque cas visé à l’article 45 doit être jugé selon son bien-fondé, en particulier parce que la détermination de la date de non-emploi est un exercice extrêmement factuel.

[44] Deuxièmement, Coors fait valoir que la thèse des demandeurs est fondée sur une interprétation erronée de CanWhite Sands et de la décision du registraire dans le cas présent. Coors affirme que, selon les demandeurs, CanWhite Sands appuierait la proposition selon laquelle il est toujours inapproprié d’utiliser la date d’affectation comme date pertinente. Mais elle ne dit rien de tel, à la lumière du libellé clair de la décision dans ce cas. En fait, selon Coors, CanWhite Sands se fonde plutôt sur les faits et les circonstances propres à cette affaire.

[45] En outre, Coors affirme que les demandeurs interprètent mal la décision du registraire en l’espèce, en ce sens que leur argument repose sur l’affirmation selon laquelle la Registraire estimait qu’elle était tenue, en droit, d’utiliser la date d’affectation comme date pertinente. Coors soutient que la décision est fondée sur la preuve au dossier dont elle est saisie et que la Registraire n’a pas déclaré qu’elle était tenue d’appliquer une règle absolue.

[46] Troisièmement, Coors fait valoir que la Registraire n’a commis aucune erreur, encore moins une erreur manifeste et dominante, en décidant d’exercer son pouvoir discrétionnaire de choisir la date d’affectation à la lumière de la preuve dans cette affaire. À cet égard, la défenderesse fait remarquer que la COMC a utilisé la date de l’acquisition dans une décision très récente portant sur acquisition de la marque par un propriétaire sept mois avant la publication des avis en vertu de l’article 45 : PNC IP Group Professional Corp c Mark Anthony Group, 2021 COMC 268 [Mark Anthony Group] au paragraphe 30. Coors dit que la thèse des demandeurs est paradoxale, dans la mesure où elle ne prétend pas que la décision en l’espèce était incompatible avec la loi; les demandeurs soutiennent plutôt que la décision était conforme à la jurisprudence précédente, mais que ces décisions sont erronées.

[47] De plus, Coors affirme qu’il est déplacé pour les demandeurs d’invoquer Scott Paper, parce que dans ce cas, l’agente d’audience a utilisé la date d’affectation comme date pertinente et que cette date a été acceptée en appel. Coors soutient qu’il n’y a pas lieu de prétendre que l’utilisation de la date de l’acquisition récente comme date pertinente aux fins d’une analyse des circonstances spéciales en vertu de l’article 45(3) constitue une erreur de droit. La loi soutient plutôt une enquête factuelle pour appuyer l’exercice par le registraire de son pouvoir discrétionnaire quant à la date appropriée à utiliser dans chaque cas particulier. Coors soutient que c’est précisément le genre d’enquête que la Registraire a entreprise dans cette affaire et que ce n’était pas une erreur de le faire.

[48] Quatrièmement, Coors conteste l’affirmation des demandeurs selon laquelle des considérations liées aux politiques jouent en faveur de sa position. Elle indique que diverses décisions antérieures de la CMOC, et la Registraire dans le cas présent, ont conclu que l’approche proposée par les demandeurs est trop technique et va à l’encontre de la nature sommaire d’une procédure de radiation en vertu de l’article 45. En outre, Coors fait valoir que l’obligation pour les nouveaux propriétaires de rendre compte de longues périodes de non-emploi avant la date d’achat peut avoir un effet dissuasif sur l’achat de marques de commerce inutilisées, ce qui à son tour retardera ou entravera leur réapparition et leur réintroduction sur le marché.

[49] Selon Coors, l’article 45 n’a jamais été conçu pour radier les marques qui ne sont pas employées au moment même où elles sont acquises. La disposition prévoit plutôt une période de trois ans, afin de donner à un nouveau propriétaire le temps de prendre les mesures nécessaires pour reprendre l’emploi de la marque de commerce. Du point de vue des politiques, Coors fait valoir que l’article 45 n’impose pas à l’acheteur des obligations onéreuses et obligatoires de diligence raisonnable pour recueillir des preuves et des documents permettant d’établir l’emploi passé par un vendeur de ses marques de commerce, surtout dans le contexte d’une transaction importante.

[50] En ce qui concerne l’argument relatif aux droits de propriété avancé par les demandeurs, Coors fait valoir que l’utilisation de la date de cession ne confère pas au nouveau propriétaire de meilleurs droits que ceux que le vendeur avait, mais donne plutôt au propriétaire un actif qui n’est pas inférieur à ce qu’il a acquis. Une telle approche donne au nouveau propriétaire une occasion légitime de faire de la marque de commerce acquise un bien en l’employant, ce qui est conforme aux objectifs de la Loi dans son ensemble.

  • (4)Analyse

[51] Je ne suis pas convaincu par la position des demandeurs, à savoir que la Registraire a commis une erreur de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, en utilisant la date d’acquisition comme point de départ pour la période de non-emploi.

[52] Je conclus que la date appropriée pour évaluer la période de non-emploi soulève une question mixte de fait et de droit. La Registraire n’a pas déclaré qu’elle était tenue, en droit, d’utiliser la date d’acquisition comme point de départ pour la période de non-emploi. En fait, je conclus que la Registraire a examiné la jurisprudence pertinente sur ce point et qu’elle a appliqué les critères qui en découlent aux faits de la présente affaire. Il s’agissait de déterminer si des « circonstances spéciales » justifiaient la période de non-emploi, ce qui, à son tour, exigeait de déterminer le début de la période de non-emploi, dans les circonstances de cette affaire. Il s’agit de décisions mixtes de fait et de droit.

[53] La Registraire a d’abord déterminé qu’il y avait des circonstances spéciales. Dans cette conclusion, la Registraire a déclaré :

[Traduction] Je suis d’accord pour dire qu’une cession ou un changement de titre en soi ne constitue pas une circonstance spéciale [Taogosei Co c Servicios Corporativos De Administracion GMZ, SA De CV (1999), 3 CP (4th) 275 (COMC)]. Dans un certain nombre de cas, on a conclu qu’une cession récente ou l’acquisition d’une marque de commerce pendant la période pertinente justifiant le non-emploi pendant une brève période, car il était raisonnable de supposer que le nouveau propriétaire aurait besoin d’un certain temps pour prendre des dispositions concernant l’emploi d’une marque nouvellement acquise. Toutefois, le non-emploi dans ces cas n’était pas uniquement attribuable à l’acquisition récente d’une marque de commerce; il y avait d’autres circonstances jugées indépendantes de la volonté du propriétaire, ce qui influait raisonnablement sur le moment de la réintroduction des produits associés à la marque de commerce en cause. Dans chaque cas, des mesures actives ont également été prises pour reprendre l’emploi avant la publication de l’avis en vertu de l’article 45 [Morrison Brown Sosnovitch LLP c Jax and Bones Inc, 2014 COMC 280 au para 23]. (souligné dans l’original)

[54] En ce qui concerne les faits, la Registraire a conclu que la taille de l’acquisition (environ 12 milliards de dollars) et le fait qu’elle ait eu lieu à peine six mois avant les avis « peut être considérée comme une circonstance spéciale que l’on ne retrouve pas dans la plupart des cas d’absence d’emploi […] ». La Registraire a également noté que l’absence d’emploi était justifiée par d’autres circonstances indépendantes de la volonté du propriétaire. Ces facteurs supplémentaires sont examinés dans la section suivante.

[55] En ce qui concerne la date de début de la période de non-emploi, dans sa décision, la Registraire énonce les positions des parties et fait remarquer que [traduction] « lorsqu’une marque de commerce a été récemment acquise par un nouveau propriétaire, un certain nombre de cas ont considéré la date d’acquisition comme la date pertinente pour évaluer le non-emploi […] [renvois omis] ». La Registraire fait aussi observer que « une telle approche était même jugée appropriée lorsqu’une marque de commerce n’avait pas été employée depuis son enregistrement […] » citant : Cassels Brock & Blackwell LLP c Registraire des marques de commerce, 2004 CF 753 aux paragraphes 17 et 25.

[56] Ensuite, la Registraire a examiné la matrice factuelle de cette affaire particulière. L’analyse commence par mentionner que Coors avait fait valoir que [traduction] « Molson Canada ne possède aucun dossier relatif à l’emploi des Marques de commerce en question par l’ancienne propriétaire avant leur vente » et conclut que le fait d’exiger au propriétaire actuel d’expliquer pourquoi l’ancienne propriétaire a pu ou non employer les Marques depuis leur date d’enregistrement lui imposerait un fardeau trop lourd :

[Traduction] À mon avis, ce serait une approche trop lourde et très technique que d’exiger de la Propriétaire qu’elle justifie un prétendu défaut d’emploi pendant une période de plusieurs décennies alors qu’elle n’a acquis les Marques de commerce en question que six mois avant la date des avis et qu’il n’est pas en mesure d’attester de l’emploi ou de l’absence d’emploi des marques par le propriétaire précédent [voir GPS (UK) c Rainbow Jean Co (1994), 58 CPR (3d) 535 (COMC) pour une conclusion similaire concernant un transfert de marque deux mois avant l’avis; voir également Morrison Brown Sosnovitch LLP c Jax and Bones Inc, 2014 COMC 280].

[57] En outre, la Registraire a discuté de CanWhite Sands, une décision invoquée par les demandeurs dans laquelle la Commission a refusé de considérer la date d’acquisition comme la date pertinente pour évaluer le non-emploi. Compte tenu de l’accent que les demandeurs mettent sur cette décision, il convient de citer l’analyse complète de la Registraire :

[Traduction] Enfin, je suis parfaitement au courant que dans la décision Dentons Canada LLP c CanWhite Sands Corp, 2020 COMC 95, la Commission a refusé de considérer la date d’acquisition comme la date pertinente aux fins de l’évaluation de la durée du défaut d’emploi. Toutefois, chaque affaire doit être analysée suivant ses propres faits et comme il a été reconnu au para 37 de la décision Dentons, il peut être approprié d’accepter la date d’acquisition aux fins de l’évaluation de la durée du défaut d’emploi. À mon avis, c’est l’un de ces cas.

[58] Selon moi, deux points ressortent clairement de la discussion qui précède sur l’analyse de la Registraire. Premièrement, elle a suivi les étapes énoncées dans la jurisprudence, en déterminant si des circonstances spéciales existaient et en déterminant quand la date de non-emploi a commencé. Deuxièmement, la Registraire n’a pas déclaré qu’elle était tenue, en droit, d’utiliser la date d’acquisition comme point de départ pour la période de non-emploi. Au lieu de cela, la Registraire a clairement conclu qu’il s’agissait d’une enquête factuelle et qu’il avait été déterminé dans des décisions antérieures que la date d’acquisition était appropriée, tandis que la récente décision rendue dans CanWhite Sands ne l’avait pas fait. L’affirmation du registraire selon laquelle « chaque affaire doit être analysée suivant ses propres faits » est directement opposée à la position des demandeurs selon laquelle la Registraire a commis une erreur en appliquant automatiquement la date d’acquisition comme point de départ pour évaluer le non-emploi.

[59] Les demandeurs ont fait valoir que six des dix causes invoquées par la Registraire étaient antérieures à la date à laquelle la Cour d’appel fédérale a clarifié Harris Knitting dans sa décision Scott Paper, et que ces décisions mettent à tort l’accent sur l’intention du propriétaire de reprendre l’emploi de la marque de commerce. Les demandeurs font également valoir que les quatre cas les plus récents cités par la Registraire devraient être écartés, car, comme il a été conclu dans CanWhite Sands, ils vont à l’encontre de Scott Paper. Bref, les demandeurs font valoir que tout ce courant jurisprudentiel se fonde sur une interprétation erronée de l’affaire fondamentale Arrowhead Spring Water.

[60] Je ne suis pas convaincu que la Registraire ait commis une erreur en choisissant de suivre un courant jurisprudentiel établi de longue date sur la question du point de départ de la détermination du non-emploi lorsque le propriétaire a récemment acquis des droits sur la marque de commerce en cause. Il semble que les parties aient présenté des courants jurisprudentiels différents, parce que la Registraire les a cités. Ce faisant, la Registraire a jugé approprié de suivre un courant et a refusé de suivre le raisonnement exposé dans CanWhite Sands. C’est un choix qui était loisible à la Registraire, compte tenu de l’état de la jurisprudence. Il ne s’agit pas d’une situation où l’approche de la Registraire s’écartait d’un courant jurisprudentiel long et cohérent, sans expliquer pourquoi il était justifié d’adopter une approche différente. À cet égard, la défenderesse a fait référence à une récente décision de la COMC rendue plusieurs mois après la décision de la Registraire dans la présente affaire, dans laquelle l’agent d’audience a décidé de ne pas suivre CanWhite Sands, en employant un raisonnement qui est très semblable à l’analyse en l’espèce : Mark Anthony Group.

[61] En outre, je note que dans les cas les plus récents cités par la Registraire, l’agent d’audience a déclaré que la date d’affectation ou d’acquisition est « généralement » utilisée comme point de départ pour déterminer le non-emploi : voir Hudson’s Bay Co c Bombay & Co Inc, 2013 COMC 159 au paragraphe 16; Morrison Brown Sosnovitch LLP c Jax and Bones Inc, 2014 COMC 280 au paragraphe 21; Protein 2 O LLC c Inutrition Inc, 2019 COMC 6 au paragraphe 20; Supreme Brands LLC c Joy Group OY, 2019 COMC 45 au paragraphe 47. Cette formulation indique que les divers agents d’audience qui gèrent ces cas ne se sont pas sentis tenus d’appliquer la date d’affectation ou d’acquisition, mais ont plutôt reconnu qu’ils pouvaient choisir de le faire dans les circonstances spéciales de chaque cas.

[62] En utilisant la date d’affectation comme point de départ, la Registraire (et les autres agents d’audience qui gèrent ces autres cas) agissaient d’une manière conforme à Scott Paper elle-même. Comme l’a fait remarquer Coors, dans cette affaire, l’agent d’audience avait décidé d’utiliser la date d’acquisition comme point de départ pour évaluer la non-utilisation (Scott Paper Co c Lander Co Canada (1996), 67 CPR (3d) 274 (COMC)). Dans ce cas, l’inscrivant avait acheté la marque en question trois mois avant l’avis en vertu de l’article 45, et l’agent d’audience a conclu qu’il serait trop technique d’exiger du propriétaire qu’il montre la date du dernier emploi comme condition préalable à la réponse à un avis en vertu de l’article 45. Au lieu de cela, l’agent d’audience a conclu ainsi :

[traduction] [D]ans les cas où une marque de commerce a été récemment cédée, la période de non-emploi a été considérée comme commençant à la date à laquelle la marque de commerce a été cédée, car on jugeait que le fait d’exiger d’un nouveau propriétaire qu’il justifie l’absence d’emploi de la marque par ses prédécesseur(s) était une approche trop technique.

Il se peut que, dans certaines circonstances, une telle approche ne soit pas jugée raisonnable. Cependant, je ne suis pas convaincu qu’il s’agisse de ce genre de cas…

[63] En appel, cette approche n’a pas été contestée et la Cour d’appel fédérale n’a pas contesté la conclusion : Scott Paper au paragraphe 7. Par conséquent, la décision de l’agent d’audience a été annulée parce qu’elle mettait trop l’accent sur l’intention du nouveau propriétaire de reprendre l’emploi et qu’elle mettait en doute l’importance du fait que le non-emploi était attribuable à une décision délibérée du propriétaire. Toutefois, aucune question n’a été soulevée ou aucun doute n’a été exprimé quant à la conclusion que la date d’affectation constituait le point de départ de la détermination du non-emploi.

[64] Les demandeurs cherchent à limiter l’effet de cette décision, faisant valoir que CanWhite Sands peut être rapprochée avec Scott Paper parce que la cession dans ce dernier cas s’est produite treize ans avant l’avis en vertu de l’article 45, et qu’il n’y a eu aucune contestation quant à au non-emploi de la marque de commerce dans la période intermédiaire. Dans un cas où la cession a longtemps précédé la délivrance de l’avis en vertu de l’article 45, selon les demandeurs, l’analyse ne porte pas sur l’intention du nouveau propriétaire de reprendre l’emploi, mais plutôt sur les circonstances entourant le no-emploi de la marque pendant une longue période.

[65] Je ne suis pas convaincu par l’argument des demandeurs sur ce point. Le fait que l’agente d’audience dans Scott Paper ait décidé d’utiliser la date d’acquisition comme date du dernier emploi, en l’absence de preuve d’un emploi antérieur, en est un de plus dans un courant jurisprudentiel où une telle approche a été adoptée. Le fait qu’elle n’ait pas été contestée et que la Cour d’appel n’ait pas fait de commentaires défavorables à son égard constitue une considération pertinente. De plus, les conclusions de l’agente d’audience dans Scott Paper ne concordent pas avec la position des demandeurs selon laquelle il est obligatoire d’exiger qu’un propriétaire indique la date du dernier emploi. Quoi qu’il en soit, Scott Paper confirme qu’il s’agit d’un exercice fondé sur des faits, où le moment de l’acquisition par rapport à la publication de l’avis est l’une des considérations pertinentes.

[66] Quant à l’argument des demandeurs en ce qui concerne les droits de propriété, je suis d’accord avec la thèse défendue par Coors. L’utilisation de la date d’acquisition ne donne pas au nouveau propriétaire quoi que ce soit que l’ancien propriétaire n’avait pas déjà en sa possession. En vertu de la Loi, en l’absence de toute cession d’une marque de commerce ou de vente des droits liés à celle-ci, à la délivrance d’un avis en vertu de l’article 45, en l’absence de preuve d’emploi pendant la période de trois ans pertinente, le propriétaire de la marque de commerce peut démontrer des circonstances spéciales justifiant la période de non-emploi et la possibilité de reprendre l’emploi de la marque de commerce. Après l’acquisition, le nouveau propriétaire avait exactement le même droit.

[67] Dans la mesure où les considérations de politique sont un facteur pertinent, j’estime qu’il y a des arguments des deux côtés de l’équation. Il est depuis longtemps établi en droit qu’un propriétaire de marque de commerce doit démontrer l’emploi de sa marque; selon les termes souvent cités de l’ancien juge en chef Thurlow dans Aerosol Fillers Inc c Plow (Canada) Ltd (1980), 53 CP (3d) 62 (CAF) à la page 66 : « Il n’est pas permis à un propriétaire inscrit de garder sa marque s’il ne l’emploie pas, c’est-à-dire s’il ne l’emploie pas du tout […] ». Le fait d’exiger d’un propriétaire qu’il montre la date du dernier emploi est conforme à une telle approche, et il s’agit d’un facteur qui ne devrait pas être facilement écarté.

[68] Toutefois, je suis d’accord avec l’argument avancé par Coors, selon lequel le fait que l’article 45 permette à un propriétaire de démontrer l’emploi à un moment quelconque au cours des trois années précédant l’avis, et l’autorisation expresse de non-emploi prévue à l’article 45(3), indiquent tous deux que le législateur n’avait pas l’intention de procéder automatiquement à la radiation en cas d’absence d’emploi de la marque de commerce. La jurisprudence tient également compte des considérations pratiques liées à l’acquisition d’une marque de commerce, qui peuvent comprendre des questions internes au propriétaire, par exemple l’intégration de nouveaux employés, la planification de nouvelles approches commerciales ou l’élaboration de nouveaux arrangements en matière d’approvisionnement ou de commercialisation : voir Fairweather Ltd c Registraire des marques, 2006 CF 1248 au paragraphe 8. Elles peuvent également inclure des facteurs externes au nouveau propriétaire, comme le respect des exigences réglementaires : voir, par exemple, Cassels Brock & Blackwell LLP c Registraire des marques, 2004 CF 753 au paragraphe 25.

[69] Dans ce contexte, je ne suis pas convaincu que les considérations de politique, dans la mesure où elles sont pertinentes, favorisent la thèse des demandeurs. Il faut faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de la Registraire à ce sujet pour les motifs exposés dans One Group CAF.

[70] Pour les motifs exposés ci-dessus, je ne suis pas convaincu que la décision de la Registraire selon laquelle la date d’acquisition était un point de départ approprié pour déterminer le non-emploi constituait une erreur de droit. Je conclus qu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit et je ne constate aucune erreur manifeste et dominante dans l’analyse de la question par la Registraire. Le fait qu’un autre agent d’audience, ou la Cour, ait pu en arriver à une conclusion différente ne satisfait pas au critère. Le raisonnement de la Registraire était fondé sur les principes juridiques applicables qui s’appliquaient aux faits de la présente affaire. Il n’y a aucune raison de perturber cette conclusion.

D. La Registraire a-t-il appliqué le mauvais critère pour déterminer si des circonstances spéciales justifiaient le non-emploi des Marques?

  • (1)Observations des demandeurs

[71] Les demandeurs soutiennent que la Registraire a commis une erreur de deux façons : (1) en omettant d’appliquer le dernier facteur énoncé dans Scott Paper (au paragraphe 22) qui exige que les circonstances spéciales soient les circonstances auxquelles l’absence d’utilisation est attribuable; (2) en ne déterminant pas si l’absence d’emploi était attribuable à des raisons indépendantes de la volonté du propriétaire.

[72] Les demandeurs soutiennent que le défaut de la Registraire d’appliquer l’ensemble du critère Scott Paper a entraîné une erreur dans l’examen des actions du propriétaire après l’acquisition, plutôt que les 30 années qui l’ont précédée. Elles affirment que cette approche va directement à l’encontre de l’enseignement de Scott Paper, et qu’elle est également incompatible avec CanWhite Sands, où l’agente d’audience a conclu au paragraphe 33 que « le fait que la Propriétaire n’était pas la propriétaire de la Marque n’était pas la raison du défaut d’emploi de la Marque. On peut supposer que le défaut d’emploi était attribuable à l’inactivité ou à une autre circonstance de la propriétaire précédente […] ».

[73] En l’espèce, selon les demandeurs, l’acquisition récente des Marques et les étapes préparatoires en vue d’obtenir l’approbation réglementaire et d’entrer sur le marché n’étaient pas les raisons du non-emploi avant octobre 2016 et avant la publication des avis en vertu de l’article 45 le 3 avril 2017. Elles affirment que si des produits portant les marques avaient été vendus au Canada avant l’acquisition, le nouveau propriétaire aurait simplement continué de vendre le produit et aurait donc une preuve de son emploi des marques pendant la période pertinente. Au lieu de cela, les éléments de preuve déposés par Coors se rapportent entièrement à la période qui a suivi l’acquisition des Marques. Ces éléments de preuve décrivent le lancement d’un « nouveau produit » en réponse aux demandes de clients au cours des 20 dernières années que la marque Miller High Life entre au Canada. Les demandeurs soutiennent que cette preuve confirme que les marques n’étaient pas employées avant l’acquisition, probablement (comme dans Scott Paper et CanWhite Sands) en raison du choix délibéré du propriétaire précédent.

[74] Plutôt que de se concentrer sur l’absence de preuve pour la longue période de non-emploi dans cette affaire, la Registraire a plutôt appuyé sa décision en faisant référence aux efforts de Coors pour effectuer une évaluation du marché, préparer des étiquettes et d’autres documents de commercialisation et obtenir une approbation réglementaire. Les demandeurs font valoir que c’est illogique et erroné, car les mesures prises après la remise de l’avis en vertu de l’article 45 ne peuvent être la raison de l’absence d’emploi avant la publication de l’avis. Elles soutiennent que l’approche de la Registraire va à l’encontre des directives de Scott Paper, où la Cour d’appel fédérale a déclaré explicitement « [l]es plans d’usage futur n’expliquent pas la période de non‑emploi et ne sauraient donc constituer des circonstances spéciales » (Scott Paper au paragraphe 28).

[75] Les demandeurs soutiennent que la Registraire a commis une deuxième erreur en omettant de déterminer si les circonstances spéciales justifiant le non-emploi échappaient au contrôle de la défenderesse. Même si l’on accepte que le non-emploi soit attribuable à l’acquisition combinée à la demande d’approbation réglementaire, la Registraire devait encore déterminer si ces circonstances échappaient au contrôle de la défenderesse. Les demandeurs soutiennent que la Registraire a accepté qu’une cession, en soi, n’est pas une circonstance qui échappe au contrôle du propriétaire. Elles affirment que, dans cette affaire, la défenderesse a délibérément décidé du moment où elle devait acheter les Marques en question, et que cela relevait entièrement de son contrôle.

[76] En ce qui a trait à la demande d’approbation réglementaire, les demandeurs soutiennent que la défenderesse a délibérément pris la décision d’affaires de retarder ce processus pendant qu’elle menait des études de marché pour évaluer l’intérêt pour la bière Miller High Life sur le marché canadien. C’était le choix de la défenderesse, et cela relevait entièrement de son contrôle.

[77] Pour ces motifs, les demandeurs font valoir que la décision de la Registraire doit être annulée, parce que ces erreurs sont fatales dans la mesure où elles contredisent directement les éléments clés de l’autorité dirigeante dans Scott Paper.

  • (2)Observations de la défenderesse

[78] La défenderesse soutient que la Registraire a énoncé le critère juridique approprié et que les demandeurs n’ont pas démontré une erreur manifeste et dominante dans l’application de la loi aux faits par la Registraire. Même si la Registraire n’a pas cité explicitement le quatrième élément du critère Scott Paper, une lecture juste de la décision confirme qu’elle s’est concentrée sur la question pertinente, à savoir si des circonstances justifiaient le non-emploi des Marques.

[79] À cet égard, la défenderesse soutient que la Cour devrait appliquer la décision de la Cour d’appel fédérale dans One Group CAF, où le défaut de l’agent d’audience de renvoyer précisément aux clarifications du critère énoncées dans Scott Paper a été jugé non fatal :

[13] Tout comme la juge de la Cour fédérale, je ne suis pas convaincu que le registraire a commis une erreur de droit dans son application des critères jurisprudentiels. Bien que son énoncé des principes applicables manque quelque peu de clarté, il m’apparaît manifeste qu’il a tenu compte de la jurisprudence applicable et qu’il a porté son attention sur la véritable question en litige, à savoir s’il était en présence de circonstances spéciales qui justifiaient le défaut d’emploi de la marque.

[80] En l’espèce, la défenderesse fait remarquer que la Registraire a accepté ses explications au non-emploi et a conclu que celles-ci répondaient à la définition de « circonstances spéciales » énoncée dans John Labatt Ltd c The Cotton Club Bottling Co (1976), 25 CP (2d) 115 (CF 1re instance) au paragraphe 123. La Registraire a ensuite cherché à savoir si ces circonstances spéciales justifiaient la période de non-emploi, en appliquant les critères énoncés dans Harris Knitting, plus précisément la durée de la période de non-emploi, si le non-emploi était indépendant de la volonté du propriétaire et s’il y avait une intention sérieuse de reprendre à brève échéance l’emploi. La défenderesse fait remarquer que la Registraire a également mentionné expressément la clarification dans Scott Paper selon laquelle le deuxième critère était obligatoire.

[81] Selon la défenderesse, l’application du critère juridique aux faits par la Registraire est fondée sur un examen détaillé de la preuve et clairement expliquée dans la décision. En particulier, la Registraire a conclu que la cession récente et l’acquisition à grande échelle, combinées à l’exigence d’obtenir l’approbation réglementaire et d’entreprendre des démarches préparatoires avant d’entrer sur le marché, constituaient des « circonstances spéciales » que l’on ne voit pas habituellement dans la plupart des cas de non-emploi.

[82] La Registraire s’est ensuite penchée sur le critère juridique permettant de déterminer si les circonstances spéciales justifiaient l’absence d’emploi, estimant que la durée du non-emploi était brève, en se fondant sur la conclusion que le point de départ était la date d’acquisition des droits sur les marques (c’est-à-dire d’octobre 2016 à avril 2017). Ensuite, la Registraire a conclu que l’exigence de se conformer aux exigences réglementaires provinciales pour la vente d’alcool était une circonstance qui échappait au contrôle de la défenderesse et que, même si le processus de demande réglementaire a été amorcé après la publication de l’avis, des étapes préparatoires ont été entamées avant cette date. À cet égard, la défenderesse soutient qu’il est important que la Registraire ait accepté que l’emballage du produit doive être préparé parce que l’emballage devait accompagner les demandes d’approbation réglementaire. Enfin, la Registraire a conclu que la preuve démontrait une intention sérieuse de reprendre l’emploi.

[83] À la lumière de l’énoncé des principes juridiques applicables et de leur application aux faits de la présente affaire, la défenderesse soutient que l’argument des demandeurs doit être rejeté.

  • (3)Analyse

[84] Je ne suis pas convaincu par l’argument des demandeurs sur ce point. La Registraire a correctement énoncé les principes juridiques applicables et les a appliqués aux faits de l’affaire. L’analyse dans la décision aurait pu être plus claire en ce qui concerne le quatrième élément du critère, mais, comme indiqué dans Scott Paper, il ne s’agit pas d’une erreur fatale. La conclusion dans One Group CAF au paragraphe 13 s’applique avec la même force ici, parce que je conclus que la Registraire « a tenu compte de la jurisprudence applicable et […] a porté son attention sur la véritable question en litige, à savoir s’il était en présence de circonstances spéciales qui justifiaient le défaut d’emploi de la marque ».

[85] En commençant par les principes juridiques, je ne trouve aucune erreur dans la description de la Registraire, et les demandeurs ne concentrent pas leur argument sur cet aspect de la décision. La déclaration des principes juridiques par la Registraire est complète et exacte, notant que la première étape était de déterminer pourquoi les marques de commerce n’avaient pas été utilisées pendant la période pertinente. Ensuite, la Registraire a conclu qu’elle devait déterminer si les motifs de non-emploi constituaient des circonstances spéciales, citant Harris Knitting, et elle a fait remarquer que le terme avait été défini comme signifiant des circonstances ou des raisons qui sont « inhabituelles, peu communes ou exceptionnelles », citant Cotton Club. La Registraire a ensuite précisé les critères juridiques qui s’appliquent, citant les trois critères énoncés dans Harris Knitting, notant la clarification de ceux-ci dans Scott Paper, et faisant enfin remarquer que l’intention de reprendre l’emploi doit être étayée par la preuve, citant Arrowhead Spring Water et NTD Apparel Inc c Ryan (2003), 27 CPR (4th) 73 (CF 1ère instance).

[86] En ce qui a trait à l’application de ces principes aux faits de la présente affaire, la Registraire a d’abord déterminé que, bien qu’une cession ou un changement de titre ne constitue pas, en soi, une circonstance spéciale, dans cette affaire, l’acquisition importante récente « peut être considérée comme une circonstance spéciale que l’on ne retrouve pas dans la plupart des cas d’absence d’emploi, d’autant plus qu’il existait également d’autres circonstances indépendantes de la volonté de la Propriétaire […] ». À la lumière de cela, la Registraire a examiné les critères permettant d’évaluer si les circonstances spéciales ont excusé la période de non-emploi.

[87] En appliquant les critères énoncés dans Harris Knitting et précisés dans Scott Paper, la Registraire a accepté (comme nous l’avons vu précédemment) que la date d’acquisition était le point de départ de la période de non-emploi et qu’elle n’était donc que d’une courte durée. C’est important parce que la Registraire a noté à juste titre que Harris Paper a établi que « les raisons qui peuvent justifier une brève période de défaut d’emploi peuvent ne pas justifier une période étendue de défaut d’emploi; autrement dit, les motifs du défaut d’emploi seront soupesés contre la durée du défaut d’emploi ».

[88] Enfin, la Registraire a déterminé si le non-emploi était indépendant de la volonté de la défenderesse. À cet égard, la Registraire a déclaré que le respect des exigences légales ou réglementaires liées au lancement (et comme condition préalable à l’utilisation) d’une marque au Canada peut être considéré comme une circonstance hors du contrôle du propriétaire, mais que les efforts visant à se conformer à ces exigences doivent être étayés par des preuves des mesures actives prises pour obtenir l’approbation réglementaire. Il n’y a pas de problème avec cette déclaration des principes juridiques qui régissent le droit.

[89] En appliquant ces principes aux faits de la présente cause, la Registraire a résumé les éléments de preuve sur le régime réglementaire qui régit les ventes d’alcool, notant que celui-ci est réglementé par la province et que l’intimé a donc dû obtenir l’approbation de divers organismes provinciaux de délivrance de permis d’alcool avant de pouvoir utiliser la marque. Cette exigence a été jugée hors du contrôle de la défenderesse. En ce qui a trait au calendrier des processus de demande réglementaire, la Registraire a fait observer que, bien que Molson Canada ait déposé les demandes après la période pertinente, ses travaux préparatoires, y compris l’élaboration d’emballages de produits, avaient commencé avant la publication de l’avis. La Registraire a reconnu que l’organisme de réglementation du Québec exigeait la présentation d’un emballage fini avec un étiquetage propre au Canada, et a fait remarquer que l’emballage et les étiquettes des produits étaient également soumis aux organismes de réglementation de l’Ontario et de la Colombie-Britannique.

[90] En ce qui concerne l’intention sérieuse de reprendre sous peu l’emploi, la Registraire a examiné les éléments de preuve concernant les mesures préparatoires prises par la défenderesse, y compris l’élaboration de concepts préliminaires de produits, des enquêtes sur le marché de la consommation, la préparation d’un plan de lancement, l’élaboration d’emballages canadiens et le lancement du processus de demande réglementaire. La Registraire a noté que la première production de bière en canette sous les marques était prévue en octobre 2017 et que le lancement des produits était prévu avant la fin de 2017. À la lumière de ces efforts, la Registraire a conclu que l’intimé avait [traduction] « fourni un fondement factuel suffisant pour étayer son intention sérieuse de reprendre rapidement l’emploi des Marques de commerce en question ».

[91] En conclusion, la Registraire a déclaré [traduction] « […] je conclus qu’un examen juste de l’ensemble de la preuve de la Propriétaire est suffisant pour démontrer des circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi des Marques de commerce en question, comme l’exige l’article 45(3) de la Loi ».

[92] Les demandeurs font remarquer à juste titre que la Registraire n’a pas mentionné expressément le quatrième critère de Scott Paper dans cette partie de la décision. Elles font valoir que la Registraire a insisté à tort sur l’intention de la défenderesse de reprendre l’utilisation, au lieu de se concentrer sur le facteur essentiel de savoir si les circonstances spéciales qui justifient l’absence d’emploi de la marque étaient les circonstances dans lesquelles l’absence d’emploi était attribuable, comme l’exige Scott Paper. Les demandeurs soutiennent que c’est précisément le type d’erreur que la Cour d’appel fédérale a cherché à corriger dans Scott Paper, et qu’il s’agit d’une faille fatale dans la décision de la Registraire.

[93] Je ne suis pas convaincu par l’argument des demandeurs sur ce point.

[94] Premièrement, je ne crois pas que la Registraire ait énoncé les principes juridiques à un point antérieur de la décision, et elle a mentionné que Scott Paper avait clarifié le critère établi dans Harris Knitting. Sur ce point, cependant, je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que la description de cette clarification par la Registraire n’était pas tout à fait claire. La décision indique ce qui suit :

[Traduction] La décision rendue dans l’affaire [Scott Paper], a apporté des éclaircissements supplémentaires quant à l’interprétation des critères de la décision Harris Knitting. En particulier, la Cour a déterminé que le deuxième critère doit être satisfait pour que l’on puisse conclure à l’existence de circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi d’une marque. En d’autres termes, les deux autres critères sont pertinents, mais, considérés isolément, ils ne peuvent constituer des circonstances spéciales.

[95] Bien que cette déclaration de la loi ne soit pas entièrement inexacte, elle est certainement incomplète. Dans Scott Paper, la Cour d’appel fédérale a fait valoir que certaines décisions qui s’appliquaient à Harris Knitting avaient trop mis l’accent sur l’intention du propriétaire de reprendre l’emploi, ce qui a détourné l’attention de la justification au non-emploi de la marque. De l’avis de la Cour d’appel, l’analyse était confuse, parce que l’intention de reprendre l’emploi ne pouvait expliquer le motif du non-emploi. C’est pourquoi elle a souligné les critères déjà énoncés dans Harris Knitting, à savoir que les circonstances spéciales doivent être la raison pour laquelle la marque n’a pas été utilisée, qu’elle a exprimée comme étant les « circonstances auxquelles le défaut d’emploi est attribuable ». Comme il a été mentionné plus haut, la Cour d’appel fédérale a mentionné que « [c]e qu’il faut comprendre, c’est que ce n’est pas la nature des circonstances spéciales qui importe, mais simplement que les circonstances spéciales se rapportent à la cause de défaut d’emploi et non à toute autre considération » (au paragraphe 23).

[96] Les demandeurs soutiennent que la Registraire est tombée dans le piège de ne pas avoir mis l’accent sur les motifs du non-emploi antérieur des marques, et qu’elle a plutôt mis l’accent sur l’intention de la défenderesse de reprendre l’emploi.

[97] Je ne suis pas de cet avis. Je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que cette affaire est semblable à la situation dont il est question dans One Group CAF. Dans cette affaire, l’agente d’audience avait décrit le critère énoncé dans Harris Knitting, puis ajouté ce qui suit :

[11] La décision rendue dans [Scott Paper] offre d’autres précisions à propos de l’interprétation du deuxième critère, en déterminant que cet aspect du test doit être satisfait pour que l’on puisse conclure à l’existence de circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi d’une marque de commerce. Autrement dit, les deux autres facteurs sont pertinents, mais, pris individuellement et de façon isolée, ils ne peuvent constituer des circonstances spéciales.

[98] Ce langage est remarquablement semblable à celui utilisé par la Registraire dans la décision en cause ici. Dans cette affaire, l’agent d’audience a conclu qu’il y avait eu une période relativement courte de non-emploi et, après l’enregistrement de la marque au Canada, l’inscrivante avait tenté avec diligence d’obtenir un emplacement pour son restaurant et son bar. Toutefois, ses efforts n’ont pas abouti, car les hôtels avec lesquels elle a conclu des accords ont décidé de ne pas procéder à la construction. À la lumière de ces éléments de preuve, l’agent d’audience a conclu que « l’incapacité de l’Inscrivante pour obtenir un emplacement et le défaut d’emploi subséquent de la Marque sont un résultat attribuable aux circonstances indépendantes de la volonté de l’Inscrivante ». Constatant la preuve de l’intention de l’Inscrivante de reprendre bientôt l’emploi de sa Marque, l’agent d’audience a maintenu l’enregistrement.

[99] Un appel devant cette Cour a été accueilli : Gouverneur Inc c The One Group LLC, 2015 CF 128. Bien que madame la juge Marie-Josée Bédard ait conclu que l’agent d’audience avait commis une erreur dans l’énoncé du test, cette erreur n’est pas déterminante puisque « [l’agent d’audience] a tout de même abordé les éléments qui étaient pertinents » (au paragraphe 40). La Cour a ensuite conclu que l’application des critères aux faits de l’affaire était déraisonnable et a donc accueilli l’appel. La principale conclusion de la Cour était que les éléments de preuve fournis par l’inscrivante pour expliquer le nom-emploi de la marque ne suffisaient pas à le justifier et que l’absence d’emploi était attribuable à des décisions d’affaires plutôt qu’à des circonstances externes indépendantes de sa volonté.

[100] La décision de l’agent d’audience a été rétablie par la Cour d’appel fédérale : One Group CAF. Comme il est indiqué plus haut, la Cour d’appel a jugé que la déclaration de l’agent d’audience sur les principes juridiques était « manque quelque peu de clarté », mais a néanmoins conclu que l’agent avait « tenu compte de la jurisprudence applicable » et « porter son attention sur la véritable question en litige, à savoir s’il était en présence de circonstances spéciales qui justifiaient le défaut d’emploi de la marque » (au paragraphe 13). La Cour d’appel a également souligné qu’une cour de révision devrait s’en remettre aux conclusions de fait du registraire, d’autant plus que la Loi ne définit pas le type de « circonstances spéciales » qui peut justifier le non-usage en vertu de l’article 45(3).

[101] Je trouve que la même analyse s’applique ici. L’énoncé des principes juridiques de la Registraire, et en particulier l’explication de la clarification fournie par Scott Paper, n’est pas un modèle de clarté. Toutefois, je suis convaincu que la Registraire a porté son attention sur la véritable question en litige, à savoir s’il était en présence de circonstances spéciales qui justifiaient le défaut d’emploi des Marques en litige ici.

[102] Je tiens à souligner ici que les décisions One Group ont été rendues avant Vavilov, et que les tribunaux ont donc appliqué la norme du caractère raisonnable à leur révision de la décision de l’agent d’audience. Cela n’a toutefois pas beaucoup d’importance en l’espèce, étant donné que je conclus que la Registraire n’a pas commis d’erreur en énonçant les principes juridiques (malgré le manque de clarté) et que, par conséquent, les arguments des demandeurs doivent être examinés dans le cadre de la norme de l’erreur manifeste et dominante qui fait appel à une grande retenue.

[103] En ce qui concerne la décision rendue par la Registraire en l’espèce, la période de non-emploi a été jugée minimale parce que la Registraire a décidé qu’elle devrait commencer à compter du moment de l’acquisition. J’ai déjà rejeté la contestation des demandeurs à l’égard de cette conclusion. La Registraire a également conclu que le non-emploi était attribuable à la taille de l’acquisition ainsi qu’aux exigences réglementaires auxquelles la défenderesse devait satisfaire avant de pouvoir commencer à utiliser les marques au Canada. Une constatation importante de fait dans l’analyse est que la défenderesse était tenue de présenter des étiquettes qui répondaient aux normes canadiennes dans le cadre de sa demande d’approbation réglementaire, et par conséquent, ses efforts pour concevoir des étiquettes appropriées faisaient partie intégrante du processus d’approbation et échappaient donc à son contrôle. Je ne trouve aucune raison de contester cette conclusion, qui est ancrée dans la preuve au dossier.

[104] Pour revenir à l’examen de la décision dans son ensemble, je suis convaincu que la Registraire a compris les critères juridiques qui devaient être appliqués et qu’elle s’est concentrée sur la question clé : les circonstances spéciales qui ont causé le non-emploi le justifiaient-elles, à la lumière des faits particuliers de l’affaire? Même si certaines parties de l’analyse auraient pu être rédigées plus clairement et qu’il aurait été préférable pour la Registraire de formuler des conclusions claires et précises sur chacun des quatre éléments du critère tel qu’énoncé dans Scott Paper, je ne suis pas convaincu que la Registraire a commis une erreur de droit ou de fait en l’espèce.

[105] Pour revenir à l’explication fournie dans l’arrêt Harris Knitting, la Cour d’appel a déclaré que les circonstances spéciales doivent être des circonstances attribuables au défaut d’emploi, puis a poursuivi :

C’est dire que pour juger, dans un cas donné, si le défaut d’emploi doit être excusé, il faut s’interroger sur les motifs du défaut d’emploi et se demander si ces motifs sont tels qu’il faille faire exception à la règle générale suivant laquelle l’enregistrement d’une marque non employée doit être radié.

[106] À mon avis, c’est précisément ce que la Registraire a fait dans la décision attaquée.

[107] Si on la mesure à partir du moment de l’acquisition, la preuve appuie les conclusions du registraire : la période de non-emploi n’était pas longue; la défenderesse avait besoin de temps pour gérer l’acquisition importante et complexe et elle avait besoin de l’approbation de plusieurs organismes de réglementation provinciaux avant de pouvoir commencer à utiliser les marques; et pour obtenir une telle approbation, certaines étapes préparatoires étaient nécessaires, y compris la conception d’étiquettes appropriées répondant aux exigences canadiennes. Les circonstances spéciales expliquaient l’absence d’utilisation et en étaient la raison. En conséquence, il n’y a aucune raison d’intervenir.

[108] Pour les motifs exposés ci-dessus, je ne suis pas convaincu par les arguments des demandeurs sur cette question.

V. Conclusion

[109] Pour les motifs exposés ci-dessus et malgré les arguments habiles de l’avocat des demandeurs, cet appel sera rejeté. Même si la décision de la Registraire n’est pas parfaite, je suis convaincu qu’elle est fondée sur les principes juridiques corrects et que l’application de la loi aux faits n’est pas entachée par une erreur manifeste et dominante.

[110] Sur la question des frais, les demandeurs ont demandé un montant forfaitaire de 20 000 $ en dépens, tandis que la défenderesse a soutenu qu’elle devrait recevoir des dépens de 25 000 $ parce qu’elle avait été obligée de produire un affidavit supplémentaire pour répondre à un motif d’appel soulevé, mais non poursuivi par les demandeurs.

[111] La loi me confère un large pouvoir discrétionnaire quant à l’adjudication des dépens : voir la règle 400 des Règles de la Cour fédérale, DORS/98-106. La Cour a également adjugé des dépens forfaitaires dans les cas appropriés, en particulier lorsque les parties sont des plaideurs commerciaux sophistiqués : voir, par exemple, Allergan Inc c Sandoz Canada Inc, 2021 CF 186.

[112] En l’espèce, j’estime que les facteurs suivants sont les plus pertinents. Premièrement, les parties sont des plaideurs avertis, conscients des risques de litiges de cette nature et de la possibilité d’une adjudication de frais. Deuxièmement, la défenderesse a obtenu un résultat entièrement satisfaisant. Troisièmement, l’appel ne portait pas sur un dossier particulièrement complexe. Toutefois, j’accepte l’argument de la défenderesse au sujet des frais supplémentaires qu’elle a engagés parce qu’elle s’est sentie obligée d’obtenir et de déposer un affidavit supplémentaire pour répondre à une question soulevée par les demandeurs dans l’avis de demande, mais qu’elles n’ont finalement pas poursuivi. Quatrièmement, bien que l’affaire ait soulevé d’importantes questions de droit des marques de commerce, elle n’a pas permis de tracer un nouveau terrain en ce qui concerne les principes juridiques clés qui s’appliquent. Enfin, aucune des parties n’a pris de mesures pour retarder ou prolonger inutilement la procédure. Au contraire, les deux parties ont mené le litige de manière efficace, et je remercie les avocats de leur exposé clair et efficace, tant écrit qu’oral.

[113] Compte tenu de tous ces facteurs, je suis convaincu qu’une indemnité forfaitaire est appropriée et que les demandeurs doivent payer à la défenderesse un montant forfaitaire tout compris de 20 000 $ pour les dépens.

[114] Enfin, je tiens à reconnaître le temps qu’il m’a fallu pour rendre cette décision. Je présente mes excuses aux parties pour le retard.

 


JUGEMENT dans le dossier T-1050-21

LA COUR ORDONNE :

  1. L’appel est rejeté.

  2. Les demandeurs doivent payer à la défenderesse une somme forfaitaire, tous frais compris, d’un montant de 20 000 $.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Angèle-Anne Rinfret, traductrice

 


COUR FÉDÉRALE :

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dossier :

T-1050-21

INTITULÉ :

COMITÉ INTERPROFESSIONNEL DU VIN DE CHAMPAGNE ET INSTITUT NATIONAL DE L’ORIGINE ET DE LA QUALITÉ c. COORS BREWING COMPANY

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 8 et 9 février 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS

Le juge Pentney

 

DATE DES MOTIFS :

le 28 février 2024

 

COMPARUTIONS :

Me François Guay

Me Ekaterina Tsimberis

Me Denise Felsztyna

 

POUR Les DEMANDEURS

COMITÉ INTERPROFESSIONEL DU VIN DE CHAMPAGNE ET INSTITUT NATIONAL DE L’ORIGINE ET DE LA QUALITÉ

 

Me R. Nelson Godfrey

Me Monique Couture

Me Claire Stempien

POUR LA DÉFENDERESSE

COORS BREWING COMPANY

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SMART & BIGGAR S.E.N.C.R.L., S.R.L.

POUR LES DEMANDEURS

 

 

GOWLING WLG (CANADA) S.E.N.C.R.L., S.R.L.

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.