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Date : 20060207

Dossier : IMM-4147-05

Référence : 2006 CF 143

Ottawa (Ontario), le 7 février 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

THIERNO HABIB BALDE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés L.C. 2001, ch. 27 ( « LIPR » ) de la Section de la protection des réfugiés ( « SPR » ) datée du 25 mai 2005. Par cette décision, la SPR rejetait la demande d'asile de Thierno Habib Balde ( « demandeur » ).

LES FAITS

[2]                Le demandeur est citoyen de la Guinée et est de religion musulmane. Les faits qu'il allègue sont les suivants. Il s'est marié à une chrétienne le 15 mai 1998. Il soutient que ses problèmes dans son pays ont véritablement commencé à la naissance de sa fille, en juin 2000. Étant marié à une chrétienne, le demandeur s'est progressivement intégré à cette communauté minoritaire de la ville de Labe, qui est selon lui à 98,5% musulmane. Un dimanche de septembre 2003, le demandeur allègue être retourné à la maison avec des invités. Des membres de sa famille, dont son oncle qui est le patriarche de la famille et qui est très influent dans le pays, se sont alors présentés sur les lieux, ont chassé les invités du demandeur et l'ont sauvagement battu. Après cet événement, le demandeur a perdu l'ensemble des contrats qu'il détenait dans sa localité. En juin 2004, la femme du demandeur fût chassée de la maison du couple pour aller à Cornakry et l'oncle du demandeur détermina que son neveu devait prendre pour épouse la femme de son frère mort du sida. En novembre 2004, le demandeur s'est caché et apprit que trois de ses collègues avaient été arrêtés. Le 16 décembre 2004, le demandeur quittait la Guinée pour le Canada, après avoir passé 3 jours à New York. Il a fait une demande d'asile le 21 décembre 2004.

DÉCISION CONTESTÉE

[3]                La décision de la SPR est fondée sur les déclarations du demandeur à l'audition qui, selon elle, dénotent que le demandeur ne craignait pas d'être persécuté :

-        Il a déclaré ne pas avoir demandé le statut de réfugié aux États-unis, préférant le Canada en raison de la langue et des opportunités de travail;

-        Il a déclaré qu'il serait mal vu en tant que musulman aux États-Unis;

-        Il a déclaré avoir choisi le Canada en raison de la qualité des soins de santé qu'on y reçoit;

-        Il a aimé l'accueil au Canada, dit-il.

La SPR précise qu'elle n'a pas d'objection à ce qu'une personne témoigne de cette façon, mais jette néanmoins un doute sur le témoignage du demandeur.

[4]                La SPR conclut au manque de crédibilité du demandeur pour les motifs suivants :

-        Il serait invraisemblable que les problèmes du demandeur aient commencé en 2003, alors qu'il s'est marié en 1998 et que sa fille est née en 2000;

-        La SPR a vu une contradiction entre le Formulaire de renseignements personnels ( « FPR » ) du demandeur concernant les évènements de septembre 2003;

-        Le demandeur aurait donné des versions contradictoires concernant ce qu'il a fait après septembre 2004;

-        Concernant cette contradiction, « [i]l semblait évident que le demandeur donnait des réponses improvisées »

-        Le demandeur, ayant transité par les États-Unis avant de venir au Canada, aurait pu faire sa demande de réfugié à cet endroit plutôt qu'au Canada;

[5]                La SPR termine en concluant que le demandeur n'a fourni aucune preuve de son mariage.

ANALYSE

[6]                La norme de contrôle applicable aux questions de fait tranchés par la SPR est celle de la décision manifestement déraisonnable (Mugesera c. Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 SCC 40, [2005] S.C.J. No. 39, au para. 39 à 43; Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. No. 732, au para. 4). Après avoir entendu les arguments des deux parties, je constate que la SPR a commis des erreurs de fait qui, prises ensemble, justifient que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie.

[7]                D'abord, la SPR a écrit qu'aucune preuve n'avait été présentée pour démontrer que le demandeur était marié à Mme Hélène Barry. Or, la SPR disposait de la pièce P-4, intitulée « déclaration d'intention de mariage mixte » , de même que des photos du mariage et de certificats de naissance. Cela laisse croire que la SPR n'a pas consulté toute la preuve ou en a ignoré une partie. Si la preuve a été rejetée ou jugée non crédible, il aurait fallu dire pourquoi, et non dire qu'aucune preuve ne figure au dossier. La conclusion de la SPR à ce sujet m'apparaît importante. Une telle conclusion ne peut qu'influencer un décideur dans ce qui reste de l'appréciation de la preuve. S'il n'y a pas eu de mariage à religion mixte, il va de soi que l'analyse des faits concernant la persécution vécue à cause de ce mariage en sera considérablement affectée.

[8]                Mais il y a plus que cette conclusion erronée. Le passage de la décision de la SPR concernant les déclarations du demandeur quant aux raisons pour lesquelles il a choisi de venir au Canada semble contradictoire.    La SPR fait d'abord l'analyse des raisons pour lesquelles elle est d'avis que le demandeur n'est pas crédible, puis termine cette analyse, qui occupe la moitié de la décision en disant : « Le tribunal, à cet effet, n'a pas d'objection à ce témoignage » . Pourtant, la SPR se sert des propos du demandeur à l'égard du Canada pour soutenir que les demandes d'asile du demandeur sont motivées uniquement par des raisons économiques.

[9]                Le fait qu'un demandeur d'asile veuille chercher refuge dans un pays plutôt qu'un autre n'est pas en soi incompatible avec une crainte subjective de persécution. Chaque demandeur d'asile qui choisit de fuir son pays d'origine pour venir en Amérique du Nord plutôt qu'en Europe, par exemple, fait un choix qui peut être motivé par différentes considérations, dont des raisons linguistiques, culturelles, économiques ou en raison de la réputation, justifiée ou non, que les systèmes d'immigrations des pays d'accueil ont dans la conscience populaire. Que le demandeur ait choisi de venir au Canada parce qu'il croyait qu'il y serait mieux accueilli, parce que les opportunités d'emploi y sont bonnes ou parce qu'on parle français dans certaines parties du pays ou parce qu'il croyait, à tort ou à raison, que sa demande serait rejetée aux États-Unis n'empêche pas qu'il puisse véritablement craindre d'être persécuté (voir S. Chuop c. (Ministre de la citoyenneté et immigration) 2006 CF 37). Cette situation doit être distinguée de celle où un demandeur admet candidement que la raison pour laquelle il a quitté son pays est économique, ou de la situation où le demande reconnaît que l'unique raison pour laquelle il ne veut pas retourner dans son pays d'origine parce que le taux de chômage y est élevé.

[10]            Je me dois aussi d'ajouter qu'un séjour de 3 jours aux États-Unis avant de venir au Canada ne m'apparaît pas nécessairement inacceptable ou reprochable en soi. La SPR en tire une inférence négative. Une telle constatation ne m'apparaît pas justifiée à la lumière de la décision telle que rédigée.

[11]            Malgré les bons efforts de l'avocate du défendeur, les erreurs de fait soulevées par le demandeur, qui s'expliquent mal à la lecture de la décision, rendent la décision manifestement déraisonnable. La SPR avait peut-être de bonnes raisons de rejeter la demande d'asile du demandeur, mais ces raisons ne se trouvent pas dans la décision du 16 juin 2005. La totalité des erreurs de faits et surtout celle concernant le mariage rendent cette décision manifestement déraisonnable. Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et le dossier est retourné devant la SPR pour être entendu de nouveau par un tribunal différemment constitué.

[12]            Les parties furent invitées à poser des questions pour fins de certification mais aucune question n'a été posée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

-           La demande de contrôle judiciaire est accordée et le dossier est retourné devant la SPR pour être entendu de nouveau par un tribunal différemment constitué.

« Simon Noël »

JUGE


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                       

                                                                       

DOSSIER :                                  IMM-4147-05

INTITULÉ :                                 THIERNO HABIB BALDE

                                                                                                                              demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L=IMMIGRATION

                                                                                                                               défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :         le 2 février 2006

MOTIFSDE L=ORDONNANCE ET ORDONNANCE:

                     L=HONORABLE JUGE SIMON NOËL

DATE DES MOTIFS :               le 7 février 2006

COMPARUTIONS:

Me EVELINE FISET                                              POUR LE DEMANDEUR

Me MARI-CLAUDE PAQUETTE                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me EVELINE FISET                                                          POUR LE DEMANDEUR           

Montréal (Québec)

JOHN M. SIMS                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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