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Date : 20240311


Dossier : IMM-9633-22

Référence : 2024 CF 406

Ottawa (Ontario), le 11 mars 2024

En présence de l’honorable juge Pamel

ENTRE :

ALGAPH SAMB

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu et contexte

[1] Le demandeur, M. Algaph Samb, est un citoyen du Sénégal. Il demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] datée du 6 septembre 2022. La SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] selon laquelle M. Samb n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger. En bref, M. Samb craint sa famille et sa communauté musulmane, parce qu’il est bisexuel et que cette orientation sexuelle est réprouvée par sa communauté. Le 1er avril 2018, il aurait été aperçu en train d’embrasser son ami Jules, à la suite de quoi deux hommes membres du groupe Baye Fall, qui fait partie de « la communauté musulmane la plus influente au Sénégal, les Mourides », auraient attaqué M. Samb. Ce dernier allègue que ses attaquants prétendaient être les gardiens des bonnes mœurs dans la ville de Mbour; à cause de l’attaque, il aurait eu besoin de soins médicaux pour soigner ses blessures.

[2] Quelques mois après être arrivé au Canada muni d’un visa de visiteur, en novembre 2018, M. Samb a appris que Jules avait été arrêté par la police pour proxénétisme auprès d’homosexuels. Lors de son arrestation, on a fouillé Jules et on a découvert des photos compromettantes de M. Samb. Depuis l’arrestation de Jules, M. Samb a reçu des menaces de mort et des insultes des membres de sa famille à cause de son orientation sexuelle. C’est pour ces raisons que M. Samb, craignant d’être renvoyé au Sénégal, a fait une demande d’asile au Canada.

[3] Le 14 février 2022, la SPR a rejeté sa demande d’asile au motif que son témoignage n’était pas crédible. Pour sa part, le 6 septembre 2022, la SAR a jugé que les conclusions de la SPR concernant la crédibilité du demandeur étaient correctes, puisque des raisons valables permettaient de douter de la véracité du témoignage et des éléments de preuve de M. Samb, ce qui réfute la présomption de véracité. En effet, la SAR était d’avis que les réponses de M. Samb étaient vagues, hésitantes et peu claires en ce qui a trait à la découverte de son orientation sexuelle.

[4] Pour la SAR, la question déterminante était celle de la crédibilité. Après avoir effectué sa propre analyse indépendante du dossier, la SAR a conclu que le récit de M. Samb manquait de crédibilité et que ce dernier n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, les éléments clés de sa demande. La SAR a souligné que la SPR avait dûment examiné et pris en compte les documents soumis par M. Samb, notamment la lettre signée par une association LGBTQ de Montréal, la lettre de soutien d’un ami, le certificat médical et les photos, mais qu’ils étaient toutefois insuffisants en soi pour établir son orientation sexuelle. Ils ne permettaient pas non plus de résoudre les nombreux problèmes de crédibilité relevés dans son récit; certains éléments soulevaient d’ailleurs de nouvelles questions.

[5] En somme, la SPR et la SAR ont tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité de M. Samb en ce qui concerne la découverte de son orientation sexuelle et sa relation avec Jules, car son témoignage était évasif, dépourvu de détails et peu crédible, et ce, même si la SPR et la SAR ont tenu compte des Directives numéro 9 (Procédures devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié portant sur l’orientation et les caractères sexuels ainsi que l’identité et l’expression de genre) [les directives nos 9].

II. Question en litige et norme de contrôle

[6] La présente demande de contrôle judiciaire soulève une seule question : la décision de la SAR est-elle raisonnable? La norme de contrôle appropriée pour la révision d’une décision de la SAR est présumée être celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 23).

III. Analyse

[7] M. Samb soutient devant la Cour que la SAR n’a pas pris en compte dans son analyse de la crédibilité le profil personnel de M. Samb ni les conditions au Sénégal telles qu’elles figurent dans les Cartables nationaux de documentation. En d’autres mots, M. Samb reproche à la SAR de ne pas avoir appliqué correctement les directives nos 9 et soutient que la SPR et la SAR n’ont pas examiné son interrogatoire avec le respect nécessaire, comme l’exigent les directives nos 9. M. Samb estime que le reproche que la SAR lui a fait « de ne pas avoir été en mesure d’expliquer comment il en était arrivé à la conclusion sur son orientation sexuelle » pose problème, car il n’y a aucun « événement précis dans [son] cas, qui puisse être identifié par le [demandeur] quant à sa réalisation de son attirance envers les hommes ».

[8] Cependant, les directives nos 9 sont claires : une demande d’asile fondée sur l’orientation et les caractères sexuels ainsi que l’identité et l’expression de genre est soumise à la même norme de preuve que toute autre demande d’asile (article 7.4.1 des directives nos 9; Lawal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 601 au para 24). De ce fait, il est loisible à la SAR de tirer une inférence défavorable quant à la crédibilité d’un demandeur en raison d’imprécisions, d’omissions et d’incohérences.

[9] En l’espèce, aucune des questions soulevées par M. Samb ne laisse penser que la SAR n’a pas pris en compte son profil personnel ou les conditions au Sénégal en ce qui concerne les hommes bisexuels. Selon moi, il est clair dans les motifs de la SAR qu’elle a tenu compte des directives nos 9. La SAR a clairement noté que la SPR avait tenté de cerner le problème exposé dans le récit du demandeur; elle a pris connaissance de l’évolution de la découverte par M. Samb de son orientation sexuelle, a fait preuve d’ouverture d’esprit et n’a pas tenté d’appliquer des critères canadiens ou occidentaux à la situation de M. Samb, tant au récit soumis qu’à son interrogatoire. La SAR a conclu que la SPR avait cherché à comprendre le récit, les dires et les explications de M. Samb. Toutefois, son témoignage comportait de nombreux non-dits et c’est avec bien des hésitations que M. Samb s’était exprimé quant à son orientation sexuelle.

[10] Je constate que les questions posées à M. Samb n’étaient pas de nature conflictuelle et que les conclusions ne sont pas fondées sur des stéréotypes. Le problème dans cet appel concerne le témoignage de M. Samb, que la SAR a jugé vague. Après avoir analysé le dossier, je peux affirmer que la SAR a donné des motifs précis pour soutenir sa conclusion que le témoignage était vague, et ce, conformément à l’article 7.6 des directives nos 9. La SAR a même pris en compte les caractéristiques particulières de M. Samb. À titre d’exemple, voici les paragraphes 14 et 15 de sa décision :

Tout comme la SPR, j’ai pris en considération les Directives numéro 9 du président, je constate que l’appelant répondait vaguement et ajustait ses réponses au fur et à mesure que la SPR et son conseil revenaient sur les questions, et ce, même si l’appelant a partagé une certaine intimité avec Jules s’échelonnant sur une période d’environ 10 ans de 2008 à 2018. Je me serais attendue qui [sic] puisse du moins donner certains détails sur un moment significatif surtout que cette intimité était de longue durée, mais l’appelant a plutôt fourni des réponses très évasives. Tout comme la SPR, je tire une inférence négative quant à la crédibilité en ce qui concerne la découverte de son orientation sexuelle et sa relation avec Jules.

Même en considérant les Directives 9 et l’argument de l’appelant indiquant qu’il n’avait pas le vocabulaire pour bien s’exprimer, sur la prépondérance des probabilités, je suis d’avis que ceci ne vient pas pallier le témoignage évasif de l’appelant au sujet de sa relation amoureuse au Sénégal et ses fréquentations. Les réponses de l’appelant étaient dépourvues de détails et peu crédibles.

[11] En conséquence, je suis d’avis que la SAR a tenu compte des directives nos 9. Il était loisible à la SAR de prendre en considération les incohérences, les invraisemblances et les imprécisions au moment d’évaluer la crédibilité du témoignage de M. Samb, et celui‑ci n’a pas établi que, ce faisant, la SAR a appliqué indûment les directives nos 9 (Jayaraman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 458 au para 24). La jurisprudence de notre Cour confirme que ces directives ne sont pas une panacée contre les conclusions défavorables quant à la crédibilité (Okunowo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 175 [Okunowo] au para 66; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 179 au para 19). Le fait que la SAR a relevé des incohérences et des invraisemblances parmi les éléments de preuve ne signifie pas que les directives nos 9 n’ont pas été appliquées ou qu’elles l’ont été de manière irrégulière. De plus, la totalité des arguments de M. Samb attaquent l’évaluation de la crédibilité du demandeur effectuée par la SAR, ce qui revient à demander à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, tout particulièrement le témoignage de M. Samb. Néanmoins, il est bien établi qu’une cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve qui était devant un décideur administratif, y compris la SAR (Vavilov au para 125; Okunowo au para 65).

[12] En effet, la Cour doit faire preuve d’une grande retenue à l’égard des questions de crédibilité, car celles-ci sont « l’essentiel de la compétence de la Commission » (Jimoh-Atolagbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 500 au para 18). En l’espèce, je ne vois aucune raison exceptionnelle de réévaluer la preuve qui était devant la SAR. La tentative de sélectionner certains éléments de l’analyse de crédibilité de la SAR afin de la discréditer n’est pas convaincante. Pour ces raisons, je ne suis pas persuadé que la SAR a commis une erreur en concluant que les réponses vagues du demandeur lors de son témoignage justifiaient une conclusion défavorable quant à sa crédibilité. En somme, la décision de la SAR est raisonnable.


JUGEMENT au dossier IMM-9633-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Peter G. Pamel »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-9633-22

 

INTITULÉ :

ALGAPH SAMB c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

montréal (québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 février 2024

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 mars 2024

 

COMPARUTIONS :

Me Stéphanie Valois

Pour le demandeur

Me Guillaume Bigaouette

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Stéphanie Valois

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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