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Date : 20240228


Dossier : T-1473-22

Référence : 2024 CF 327

Ottawa (Ontario), le 28 février 2024

En présence de l'honorable madame la juge Ngo

ENTRE :

MOHAMMAD REZA RASHIDIAN

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Mohammad Reza Rashidian [demandeur], sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de deuxième niveau prise par une agente de l’Agence de revenu du Canada [ARC], datée du 16 juin 2022, qui a déclaré le demandeur non admissible à la Prestation canadienne de la relance économique [PCRE], au motif que le demandeur ne travaille pas pour des raisons autres que le COVID-19.

[2] Le demandeur soutient que l’agente n’a pas respecté les principes d’équité procédurale, car il ne savait pas quels critères (ou manquements) il devait aborder afin de démontrer son admissibilité au cours du deuxième examen. La décision de l’ARC n’était pas équitable sur le plan procédural et devrait être renvoyée.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Faits

[4] Du 16 novembre 2020 au 20 août 2021, le demandeur demande et reçoit la PCRE pour 21 périodes de deux semaines, s’échelonnant du 11 octobre 2020 au 31 juillet 2021.

[5] Le dossier du demandeur est sélectionné pour faire l’objet d’un premier examen de son admissibilité à la PCRE.

[6] Le 3 septembre 2021, une agente de l’ARC contacte le demandeur et ce dernier explique qu'il a eu un contrat de service en Iran entre janvier 2020 et février 2020. Il précise qu'il a été payé environ 6 050$ CAD comptant en devise étrangère.

[7] À la suite de ce premier examen, en premier lieu, le 16 septembre 2021, l’agente inscrit au système de l’ARC que le demandeur était admissible à la PCRE.

[8] Néanmoins, le 17 septembre 2021, après « retour de revue », la décision prise le 16 septembre 2021 a été infirmée et le demandeur est déterminé ne pas être admissible à toutes les périodes de PCRE.

[9] Dans une lettre datée du 21 septembre 2021, le demandeur est informé qu’il n’est pas admissible à la PCRE pour les motifs suivants :

  1. Vous n’avez pas gagné 5 000 $ (avant impôts) de revenus d’emploi ou revenus nets de travail indépendant en 2019, en 2020, ou au cours des 12 mois précédant la date de votre première demande.

  2. Vous avez quitté votre emploi volontairement.

  3. Vous étiez capable de travailler, mais ne cherchiez pas d’emploi.

[10] Le 13 octobre 2021, le demandeur sollicite une révision de la décision de premier examen et une deuxième agente s’engage à cet examen. Le deuxième examen comprenait une communication par téléphone entre l’agente et le demandeur le 14 juin 2022.

[11] La décision de deuxième examen est communiquée par l’entremise d’une lettre datée du 16 juin 2022, et adressée au demandeur. Cette lettre a confirmé qu’il n’était pas admissible à la PCRE pour toutes les périodes indiquées, parce qu’il ne travaille pas pour des raisons autres que la COVID-19. Cette décision du 16 juin 2022 fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

III. Question préliminaire : Admissibilité de nouvelle preuve dans le dossier du demandeur

[12] Dans un ordre préliminaire, le défendeur s’oppose à l’inclusion de quatre pièces qui ont été inclus à l’affidavit du demandeur du 18 août 2022 dans le dossier du demandeur. Il s’agit d’un relevé de formations (DOC-01), un courriel de l’OACIQ le 7 octobre 2020 (DOC-02), trois courriels de l’Organisme d'autoréglementation du courtage immobilier du Québec [OACIQ] le 24 mars 2020, le 27 mars 2020 et le 7 octobre 2020 (DOC-05) et un rapport des transactions de REMAX pour la période du 1 janvier 2022 au 31 décembre 2022 (DOC-08).

[13] Le contexte procédural de ce dossier est pertinent en ce qui a trait à la question d’admissibilité de ces documents.

[14] Le 15 juillet 2022, le demandeur a déposé l’avis de demande de contrôle judiciaire visant la décision qu’il n’était pas admissible pour la PCRE.

[15] Le 26 août 2022, il a signifié son affidavit daté du 19 août 2022 en vertu des Règles des Cours fédérales [Règles].

[16] Le 31 mars 2023, la juge adjointe Tabib a ordonné que le dossier se poursuive à titre d’instance à gestion spéciale et établit des échéanciers quant au processus et les prochaines étapes pour l’instance.

[17] Le 29 mai 2023, le demandeur a déposé une requête écrite en vertu de la règle 369 visant à obtenir l’autorisation de signifier un deuxième affidavit et treize pièces supplémentaires et à obtenir une prorogation des délais et l’émission d’un nouvel échéancier. Ces treize pièces sont décrites comme étant a) des extraits du Registre des entreprises du Québec [REQ] concernant diverses entreprises de soins personnels, b) des copies de diplômes et attestations pour formations diverses, notamment en soins personnels, c) des extraits en vrac de contrats de courtage et de communications (formations, factures, correspondance avec l’OACIQ entre 2015 et 2023, et d) un document en langue étrangère apparenté à un autre document au dossier.

[18] La juge adjointe Steele a rendu une ordonnance le 28 juin 2023 [Ordonnance], rejetant la requête du demandeur sur les motifs que les critères permettant le dépôt de preuves supplémentaires n’avaient pas été rencontrés (citant Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [Access Copyright] au para 20).

[19] L’Ordonnance de la juge adjointe Steele aux paragraphes 10 et 11 décrit le principe qui s’applique de façon générale à toutes les demandes de contrôle judiciaire. Ce principe est que le dossier que la Cour examine soit le même dossier que celui qui était devant le décideur (Paradis c Canada (Procureur général), 2016 CF 1282, au para 21; Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263 [Bernard], au para 13; Perez c Hull, 2019 CAF 238 [Perez], au para 16). Les exceptions à ce principe général sont limitées à : 1) fournir du contexte permettant à la Cour de comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire, 2) faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion, ou 3) porter à l’attention de la Cour des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif (Bernard aux para 20, 24-25; Perez au para 16).

[20] Selon la juge adjointe Steele, même si la première exigence préliminaire est remplie (Forest Ethics Advocacy Association c Office national de l'énergie, 2014 CAF 88), ce qui n’est pas le cas en l’espèce, les documents ne sont pas pertinents, ou sont inutiles, dans le contexte du présent litige. Les documents en question ne cadrent pas dans les exceptions discutées dans les décisions Bernard et Perez et sont d’emblée irrecevables. Elle ordonne que le demandeur signifie et dépose son dossier (Règle 309) au plus tard le 19 août 2023.

[21] Le 11 août 2023, le demandeur a déposé son dossier dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Le dossier inclut toujours l’affidavit du 19 août 2022 avec huit pièces. Les quatre pièces suivantes font l’objet de la contestation du défendeur :

  1. DOC-01: Document intitulé « PFCO 2019-2021 – Courtier immobilier résidentiel et commercial au sein d’une agence/Residential and commercial real estate broker acting agency – 1 mai 2019 au 30 avril 2021 ». Le demandeur soumet que ces documents démontrent qu’il a complété la formation obligatoire pour détenir un permis en courtage immobilier.

  2. DOC-02 : Courriel de Certification OACIQ en date du 7 octobre 2020, confirmant son permis de courtier immobilier dès le 7 octobre 2020. Le demandeur affirme que ce document est la preuve de son permis de courtier.

  3. DOC-05 : trois courriels de l’OACIQ le 24 mars 2020, le 27 mars 2020 et le 7 octobre 2020 de Certification OACIQ avec l’objet « Avis de maintien des droits acquis. » Le demandeur soumet que ce document confirme et démontre qu’il a gardé en vigueur son permis de courtage immobilier en 2020.

  4. DOC-08 : Document daté du 22 avril 2022 et intitulé « Rapport des transactions (2022-01-01 au 2022-12-31) » de Re/Max Imagine Inc. Le demandeur soumet que ce document liste les transactions immobilières qu’il a conclues après la pandémie. Le document prouve qu’il pouvait conclure des transactions en immobilier si son industrie n’avait pas été affectée par la pandémie.

[22] Le défendeur allègue que les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas devant le décideur, ne relèvent pas des exceptions prévues par la jurisprudence et ne sont pas admissibles.

[23] Le demandeur prétend que lors de son appel avec l’agente au cours du deuxième examen, celle-ci ne lui a posé que trois questions soit son adresse, son numéro d’assurance sociale, et « avez-vous gagné de l’argent en immobilier ». Il ne savait pas qu’il y avait un doute quant à ses activités en immobilier et l’avoir su, il aurait fourni ces documents et aurait pu prouver ses efforts. Ces documents démontrent qu’il continuait de se consacrer en courtage immobilier.

[24] Le demandeur confirme que les pièces DOC-01, DOC -02, DOC-5 et DOC-08 qui sont jointes à son affidavit n’étaient pas devant le décideur. Par contre, comme dans sa requête écrite antérieure, le demandeur a expliqué lors de l’audience que son travail en esthétique et en immobilier était affecté par la pandémie, et que la décision de l’ARC était injustifiée, car l’agente de l’ARC ne lui a pas demandé de justificatifs avant de rejeter sa demande de PCRE.

[25] Les mêmes principes énoncés dans la jurisprudence de l’Ordonnance de la juge adjointe Steele qui ont été résumés ci-dessus s’appliquent.

[26] Le rôle de la Cour est d’examiner la décision du décideur administratif dans le contexte juridique et factuel présenté au décideur. En fonction de ce rôle, le dossier de preuve devant la Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite généralement au dossier de preuve dont disposait le décideur. Les exceptions à cette règle qui ont été énumérées dans l’Ordonnance s’appliquent aussi dans ce contexte.

[27] Il faut souligner que les arguments du demandeur se penchent sur le fait que l’agente ne lui avait jamais signalé au cours de leur communication avec lui qu’il devrait fournir plus de documentation et s’il l’avait su, il aurait fourni les documents contestés pour prouver son admissibilité à la PCRE.

[28] Le dossier en l’espèce comprend des entrées de journal de notes enregistrées par les agentes de l’ARC (ou les systèmes automatisés) [Notes].

[29] Les Notes du 3 août 2021 décrivent un appel avec l’agente où le demandeur lui informe qu’il « a activé son contrat de courtage immobilier en octobre 2020. Il a eu une baisse de plus de 50% de ses revenus hebdomadaires dès novembre 2020 à cause de la COVID-19. Il a fait des envois de CV, consulté indeed, Emploi-Qc mais en vain et n’a pas refusé de travail raisonnable. »

[30] Les Notes du 14 juin 2022 confirment que le demandeur est courtier immobilier depuis 2007 et que « le contribuable affirme ne pas avoir fait de vente entre le 1er janvier 2019 et octobre 2021, qui correspond à la fin de ses demandes de PCRE. Il mentionne ne pas avoir de document pouvant démontrer des revenus de ce travail. » D’autant, les Notes du 14 juin 2022 confirment que l’agente « a demandé au contribuable s’il avait des documents supplémentaires concernant son emploi comme courtier immobilier à nous envoyer. »

[31] Le rapport de deuxième examen comprend une section intitulée « Est-ce que le demandeur a soumis des documents additionnels » et l’inscription sous celle-ci est « non. »

[32] DOC-01, DOC-02 et DOC-05 datent de 2020. Ces documents étaient à la disposition du demandeur ou auraient pu l’être avec l’exercice de la diligence être fournis suite à l’appel téléphonique avec l’agente de l’ARC du 14 juin 2022. Il n’est pas permis d’introduire une nouvelle preuve de façon tardive ou de compléter la preuve que le demandeur aurait pu et aurait dû faire.

[33] DOC-08 comprend des transactions complétées en 2022, qui datent après les périodes pertinentes à l’admissibilité à la PCRE. Ce document n’est simplement pas pertinent ou utile à la Cour pour déterminer si la décision de l’agente de deuxième examen de l’ARC est raisonnable ou non.

[34] Les documents contestés ne fournissent aucun contexte permettant à la Cour de comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire. De plus, en appliquant les autres exceptions dans Association des universités, il ne s'agit pas de nouvelle preuve visant à démontrer des vices de procédure ou une violation de l'équité procédurale. Ces documents ne démontrent pas l'absence totale de preuves dont disposait le décideur lorsqu'il a tiré une conclusion particulière. Au contraire, le dossier démontre que le décideur disposait de preuves que le demandeur a présentées lors de sa demande de deuxième examen et lors de leur conversation téléphonique du 14 juin 2022.

[35] Pour les raisons mentionnées, DOC-01, DOC-02, DOC-05 et DOC-08 ne sont pas admissibles et je ne vais pas les considérer au sein de l’analyse de la décision en contrôle judiciaire.

IV. Analyse

A. La norme de contrôle

[36] Le PGC a fait valoir que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Minister of Citizenship and Immigration) v Vavilov, [2019] 4 SCR 653 [Vavilov], aux para 16 et 17).

[37] Je suis d’accord que la norme de la décision raisonnable s’applique dans le contexte d’un contrôle judiciaire d’une décision prise par l’ARC refusant l’octroi la PCRE (Baron c Procureur Général du Canada 2023 CF 1177 [Baron], au para 19, citant He c Canada (Procureur général), 2022 CF 1503 [He], au para 20; Lajoie c Canada (Procureur général), 2022 CF 1088, au para 12; Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139, aux para 15–16).

[38] Une cour appliquant le test du caractère raisonnable ne demande pas quelle décision il aurait prise à la place du décideur administratif. Il s'agit d'une approche visant à garantir que les tribunaux n'interviennent dans les affaires administratives que lorsqu'il est vraiment nécessaire de le faire afin de préserver la légalité, la rationalité et l'équité du processus administratif. Elle est ancrée dans le principe de modération judiciaire et démontre le respect du rôle distinct des décideurs administratifs (Vavilov au para 13).

[39] Elle ne cherche pas à déterminer l'éventail des conclusions possibles qui auraient pu être tirées par le décideur, ni à effectuer une analyse de novo, ni à déterminer la bonne solution au problème (Vavilov, au para 83). La cour de révision ne peut soupeser et de réévaluer les preuves examinées par le décideur (Vavilov, au para 125).

[40] Une décision raisonnable est une décision fondée sur une chaîne d'analyse cohérente et rationnelle et qui est justifiée par rapport aux faits et au droit qui contraint le décideur. Le critère du caractère raisonnable exige qu'une cour de révision s'en remette à une telle décision (Vavilov para 85). Le contrôle du caractère raisonnable n'est pas une chasse au trésor ligne par ligne pour trouver l'erreur (Vavilov, au para 102).

[41] Il incombe à la partie qui prétend que la décision n'est pas raisonnable de démontrer que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne puisse pas dire que la décision satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence (Vavilov, au para 100).

B. Manquement à l’équité procédurale

[42] Le demandeur allègue que lors de son deuxième examen, l’agente ne lui a pas demandé de fournir des explications ou de produire des preuves pour valider son éligibilité à la PCRE.

[43] Le demandeur cite les décisions récentes de cette Cour dans Baron et El Harim c Procureur Général du Canada 2023 CF 1689 [El Harim]. Il se fie sur l’analyse de ces deux décisions. Il allègue que les manquements à l’équité procédurale décrits en particulier dans Baron sont similaires à sa situation et sur les mêmes motifs, que je dois déterminer qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale dans son cas.

[44] Le juge Gascon dans Baron résume les principes qui s’appliquent dans les questions d’équité procédurale qui ne requièrent pas l’application des normes de contrôle judiciaire usuelles (Baron, au para 22, citant Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196, au para 35; Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267, au para 14; Canadian Airport Workers Union c Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, 2019 CAF 263, aux para 24–25; Perez c Hull, 2019 CAF 238, au para 18; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [CCP], aux para 33–56.)

[45] Il s’agit plutôt d’une question juridique qui doit être évaluée en fonction des circonstances afin de déterminer si le décideur a respecté les normes d’équité et de justice naturelle. Par conséquent, lorsqu’une demande de contrôle judiciaire porte sur l’équité procédurale et les manquements aux principes de justice fondamentale, la véritable question n’est pas tant de savoir si la décision était « correcte ». La question est plutôt celle à savoir si le décideur administratif avait suivi un processus équitable et avait accordé aux parties le droit de se faire entendre et d’être informées d’une preuve afin d’y réfuter ou d’y répondre, tout en tenant compte du contexte et des circonstances particulières en l’espèce (Baron, aux para 20 et 23, citant CCP au para 56; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940 [Huang], aux para 51–54).

[46] Je continue de citer le juge Gascon au sujet de l’équité procédurale et l’obligation d’agir équitablement. Notamment, le critère à évaluer n'est pas relatif au bien-fondé ou au contenu d'une décision rendue. La Cour s’intéresse plutôt au processus que le décideur a suivi pour arriver à sa conclusion. L’équité procédurale comporte le droit (1) d’être entendu, (2) d’avoir la possibilité de répondre à la preuve qu’une partie doit réfuter; et (3) de recevoir une audition devant un tribunal indépendant et impartial (Therrien (Re), 2001 CSC 35, au para 82). Il est établi en droit que le principe de l’obligation d’équité procédurale sont « éminemment variables », intrinsèquement souples et tributaires du contexte (Baron au para 24, citant Vavilov, au para 77; Baker, au para 21; CCP, au para 40; Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404, au para 113; Foster Farms LLC c Canada (Diversification du commerce international), 2020 CF 656, aux para 43–52). Elle « ne réside pas dans un ensemble de règles adoptées » (Green c Société du Barreau du Manitoba, 2017 CSC 20, au para 53). La nature et l’étendue de l’obligation fluctuent en fonction du contexte particulier et des diverses situations factuelles examinées par le décideur administratif, ainsi que de la nature des différends à trancher (Baker, aux para 25-26). Autrement dit, la question de savoir si une décision respecte les principes d’équité procédurale doit être tranchée au cas par cas.

[47] Le défendeur allègue que l’agente responsable du deuxième examen a analysé le dossier du demandeur de manière indépendante du premier agent et équitablement. Contrairement aux allégations du demandeur, les Notes de la conversation téléphonique du 14 juin 2022 démontrent que le demandeur a eu l’occasion d’exposer sa situation en faisant des représentations, et que l’agente a demandé s’il y avait d’autres documents que le demandeur voulait lui transmettre au sujet de son emploi comme courtier immobilier. Le demandeur n’a pas transmis d’autres documents.

[48] Les parties ont confirmé que le nœud de cette affaire est centré sur la question d’équité procédurale.

[49] D’après le demandeur, la décision de l’ARC est basée sur des conclusions défavorables qu’il n’a pas pu réfuter à cause du manquement d’équité procédurale.

[50] Le défendeur soutient que le demandeur avait l’occasion de discuter au sujet les circonstances pourquoi il ne pouvait pas travailler. De plus, le simple fait que l’ARC avait changé sa position quant à l’admissibilité du demandeur à la prestation ne faisait pas en sorte que l’agente avait manqué à une exigence d’équité procédurale. La preuve au dossier milite en faveur de l’argument du défendeur.

[51] Le 21 septembre 2021, à la suite du premier examen, la lettre de l’ARC fournit les motifs suivants : (1) le demandeur avait quitté son emploi volontairement et (2) le demandeur ne cherchait pas d’emploi alors qu’il était capable de travailler. Cette lettre explique aussi que le demandeur peut demander un deuxième examen à condition d’expliquer « la raison pour laquelle vous n’êtes pas d’accord avec la décision de l’ARC […] » et « tout nouveau document, fait nouveau ou correspondance pertinents. » Ayant examiné la lettre, le demandeur aurait su ou aurait dû savoir, au moment où il avait sollicité un deuxième examen, que les critères d'admissibilité relatifs à sa cessation d'emploi feraient partie de cet examen.

[52] La Cour considère que la lettre du 21 septembre 2021 informait le demandeur du processus et des renseignements nécessaires pour les fins d’un deuxième examen de l’ARC. Cependant la Cour n’analyse pas la lettre du 21 septembre 2021 de façon isolée, et doit aussi prendre en considération d’autres éléments, tels que l’occasion qui se présentait au demandeur de fournir des renseignements supplémentaires lors du deuxième examen de l’ARC.

[53] Le 14 juin 2022, l’agente a contacté le demandeur. Au contraire de ce que le demandeur prétend, les Notes de la conversation du 14 juin 2022 démontrent que la conversation entre lui et l’agente de l’ARC n’était pas superficielle. Dans la section intitulée « Discussion » des Notes, l’agente fait référence à plusieurs renseignements spécifiques, notamment (1) le demandeur est courtier immobilier depuis 2007 pour la bannière REMAX; (2) le demandeur est technicien spécialisé en soins esthétiques; (3) l’historique du contrat que le demandeur avait avec un médecin en Iran du 2 janvier 2020 au 27 février 2020 et (4) le 2 mars 2020 était la date à laquelle le demandeur est revenu au Canada.

[54] En particulier, les Notes comprennent l’information que seul le demandeur aurait pu fournir, par exemple, « Le contribuable mentionne être aux études au Cégep du Vieux Montréal à temps plein depuis janvier 2022. »; « Il mentionne ne pas avoir fait de revenu de courtage depuis le 1er janvier 2019 jusqu’à la fin de ses demandes de PCRE. »; « Il affirme que c’était difficile, car les gens ne les laissait [sic] plus entrer dans leur maison. Il a tenté de faire de la recherche d’emploi mais qu’il n’avait rien. »

[55] Les Notes du 14 juin 2022 confirment que l’agente avait donné l’occasion au demandeur de fournir des documents supplémentaires : « J’ai demandé au contribuable s’il avait des documents supplémentaires concernant son emploi comme courtier immobilier à nous envoyer. » Dans le rapport du deuxième examen, une section intitulée « Est-ce que le demandeur a soumis des documents additionnels » s’y trouve, et en dessous de cette section, il est écrit « non. »

[56] Le rapport du deuxième examen comprend aussi les observations ou commentaires qui se retrouvent dans les Notes de l’appel du 14 juin 2022 en précisant l’information dérivante du demandeur, c’est-à-dire « le contribuable mentionne » et « le contribuable affirme », et d’autres notes comme « Il mentionne ne pas avoir de document pouvant démontrer des revenus provenant de ce travail. »

[57] Je conclus que le sujet de sa discussion du 14 juin 2022 avec l’agente portait sur les activités du demandeur en courtage immobilier et son admissibilité à la PCRE en vertu de ce travail, que le demandeur a eu l’occasion de s'exprimer concernant sa situation et qu’il l’a fait.

[58] Ensuite, l’agente lui a aussi présenté la possibilité de fournir de documents supplémentaires durant l’appel. Ceci signifie qu’après le 14 juin 2022, le demandeur aurait pu combler son dossier afin de démontrer son admissibilité à la PCRE.

[59] Le demandeur a eu amplement la possibilité de répondre aux exigences de la PCRE au cours de son deuxième examen.

[60] Je conclus aussi que la situation du demandeur se distingue aux faits qui se trouvent dans les arrêts Baron et El Harim. Dans la situation du demandeur, les critères relatifs à son emploi comme courtier immobilier avaient été clairement identifiés et discutés avec une possibilité de fournir des renseignements supplémentaires à la suite de l’appel téléphonique. De plus, l'agente a pris en compte ces éléments de discussion en relation avec la raison pour laquelle le demandeur ne travaille pas dans sa décision.

[61] Je conclus qu’il n’y a pas eu de manquement d’équité procédurale. Le demandeur a eu une occasion pleine et équitable de présenter ses observations et toute autre documentation supplémentaire au cours de son deuxième examen. L’agente a pris en considération les propositions que le demandeur avait soumises lorsqu’elle a rendu sa décision. Avec respect, quoique le demandeur est en désaccord avec la conclusion de l’ARC, les faits ne donnent pas lieu à une conclusion d’un manquement d’équité procédurale.

C. La décision était raisonnable

[62] Quoique les parties avaient confirmé que la question d’équité procédurale était le nœud de la présente demande de contrôle judiciaire, je vais toutefois trancher la question de la décision de l’ARC selon la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[63] La PCRE a été créée par la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 202, c 12, art 2 [Loi]. Parmi les critères évalués lors d’une demande de prestation est celle de démontrer que, durant la période de deux semaines, le demandeur n’a pas pu exercer son emploi ou n’a pas pu exécuter un travail pour son compte à cause des raisons reliées à la COVID-19 (alinéa 3(1)f) de la Loi).

[64] Sans répéter toutes les références aux Notes et au dossier, je conclus que l’agente avait considéré la nature du travail du demandeur en soins esthétiques et en courtage immobilier ainsi les circonstances particulières à son dossier afin de déterminer s’il avait cessé de travailler pour des raisons liées à la COVID-19 ou non.

[65] Pour le travail en soins esthétiques, le demandeur avait travaillé en Iran entre le 2 janvier 2020 et le 27 février 2020, une durée qui avait été fixée et déterminée lors de l’exécution du contrat le 1 janvier 2020. Son retour au Canada en mars 2020 suit la fin du contrat. Il était raisonnable de conclure que la fin de son travail comme consultant en services esthétiques en février 2020 n’était pas liée à la pandémie.

[66] Pour le travail en courtage immobilier, l’agente s’est référé aux déclarations de revenus du demandeur depuis 2017 à 2021 et les renseignements aux systèmes de l’ARC ne confirmant aucun feuillet de REMAX à l’égard du demandeur depuis 2015. Lors de l’appel du 14 juin 2022, le demandeur confirme ne pas tirer de revenu en courtage immobilier depuis janvier 2019.

[67] Au cours de l’audience, le demandeur indique que l’agente n’avait pas compris que son travail comme courtier immobilier avait été affecté par le confinement et que les agentes ne pouvaient pas rentrer dans les maisons. Or, les Notes confirment que cet argument avait été présenté par le demandeur et avait été noté par l’agente. Le demandeur n’indique pas quelles autres représentations il aurait été empêché de faire.

[68] Les Notes et le rapport d’examen mentionnent que l’agente a considéré les déclarations du demandeur avec les renseignements cités dans son rapport d’examen. Il était loisible à l’agente de conclure sur l’ensemble de la preuve que le demandeur n’exerçait pas l’activité de courtage immobilier de manière active même avant le début de la pandémie.

[69] Sur la base des motifs de l’ARC, la preuve au dossier et le droit applicable, la décision ne peut être qualifiée comme étant une décision déraisonnable. Je conclus que le raisonnement suivi par l’agente de l’ARC satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence (Vavilov, au para 100).

[70] Je dois donc rejeter la demande de contrôle judiciaire.

V. Dépens

[71] Les parties ont confirmé à l’audience qu’ils s’entendent que la somme de 800 $ devrait être accordée à la partie qui aura gain de cause.

[72] Le défendeur confirme aussi que les dépens octroyés, suite à l’Ordonnance de la juge adjointe Steele rendue le 28 juin 2023, de 500 $, n’ont pas encore été payé par le demandeur.

[73] Compte tenu des circonstances incluant l’entente des parties, la somme de 800 $ en dépens est raisonnable et justifiée. Les dépens fixés par la Cour dans la présente demande de contrôle judiciaire n’incluent pas la somme de dépens impayés et à remettre au défendeur suite à l’Ordonnance de la juge adjointe Steele.


JUGEMENT dans le dossier T-1473-22

LA COUR ORDONNE que

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Le demandeur doit payer les dépens d’une somme de 800 $ et 500 $ au défendeur.

« Phuong T.V. Ngo »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T-1473-22

INTITULÉ :

MOHAMMAD REZA RASHIDIAN c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 JANVIER 2024

JUGEMENT ET MOTIFS

LA JUGE NGO

DATE DES MOTIFS :

LE 28 FÉVRIER 2024

COMPARUTIONS :

Mohammad Reza Rashidian

POUR LE DEMANDEUR

Me Yasaman Targhibi

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal, Québec

POUR LE DÉFENDEUR

 

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