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Date : 20240219


Dossier : IMM-12052-22

Référence : 2024 CF 437

Ottawa (Ontario), le 19 mars 2024

En présence de l’honorable juge Pamel

ENTRE :

CHRIST KONGA NTENDA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] Le demandeur, qui est âgé de 24 ans, serait un citoyen de la République démocratique du Congo [RDC]. Le 5 septembre 2011, à l’âge de 11 ans, il aurait quitté la RDC avec un certain Michael pour s’installer au Nigéria. Plus de cinq ans plus tard, Michael aurait obtenu pour le demandeur des documents d’identité nigériens au nom de Christ Konga Ntenda. Le demandeur et Michael sont venus ensemble au Canada le 12 janvier 2017. Le 16 janvier 2017, le demandeur, que je nommerai M. Konga Ntenda, a fait une demande d’asile au Canada alléguant la crainte d’être persécuté à cause de son orientation sexuelle. Le 9 février 2022, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [ministre] a présenté un avis d’intervention devant la Section de la protection des réfugiés [SPR] dans lequel il a affirmé ne pas être convaincu de l’identité de M. Konga Ntenda.

[2] Devant la SPR, M. Konga Ntenda a soumis des copies de plusieurs documents afin de prouver son identité. Néanmoins, l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] a indiqué dans son rapport d’analyse que plusieurs de ces documents ont subi des altérations. La SPR et le représentant du ministre ont interrogé M. Konga Ntenda à ce sujet. La SPR a questionné le demandeur quant à ces anomalies et n’a pas été convaincue par les réponses fournies, car elles étaient spéculatives, hypothétiques et infondées. Ainsi, la SPR n’a accordé aucune valeur probante à ces documents, qui pourraient avoir été fabriqués pour les besoins de la demande d’asile. Pour ces raisons, entre autres, la SPR a conclu que M. Konga Ntenda n’avait pas établi son identité de façon satisfaisante.

[3] M. Konga Ntenda a porté en appel la décision de la SPR devant la Section d’appel des réfugiés [SAR]. La SAR était d’avis que les observations et les arguments de M. Konga Ntenda étaient manifestement vagues, décousus et alambiqués et qu’il n’avait pas fourni d’observations complètes et détaillées au sujet des erreurs que la SPR aurait commises. La SAR n’a pas souscrit aux arguments de M. Konga Ntenda, car ils étaient spéculatifs, hypothétiques et entièrement infondés. Pour ces raisons, le 9 novembre 2022, la SAR a rejeté, après analyse, l’appel de M. Konga Ntenda, puisqu’elle était d’avis que M. Konga Ntenda n’avait pas fourni suffisamment de documents fiables et d’éléments de preuve crédibles pour établir son identité conformément aux exigences de l’article 106 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]; la SAR a donc confirmé la décision de la SPR selon laquelle M. Konga Ntenda n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au titre du paragraphe 111(1) de la LIPR.

II. Question en litige et norme de contrôle

[4] La présente demande de contrôle judiciaire soulève une seule question : la décision de la SAR est-elle raisonnable? La norme de contrôle appropriée pour la révision d’une décision de la SAR est présumée être celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23).

III. Analyse

[5] Les questions touchant à l’identité d’un demandeur sont au cœur même de l’expertise de la SPR et la SAR, ce qui commande de la retenue, à moins qu’il n’existe une incohérence flagrante entre les motifs de la SAR et le poids de la preuve (Okbet c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1303 au para 46). De plus, la jurisprudence de notre Cour établit qu’il « incombe au demandeur d’asile de produire des documents acceptables établissant son identité. Il s’agit avec raison d’un lourd fardeau » (Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 743 au para 4).

[6] Lors de l’audience devant moi, M. Konga Ntenda a soulevé deux arguments principaux. Tout d’abord, bien que le SAR ait déclaré qu’elle allait procéder à sa propre analyse des documents, elle ne l’a pas fait, se fiant plutôt à l’analyse de la SPR et de l’ASFC. Ensuite, et bien que certains des documents M. Konga Ntenda étaient frauduleux, certains ont été jugés fiables, car ils ne présentaient que de simples coquilles telles que l’orthographe erronée du nom de la mère de M. Konga Ntenda. Selon le demandeur, ces documents précis auraient dû être analysés indépendamment plutôt qu’en bloc. Enfin, M. Konga Ntenda a fait valoir que la SAR ne s’est jamais prononcée sur sa nationalité.

[7] En ce qui concerne son premier argument, M. Konga Ntenda se réfère au paragraphe 42 de la décision de la SAR, reproduit ci-après :

[42] La SAR a examiné le dossier de l’appelant y compris l’enregistrement de l’audition; elle précise que nonobstant son défaut de présenter des observations complètes et détaillées sur les erreurs de la SPR, elle a effectué sa propre analyse et son évaluation indépendante pour examiner les éléments pertinents de l’appel afin d’établir si la SPR a commis des erreurs.

[8] Tout en concédant pouvoir se tromper, M. Konga Ntenda prétend que la SAR a admis que la SPR avait commis des erreurs et qu’elle procéderait à sa propre évaluation. Toutefois, invoquant le paragraphe ci-dessus de la décision de la SAR, le demandeur affirme qu’on peut constater que la SAR n’a pas procédé à sa propre analyse des documents présentés par M. Konga Ntenda.

[9] Je ne suis pas d’accord avec M. Konga Ntenda. La SAR a identifié les anomalies de la carte d’élève de M. Konga Ntenda, soit qu’il était évident que des inscriptions avaient été effacées par grattage mécanique, que le bouleversement des fibres était apparent, que des résidus de l’inscription originale étaient visibles, que des trous supplémentaires étaient présents dans le support papier et que la photo sur la carte était vraisemblablement celle d’un homme et non d’un enfant de 11 ans. Incapable d’expliquer pourquoi, M. Konga Ntenda s’est contenté d’affirmer que sa mère lui avait envoyé cette carte. La SAR a également identifié les documents dans lesquels le nom de la mère de M. Konga Ntenda était épelé différemment (soit le certificat de nationalité, la fiche individuelle de l’état civil, l’acte de naissance, l’attestation de résidence et la carte d’électeur de la mère de M. Konga Ntenda). De plus, la SAR a relevé que M. Konga Ntenda lui-même avait inscrit la mauvaise date de naissance de son père dans le formulaire de fondement de la demande d’asile, laquelle ne correspondait pas à la date de naissance du père inscrite sur l’acte de naissance de M. Konga Ntenda, ainsi que d’autres anomalies dans les dates figurant sur le jugement supplétif.

[10] M. Konga Ntenda affirme ne pas savoir pourquoi les documents ont été modifiés ni pourquoi ils présentent des incohérences, par exemple, en ce qui concerne l’orthographe du nom de sa mère. Toutefois, il fait valoir qu’il n’avait que 11 ans lorsqu’il a quitté le Congo. C’est peut-être le cas, mais comme M. Konga Ntenda l’a admis devant moi, les documents ont été obtenus de sa mère après son arrivée au Canada. M. Konga Ntenda a déployé peu d’efforts pour expliquer pourquoi plusieurs de ces documents n’étaient pas faux. Si les anomalies des documents soumis par M. Konga Ntenda, en particulier ceux identifiant sa mère, pouvaient s’expliquer facilement, je me serais attendu à ce que M. Konga Ntenda se renseigne auprès de sa famille et arrive à l’audience – avec son avocat – prêt à convaincre la SPR, et éventuellement la SAR, de la raison de ces petites coquilles.

[11] Enfin, la SAR a répondu qu’elle ne peut souscrire à aucun des arguments spéculatifs, hypothétiques et entièrement infondés de M. Konga Ntenda et a conclu, d’après son analyse, que M. Konga Ntenda « n’a pas fourni suffisamment de documents fiables et d’éléments de preuve crédibles pour établir son identité conformément aux exigences prévues par l’article 106 de la LIPR et par la règle 11 des Règles de la SPR ». Il est clair que la SAR a résumé l’aspect de la décision de la SPR, y compris les parties de l’analyse de l’ASFC, avec lequel elle était en accord. Il n’était pas nécessaire que la SAR refasse entièrement l’analyse alors qu’elle pouvait simplement indiquer que la SPR avait effectué l’exercice et qu’elle était d’accord avec les conclusions auxquelles la SPR était parvenue. Je ne partage pas l’avis selon lequel la SAR n’a pas procédé à sa propre évaluation indépendante des documents avant de confirmer la décision de la SPR.

[12] Selon le deuxième argument de M. Konga Ntenda, certains documents n’avaient pas été altérés, comme le certificat de nationalité, au sujet duquel l’ASFC avait conclu que « le support de ce document contient les caractéristiques de sécurité qu’on lui attribue généralement et il est conforme à l’échantillon et à l’information de référence que nous possédons à son sujet nous permettant de conclure que le support est probablement authentique ». M. Konga Ntenda attire également l’attention sur l’acte de naissance, l’attestation de résidence et la carte d’électeur de la mère de M. Konga Ntenda, tous des documents délivrés par les autorités congolaises et tous ne présentant qu’une seule petite coquille dans les différentes orthographes du nom de sa mère. M. Konga Ntenda fait valoir que, indépendamment des autres documents qui pouvaient présenter plusieurs problèmes d’authenticité, ces documents, qui ne présentaient que de menues irrégularités, auraient dû être analysés séparément, un par un, plutôt que d’être rejetés en bloc en raison de l’orthographe erronée du nom de sa mère.

[13] La SAR a traité les documents qui présentaient une différence dans l’orthographe du nom de la mère de M. Konga Ntenda. Cette question fait partie d’une série de questions qui ont conduit la SAR à conclure que les documents de M. Konga Ntenda n’étaient pas dignes de confiance. Dans ce dossier, aucune explication crédible n’a été fournie à la SPR ni à la SAR. Ces dernières sont tout simplement demeurées sans réponses, ce qui les a amenées à conclure que M. Konga Ntenda ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir son identité. Encore une fois, je ne vois rien de déraisonnable dans la manière dont la SAR a procédé dans cette affaire. La Cour ne peut réévaluer ou apprécier de nouveau la preuve qui était devant la SAR afin d’en tirer ses propres conclusions. En effet, la Cour doit faire preuve de déférence envers la SAR et décider uniquement si la décision était raisonnable, compte tenu de la preuve versée au dossier et de la trame factuelle (Benthy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 235 au para 6). Même de petites coquilles peuvent acquérir une importance accrue lorsqu’elles ne sont pas raisonnablement expliquées.

[14] Enfin, M. Konga Ntenda fait valoir que la SAR ne s’est jamais prononcée sur sa nationalité. À mon sens, elle n’avait pas à le faire; la question dont elle était saisie portait moins sur la nationalité de M. Konga Ntenda que sur son identité. Si M. Konga Ntenda n’a pas été en mesure de fournir des preuves crédibles confirmant son identité, le fait que la SAR ne se soit pas prononcée de manière définitive sur sa nationalité n’a aucune importance.

[15] Pour ces raisons, je ne vois aucune erreur révisable dans la décision ou les motifs de la SAR et je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire de M. Konga Ntenda doit être rejetée.


JUGEMENT au dossier IMM-12052-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Peter G. Pamel »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-12052-22

INTITULÉ :

CHRIST KONGA NTENDA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

montréal (québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 février 2024

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 mars 2024

 

COMPARUTIONS :

Me Aristide Koudiatou

Pour le demandeur

Me Jeanne Robert

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Aristide Koudiatou

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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