Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20240306


Dossier : IMM-2062-23

Référence : 2024 CF 374

Vancouver (Colombie Britannique), le 6 mars 2024

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

JOAO MBIOMBIO MATONDO

MOTONDO MBIYAVANGA LUZOLO

ILDA JOSE MBIOMBIO

VERONICA LUZOLO MATONDO

SILVIA MBIOMBIO YILA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue le 30 janvier 2023 [Décision] par la Section d’appel des réfugiés [SAR]. Dans cette Décision, la SAR a conclu que les demandeurs étaient exclus au titre de la section E de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137 [Convention], tel qu’il est mentionné dans l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Les demandeurs, des citoyens de l’Angola, avaient perdu leur statut de résidents permanents du Brésil, mais ils pourraient néanmoins retourner au Brésil en tant que résidents permanents dans le cadre d’un regroupement familial, ce qui leur conférerait essentiellement les mêmes droits que les ressortissants brésiliens.

[2] De plus, ils n’avaient pas réussi à établir une possibilité sérieuse de persécution au Brésil pour l’un des motifs de la Convention, ni qu’ils seraient personnellement exposés à l’un des risques énumérés au paragraphe 97(1) de la LIPR advenant un retour au Brésil. Par conséquent, les demandeurs se sont vus refuser le statut de réfugié au sens de la Convention ou le statut de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la LIPR.

[3] Les demandeurs soulèvent trois arguments pour attaquer la Décision. Ils soumettent d’abord que la clause d’exclusion 1E ne s’applique pas à eux, car ils ont perdu leur statut de résident permanent au Brésil. Ils prétendent ensuite que la Décision n’est pas raisonnable, car la SAR n’aurait pas pris en compte toute la preuve pertinente sur le risque auquel ils seraient exposés advenant un retour au Brésil. Ils maintiennent enfin que la SAR aurait commis une erreur de droit en n’évaluant pas le risque auquel ils seraient exposés advenant un retour en Angola.

[4] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs sera rejetée. Après avoir examiné les motifs et les conclusions de la SAR, la preuve dont elle disposait et le droit applicable, je ne vois aucune raison d’infirmer la Décision, car elle ne comporte aucune lacune grave qui nécessiterait l’intervention de la Cour.

II. Contexte

A. Les faits

[5] Les demandeurs sont une famille originaire de l’Angola et composée du demandeur principal, M. Joao Mbiombio Matondo, son épouse Mme Matondo Mbiyavanga Luzolo et leurs trois enfants, Ilda Jose Mbiombio, Veronica Luzolo Matondo et Silvia Mbiombio Yila. Avant leur arrivée au Canada, ils ont habité au Brésil à titre de résidents permanents. Cependant, les demandeurs ont perdu leur statut de résidents permanents du Brésil parce qu’ils ont quitté le pays il y a plus de deux ans. Leur troisième enfant, Silvia Mbiombio Yila, est née au Brésil pendant qu’ils résidaient dans ce pays, et est donc citoyenne du Brésil.

[6] En Angola, les demandeurs disent craindre le général Bento Dos Santos. M. Matondo aurait travaillé dans un des commerces du général Dos Santos, et lui et d’autres employés auraient été accusés d’être responsables de vols et d’un incendie dans ce commerce. Les demandeurs ont quitté l’Angola pour le Brésil le 31 janvier 2016.

[7] Au Brésil, les demandeurs disent craindre des vendeurs ambulants. Alors que le demandeur principal travaillait comme agent de sécurité, il devait saisir les biens de ces vendeurs et ces derniers l’auraient menacé de mort.

[8] Les demandeurs ont donc quitté le Brésil en mai 2019 après que M. Matondo ait croisé un associé du général Dos Santos au Brésil qui l’aurait menacé de mort. Ils sont arrivés au Canada le 31 juillet 2019 et y ont présenté une demande d’asile.

B. La Décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR]

[9] En mai 2022, la SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs, au motif qu’ils étaient visés par la section E de l’article premier de la Convention. En effet, les quatre demandeurs angolais avaient obtenu la résidence permanente au Brésil. En se référant au test énoncé dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Zeng, 2010 CAF 118 [Zeng], la SPR a d’abord examiné le Cartable national de documentation [CND] pour le Brésil et déterminé que les demandeurs bénéficiaient d’un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants brésiliens.

[10] La SPR a ensuite conclu que les demandeurs angolais ont perdu leur statut de résidents permanents du Brésil parce qu’ils avaient quitté le pays depuis plus de deux ans. Toutefois, la SPR a jugé que les demandeurs n’ont pas fait la preuve, selon la prépondérance des probabilités, qu’il ne leur était pas possible de renouveler ce statut. Plus particulièrement, la preuve documentaire objective indique que le Brésil octroie un visa de résidence permanente aux parents et à la fratrie d’un brésilien mineur à charge, sur la base des dispositions permettant le regroupement familial. Ainsi, la SPR a conclu que les demandeurs pouvaient toujours obtenir le droit de résidence permanente au Brésil.

[11] La SPR a ensuite analysé un autre des critères énumérés dans l’arrêt Zeng et évalué le risque auquel les demandeurs seraient exposés advenant un retour au Brésil. Selon la SPR, le témoignage de M. Matondo concernant les allégations de menaces de mort au Brésil n’était pas crédible. Ainsi, les demandeurs n’ont pas réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités, que leurs vies seraient menacées ou qu’ils seraient exposés à un risque de traitements ou peines cruels et inusités au Brésil. La SPR a aussi conclu que la jeune Silvia (citoyenne du Brésil) n’avait pas la qualité de réfugiée aux termes de l’article 96 ni du paragraphe 97(1) de la LIPR en raison du témoignage non crédible de ses parents.

[12] La SPR n’a pas analysé le risque auquel les demandeurs seraient exposés dans leur pays d’origine, l’Angola.

C. La Décision de la SAR

[13] Dans sa Décision, la SAR a elle aussi procédé à une analyse de la question de l’exclusion 1E en se référant à l’arrêt Zeng. La SAR a remarqué que les demandeurs n’avaient pas contesté certaines conclusions clés de la SPR, notamment le fait qu’ils pourraient à nouveau obtenir la résidence permanente au Brésil dans le cadre d’un regroupement familial. La SAR a analysé la preuve documentaire objective au dossier et conclu que la SPR n’avait pas erré sur ce point. Selon la SAR, il incombait aux demandeurs de démontrer qu’ils ne pourraient pas obtenir la résidence permanente au Brésil, et ils ne l’ont pas fait.

[14] Par la suite, la SAR a conclu que la SPR n’avait pas erré dans son analyse du risque au Brésil. La SAR a noté plusieurs omissions et contradictions entre le témoignage de M. Matondo et ses déclarations dans le formulaire de fondement de la demande d’asile, lesquelles minaient sa crédibilité. De plus, la SAR a déterminé que les demandeurs n’avaient pas établi une possibilité sérieuse de persécution au Brésil pour l’un des motifs de la Convention, ni qu’ils seraient personnellement exposés à l’un des risques énumérés au paragraphe 97(1) de la LIPR advenant un retour au Brésil.

[15] Dans l’affaire Ahmad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 214 [Ahmad], la Cour a indiqué qu’indépendamment du droit de retour dans un tiers pays, le risque auquel est exposé un demandeur dans son pays de citoyenneté doit également être analysé avant de conclure à l’applicabilité de la clause d’exclusion 1E (Ahmad au para 27). Se fondant sur cette décision Ahmad, la SAR a donc jugé que la SPR a erré en omettant d’analyser le risque auquel les demandeurs seraient exposés en Angola. Toutefois, la SAR n’a pas non plus directement procédé à l’analyse de ce risque. En effet, la SAR a expliqué que, même si elle était arrivée à la conclusion que les demandeurs seraient exposés à un risque advenant leur retour en Angola, les obligations internationales du Canada ne seraient pas enfreintes en raison de l’application de l’exclusion 1E de la Convention, puisque les demandeurs pourraient retourner au Brésil en obtenant un visa pour regroupement familial.

D. La norme de contrôle

[16] Il ne fait pas de doute que la norme de la décision raisonnable s’applique en ce qui regarde les conclusions de la SAR au sujet de l’exclusion 1E (Majebi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 274 aux para 5–6; Zeng aux para 11, 34; Zaman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 53 au para 17 [Zaman]).

[17] D’ailleurs, le cadre d’analyse relatif au contrôle judiciaire du mérite d’une décision administrative est maintenant celui établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] (Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 au para 7 [Mason]). Ce cadre d’analyse repose sur la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit désormais la norme applicable dans tous les cas.

[18] Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle d’une cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Mason au para 64; Vavilov au para 85). La cour de révision doit donc se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov au para 99, citant notamment Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux para 47, 74).

[19] Il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur administratif « doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique » [en italique dans l’original] (Vavilov au para 86). Ainsi, le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable s’intéresse tant au résultat de la décision qu’au raisonnement suivi (Vavilov au para 87). L’exercice du contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation rigoureuse des décisions administratives. Toutefois, dans le cadre de son analyse du caractère raisonnable d’une décision, la cour de révision doit adopter une méthode qui « s’intéresse avant tout aux motifs de la décision », examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse », et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion (Mason aux para 58, 60; Vavilov au para 84). La cour de révision doit adopter une attitude de retenue et n’intervenir que « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov au para 13). La norme de la décision raisonnable, je le souligne, tire toujours son origine du principe de la retenue judiciaire et de la déférence, et exige que les cours de révision fassent preuve de respect envers le rôle distinct que le législateur a choisi de conférer aux décideurs administratifs plutôt qu’aux cours de justice (Mason au para 57; Vavilov aux para 13, 46, 75).

[20] Il incombe à la partie qui conteste une décision de prouver qu’elle est déraisonnable. Pour annuler une décision administrative, la cour de révision doit être convaincue qu’il existe des lacunes suffisamment graves pour rendre la décision déraisonnable (Vavilov au para 100).

III. Analyse

A. Le cadre législatif et juridique

[21] Le but de l’exclusion 1E de la Convention est d’empêcher la quête du meilleur pays d’asile, reflétant ainsi le principe selon lequel l’asile ne sera pas conféré à une personne qui bénéficie de la protection d’un pays où elle jouit essentiellement des mêmes droits et obligations que les ressortissants de ce pays (Zeng au para 1; Ahmad au para 18).

[22] Je rappelle qu’il est de jurisprudence constante que les demandeurs d’asile qui arrivent au Canada avec un statut assimilable à celui que confère la nationalité d’un pays tiers sécuritaire doivent se voir refuser l’asile en vertu de l’article 1E de la Convention. En effet, cette disposition et l’article 98 de la LIPR visent à empêcher « la recherche du meilleur pays d’asile » lorsque des demandeurs bénéficient déjà de la protection d’un pays tiers (Zeng au para 1). Ceci est cohérent avec le principe selon lequel le droit d’asile n’entre en jeu que lorsqu’il n’existe aucune solution de rechange (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 à la p 726). En effet, le régime de protection des réfugiés vise à venir en aide aux personnes qui ont besoin de protection, et non pas à celles qui préfèrent demander l’asile dans un pays plutôt que dans un autre. C’est ainsi que l’article 1E de la Convention interdit à quelqu’un qui possède déjà un statut essentiellement semblable à celui des citoyens du pays où il réside de rechercher ailleurs un statut de réfugié ou de personne à protéger (Zaman au para 23).

[23] Dans l’arrêt Zeng, la Cour d’appel fédérale a énoncé le test à trois volets qui s’applique pour déterminer s’il y a lieu de refuser l’asile à une personne en application de l’article 1E de la Convention. Ce test se décline comme suit :

[28] [1] Compte tenu de tous les facteurs pertinents existant à la date de l’audience, le demandeur a-t-il, dans le tiers pays, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays? Si la réponse est affirmative, le demandeur est exclu. Si la réponse est négative, [2] il faut se demander si le demandeur avait précédemment ce statut et s’il l’a perdu, ou s’il pouvait obtenir ce statut et qu’il ne l’a pas fait. Si la réponse est négative, le demandeur n’est pas exclu en vertu de la section 1E. Si elle est affirmative, [3] la SPR doit soupeser différents facteurs, notamment la raison de la perte du statut (volontaire ou involontaire), la possibilité, pour le demandeur, de retourner dans le tiers pays, le risque auquel le demandeur serait exposé dans son pays d’origine, les obligations internationales du Canada et tous les autres faits pertinents.

[Numérotation ajoutée.]

[24] Comme le Ministre l’a bien fait valoir lors de ses représentations, tant la SPR que la SAR a conclu à l’application de l’exclusion 1E dans le cas des demandeurs.

B. L’exclusion 1E s’applique

[25] Je suis d’avis que la SAR a correctement appliqué l’exclusion. Il incombait aux demandeurs d’établir, selon la balance des probabilités, qu’ils ne pouvaient pas réacquérir la résidence permanente au Brésil (Ahmad au para 32). Or, la SAR a noté que les demandeurs n’ont pas contesté plusieurs conclusions de la SPR basées sur la preuve documentaire objective, notamment le fait : 1) qu’ils ont obtenu le statut de résident permanent au Brésil; 2) que ce statut est essentiellement semblable à ceux des ressortissants brésiliens; 3) qu’ils ont perdu ce statut puisqu’ils ont quitté le Brésil depuis plus de deux ans; et 4) qu’ils pourraient cependant retourner au Brésil en tant que résidents permanents dans le cadre d’un regroupement familial puisque leur fille Silvia est née au Brésil.

[26] Ces conclusions de la SAR sont éminemment raisonnables. Pour y arriver, la SAR a consulté le CND du Brésil et constaté que la loi brésilienne permet aux parents et à la fratrie d’enfants brésiliens d’obtenir la résidence permanente. En se basant sur la preuve documentaire objective, elle a expliqué de façon intelligible que les exigences liées à la demande de visa pour regroupement familial ne sont que des formalités administratives et a conclu que les demandeurs ne se sont pas déchargés de leur fardeau de démontrer qu’ils ne pourraient pas rentrer au Brésil. Le fait d’avoir perdu leur statut de résidents permanents au Brésil n’empêche pas l’application de l’exclusion 1E de la Convention. En effet, il faut se demander si un demandeur avait précédemment ce statut et s’il l’a perdu, ou s’il pouvait obtenir ce statut et qu’il ne l’a pas fait (Zeng au para 28; Ahmad au para 34). La SAR a appliqué le bon critère et son évaluation des faits en fonction de ce critère est tout à fait raisonnable.

[27] Les demandeurs n’ont soulevé aucun argument qui permettrait de mettre cette conclusion de la SAR en doute.

C. L’analyse du risque au Brésil

[28] Les prétentions des demandeurs sur ce point sont peu développées.

[29] La SAR a traité cet argument aux paragraphes 26–27 de la Décision. Elle a notamment relevé que les menaces venant de vendeurs ambulants évoqués par le demandeur principal, M. Matondo, ne figuraient même pas dans son récit à la source de sa demande d’asile, bien qu’il s’agissait là de l’événement déclencheur de leur demande d’asile. La SAR n’a pas été satisfaite de l’explication fournie par le demandeur principal, M. Matondo, selon laquelle il aurait oublié l’existence des menaces de mort alors qu’il s’agissait l’une des raisons principales les ayant menés à abandonner le Brésil.

[30] Par ailleurs, la SAR a expliqué que les demandeurs n’ont pas démontré, après presque trois ans depuis leur départ, l’existence de nouvelles menaces de ces vendeurs ambulants ou d’un risque continu de persécution aux mains de leurs agents de persécution au Brésil.

[31] De la même manière, le témoignage de M. Matondo au sujet de sa prétendue rencontre fortuite avec un associé du général Dos Santos était vague et évasif, M. Matondo étant incapable de fournir le nom de cette personne et la date de l’événement, ou de préciser si des menaces avaient alors été proférées à son endroit. De plus, la SAR a remarqué que M. Matondo a témoigné qu’il avait été menacé par cette personne, mais que cette information importante ne se retrouvait pas dans le fondement de sa demande d’asile, lequel indiquait seulement que la personne s’était « exclamé » lorsqu’il a vu le demandeur. Cette contradiction n’a pas été expliquée à la satisfaction de la SAR. En somme, rien dans la preuve au dossier ne permettait de conclure que le départ du Brésil des demandeurs était involontaire.

[32] Ainsi, il est clair que la conclusion de la SAR sur l’absence de risque au Brésil possède tous les attributs d’une détermination raisonnable compte tenu l’absence de preuve au dossier. Dans un contrôle judiciaire comme celui-ci, la Cour n’a pas pour rôle de soupeser de nouveau les éléments de preuve dont disposait la SAR (Sharma c Canada (Procureur général), 2018 CAF 48 au para 13). Au surplus, les conclusions de la SAR en matière de crédibilité commandent la déférence et la Cour ne peut ni substituer son propre point de vue quant à une issue préférable ni procéder à une nouvelle pondération de la preuve si les conclusions sont transparentes, justifiables et intelligibles (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59; Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 au para 16). Il suffit que les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16). C’est le cas ici.

D. L’analyse du risque en Angola

[33] Comme troisième argument, les demandeurs reprochent à la SAR de ne pas avoir procédé à une analyse de leur risque en Angola.

[34] Je ne partage pas la lecture que les demandeurs font de la Décision à ce chapitre. Comme il est clairement mentionné dans la Décision, la SAR a pris pour acquis qu’il existait un risque en Angola, et même en présumant l’existence d’un tel risque, elle a conclu que l’exclusion 1E s’appliquait quand même vu l’existence d’un droit de retour des demandeurs au Brésil. Je ne décèle rien de déraisonnable dans cette analyse.

[35] Les obligations internationales du Canada sont à la base du devoir de la SPR ou la SAR de se pencher sur divers facteurs, incluant le risque de persécution dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile, avant de conclure à l’application de l’exclusion 1E (Zeng au para 21) :

[21] Toutefois, compte tenu des propositions qui exigent qu’une protection soit accordée aux personnes qui en ont besoin et que le Canada respecte les obligations que lui impose le droit international, le ministre reconnaît que, dans des circonstances limitées, lorsque la section 1E est appliquée à une personne qui recherche le meilleur pays d’asile et qui ne peut retourner dans le tiers pays, la possibilité existe que cette personne se voie renvoyée du Canada vers son pays d’origine sans avoir bénéficié d’une évaluation des risques. Le Canada pourrait ainsi manquer indirectement à ses obligations internationales.

[36] Par contre, un objectif important de l’exclusion 1E est la prévention de la recherche du meilleur pays d’asile (Zeng au para 1). La SAR doit donc trouver un équilibre entre les critères énoncés par la Cour d’appel dans l’arrêt Zeng :

[43] La SPR, lorsqu’elle titre une conclusion fondée sur le troisième volet du critère énoncé dans l’arrêt Zeng, doit tenir compte des éléments établis par la Cour d’appel et trouver un équilibre entre eux. L’un des aspects de cette conclusion emporte la mise en balance de la certitude, la complexité et la nature discrétionnaire de tout processus de rétablissement du statut de résident permanent, d’une part, et du risque auquel un demandeur prétend qu’il serait exposé dans son pays d’origine, d’autre part. De cette façon, la SPR satisfait aux principes définis dans l’arrêt Zeng, y compris la prévention de la recherche du meilleur pays d’asile, tout en assurant une évaluation raisonnable des allégations de risque du demandeur.

Ahmad au para 43.

[37] Dans la Décision, la SAR a expressément mentionné les obligations internationales du Canada et a jugé que l’application de la section E de l’article premier de la Convention dans ce cas ne les contreviennent pas. Ceci permet de distinguer la présente affaire du cas de M. Ahmad, dans laquelle la SAR avait déclaré qu’« aucune considération ne doit être donnée aux obligations internationales du Canada » (Ahmad au para 39). Tout comme les demandeurs, M. Ahmad avait perdu son statut de résident permanent en Espagne, car il s’était absenté du pays pendant plus d’un an. Il avait aussi la possibilité d’acquérir de nouveau son statut en faisant une demande. Toutefois, l’acquisition de son statut et son retour en Espagne n’étaient pas suffisamment certains, contrairement au cas des demandeurs dans le présent dossier.

[38] À l’instar de la SPR, la SAR a conclu que les exigences liées à la demande de visa pour regroupement familial ne sont que des formalités administratives. Les demandeurs n’ont pas contesté cette conclusion de la SPR devant la SAR ni de la SAR dans la présente demande de contrôle judiciaire. Ceci, encore une fois, fait contraste avec l’affaire Ahmad, où la SAR a admis qu’il n’était pas clairement établi que M. Ahmad pouvait utiliser le processus simplifié pour réacquérir son statut de résident permanent, et que le processus général était fastidieux et sans garantie de réussite (Ahmad au para 44).

[39] Les demandeurs n’expliquent pas en quoi la SAR aurait erré en ne procédant pas à une analyse du risque en Angola et en décidant plutôt de présumer de son existence. Il incombait aux demandeurs qui contestent la Décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov au para 100). Considérant la reconnaissance écrite des obligations internationales du Canada par la SAR ainsi que son analyse détaillée concluant une absence de risque advenant un retour au Brésil, et considérant le haut niveau de certitude voulant que les demandeurs puissent réacquérir la résidence permanente au Brésil, la décision de ne pas analyser le risque en Angola est justifiée et raisonnable. L’existence d’une crainte de retour en Angola ne modifiait pas la conclusion que les demandeurs sont exclus de l’application de la Convention en vertu de l’exclusion 1E en raison de l’option dont ils bénéficient au Brésil. Somme toute, je suis satisfait que la SAR n’a pas erré et a trouvé un équilibre raisonnable entre les critères énoncés par la Cour d’appel dans Zeng.

IV. Conclusion

[40] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée. La Décision possède les attributs d’intelligibilité, de transparence et de justification requis en vertu de la norme de la décision raisonnable, et il n’y a aucune raison qui pourrait justifier la Cour de substituer son opinion à celle de la SAR.

[41] Aucune partie n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification, et je suis d’accord qu’il n’y en a aucune.

 


JUGEMENT au dossier IMM-2062-23

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2062-23

INTITULÉ :

JOAO MBIOMBO MATONDO ET AL. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 JANVIER 2024

JUGEMENT ET MOTIFS :

GASCON J.

DATE DES MOTIFS

LE 6 MARS 2024

COMPARUTIONS :

Me Laurent Gryner

POUR LES DEMANDEURS

Me Margarita Tzavelakos

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Laurent Gryner

Avocat

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.