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Date : 20240229


Dossier : IMM-1093-23

Référence : 2024 CF 340

Montréal (Québec), le 29 février 2024

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

JULIO CESAR GUILLEN GOMEZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRAION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Julio Cesar Guillen Gomez, est citoyen du Mexique. Il sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 10 janvier 2023 [Décision] de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [SAR]. Dans sa Décision, la SAR a rejeté la demande d’asile de M. Gomez au motif qu’il n’avait pas la qualité de réfugié ou de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], car il dispose d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] viable au Mexique, dans la ville de La Paz située dans l’État de Basse-Californie du Sud. La SAR confirmait ainsi la décision que la Section de la protection des réfugiés [SPR] avait rendue au même effet.

[2] M. Gomez soutient que la Décision n’est pas raisonnable puisque la SAR aurait erré dans son analyse de la PRI. Il demande à la Cour d’annuler la Décision et de retourner l’affaire devant la SAR pour une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué. La seule question en litige est de savoir si les conclusions de la SAR sur la PRI sont raisonnables.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire de M. Gomez sera rejetée. Après avoir examiné les motifs et les conclusions de la SAR, la preuve dont elle disposait et le droit applicable, je ne vois aucune raison d’infirmer la Décision, car elle ne comporte aucune lacune grave qui nécessiterait l’intervention de la Cour.

II. Contexte

A. Les faits

[4] M. Gomez allègue craindre un membre haut placé d’un groupe criminalisé, le Cartel de Los Flores — son agent de persécution, suite à une relation amoureuse qu’il a eue avec la copine de ce dernier.

[5] Le 22 octobre 2017, M. Gomez est agressé puis menacé alors qu’il se trouve chez son amie, dans sa ville d’origine. Le lendemain, l’agent de persécution le rappelle et lui réitère ses menaces. M. Gomez fait une dénonciation aux autorités policières locales le soir même, puis obtient l’émission d’actes de protection contre son agent de persécution. Ce dernier fait défaut de se présenter à de nombreuses convocations devant diverses instances. Après avoir effectué des suivis auprès des autorités, M. Gomez se voit confirmer le danger auquel il est exposé.

[6] L’agent de persécution rappelle M. Gomez pour lui reprocher son insouciance eu égard aux démarches qu’il a entreprises auprès de la police. Peu après, de nombreux véhicules aux vitres teintées passent devant le domicile de M. Gomez. En décembre 2017, M. Gomez décide de quitter son État du Chiapas pour celui de Veracruz, en raison de sa crainte du Cartel de Los Flores.

[7] Le 11 janvier 2018, l’agent de persécution appelle M. Gomez et le menace de nouveau, indiquant savoir qu’il a quitté le Chiapas. Deux jours plus tard, M. Gomez retourne dans sa ville d’origine pour préparer son départ et entreprend les démarches afin d’obtenir son passeport. Il retourne ensuite à Veracruz et y demeure avant de quitter le Mexique pour le Canada le 4 février 2018. À son arrivée au Canada, il dépose une demande d’asile.

[8] M. Gomez affirme que, depuis son départ du Mexique, d’autres voitures aux vitres teintées se sont promenées devant chez lui. En 2020, sa mère se serait aussi fait happer par une camionnette alors qu’elle marchait sur le trottoir.

B. Les décisions de la SPR et de la SAR

[9] En juillet 2022, la SPR rejette la demande d’asile de M. Gomez, jugeant qu’il bénéficie d’une PRI viable à La Paz, dans l’État de Basse-Californie du Sud. La Paz est située à quelque 2,500 kilomètres du lieu de résidence de M. Gomez.

[10] M. Gomez fait appel de cette décision devant la SAR. Dans sa Décision, la SAR conclut également que M. Gomez bénéficie d’une PRI viable à La Paz. La SAR détermine que, même si l’agent de persécution de M. Gomez est membre d’un groupe criminel ayant des liens avec d’autres organisations qui pourraient lui permettre de localiser M. Gomez dans la PRI, l’absence de motivation démontrée à l’égard d’une situation de nature essentiellement personnelle permet de conclure que M. Gomez ne sera pas exposé à une menace pour sa vie, à un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou à un risque de torture dans la PRI. De surcroît, la SAR se dit d’avis que l’absence de communications avec son agent de persécution depuis son arrivée au Canada, jumelée au passage du temps, reflète une absence d’intérêt de l’agent de persécution à l’égard de M. Gomez. Enfin, compte tenu de l’expérience personnelle et des circonstances de M. Gomez, la SAR conclut que la relocalisation de ce dernier dans la PRI serait objectivement raisonnable.

C. La norme de contrôle

[11] Il est bien connu que les conclusions de la SAR quant à l’existence d’une PRI viable sont révisables selon la norme de la décision raisonnable (Belhedi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1449 au para 18; Rodriguez Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 426 au para 14; Djeddi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1580 au para 16; Valencia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 386 au para 19; Adeleye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 81 au para 14; Ambroise c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 62 au para 6; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 350 au para 17 [Singh]; Kaisar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 789 au para 11).

[12] D’ailleurs, le cadre d’analyse relatif au contrôle judiciaire du mérite d’une décision administrative est maintenant celui établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] (Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 au para 7 [Mason]). Ce cadre d’analyse repose sur la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit désormais la norme applicable dans tous les cas.

[13] Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle d’une cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Mason au para 64; Vavilov au para 85). La cour de révision doit donc se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov au para 99, citant notamment Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux para 47, 74).

[14] Il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur administratif « doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique » [en italique dans l’original] (Vavilov au para 86). Ainsi, le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable s’intéresse tant au résultat de la décision qu’au raisonnement suivi (Vavilov au para 87). L’exercice du contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation rigoureuse des décisions administratives. Toutefois, dans le cadre de son analyse du caractère raisonnable d’une décision, la cour de révision doit adopter une méthode qui « s’intéresse avant tout aux motifs de la décision », examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse », et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion (Mason aux para 58, 60; Vavilov au para 84). La cour de révision doit adopter une attitude de retenue et n’intervenir que « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov au para 13). La norme de la décision raisonnable, je le souligne, tire toujours son origine du principe de la retenue judiciaire et de la déférence, et elle exige des cours de révision qu’elles témoignent d’un respect envers le rôle distinct que le législateur a choisi de conférer aux décideurs administratifs plutôt qu’aux cours de justice (Mason au para 57; Vavilov aux para 13, 46, 75).

[15] Il incombe à la partie qui conteste une décision de prouver qu’elle est déraisonnable. Pour annuler une décision administrative, la cour de révision doit être convaincue qu’il existe des lacunes suffisamment graves pour rendre la décision déraisonnable (Vavilov au para 100).

III. Analyse

[16] Dans ses soumissions, M. Gomez maintient d’abord que tous ses nouveaux éléments de preuve présentés à la SAR auraient dû être admis par le décideur et pris en compte par la SAR dans sa Décision. D’autre part, M. Gomez estime que la Décision de la SAR est déraisonnable car, selon lui, la SAR aurait erré dans son analyse de la PRI. Plus spécifiquement, M. Gomez soumet qu’en regard de la preuve sur les caractéristiques de la culture du crime organisé au Mexique, la conclusion de la SAR à l’effet que son agent de persécution n’aurait pas la motivation de le retrouver est déraisonnable. De plus, M. Gomez soumet que la PRI identifiée est un endroit qui comporte un risque de persécution prépondérant qui, lui aussi, rend la Décision déraisonnable.

[17] Je ne partage pas l’avis de M. Gomez.

A. Les nouveaux éléments de preuve

[18] Avec égards, les arguments avancés par M. Gomez quant aux nouveaux éléments de preuve ne peuvent pas être acceptés. Comme le note correctement le défendeur, le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [Ministre], la SAR se doit d’analyser ces nouveaux documents à travers le prisme du paragraphe 110(4) de la LIPR. Or, cette disposition énonce entre autres que, dans le cadre d’un appel devant la SAR, un appelant ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande par la SPR ou qui ne lui étaient alors pas normalement accessibles. Or, dans le cas de M. Gomez, les éléments de preuve additionnels qui n’ont pas été acceptés par la SAR sont manifestement survenus avant la décision négative de la SPR et étaient tous des documents publics normalement accessibles à M. Gomez à ce stade des procédures. La SAR ne pouvait donc faire autrement que de les rejeter.

[19] La jurisprudence de la Cour d’appel fédérale est claire à cet égard : il est raisonnable pour la SAR de rejeter des éléments de preuve qui ne satisfont pas aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 au para 69; Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 aux para 13–16). En l’espèce, c’est ce qu’a fait la SAR. Malgré le fardeau qui lui incombait, M. Gomez n’a pas démontré comment les nouveaux éléments de preuve proposés respectaient les exigences prévues à la LIPR. Il n’a d’ailleurs fourni aucune explication sur les raisons pour lesquelles les documents invoqués n’avaient pas été soumis à la SPR ou ne lui auraient pas été accessibles.

[20] Compte tenu des conclusions de la SAR, de la preuve qui lui a été présentée et du droit applicable, le refus de certains éléments de preuve ne comporte aucune lacune grave qui nécessiterait l’intervention de la Cour.

B. La Décision de la SAR est raisonnable

[21] En ce qui concerne le fond de la Décision de la SAR, le test permettant de déterminer l’existence d’une PRI viable est bien établi. Il trouve sa source dans les arrêts Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (CA) et Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 (CA) [Thirunavukkarasu], où la Cour d’appel fédérale a identifié les deux critères à satisfaire pour conclure au caractère raisonnable d’une PRI : 1) il ne doit pas y avoir de possibilité sérieuse, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur soit persécuté dans la partie du pays dans laquelle la PRI existe; et 2) il ne doit pas être déraisonnable pour le demandeur de prendre refuge dans la PRI, compte tenu de toutes les circonstances, y compris celles qui sont propres à sa situation.

[22] Dans l’affaire Singh, la Cour a rappelé que « l’analyse d’une PRI repose sur le principe voulant que la protection internationale ne puisse être offerte aux demandeurs d’asile que dans les cas où le pays d’origine est incapable de fournir à la personne qui demande l’asile une protection adéquate partout sur son territoire » (Singh au para 26).

[23] Si une PRI est établie, il incombe alors au demandeur d’asile de démontrer que la PRI est inadéquate et qu’il est déraisonnable de s’y établir (Thirunavukkarasu au para 12; Salaudeen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 39 au para 26; Manzoor‑Ul‑Haq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1077 au para 24; Feboke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 155 aux para 43–44). De plus, la jurisprudence enseigne qu’une conclusion sur la PRI est déterminante et est suffisante pour rejeter une demande d’asile (Ojeda Escobar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1453 au para 6).

[24] M. Gomez estime d’abord que la Décision de la SAR serait déraisonnable car, selon lui, la SAR aurait erré dans son analyse de la PRI. M. Gomez prétend notamment qu’en analysant la preuve sur les caractéristiques de la culture du crime organisé au Mexique, la SAR ne pouvait raisonnablement conclure que son agent de persécution n’aurait pas la motivation de le retrouver, vu les différentes alliances qui existent entre les groupes criminalisés au Mexique. D’autre part, M. Gomez soumet que la PRI identifiée à La Paz est un endroit qui comporterait un risque de persécution prépondérant.

[25] Les arguments de M. Gomez ne résistent pas à l’analyse.

(1) L’absence de motivation de l’agent de persécution

[26] En ce qui concerne l’absence de motivation de son agent de persécution, l’argument de M. Gomez se heurte à deux écueils.

[27] D’abord, au plan procédural, la SPR avait conclu que l’agent de persécution n’avait pas la motivation de retrouver M. Gomez à La Paz, et M. Gomez n’a pas contesté cette conclusion dans son mémoire d’appel à la SAR. Or, aux termes de l’alinéa 3(3)g) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257 [Règles], un demandeur d’asile qui souhaite contester une décision de la SPR a l’obligation d’identifier toutes les conclusions qu’il considère erronées. Ainsi, lorsqu’une question n’est pas soulevée en appel devant la SAR, un demandeur ne peut pas le faire postérieurement devant la Cour, au stade d’une demande de contrôle judiciaire (Dahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1102 aux para 26–28 [Dahal]). Ainsi, dans l’affaire Dahal, M. le juge en chef Crampton a continué son analyse dans les termes suivants, au paragraphe 37 :

[37] En voulant simplement se rassurer quant à la possibilité que d’autres erreurs aient pu être commises, la décision de la Section d’appel des réfugiés ne devrait pas risquer d’être annulée à la suite d’un contrôle judiciaire, en se fondant uniquement sur le fait qu’elle concorde généralement avec les conclusions tirées par la Section de la protection des réfugiés en ce qui a trait aux questions qui n’avaient pas été soulevées par les demandeurs en appel. J’estime que l’objectif de l’alinéa 3(3)g) des Règles en serait ainsi vicié, lequel prévoit qu’un appelant doit préciser : i) les erreurs commises qui constituent les motifs d’appel, et ii) l’endroit où se trouvent ces erreurs dans les motifs écrits de la décision de la Section de la protection des réfugiés, ou dans la transcription ou dans tout enregistrement de l’audience.

[28] Qui plus est, la Cour d’appel fédérale enseigne « qu’on ne peut normalement contester le caractère raisonnable d’une décision de la Section d’appel en se fondant sur une question qui n’a pas été portée devant elle » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c R. K., 2016 CAF 272 au para 6, citant Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 aux para 23–25). Ici, M. Gomez n’a pas attaqué la conclusion de la SPR sur l’absence de motivation de son agent de persécution, et ceci suffit pour disposer des prétentions de M. Gomez quant au manque de motivation de son agent de persécution.

[29] À tout événement, je suis d’avis que la SAR a raisonnablement déterminé que la PRI est viable et que la preuve d’une motivation de l’agent de persécution était effectivement absente. En effet, je ne vois rien de déraisonnable dans l’analyse qui a conduit la SAR à conclure que l’agent de persécution n’avait pas la motivation de retrouver M. Gomez à La Paz. Pour arriver à cette conclusion, la SAR a noté qu’il n’y a eu que trois menaces téléphoniques entre la découverte de l’adultère et le départ de M. Gomez pour le Canada, qu’il y avait une absence d’escalade ou d’autres menaces directes ou indirectes faites à l’endroit de M. Gomez — bien que l’agent de persécution soit en position de le retrouver ou de donner effet aux dites menaces, et que l’absence de communication depuis son arrivée au Canada, jumelée au passage du temps, reflétait une absence d’intérêt de retrouver M. Gomez.

[30] Dans la décision Leon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 428 [Leon], la Cour a rappelé « qu’il existe une différence entre la capacité d’un persécuteur de poursuivre un individu partout dans un pays et sa volonté ou son intérêt de le faire. Le fait qu’un persécuteur a la capacité de poursuivre un individu n’est pas une preuve décisive que ce dernier est motivé de poursuivre cet individu. Si le persécuteur n’a pas la volonté ou l’intérêt de trouver, poursuivre et/ou persécuter un individu, il est raisonnable de conclure qu’il n’y a pas de risque sérieux de persécution » [non souligné dans l’original] (Leon au para 13). C’est précisément le cas ici, et la preuve appuie en tous points les conclusions de la SAR à cet effet.

[31] Quant aux arguments de M. Gomez voulant que la SAR n’ait pas considéré toute la preuve, il faut rappeler que, selon la jurisprudence, la SAR est présumée avoir analysé l’ensemble de la preuve devant elle, à moins de preuve à l’effet contraire (Khelili c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2022 CF 188 au para 29 [Khelili], citant Kanagendren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86 au para 36 et Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF) (QL) au para 1). En l’espèce, M. Gomez n’a soumis rien de tangible qui pourrait amener la Cour à conclure que la SAR n’aurait pas tenu compte de la preuve déposée.

(2) La PRI est un endroit raisonnable pour M. Gomez

[32] En ce qui a trait au deuxième volet du test relatif aux PRI, il était loisible pour la SAR de conclure que M. Gomez ne ferait pas face à des obstacles culturels, religieux, linguistiques ou socio-économiques à La Paz, ou que sa vie n’y serait pas en péril. À cette fin, la SAR a notamment souligné que M. Gomez détient un diplôme universitaire et possède une importante expérience de travail dans divers domaines.

[33] Dans le contexte du deuxième volet du test, un demandeur d’asile doit apporter une preuve « réelle et concrète » de l’existence de conditions qui mettraient sa vie en péril dans la PRI, ce que M. Gomez n’a clairement pas fait (Lawal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 964 au para 21, citant Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 au para 15 [Ranganathan]). Ce fardeau de preuve est élevé lorsqu’il s’agit de déterminer le caractère déraisonnable d’une PRI (Molina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 349 au para 14; Olivares Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 443 au para 22, citant Ranganathan aux para 15–16).

[34] Au final, les arguments de M. Gomez manifestent plutôt son désaccord quant à l’appréciation de la preuve faite par la SAR et suggèrent à la Cour d’adopter une évaluation différente du décideur administratif. Or, il est bien acquis que ceci n’est pas suffisant pour que la Cour intervienne (Khelili au para 25). M. Gomez n’a identifié aucune lacune grave dans la Décision et, dans une telle situation, la Cour doit éviter de s’immiscer dans les conclusions de la SAR (Vavilov au para 100). L’expertise de la SAR en matière d’immigration exige en effet que la Cour fasse preuve d’une grande déférence à l’égard de ses conclusions de faits sur le test de la PRI (Singh au para 32).

[35] Au surplus, comme le précise le Ministre dans ses soumissions, M. Gomez n’avait pas contesté, devant la SAR, les conclusions de la SPR quant à la viabilité ou au caractère raisonnable de la PRI. Encore une fois, puisque M. Gomez n’a pas attaqué les motifs de la SPR sur le deuxième volet de la PRI, ceci suffit, en vertu de la Règle 3(3)g), pour disposer des prétentions de M. Gomez voulant que la PRI identifiée à La Paz soit un endroit qui comporterait un risque de persécution prépondérant.

IV. Conclusion

[36] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de M. Gomez est rejetée. La Décision possède les attributs d’intelligibilité, de transparence et de justification requis en vertu de la norme de la décision raisonnable, et il n’y a aucune raison qui pourrait justifier la Cour de substituer son opinion à celle de la SAR.

[37] Aucune partie n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification, et je suis d’accord qu’il n’y en a aucune.

 


JUGEMENT au dossier IMM-1093-23

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1093-23

INTITULÉ :

JULIO CESAR GUILLEN GOMEZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 FÉVRIER 2024

JUGEMENT ET MOTIFS :

GASCON J.

DATE DES MOTIFS

LE 29 FÉVRIER 2024

COMPARUTIONS :

Me Francisco Alejandro Saenz Garay

POUR LE DEMANDEUR

Me Annie Flamand

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Saenz Avocat

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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