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Dossier : T-1686-21

Référence : 2024 CF 404

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 mars 2024

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

CHRISTOPHER JOHNSON

demandeur

et

ASSOCIATION CANADIENNE DE TENNIS,

MILOS RAONIC, GENIE BOUCHARD, DENIS SHAPOVALOV et

FÉLIX AUGER-ALIASSIME

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Les défendeurs requérants, l’Association canadienne de tennis, Denis Shapovalov et Félix Auger-Aliassime, sollicitent, en vertu du paragraphe 416(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, une ordonnance enjoignant au demandeur, Christopher Johnson, de fournir un cautionnement de 48 428,50 $ (le cautionnement) pour leurs dépens dans la présente action, dans les soixante jours suivant l’ordonnance.

[2] Ils sollicitent également une ordonnance qui interdise au demandeur de prendre d’autres mesures dans le cadre de la présente action tant que le cautionnement n’aura pas été consigné à la Cour et, si le cautionnement n’a pas été versé avant la date limite fixée par la Cour, que la présente action soit rejetée sans autre ordonnance de la Cour. Enfin, ils sollicitent des dépens de 5 000 $ dans le cadre de la présente requête.

[3] Pour les motifs qui suivent, la Cour ordonne au demandeur de déposer un cautionnement pour dépens de 44 870,50 $.

I. Nature de l’action du demandeur

[4] Je souscris à l’observation des défendeurs requérants selon laquelle la cause d’action sous-jacente les visant [traduction] « concerne la republication non autorisée alléguée de photographies [du demandeur], principalement sur les médias sociaux, entre juin 2016 et le milieu de 2019 environ ». Le demandeur sollicite des dommages-intérêts et une injonction interdisant les violations alléguées de son droit d’auteur.

II. Historique des dépens adjugés contre le demandeur

[5] Depuis l’introduction de la présente action en novembre 2021, plusieurs requêtes préalables au procès ont été entendues et, dans le cadre de ces procédures, des dépens ont été adjugés contre le demandeur :

[6] En plus de ces dépens adjugés par notre Cour, la Cour provinciale de l’Alberta, dans une ordonnance datée du 3 novembre 2022, a rejeté une action similaire intentée par le demandeur contre les défendeurs et lui a ordonné de leur payer des dépens de 2 120,50 $.

[7] À ce jour, le demandeur n’a rien payé de ces dépens.

III. Analyse

[8] Le demandeur soutient que deux de ces ordonnances font l’objet d’un appel et qu’il est donc prématuré de dire que les dépens qui y sont liés n’ont pas été payés. Je souscris à l’observation des défendeurs requérants au paragraphe 12 de leur réponse selon laquelle les observations du demandeur sont sans fondement. Premièrement, l’ordonnance du 30 novembre 2023 précise que les dépens doivent être payés [traduction] « sans délais » et le demandeur n’a pas demandé de sursis à l’exécution de cette ordonnance. Le simple fait d’interjeter appel n’a pas cet effet. Deuxièmement, l’appel de l’ordonnance du 8 novembre 2023 a été rejeté : Johnson v Canadian Tennis Association, 2024 FC 110.

[9] Plusieurs fonctionnaires judiciaires ayant pris part à certains aspects du présent litige ont pris note de la conduite [traduction] « abusive » du demandeur, du fait que le litige n’a pas progressé et des nombreuses procédures interlocutoires qui ont nécessité l’attention de la Cour : voir, par exemple, Johnson c Association canadienne de tennis, 2023 CF 483 au para 3. Les défendeurs requérants l’expriment ainsi au paragraphe 3 de leur mémoire des faits et du droit :

[traduction]

En plus de deux ans depuis le début de l’instruction de la présente action, il y a eu au moins 13 ordonnances, 18 directives et de nombreuses conférences de gestion de l’instance. Pour la grande majorité ceux-ci ont porté sur des requêtes et des appels frivoles et vexatoires dont le demandeur a été débouté. Le demandeur a persisté dans des procédures tout aussi frivoles et vexatoires malgré les nombreux avertissements et sanctions de la Cour.

[10] Le paragraphe 416(1) des Règles énonce huit circonstances dans lesquelles la Cour peut ordonner à un demandeur de fournir un cautionnement pour les dépens du défendeur. Les défendeurs requérants soutiennent que trois d’entre elles s’appliquent en l’espèce : les alinéas 416(1)c), f) et g) des Règles. Il n’est pas nécessaire que j’examine chacune de ces circonstances puisque je suis convaincu que l’alinéa 416(1)f) des Règles s’applique, jetant ainsi les bases nécessaires à l’ordonnance demandée. Cet alinéa permet à la Cour d’ordonner le versement d’un cautionnement pour dépens lorsque « le défendeur a obtenu une ordonnance contre le demandeur pour les dépens afférents à la même instance ou à une autre instance et [que] ces dépens demeurent impayés en totalité ou en partie ».

[11] Comme indiqué plus haut, les défendeurs requérants ont obtenu des ordonnances contre le demandeur pour des dépens s’élevant à 19 870,50 $, non payés à ce jour.

[12] L’article 417 des Règles prévoit que la Cour peut refuser d’ordonner la fourniture d’un cautionnement pour dépens si « le demandeur fait la preuve de son indigence et si elle est convaincue du bien-fondé de la cause ». Il s’agit d’un critère conjonctif.

[13] Le demandeur n’a pas allégué l’indigence, et l’a encore moins démontrée. En réalité, aux paragraphes 134 à 136 de son mémoire, il laisse entendre qu’il n’est pas indigent, puisqu’il dispose d’une marge de crédit de 45 000 $, ce qu’une personne indigente ne pourrait pas obtenir.

[14] Lorsque le demandeur n’est pas représenté par un avocat, comme c’est le cas en l’espèce, la Cour doit faire preuve de beaucoup de souplesse dans l’évaluation de ses actes de procédures, de ses observations et de sa preuve : Sauvé c Canada, 2014 CF 119 au para 19. Toutefois, comme l’ont fait remarquer d’autres fonctionnaires judiciaires, le demandeur en l’espèce [traduction] « c’est déjà vu accorder une grande marge de manœuvre, mais il persiste à faire délibérément fi des ordonnances et directives de la cour »; ordonnance de Catherine A. Coughlan, juge responsable de la gestion de l’instance, datée du 8 novembre 2023, au para 21. Quoi qu’il en soit, le fait pour une partie de ne pas être représentée par un avocat ne justifie pas qu’elle soit exemptée de l’application des Règles : Johnson c Canadian Tennis Association, 2022 CF 776 au para 45. Le demandeur n’a pas satisfait à la norme rigoureuse pour établir l’indigence : Heli Tech Services (Canada) Ltd. c Compagnie Weyerhaeuser Limitée, 2006 CF 1169 au para 8. Cela suffit pour conclure que l’article 417 des Règles ne s’applique pas.

[15] Compte tenu du fait que le demandeur a par le passé porté en appel des décisions questions sans fondement, je note expressément que je ne lui permets pas d’étoffer son dossier de requête en réponse pour la raison insignifiante d’ajouter une table des matières.

[16] Par conséquent, étant donné les nombreux antécédents du demandeur en matière de manquement aux ordonnances de paiement des dépens et l’absence de preuve d’impécuniosité, je conclus qu’il convient d’accorder aux défendeurs requérants un cautionnement pour leurs dépens en vertu de l’alinéa 416(1)f) des Règles.

IV. Montant du cautionnement

[17] La seule question qui reste à trancher est celle du montant du cautionnement que la Cour doit ordonner. Conformément au paragraphe 400(1) des Règles, j’ai le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens et de les répartir.

[18] Les défendeurs requérants sollicitent une ordonnance relative aux dépens qui comprend les dépens déjà adjugés, mais pas encore payés, ainsi que des dépens en vue des coûts probables d’un procès.

[19] Les défendeurs requérants ont présenté un mémoire de dépens calculé sur la base d’un procès sommaire de trois jours selon l’échelon supérieur de la colonne V, ce qui représente un total d’honoraires, de débours et de taxes de 33 558 $.

[20] La Cour estime qu’il n’est pas manifeste que la présente action nécessitera trois jours de procès. Il n’est pas non plus certain que les dépens seront adjugés en fonction de l’échelon supérieur de la colonne V. Je suis d’accord avec les défendeurs requérants que le montant du cautionnement doit établir un juste équilibre entre la nécessité pour le cautionnement d’offrir une indemnité significative et de ne pas être illusoire, tout en n’étant pas abusif au point d’empêcher un demandeur d’exercer un recours en droit : voir Fortyn c Canada, [2000] 4 CF 184 au para 10. Dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je fixe à 20 000 $ les dépens probables du procès de la présente action. Si l’on y additionne les dépens adjugés jusqu’à présent, on obtient une ordonnance de cautionnement de 39 870,50 $.

[21] De plus, je conclus, compte tenu de la conduite du demandeur tant dans la présente requête que dans la présente affaire, qu’il convient d’adjuger des dépens majorés de 5 000 $ pour la présente requête. Si l’on additionne cette somme au sous-total, on obtient une ordonnance de cautionnement de 44 870,50 $.

[22] Étant donné que le demandeur n’a rien payé à ce jour des dépens adjugés, il convient d’ordonner au demandeur de ne prendre aucune autre mesure dans la présente affaire jusqu’à ce que le cautionnement soit déposé et, s’il n’est pas déposé dans les 60 jours suivant la présente ordonnance, que la présente action soit rejetée, sans qu’il soit nécessaire de présenter de requête formelle.

 




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