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Date : 20240326


Dossier : T-325-20

Référence : 2024 CF 478

Montréal (Québec), le 26 mars 2024

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

MICHEL POTHIER

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Michel Pothier, était employé à titre d’agent de projet auprès de Ressources naturelles Canada [RNC] jusqu’à ce qu’il prenne ce qu’il considère être une retraite forcée en mars 2022. En novembre 2017, M. Pothier dépose une plainte de harcèlement et violence au travail contre son employeur, alléguant qu’entre les années 1998 et 2017, RNC l’aurait intimidé et menacé et qu’elle aurait rabaissé et minimisé son travail [Plainte]. Au moment de sa Plainte, M. Pothier occupait un poste au sein du Centre d’information topographique de Sherbrooke.

[2] Suite au dépôt de la Plainte, Mme Paladini de la firme Expertise H2H [H2H] est mandatée à titre de « personne compétente » pour mener une enquête afin de produire un rapport sur les allégations de M. Pothier [Enquête externe]. Le rapport d’Enquête externe de Mme Paladini conclut que la Plainte de M. Pothier n’est pas fondée et que les éléments fournis par ce dernier ne répondent pas aux critères législatifs, normatifs ou jurisprudentiels correspondant à la définition de violence en milieu de travail. Après avoir pris connaissance du rapport d’Enquête externe et des recommandations de Mme Paladini, M. Pothier conteste le travail que cette dernière a effectué.

[3] Comme le prescrit la procédure prévue au Code canadien du travail, LRC 1985, ch L‑2 [CCT], M. Pothier dépose alors une nouvelle plainte à l’encontre du rapport d’Enquête externe, alléguant le manque d’impartialité de Mme Paladini, son non-respect des règles d’équité procédurale dans le processus suivi lors de l’enquête, et son ignorance de plusieurs faits importants [Plainte CCT].

[4] RNC analyse la Plainte CCT de M. Pothier, conclut qu’il n’y a pas eu d’impartialité ou de manquement à l’équité procédurale dans le cadre de l’Enquête externe, et confirme que l’employeur ne poursuivra pas une nouvelle enquête de violence en lieu de travail eu égard aux allégations de M. Pothier. Vu l’absence d’un règlement entre les parties, le Comité local en santé et sécurité au travail [CLSST] mène alors une enquête [Enquête interne] afin de déterminer si M. Pothier a droit à la nouvelle enquête externe qu’il réclame. Dans le cadre de cette Enquête interne, le mandat du CLSST ne porte pas sur le contenu du rapport de Mme Paladini comme tel ou sur ses conclusions, mais uniquement sur les aspects liés au traitement de la Plainte de M. Pothier et au déroulement du travail effectué par Mme Paladini, afin de vérifier l’impartialité de cette dernière et le respect des règles d’équité procédurale au cours de l’Enquête externe. L’Enquête interne ne trouve pas de preuve ou de manquement qui pouvaient clairement démontrer que le travail effectué par H2H et Mme Paladini n’aurait pas été fait « de façon impartiale ». Le CLSST décide donc, en date du 24 février 2020, de ne pas autoriser la tenue d’une nouvelle enquête sur la Plainte de M. Pothier [Décision].

[5] M. Pothier sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette Décision refusant de lui accorder une deuxième enquête externe avec un nouvel enquêteur compétent et impartial. Dans la même foulée, M. Pothier attaque indirectement les conclusions et recommandations tant de l’Enquête interne que de l’Enquête externe. M. Pothier allègue que, dans son Enquête externe, Mme Paladini n’aurait pas été impartiale en ignorant volontairement des faits importants, en omettant de vérifier certaines allégations et, surtout, en ne respectant pas l’équité procédurale. M. Pothier maintient également que son employeur et le CLSST auraient eux-mêmes erré dans leur analyse lors de l’Enquête interne, en concluant à l’absence de manquement à l’équité procédurale dans l’Enquête externe et en rejetant sa plainte de partialité à l’endroit de Mme Paladini.

[6] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire de M. Pothier sera accueillie en partie. Sur la question de partialité, il existe une forte présomption selon laquelle les décideurs exercent leurs fonctions de façon impartiale. Par conséquent, le fardeau à satisfaire pour soutenir une allégation de partialité est élevé. M. Pothier ne l’a pas rencontré en l’espèce. Toutefois, dans les circonstances particulières du présent dossier, je suis d’accord avec M. Pothier que le refus du CLSST d’accepter la Plainte CCT est déraisonnable, car la Décision ne traite pas de tous les arguments de manquement à l’équité procédurale invoqués par M. Pothier à l’encontre de l’Enquête externe. Ainsi, la Décision doit être retournée au CLSST pour que ce dernier puisse procéder à un nouvel examen des arguments soulevés par M. Pothier.

[7] Cela dit, la Cour ne peut accorder l’essentiel des remèdes recherchés par M. Pothier dans sa demande de contrôle judiciaire, que ce soit au niveau du contenu du rapport de l’Enquête externe ou des différends que ce dernier a avec RNC depuis de longues années au sujet de sa classification et de sa description de travail.

II. Contexte

A. Les faits

[8] M. Pothier commence à travailler chez RNC depuis 1988. Au moment de sa « retraite » en mars 2022, il occupe un poste d’agent de projet (EG‑03).

[9] Entre 2004 et 2017, M. Pothier entame plusieurs processus de grief contre son employeur.

[10] En 2004, il dépose un grief pour intimidation, harcèlement et représailles qui mène éventuellement à une entente pour changer quelques aspects de sa description de tâches. M. Pothier était d’avis que la description de son travail ne correspondait pas à son emploi d’alors.

[11] En 2008, M. Pothier soumet une requête pour violation de l’entente intervenue et reproche à son employeur d’avoir minimisé et rabaissé son travail. La requête de M. Pothier est refusée.

[12] En 2009, M. Pothier dépose de nouveaux griefs concernant une rétrogradation alléguée. Selon lui, le directeur de son unité aurait dû lui offrir un poste de classification EN‑SUR‑02 sans concours, mais aurait refusé de même le transférer à un poste moindre de classification EN‑SUR‑01 en formation. La candidature de M. Pothier est refusée pour le concours EN‑SUR‑01, car le poste exige un baccalauréat en géomatique alors que M. Pothier détient un baccalauréat en informatique. Le syndicat transfère ces griefs de M. Pothier à l’arbitrage.

[13] En 2010, deux personnes qui, selon M. Pothier, exerçaient des rôles semblables au sien sont sélectionnées dans des postes classifiés EN‑SUR‑01. M. Pothier dépose alors un grief de dotation pour abus de pouvoir. Subséquemment, M. Pothier est retiré de son travail pour une durée indéterminée par son médecin de famille, pour des raisons reliées à sa santé mentale.

[14] En 2011, suite à son retour progressif au travail, M. Pothier dit avoir le sentiment, lors de son évaluation de rendement, que son gestionnaire rabaisse et minimise son travail. Après son évaluation, il est avisé qu’il doit quitter le bureau et qu’il a été mis en congé préventif payé à la suite des propos suivants qu’il aurait tenus : « on ne sait jamais ce qui pourrait arriver dans un contexte de conflit ». Subséquemment, Santé Canada le déclare inapte au travail lors d’une évaluation psychologique obligatoire effectuée suite à sa mise en congé.

[15] En 2012, M. Pothier reçoit une copie de son rapport d’inaptitude au travail suite à une demande d’accès effectuée aux termes de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, ch A‑1. Le rapport indique qu’il est inapte au travail en raison d’un délire de persécution. M. Pothier fait alors plusieurs demandes pour rencontrer le psychiatre de son syndicat afin de déposer une contre-expertise. Ces demandes sont acceptées et la contre-expertise est reçue par Santé Canada à l’été 2012. À la fin de 2012, M. Pothier est avisé par Santé Canada qu’il est apte au travail et éligible à une médiation. En 2013, la médiation mène à une entente de retour progressif au travail.

[16] En 2013, les griefs portant sur la description de tâches de M. Pothier sont encore en cours et une deuxième tentative de médiation mène à l’ajout de deux phrases dans la description de son travail. M. Pothier est toutefois d’avis que cela n’est pas suffisant. En 2014, les griefs sont transférés à l’Alliance de la Fonction publique du Canada [AFPC].

[17] En 2017, les discussions commencent entre M. Pothier et l’AFPC. L’AFPC accepte de lui accorder une audience, mais détermine que M. Pothier n’effectuait pas les tâches d’un employé de niveau EN‑SUR‑02 ou EN‑SUR‑03 et que, pour pouvoir occuper un poste de niveau EN‑SUR, il fallait avoir le statut d’ingénieur. M. Pothier estime que ces conclusions sont fausses.

[18] Plus tard en 2017, l’AFPC procède avec un examen de validation d’emploi avec le consentement de M. Pothier, vu l’échec des autres tentatives de règlement de ses différends. Le rapport final de validation d’emploi est envoyé à M. Pothier en octobre 2017. Ce rapport indique que la description de travail des postes EN‑SUR‑02 ou EN‑SUR‑03 ne correspond pas aux tâches effectuées par M. Pothier et que son grief pour contester la classification de son poste est mal fondé. M. Pothier estime que cela constitue un autre exemple de minimisation et de rabaissement de son travail.

[19] Après la réception du rapport, M. Pothier avise son directeur, par l’entremise du syndicat local, qu’une plainte formelle de harcèlement sera déposée s’il ne modifie pas les conclusions du rapport. Entre-temps, deux collègues de M. Pothier obtiennent des postes de CS‑02, ce qui amène M. Pothier à retourner en congé de maladie en raison de sa colère.

[20] La semaine suivante, soit le 30 novembre 2017, M. Pothier dépose sa Plainte de harcèlement contre son employeur, les directeurs, les gestionnaires et les ressources humaines responsables de son dossier dans le but d’obtenir une enquête de harcèlement externe pour violence en milieu de travail. Cette Plainte est déposée sous forme de grief en vertu de la partie XX du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail, DORS/86‑304 [Règlement]. M. Pothier y allègue que l’employeur l’aurait intimidé et menacé, et qu’il aurait rabaissé et minimisé son travail entre 1988 et 2017. Plus particulièrement, M. Pothier fonde les allégations de sa Plainte sur les éléments suivants : 1) le grief qu’il avait déposé pour contester le contenu de sa description de tâches remise par son employeur; 2) son insatisfaction quant au protocole d’entente conclu avec son employeur pour résoudre son grief portant sur sa description de travail; 3) la plainte qu’il avait déposée à l’égard du processus de dotation visant à pourvoir certains postes; 4) la décision de l’employeur lui ordonnant de quitter le lieu de travail pour raison d’incapacité médicale; et 5) le grief qu’il avait déposé pour contester la classification de son poste.

B. L’Enquête externe

[21] Suite au grief du 30 novembre 2017, l’Enquête externe est menée. Comme le processus l’exige dans un tel cas, l’employeur et l’employé ont choisi de concert une « personne compétente », soit Mme Paladini et la firme H2H, qui possèdent des connaissances, une formation et de l’expérience dans le domaine de la violence en milieu de travail, ainsi qu’une connaissance des textes législatifs applicables. Mme Paladini amorce donc une enquête afin de produire un rapport contenant ses conclusions et recommandations.

[22] Après avoir procédé à son enquête sur la Plainte de violence en milieu de travail de M. Pothier, Mme Paladini conclut que la Plainte n’est pas fondée puisque les allégations visées ne répondent pas à la définition de violence en milieu de travail qui se trouve dans le Règlement. Elle rend son rapport d’enquête à cet effet en octobre 2019.

[23] Dans un document très détaillé de plus d’une centaine de pages, Mme Paladini expose les diverses allégations de M. Pothier et ses conclusions quant à chacun des chefs de plainte qu’elle jugeait pertinents aux fins de son enquête. Elle indique dans son rapport qu’en plus du plaignant, Mme Paladini a rencontré cinq personnes « mises en cause » par M. Pothier ainsi que quatre témoins lors de son enquête. De plus, elle précise que son entrevue avec M. Pothier dure près de huit heures et que les notes qu’elle a prises sont signées par les deux parties. Les deux parties confirment d’ailleurs que les notes sont représentatives des échanges intervenus. Mme Paladini prend également en compte le grand volume de documents soumis par M. Pothier et par son employeur au cours du processus d’enquête.

C. L’Enquête interne

[24] Suite à la réception du rapport de l’Enquête externe, M. Pothier dépose une nouvelle plainte en vertu du paragraphe 127.1(1) du CCT. Il s’agit de la Plainte CCT. M. Pothier y allègue que Mme Paladini, la « personne compétente » désignée pour mener l’Enquête externe, n’était pas impartiale lors de son enquête, si bien qu’elle n’a pas respecté le droit de M. Pothier à l’équité procédurale.

[25] Le 20 novembre 2019, RNC partage les motifs de la plainte d’impartialité et de manquement à l’équité procédurale de M. Pothier avec Mme Paladini afin d’obtenir ses commentaires sur les allégations de M. Pothier. Après avoir reçu la réponse de Mme Paladini, le département des relations de travail de RNC analyse la Plainte CCT et recommande par écrit à l’employeur de la rejeter. RNC accepte la recommandation et confirme qu’il ne poursuivra pas une nouvelle enquête de violence en milieu de travail.

[26] En l’absence d’un règlement entre les parties, la Plainte CCT de M. Pothier est donc renvoyée au CLSST pour enquête, comme le prévoit la procédure en place au paragraphe 127.1 du CCT. Les représentants du CLSST contactent le conseiller principal en relations de travail de RNC affecté à la plainte de violence en milieu de travail de M. Pothier, Mme Paladini ainsi que M. Pothier pour des entrevues téléphoniques. Ultimement, le CLSST conclut par écrit qu’il n’y a pas de preuve ou de manquement qui démontreraient une partialité de la part de Mme Paladini ou de H2H, ni d’infraction par rapport à l’alinéa 20.9(1)a) du Règlement.

D. La décision

[27] Le CLSST, qui est composé d’un membre représentant les employés et d’un membre représentant l’employeur, tous deux désignés avec l’accord de M. Pothier, émet son rapport et sa décision le 24 février 2020. Dans son rapport, le CLSST indique que son enquête « doit déterminer si la firme/enquêteur et/ou leur travail a été impartiale [sic] dans le traitement » du dossier de M. Pothier. Le rapport ajoute qu’il est « important de mentionner que ce mandat n’adresse pas le contenu du rapport [de l’Enquête externe] lui-même ou ses conclusions, mais seulement les aspects liés au traitement et au déroulement du travail effectué afin de valider l’impartialité de la personne compétente effectuant l’enquête a été maintenue tout au long du processus ».

[28] Dans son rapport, le CLSST cite dans son entièreté la Plainte CCT formulée par M. Pothier. Il est utile de la reproduire, et elle se lit donc comme suit :

La présente est pour déposer une plainte officielle concernant le résultat du rapport d’enquête de harcèlement réalisé par la firme H2H. Je demande à ce qu’une nouvelle enquête externe soit réalisée avec un autre enquêteur compétent et impartial jugé par les parties tel que le mentionne la partie II du Code canadien du travail.

L’enquêteur n’a pas été impartiale en ignorant volontairement des faits importants, en ne vérifiant pas certaines allégations mais surtout en ne respectant l’équité procédurale qu’une enquête nécessite. Bien que je lui ai demandé par écrit à plusieurs reprises, l’enquêteur a refusé de m’accorder plus de temps d’entrevue afin de pouvoir expliquer les 30 courriels contenants les preuves que j’allégaient [sic]. De plus, elle ne m’a pas permis de me donner l’occasion de me défendre et d’apporter d’autres preuves suite à des allégations des personnes accusées et des témoins qui sont fausses, incomplètes ou qui ont besoins de nuances.

J’ai déposé une plainte au programme du travail mais M. Mario Thibault, enquêteur principal intérimaire, m’a mentionné que je devais absolument passer par le processus de règlement interne des plaintes avant de déposer une plainte au programme du travail. Vous devez donc répondre dans les plus brefs délais votre décision. Si vous refusez ma demande, le comité local de santé et sécurité au travail devra examiner cette plainte. Suite aux recommandations de ce dernier et/ou au refus de votre part de recommencer l’enquête externe, je pourrai alors déposer à nouveau ma plainte au programme du travail à M. Thibault afin qu’il puisse procéder dans cette affaire.

[29] Le rapport du CLSST conclut d’abord que le choix de Mme Paladini et de H2H pour effectuer l’Enquête externe a été fait de façon impartiale et qu’il n’y avait pas de conflit d’intérêts. Le rapport affirme ensuite que le déroulement de l’Enquête externe a été effectué de façon impartiale.

[30] Le CLSST détermine donc qu’il n’a pas trouvé de preuve ou de manquement qui pourraient démontrer clairement que le travail effectué par H2H et Mme Paladini n’a pas été fait de façon impartiale. Il conclut qu’il n’y a pas eu d’infraction au CCT et notamment au paragraphe 20.9(1)a) du Règlement. Le CLSST ajoute aussi une recommandation à la fin de son rapport, soit de « souhaiter aux deux parties de trouver un règlement acceptable de part et d’autre et ce, dans un avenir rapproché ».

E. Les dispositions pertinentes

[31] Les dispositions du Règlement qui étaient en vigueur à la fin de décembre 2017 se lisent comme suit :

20.9 (1) Au présent article, personne compétente s’entend de toute personne qui, à la fois :

20.9 (1) In this section, competent person means a person who

a) est impartiale et est considérée comme telle par les parties;

(a) is impartial and is seen by the parties to be impartial;

b) a des connaissances, une formation et de l’expérience dans le domaine de la violence dans le lieu de travail;

(b) has knowledge, training and experience in issues relating to work place violence; and

c) connaît les textes législatifs applicables.

(c) has knowledge of relevant legislation.

(2) Dès qu’il a connaissance de violence dans le lieu de travail ou de toute allégation d’une telle violence, l’employeur tente avec l’employé de régler la situation à l’amiable dès que possible.

(2) If an employer becomes aware of work place violence or alleged work place violence, the employer shall try to resolve the matter with the employee as soon as feasible.

(3) Si la situation n’est pas ainsi réglée, l’employeur nomme une personne compétente pour faire enquête sur la situation et lui fournit tout renseignement pertinent qui ne fait pas l’objet d’une interdiction légale de communication et qui ne révèle pas l’identité de personnes sans leur consentement.

(3) If the matter is unresolved, the employer shall appoint a competent person to investigate the work place violence and provide that person with any relevant information whose disclosure is not prohibited by law and that would not reveal the identity of persons involved without their consent.

(4) Au terme de son enquête, la personne compétente fournit à l’employeur un rapport écrit contenant ses conclusions et recommandations.

(4) The competent person shall investigate the work place violence and at the completion of the investigation provide to the employer a written report with conclusions and recommendations.

(5) Sur réception du rapport d’enquête, l’employeur :

(5) The employer shall, on completion of the investigation into the work place violence,

a) conserve un dossier de celui-ci;

(a) keep a record of the report from the competent person;

b) transmet le dossier au comité local ou au représentant, pourvu que les renseignements y figurant ne fassent pas l’objet d’une interdiction légale de communication et qu’ils ne révèlent pas l’identité de personnes sans leur consentement;

(b) provide the work place committee or the health and safety representative, as the case may be, with the report of the competent person, providing information whose disclosure is not prohibited by law and that would not reveal the identity of persons involved without their consent; and

c) met en place ou adapte, selon le cas, les mécanismes de contrôle visés au paragraphe 20.6(1) pour éviter que la violence dans le lieu de travail ne se répète.

(c) adapt or implement, as the case may be, controls referred to in subsection 20.6(1) to prevent a recurrence of the work place violence.

(6) Les paragraphes (3) à (5) ne s’appliquent pas dans les cas suivants :

(6) Subsections (3) to (5) do not apply if

a) la violence dans le lieu de travail est attribuable à une personne autre qu’un employé;

(a) the work place violence was caused by a person other than an employee;

b) il est raisonnable de considérer que, pour la victime, le fait de prendre part à la situation de violence dans le lieu de travail est une condition normale de son emploi;

(b) it is reasonable to consider that engaging in the violent situation is a normal condition of employment; and

c) l’employeur a mis en place une procédure et des mécanismes de contrôle efficaces et sollicité le concours des employés pour faire face à la violence dans le lieu de travail.

(c) the employer has effective procedures and controls in place, involving employees to address work place violence.

[…]

20.2 Dans la présente partie, constitue de la violence dans le lieu de travail tout agissement, comportement, menace ou geste d’une personne à l’égard d’un employé à son lieu de travail et qui pourrait vraisemblablement lui causer un dommage, un préjudice ou une maladie.

20.2 In this Part, “work place violence” constitutes any action, conduct, threat or gesture of a person towards an employee in their work place that can reasonably be expected to cause harm, injury or illness to that employee.

[32] De leur côté, les dispositions du CCT applicables en l’espèce, et qui étaient en vigueur au 31 décembre 2020, sont les suivantes :

Processus de règlement interne des plaintes

Internal Complaint Resolution Process

Plainte au supérieur hiérarchique

Complaint to supervisor

127.1 (1) Avant de pouvoir exercer les recours prévus par la présente partie — à l’exclusion des droits prévus aux articles 128, 129 et 132 —, l’employé qui croit, pour des motifs raisonnables, à l’existence d’une situation constituant une contravention à la présente partie ou dont sont susceptibles de résulter un accident, une blessure ou une maladie liés à l’occupation d’un emploi doit adresser une plainte à cet égard à son supérieur hiérarchique.

127.1 (1) An employee who believes on reasonable grounds that there has been a contravention of this Part or that there is likely to be an accident, injury or illness arising out of, linked with or occurring in the course of employment shall, before exercising any other recourse available under this Part, except the rights conferred by sections 128, 129 and 132, make a complaint to the employee’s supervisor.

Tentative de règlement

Resolve complaint

(2) L’employé et son supérieur hiérarchique doivent tenter de régler la plainte à l’amiable dans les meilleurs délais.

(2) The employee and the supervisor shall try to resolve the complaint between themselves as soon as possible.

Enquête

Investigation of complaint

(3) En l’absence de règlement, la plainte peut être renvoyée à l’un des présidents du comité local ou au représentant par l’une ou l’autre des parties. Elle fait alors l’objet d’une enquête tenue conjointement, selon le cas :

(3) The employee or the supervisor may refer an unresolved complaint to a chairperson of the work place committee or to the health and safety representative to be investigated jointly

a) par deux membres du comité local, l’un ayant été désigné par les employés — ou en leur nom — et l’autre par l’employeur;

(a) by an employee member and an employer member of the work place committee; or

b) par le représentant et une personne désignée par l’employeur.

(b) by the health and safety representative and a person designated by the employer.

Avis

Notice

(4) Les personnes chargées de l’enquête informent, par écrit et selon les modalités éventuellement prévues par règlement, l’employeur et l’employé des résultats de l’enquête.

(4) The persons who investigate the complaint shall inform the employee and the employer in writing, in the form and manner prescribed if any is prescribed, of the results of the investigation.

Recommandations

Recommendations

(5) Les personnes chargées de l’enquête peuvent, quels que soient les résultats de celle-ci, recommander des mesures à prendre par l’employeur relativement à la situation faisant l’objet de la plainte.

(5) The persons who investigate a complaint may make recommendations to the employer with respect to the situation that gave rise to the complaint, whether or not they conclude that the complaint is justified.

Obligation de l’employeur

Employer’s duty

(6) Lorsque les personnes chargées de l’enquête concluent au bien-fondé de la plainte, l’employeur, dès qu’il en est informé, prend les mesures qui s’imposent pour remédier à la situation; il en avise au préalable et par écrit les personnes chargées de l’enquête, avec mention des délais prévus pour la mise à exécution de ces mesures.

(6) If the persons who investigate the complaint conclude that the complaint is justified, the employer, on being informed of the results of the investigation, shall in writing and without delay inform the persons who investigated the complaint of how and when the employer will resolve the matter, and the employer shall resolve the matter accordingly.

(7) [Abrogé, 2013, ch. 40, art. 180]

(7) [Repealed, 2013, c. 40, s. 180]

Renvoi au ministre

Referral to the Minister

(8) La plainte fondée sur l’existence d’une situation constituant une contravention à la présente partie peut être renvoyée par l’employeur ou l’employé au ministre dans les cas suivants :

(8) The employee or employer may refer a complaint that there has been a contravention of this Part to the Minister in the following circumstances:

a) l’employeur conteste les résultats de l’enquête;

(a) where the employer does not agree with the results of the investigation;

b) l’employeur a omis de prendre les mesures nécessaires pour remédier à la situation faisant l’objet de la plainte dans les délais prévus ou d’en informer les personnes chargées de l’enquête;

(b) where the employer has failed to inform the persons who investigated the complaint of how and when the employer intends to resolve the matter or has failed to take action to resolve the matter;

c) les personnes chargées de l’enquête ne s’entendent pas sur le bien-fondé de la plainte.

(c) where the persons who investigated the complaint do not agree between themselves as to whether the complaint is justified.

Enquête

Investigation

(9) Le ministre chef fait enquête sur la plainte visée au paragraphe (8).

(9) The Head shall investigate the complaint referred to in subsection (8).

Pouvoirs du ministre

Duty and power of the Minister

(10) Au terme de l’enquête, le ministre :

(10) On completion of the investigation, the Minister

a) peut donner à l’employeur ou à l’employé toute instruction prévue au paragraphe 145(1);

(a) may issue directions to an employer or employee under subsection 145(1);

b) peut, s’il l’estime opportun, recommander que l’employeur et l’employé règlent à l’amiable la situation faisant l’objet de la plainte;

(b) may, if in the Head’s opinion it is appropriate, recommend that the employee and employer resolve the matter between themselves; or

c) s’il conclut à l’existence de l’une ou l’autre des situations mentionnées au paragraphe 128(1), donne des instructions en conformité avec le paragraphe 145(2).

(c) shall, if the Head concludes that a danger exists as described in subsection 128(1), issue directions under subsection 145(2).

Précision

Interpretation

(11) Il est entendu que les dispositions du présent article ne portent pas atteinte aux pouvoirs conférés au chef sous le régime de l’article 145.

(11) For greater certainty, nothing in this section limits the Head’s authority under section 145.

F. La norme de contrôle

[33] Comme l’a fait correctement valoir le défendeur, le Procureur général du Canada [PGC], pour ce qui est du mérite d’une décision administrative comme la Décision du CLSST, la norme de contrôle applicable est présumée être celle de la décision raisonnable (Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 au para 7 [Mason]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 25 [Vavilov]; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 27).

[34] Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle d’une cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Mason au para 64; Vavilov au para 85). La cour de révision doit donc se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov au para 99, citant notamment Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux para 47, 74).

[35] Il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur administratif « doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique » [en italique dans l’original] (Vavilov au para 86). Ainsi, le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable s’intéresse tant au résultat de la décision qu’au raisonnement suivi (Vavilov au para 87). L’exercice du contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation rigoureuse des décisions administratives. Toutefois, dans le cadre de son analyse du caractère raisonnable d’une décision, la cour de révision doit adopter une méthode qui « s’intéresse avant tout aux motifs de la décision », examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse », et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion (Mason aux para 58, 60; Vavilov au para 84). La cour de révision doit adopter une attitude de retenue et n’intervenir que « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov au para 13). La norme de la décision raisonnable, je le souligne, tire toujours son origine du principe de la retenue judiciaire et de la déférence, et elle exige des cours de révision qu’elles témoignent d’un respect envers le rôle distinct que le législateur a choisi de conférer aux décideurs administratifs plutôt qu’aux cours de justice (Mason au para 57; Vavilov aux para 13, 46, 75).

[36] Il incombe à la partie qui conteste une décision de prouver qu’elle est déraisonnable. Pour annuler une décision administrative, la cour de révision doit être convaincue qu’il existe des lacunes suffisamment graves pour rendre la décision déraisonnable (Vavilov au para 100).

[37] En ce qui concerne les questions d’équité procédurale (laquelle englobe la partialité des décideurs), l’arrêt Vavilov n’en traite pas directement, et la démarche à adopter à cet égard dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire n’a donc pas été modifiée (Vavilov au para 23). Il a longtemps été reconnu que la norme de la décision correcte est la norme de contrôle qui s’applique pour savoir si un décideur administratif a respecté son devoir d’équité procédurale et les principes de justice fondamentale (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43; Heiltsuk Horizon Maritime Services Ltd c Atlantic Towing Limited, 2021 CAF 26 au para 107).

[38] La Cour d’appel fédérale a toutefois affirmé à plusieurs reprises que les questions d’équité procédurale ne requièrent pas l’application des normes de contrôle judiciaire usuelles (Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35; Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267 au para 14; Canadian Airport Workers Union c Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, 2019 CAF 263 aux para 24–25; Perez c Hull, 2019 CAF 238 au para 18; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 33–56 [CCP]). Il s’agit plutôt d’une question juridique qui doit être évaluée en fonction des circonstances afin de déterminer si la procédure suivie par un décideur a respecté ou non les normes d’équité et de justice naturelle (CCP au para 56; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940 aux para 51–54 [Huang]). Cette analyse comporte l’examen des cinq facteurs contextuels non exhaustifs énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], à savoir : 1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi par l’organisme public pour y parvenir; 2) la nature du régime législatif et les dispositions législatives précises en vertu desquelles agit l’organisme public; 3) l’importance de la décision pour les personnes visées; 4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; et 5) les choix de procédure que l’organisme fait lui‐même et la nature du respect dû à l’organisme (Vavilov au para 77; Congrégation des témoins de Jéhovah de St‐Jérôme‐Lafontaine c Lafontaine (Village), 2004 CSC 48 au para 5; Baker aux para 23–27).

[39] Il appartient à la cour de révision de se demander, « en mettant nettement l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne, si un processus juste et équitable a été suivi » (CCP au para 54). Par conséquent, lorsqu’une demande de contrôle judiciaire porte sur l’équité procédurale et sur des manquements aux principes de justice fondamentale, la véritable question n’est pas tant de savoir si la décision était « correcte ». C’est plutôt de déterminer si, compte tenu du contexte particulier et des circonstances de l’espèce, le processus suivi par le décideur administratif était équitable et a donné aux parties concernées le droit de se faire entendre devant un décideur impartial ainsi que la possibilité complète et équitable d’être informées de la preuve à réfuter et d’y répondre. Les cours de révision n’ont pas à faire preuve de déférence envers le décideur administratif sur des questions ayant trait à l’équité procédurale.

[40] Les questions d’équité procédurale et l’obligation d’agir équitablement, il faut le rappeler, ne concernent pas le bien-fondé ou le contenu d’une décision rendue, mais se rapportent plutôt au processus suivi. L’équité procédurale comporte deux volets : le droit d’être entendu et d’avoir la possibilité de répondre à la preuve qu’une partie doit réfuter; et le droit à une audition juste et impartiale devant un tribunal indépendant (Therrien (Re), 2001 CSC 35 au para 82). Il est aussi bien établi que les exigences de l’obligation d’équité procédurale sont « éminemment variables », intrinsèquement souples et tributaires du contexte (Vavilov au para 77; Baker au para 21; CCP au para 40; Canada (Procureur général) c Sketchley, 2005 CAF 404 au para 113; Foster Farms LLC c Canada (Diversification du commerce International), 2020 CF 656 aux para 43–52). L’obligation d’équité procédurale « ne réside pas dans un ensemble de règles adoptées » (Green c Société du Barreau du Manitoba, 2017 CSC 20 au para 53). La nature et l’étendue de l’obligation fluctuent plutôt en fonction du contexte particulier et des diverses situations factuelles examinées par le décideur administratif, ainsi que de la nature des différends à trancher (Baker aux para 25–26). Autrement dit, la question de savoir si une décision respecte les principes d’équité procédurale doit être tranchée au cas par cas.

III. Analyse

[41] La demande de contrôle judiciaire de M. Pothier porte primordialement sur le refus du CLSST d’accepter sa Plainte CCT invoquant l’impartialité de Mme Paladini dans ses fonctions de « personne compétente » désignée par le Règlement, le non-respect de l’équité procédurale lors de son Enquête externe, et le contenu du rapport d’Enquête externe. Subsidiairement, la demande de contrôle judiciaire porte également sur le caractère raisonnable de la Décision du CLSST, qui a pour effet de confirmer le rejet de la Plainte de violence en milieu de travail de M. Pothier.

[42] Je m’arrête un instant pour rappeler, comme je l’ai fait lors de l’audience, que la demande de contrôle judiciaire de M. Pothier soulève plusieurs arguments qui débordent largement la Décision de février 2020 du CLSST et que la Cour n’a pas à traiter dans le cadre du présent recours.

[43] En effet, dans son mémoire des faits et du droit, M. Pothier a longuement discuté de ses différends avec son employeur sur la classification du poste qu’il occupait, les descriptions de travail remises par l’employeur, la Plainte de harcèlement qu’il avait déposée, les allégations de discrimination à l’égard de l’employeur, les allégations de harcèlement à l’endroit du syndicat, son diagnostic de santé mentale, ou encore le devoir d’accommodement de son employeur, RNC. Il est manifeste que ces arguments vont largement au-delà de l’avis de demande de contrôle judiciaire et de la contestation de la Décision, et ils ne seront pas considérés par la Cour dans le présent jugement. Il n’appartient pas à la Cour de refaire le litige qui perdure depuis de longues années entre M. Pothier et son employeur au sujet de sa classification et de sa description de tâches. Je précise d’ailleurs que ces questions — assurément importantes pour M. Pothier — ne faisaient pas partie du mandat de Mme Paladini et de son Enquête externe portant sur la Plainte de harcèlement et de violence au travail de M. Pothier. De plus, la Décision du CLSST de février 2020 ne portait que sur la demande de M. Pothier de se faire accorder une nouvelle Enquête externe.

[44] Je rappelle que, d’une part, M. Pothier n’a pas formulé de demande de contrôle judiciaire à l’encontre du rapport d’Enquête externe portant sur sa Plainte de harcèlement et qu’au surplus, le CCT prévoit des mécanismes de révision de ce rapport d’Enquête externe dont M. Pothier s’est effectivement prévalu en logeant sa Plainte CCT.

[45] La Cour d’appel fédérale a maintes fois réitéré que les cours de justice ne doivent pas intervenir dans une instance administrative avant que celle-ci ne soit finalisée et que les parties à l’instance administrative n’aient épuisé toutes les voies de recours utiles qui leur sont ouvertes dans le cadre du processus administratif, sauf lorsque des circonstances exceptionnelles existent (Dugré c Canada (Procureur général), 2021 CAF 8 aux para 34–37; Alexion Pharmaceuticals Inc c Canada (Procureur général), 2017 CAF 241 aux para 47, 50; Forner c Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2016 CAF 35 au para 13; CB Powell Limited c Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61 aux para 30–33). Ainsi, lorsque le législateur confie le pouvoir de prendre des décisions à des organismes administratifs et établit un régime exclusif dans le cadre duquel des décideurs administratifs particuliers exercent certains pouvoirs — comme c’est le cas ici pour la contestation du rapport d’Enquête externe —, un demandeur ne peut passer outre ce régime et s’adresser directement à une cour de justice. Ces régimes administratifs sont destinés à disposer des droits d’un administré dans un contexte donné, et leur processus doit être suivi jusqu’au bout, à moins de circonstances exceptionnelles (Nosistel c Canada (Procureur général), 2018 CF 618 aux para 51–53).

[46] Le recours dont M. Pothier devait se prévaloir pour contester le contenu du rapport d’Enquête externe et le processus suivi par l’enquêtrice était donc celui qu’il a amorcé en déposant sa Plainte CCT.

A. La question de partialité

[47] L’argument central invoqué par M. Pothier dans sa Plainte CCT était l’impartialité de Mme Paladini. Selon la plainte formulée par M. Pothier, Mme Paladini n’aurait « pas été impartiale en ignorant volontairement des faits importants, en ne vérifiant pas certaines allégations mais surtout en ne respectant l’équité procédurale qu’une enquête nécessite ». M. Pothier estime que, malgré plusieurs demandes écrites de sa part, l’enquêtrice aurait refusé de lui accorder plus de temps d’entrevue afin de pouvoir expliquer les 30 courriels contenant les preuves qu’il alléguait. À cette fin, il avait demandé un deuxième entretien pour compléter sa description. Cet entretien n’a pas eu lieu, car Mme Paladini considérait avoir suffisamment d’éléments contextuels.

[48] Au nom de RNC, le PGC répond qu’il n’y a aucun élément de preuve dans le dossier qui permette d’appuyer un constat d’impartialité de la part de l’enquêtrice. Contrairement aux allégations de M. Pothier, affirme le PGC, le fait que certains faits ou éléments n’apparaissent pas dans le rapport d’Enquête externe de Mme Paladini ne suffit pas pour établir l’existence d’une crainte de partialité de sa part. De plus, le PGC souligne qu’une forte présomption existe selon laquelle les décideurs exercent leurs fonctions de façon impartiale, et que le fardeau de démontrer le contraire est élevé. Le PGC estime que le manque de preuve à cet effet dans le dossier suffit pour établir que M. Pothier n’a pas rencontré son fardeau.

[49] À cette fin, le PGC estime que M. Pothier n’a soulevé que son désaccord avec la conclusion tirée par l’enquêtrice — ce qui est insuffisant pour établir que cette dernière était partiale. Aussi, soumet le PGC, rien ne permet d’appuyer l’argument voulant que la Décision du CLSST soit erronée à cet égard.

[50] Je partage l’avis du PGC sur cette question d’impartialité.

[51] Je suis satisfait que le processus d’enquête et les mesures rigoureuses prises par Mme Paladini lors de son enquête reflètent un processus d’enquête solide et rigoureux qui ne contient aucune preuve ou indication permettant d’établir que l’enquêtrice était impartiale.

[52] Sur la question de la partialité, les arguments avancés par M. Pothier semblent se limiter à une redite de ses arguments reprochant à l’enquêtrice d’avoir mal évalué la preuve au dossier. En somme, M. Pothier met en doute la partialité de Mme Paladini, car il considère qu’elle aurait fermé les yeux sur certains aspects de la preuve et en aurait tiré des inférences mal fondées. Aux dires de M. Pothier, les conclusions négatives à son endroit traduisent une prédisposition qu’avait l’enquêtrice.

[53] Le critère qu’il convient d’appliquer en ce qui a trait aux craintes de partialité est bien établi, et le standard à rencontrer est élevé. Il a notamment été énoncé dans l’arrêt Baker, où la Cour suprême a réitéré que, pour déterminer s’il y a une crainte raisonnable de partialité, il faut se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » et si cette personne croirait, selon toute vraisemblance, que le décideur, « consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste » (Baker au para 46). Dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369 [Committee for Justice], la Cour suprême a aussi déclaré que « la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle‑même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet » (Committee for Justice à la p 394). Une crainte raisonnable de partialité ne peut donc reposer « sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur ou de son procureur [et doit] être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme » (Arthur c Canada (Canada (Procureur général), 2001 CAF 223 au para 10; voir aussi Gulia c Canada (Procureur général), 2021 CAF 106 aux para 22–23).

[54] Une allégation de partialité ne peut donc être soulevée à la légère et doit être démontrée au moyen de preuves concrètes. Ici, je n’en décèle aucune. Certes, je comprends que M. Pothier puisse être en profond désaccord avec la Décision du CLSST et avec le contenu du rapport d’Enquête externe, mais un désaccord sur l’appréciation de la preuve est insuffisant pour rimer avec une accusation de partialité. Au surplus, les allégations générales de M. Pothier selon lesquelles Mme Paladini aurait eu un parti pris ne résistent tout simplement pas à l’analyse. En fait, les motifs de l’enquêtrice démontrent plutôt une ouverture d’esprit de sa part : elle a multiplié les questions adressées à M. Pothier lors de son témoignage devant elle, et lui a fourni toutes les opportunités nécessaires pour expliquer sa version des faits. Des allégations de partialité ne peuvent se fonder sur de simples impressions d’un demandeur, et doivent plutôt être étayées par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme. M. Pothier n’a soumis aucune preuve de cette nature en ce qui a trait aux démarches et analyses de l’enquêtrice dans son dossier.

[55] Une allégation de partialité est grave, et la Cour doit faire preuve de beaucoup de rigueur avant de tirer une conclusion de partialité (Shahein c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 987 au para 21). De fait, « l’allégation de crainte raisonnable de partialité met en cause non seulement l’intégrité personnelle du [décideur], mais celle de l’administration de la justice toute [sic] entière » (R c S (RD), [1997] 3 RCS 484 au para 113). Dans le dossier de M. Pothier, je ne vois tout simplement aucun indice de partialité dans le comportement ou les remarques de l’enquêtrice, et les conclusions du CLSST rejetant les allégations de partialité de M. Pothier ne contiennent aucune erreur justifiant l’intervention de la Cour.

B. La question d’équité procédurale

[56] Par ailleurs, M. Pothier soumet qu’en marge de son argument de partialité, il a également soulevé des manquements aux règles d’équité procédurale, et notamment à son droit de se faire entendre.

[57] Je reconnais que, dans sa Plainte CCT, M. Pothier semble confondre les notions de « partialité » et de manquements à « l’équité procédurale ». Comme je l’ai indiqué plus haut, l’équité procédurale comporte deux volets : 1) le droit d’être entendu et d’avoir la possibilité de répondre à la preuve qu’une partie doit réfuter; et 2) le droit à une audition juste et impartiale devant un décideur indépendant. Selon ce que M. Pothier a indiqué lors de l’audience devant la Cour, il semble qu’en parlant à la fois de manque d’impartialité et de manquements à l’équité procédurale, il faisait en fait référence aux deux volets de ce qui compose l’équité procédurale : le droit à un décideur impartial d’une part, et le droit d’être entendu et d’avoir la possibilité de répondre à la preuve qu’une partie doit réfuter, d’autre part.

[58] Aussi, je comprends que, quand M. Pothier disait que l’enquêtrice « n’a pas été impartiale en ignorant volontairement des faits importants, en ne vérifiant pas certaines allégations mais surtout en ne respectant l’équité procédurale qu’une enquête nécessite », il soulevait à la fois un manque de partialité et un défaut de se faire entendre. J’avoue que cette distinction n’était pas limpide dans les soumissions de M. Pothier mais il ressort de l’audience devant la Cour que, dans l’esprit de M. Pothier, ce dernier faisait assurément aussi référence au droit de se faire entendre lorsqu’il reprochait à Mme Paladini le « non-respect de l’équité procédurale ».

[59] Ainsi, M. Pothier soumet que Mme Paladini ne lui aurait pas permis de se défendre ni d’apporter d’autres preuves suite à des allégations et des témoignages de tiers qu’il qualifie comme étant faux, incomplets ou qui ont besoin de nuance. En lien avec ces allégations, M. Pothier estime qu’il y aurait eu un manquement aux règles d’équité procédurale puisque, selon lui, l’enquêtrice ne lui aurait pas donné l’occasion d’être entendu sur plusieurs questions. Le PGC répond que M. Pothier connaissait la preuve à réfuter et a amplement eu la possibilité d’y répondre — ce qui suffit à rendre équitable la procédure suivie lors de l’Enquête externe. En ce qui concerne plus spécifiquement l’opportunité de répondre aux autres témoignages, le PGC souligne que M. Pothier pouvait et aurait dû anticiper les témoignages des personnes interrogées, qu’il connaissait la preuve à réfuter et qu’il a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre.

[60] Je suis d’accord avec le PGC en ce qui concerne le déroulement de l’Enquête externe, mais je ne suis pas convaincu qu’on peut faire le même constat en ce qui a trait à l’Enquête interne et à la Décision du CLSST.

[61] La jurisprudence enseigne que, dans le cadre d’une enquête comme celle de Mme Paladini, l’enquêtrice ou l’enquêteur a l’obligation de conduire une enquête rigoureuse et neutre (Slattery c Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 CF 574 (TD) au para 49 [Slattery], confirmé par (1996) 205 NR 383 (CA)). Ainsi, dans la décision Slattery, M. le juge Nadon fait état de cette obligation de rigueur et de neutralité dans les termes suivants :

[56] Il faut faire montre de retenue judiciaire à l’égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes. Ce n’est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu’un enquêteur n’a pas examiné une preuve manifestement importante, qu’un contrôle judiciaire s’impose. Un tel point de vue correspond à la retenue judiciaire dont la Cour suprême a fait preuve à l’égard des activités d’appréciation des faits du Tribunal des droits de la personne dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554.

[57] Dans des situations où les parties ont le droit de présenter des observations en réponse au rapport de l’enquêteur, comme c’est le cas en l’espèce, les parties peuvent compenser les omissions moins graves en les portant à l’attention du décideur. Par conséquent, ce ne serait que lorsque les plaignants ne sont pas en mesure de corriger de telles omissions que le contrôle judiciaire devrait se justifier. Même s’il ne s’agit pas d’une liste exhaustive, il me semble que les circonstances où des observations supplémentaires ne sauraient compenser les omissions de l’enquêteur devraient comprendre : (1) les cas où l’omission est de nature si fondamentale que le seul fait d’attirer l’attention du décideur sur l’omission ne suffit pas à y remédier; ou (2) le cas où le décideur n’a pas accès à la preuve de fond en raison de la nature protégée de l’information ou encore du rejet explicite qu’il en a fait.

[Je souligne.]

[62] L’enquêteur ou l’enquêtrice doit donc s’assurer que les parties sont informées de la substance de la preuve réunie lors de l’enquête et produite devant eux, et qu’elles aient la possibilité de répondre à cette preuve et de présenter toutes les observations pertinentes (Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 RCS 879 au para 33; Best c Canada (Procureur général), 2011 CF 71 au para 71, confirmé par 2011 CAF 351).

[63] Par ailleurs, comme règle générale, la Cour a décrit comme suit l’obligation d’équité procédurale qui doit régir les enquêtes comme celle de Mme Paladini :

[22] Selon la règle d’équité procédurale, un plaignant doit connaître les allégations formulées contre lui. Il n’a pas le droit d’en connaître les moindres détails, mais il devrait être informé des prétentions générales de la partie adverse. Le plaignant n’a pas le droit d’exiger les notes d’entrevues de l’enquêteur ou les déclarations obtenues des personnes interrogées. Il a le droit d’être informé du fond de l’affaire et de s’attendre à ce que l’enquêteur résume entièrement et fidèlement la preuve obtenue au cours de son enquête. Il doit avoir la possibilité de répondre. Il a également le droit d’être informé des commentaires de la partie adverse qui concernent des faits différents de ceux qui sont exposés dans le rapport d’enquête. Pour que l’erreur soit susceptible de révision, le plaignant doit démontrer que les renseignements ont été retenus à tort et que ces renseignements sont fondamentaux pour le résultat de la cause.

[Je souligne.]

Miller c Canada (Commission des droits de la personne) (1996), 112 FTR 195 au para 22 [Miller]).

[64] Je ne suis pas persuadé que M. Pothier a satisfait le fardeau élevé établi par la jurisprudence en ce qui a trait à l’Enquête externe.

[65] Plus particulièrement, le défaut d’avoir accordé à M. Pothier un deuxième entretien avec l’enquêtrice n’est pas suffisant pour conclure à un manquement à l’équité procédurale. M. Pothier a eu la chance d’être entendu par Mme Paladini pendant une longue période de huit heures et il a eu l’occasion de vérifier les notes prises lors de cet entretien. Il a également soumis plusieurs éléments de preuve et documents tout au cours de l’enquête. Dans son rapport, Mme Paladini a expliqué que tous les documents soumis ont été pris en compte — un fait qui a d’ailleurs été noté lors de l’Enquête interne. L’Enquête interne a également déterminé qu’il n’y avait « pas de preuves ou d’indications supportant le contraire ». Pour qu’une erreur soit susceptible de révision, le plaignant doit démontrer « que les renseignements ont été retenus à tort et que ces renseignements sont fondamentaux pour le résultat de la cause » (Miller au para 22). Ce n’est manifestement pas le cas ici.

[66] D’autre part, Mme Paladini a entendu plusieurs autres témoins et personnes « mises en cause » pour arriver à sa conclusion. M. Pothier reproche à l’enquêtrice de ne pas lui avoir accordé la possibilité de contre-interroger ou de soumettre des documents en réplique à ces témoignages, et que, ce faisant, celle-ci aurait commis un manquement à l’équité procédurale. Encore une fois, il convient de rappeler que « le plaignant n’a pas le droit d’exiger les notes d’entrevues de l’enquêteur ou les déclarations obtenues des personnes interrogées. Il a le droit d’être informé du fond de l’affaire et de s’attendre à ce que l’enquêteur résume entièrement et fidèlement la preuve obtenue au cours de son enquête » (Miller au para 22). Qui plus est, en ce qui concerne les omissions ou les fautes de soumettre une réplique dans de telles circonstances, « ce ne serait que lorsque les plaignants ne sont pas en mesure de corriger de telles omissions que le contrôle judiciaire devrait se justifier […] [ce qui arrive dans] les cas où l’omission est de nature si fondamentale que le seul fait d’attirer l’attention du décideur sur l’omission ne suffit pas à y remédier » (Slattery au para 57). Dans le présent dossier, il y avait amplement d’éléments de preuve soumis par M. Pothier pour « contrer » les points soulevés par les témoins et personnes « mises en cause ». Je ne suis pas convaincu que, dans ces circonstances, le défaut de soumettre une réplique constitue une omission de nature « si fondamentale que le seul fait d’attirer l’attention du décideur sur l’omission ne suffit pas à y remédier ».

[67] De surcroît, comme le PGC l’a fait remarquer, M. Pothier était en mesure d’anticiper les témoignages des personnes interrogées. En effet, M. Pothier connaissait très bien la preuve à réfuter et il a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre. En effet, l’enquêtrice a rencontré M. Pothier lors d’une longue entrevue qui a duré huit heures. Et, avant la rencontre, elle a reçu de M. Pothier 30 courriels contenant des informations additionnelles. Enfin, suite à la rencontre, M. Pothier a reçu une copie des notes de leur rencontre et a pu commenter quant à l’exactitude de celles-ci.

[68] Les conditions pour démontrer l’existence d’un manquement à l’équité procédurale sont donc loin d’être établies en ce qui concerne le déroulement de l’Enquête externe.

[69] La situation est toutefois plus problématique en ce qui concerne l’Enquête interne et la Décision au cœur de la demande de contrôle judiciaire de M. Pothier. Dans son rapport d’Enquête interne, le CLSST mentionne que « [l]es informations disponibles telles que le nombre de personnes interviewées, le nombre d’heures consacré [sic] par Mme Paladini, nos entretiens, ainsi que la richesse des documents fournis par toutes [sic] les parties, ont permis de prendre une décision dans ce dossier […] [et] nous n’avons pas trouvé de preuve ou de manquement qui peuvent démontrer clairement que le travail effectué par la firme Expertise H2H et par Mme Severine Paladini n’a pas été faite [sic] de façon impartiale » [je souligne].

[70] Mais, nulle part l’Enquête interne ne fait référence au non-respect des règles d’équité procédurale ou au droit de M. Pothier de se faire entendre. En d’autres mots, le CLSST n’a jamais traité directement des questions d’équité procédurale — au sens du droit de se faire entendre, soit le sens que M. Pothier donne à ce qu’il décrit comme étant l’équité procédurale. Je suis bien conscient que la formulation utilisée par M. Pothier dans sa Plainte CCT pouvait laisser croire que ses reproches d’un manque d’impartialité et de non-respect de l’équité procédurale rimaient à la même chose. Mais, lorsque lue dans son ensemble, je suis satisfait que la Plainte CCT soulevait à la fois des questions de partialité et un défaut de se faire entendre.

[71] L’Enquête interne menée par le CLSST suite à la Plainte CCT de M. Pothier peut être considérée comme une enquête « de novo ». Dans l’affaire Girouard c Canada (Procureure générale), 2018 CF 865 [Girouard], la Cour a déterminé qu’« en théorie ainsi qu’en pratique, un appel de novo prévoit qu’un dossier puisse être représenté à nouveau avec de la preuve par témoins ou autrement et à l’aide de nouvelles soumissions. Qui plus est, ce type d’appel se fait dans le cadre d’un système à deux (2) parties sous forme accusatoire ou contradictoire » (Girouard au para 159). C’est le cas ici.

[72] Dans la présente affaire, M. Pothier a eu la chance de présenter de nouvelles soumissions. De plus, le CLSST a pu examiner le rapport d’Enquête externe ainsi que plusieurs échanges de courriels et a subséquemment procédé à leur propre analyse du dossier en posant des questions et en tenant des entrevues avec M. Pothier ainsi que Mme Paladini et d’autres témoins. L’Enquête interne a également été dans le cadre d’un système à deux parties sous forme contradictoire.

[73] Dans une affaire semblable à celle de M. Pothier, où il y avait des allégations de manquements à l’équité procédurale dans le cadre d’une plainte de harcèlement (mais dans le cadre des Forces armées canadiennes), la Cour a déterminé qu’un examen de novo des griefs du demandeur avait été effectué puisque « le [deuxième examen] a bien pris en compte la norme de preuve, selon la prépondérance des probabilités, rappelant [au demandeur] qu’il avait le fardeau de démontrer le bien-fondé de ses allégations. Il a rendu sa décision par écrit, dûment motivée. Lorsqu’il a décidé de ne pas donner suite aux recommandations du Comité [de première instance], il a motivé sa décision de façon détaillée » (Pindi c Canada (Procureur général), 2023 CF 1252 au para 63).

[74] Enfin, la décision Blair c Canada (Défense nationale), 2017 CF 10 [Blair] enseigne qu’« un examen de novo suffira pour remédier à un manquement à l’équité procédurale lorsque la procédure, examinée dans son ensemble, était équitable » (Blair au para 36, citant Walsh c Canada (Procureur général), 2015 CF 775 au para 51 [Walsh]). Dans l’affaire Blair, la Cour a également noté que « [c]omme le demandeur a eu plusieurs occasions de comprendre la preuve qui pesait contre lui et de présenter des observations, et comme le [décideur] a effectué un examen de novo et n’a pas tenu compte de la mise en garde et de la surveillance, ou des autres procédures fautives, il a été remédié à tout vice de procédure » (Blair au para 38). Dans le cas de M. Pothier, comme le souligne le PGC, l’Enquête interne a offert à M. Pothier la possibilité complète et équitable de commenter le rapport d’Enquête externe lors de sa rencontre avec le CLSST, ce qui contribue au fait que l’examen qu’a fait le CLSST puisse être considéré comme un examen de novo.

[75] Toutefois, dans les circonstances, le fait que M. Pothier ait eu droit à un processus de novo devant le CLSST ne répond pas entièrement aux allégations de manquements à l’équité procédurale.

[76] Dans l’arrêt McBride c Canada (Défense nationale), 2012 CAF 181 [McBride], la Cour d’appel fédérale a expliqué que tout manquement à l’équité procédurale survenu dans le processus décisionnel peut être corrigé si les principes fondamentaux de l’équité procédurale sont appliqués lors de l’examen de novo (McBride aux para 41–45; Walsh au para 51; Blair au para 37).

[77] Dans le cas de M. Pothier, je ne suis pas convaincu que le fait d’avoir eu une procédure de novo devant le CLSST ait été suffisant pour corriger les manquements à l’équité procédurale qu’il a avancés dans sa Plainte CCT. Devant le CLSST, M. Pothier avait soulevé le fait qu’il n’avait pas eu son droit de réplique dans sa Plainte et que Mme Paladini ne lui avait pas permis d’avoir l’occasion de se défendre et d’apporter d’autres preuves suite aux allégations des personnes mises en cause et des témoins qui sont « fausses, incomplètes ou qui ont besoins de nuances ». Cependant, dans la Décision, le CLSST n’a pas clairement traité cette question.

[78] Selon le cadre d’analyse établi par l’arrêt Vavilov, les motifs d’un décideur administratif comportent deux éléments connexes : le caractère suffisant d’une part, et la logique, la cohérence et la rationalité d’autre part (Vavilov aux para 96, 103–104). La logique, la cohérence et la rationalité d’une décision peuvent être remises en question lorsque les motifs sont entachés d’erreurs manifestes sur le plan rationnel, comme lorsque le décideur ignore les « questions et préoccupations centrales soulevées par les parties » (Alexion Pharmaceuticals Inc c Canada (Procureur général), 2021 CAF 157 au para 13 [Alexion], citant Vavilov aux para 127–128). Bref, une décision ne sera pas raisonnable s’il est impossible de comprendre, lorsqu’on lit les motifs en corrélation avec le dossier, le raisonnement du décideur sur un point central (Rajput c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 65 au para 34).

[79] Ici, dans sa Décision, le CLSST ne semble pas avoir considéré les arguments de M. Pothier sur les manquements à l’équité procédurale. Le fait qu’un décideur « n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise » (Vavilov au para 128). Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Alexion, les points centraux d’une décision sont façonnés en partie par les questions et préoccupations centrales soulevées par les parties (Alexion au para 13, citant Vavilov aux para 127–128). En l’espèce, M. Pothier avait signalé ses préoccupations quant aux manquements à l’équité procédurale dans le processus d’Enquête externe, mais la Décision du CLSST laisse l’impression que ces questions ont seulement été analysées sous la perspective de la partialité de l’enquêtrice. La question de l’atteinte à son droit de se faire entendre était, sans aucun doute, une question clé dans le dossier de M. Pothier. Le fait que le CLSST n’ait pas expliqué de façon plus claire et plus intelligible en quoi ce droit de M. Pothier de se faire entendre avait été respecté constitue une lacune grave et fondamentale dans son raisonnement qui, en l’espèce, justifie l’intervention de la Cour (Vavilov aux para 102–103, 127–128).

[80] Même si j’interprète la Décision « de façon globale et contextuelle » et que je garde en tête que les cours de révision devraient chercher à « comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur » pour en arriver à sa conclusion (Vavilov aux para 84, 97), je ne suis pas convaincu que, tel qu’exposé, le raisonnement du CLSST est intelligible et répond adéquatement aux préoccupations soulevées par M. Pothier.

[81] Depuis l’arrêt Vavilov, une attention particulière doit désormais être portée au processus décisionnel et à la justification des décisions administratives. Un des objectifs préconisés par la Cour suprême du Canada dans l’application de la norme de la décision raisonnable est de « développer et de renforcer une culture de la justification au sein du processus décisionnel administratif » (Vavilov aux para 2, 143). Il ne suffit pas que la décision soit justifiable, et le décideur administratif doit également « justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique » [en italique dans l’original] (Vavilov au para 86). La cour de révision doit « s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur » et déterminer « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov au para 99).

[82] Or, dans le cas de M. Pothier, je ne suis pas convaincu que la Décision du CLSST soit conforme aux contraintes juridiques et factuelles pertinentes ayant une incidence sur le résultat et la question en litige (Vavilov aux para 105–107). Je reconnais que les motifs d’une décision administrative n’ont pas à être exhaustifs. En effet, la norme de contrôle de la décision raisonnable ne porte pas sur le degré de perfection de la décision, mais plutôt sur son caractère raisonnable (Vavilov au para 91). En revanche, il faut quand même que les motifs soient compréhensibles et justifient la décision administrative. Un décideur administratif a le devoir d’expliquer son raisonnement dans ses motifs (Farrier c Canada (Procureur général), 2020 CAF 25 au para 32 [Farrier]). Certes, le peu de détails donnés dans une décision ne la rend pas nécessairement déraisonnable, mais encore faut-il que les motifs permettent à la Cour de comprendre le fondement de la décision contestée et de déterminer si la conclusion tient la route. Ce n’est pas le cas ici pour la Plainte CCT de M. Pothier.

[83] En l’espèce, je suis particulièrement sensible au « principe de la justification adaptée » énoncé dans les arrêts Vavilov et Mason pour les cas où la décision du décideur administratif peut avoir des conséquences graves qui menacent la vie, la liberté, la dignité ou les moyens de subsistance d’un individu. En raison de ce principe, il échoit aux décideurs administratifs dans ces situations la « responsabilité accrue […] de s’assurer que leurs motifs démontrent qu’ils ont tenu compte des conséquences d’une décision et que ces conséquences sont justifiées au regard des faits et du droit » (Vavilov au para 135). Le cas de M. Pothier correspond à l’une de ces situations, et je crois respectueusement que la Décision ne répond pas à cette norme plus stricte.

[84] Je fais une dernière observation. Dans Vavilov, la Cour suprême a effectivement souligné qu’une cour de révision possède une certaine discrétion quant à la réparation à accorder lorsqu’elle casse une décision déraisonnable, la majorité y allant d’une mise en garde contre le « va-et-vient interminable de contrôles judiciaires et de nouveaux examens » (Vavilov aux para 140–142). Ainsi, il peut parfois être indiqué de refuser de renvoyer une affaire à un décideur administratif « lorsqu’il devient évident aux yeux de la cour, lors de son contrôle judiciaire, qu’un résultat donné est inévitable, si bien que le renvoi de l’affaire ne servirait à rien » (Vavilov au para 142; Mobil Oil Canada Ltd c Office Canada‑Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202 aux pp 228–230; Entertainment Software Association c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100 aux para 99–100 [Société canadienne des auteurs]). Ceci peut aussi être le cas lorsque la correction de l’erreur n’aurait pas modifié le résultat existant et n’aurait aucune conséquence pratique, et qu’une seule conclusion est en fait possible (Mines Alerte Canada c Canada (Pêches et Océans), 2010 CSC 2 au para 52; Farrier au para 31; Robbins c Canada (Procureur général), 2017 CAF 24 aux para 16–22 [Robbins]). Cette discrétion d’accorder ou de ne pas accorder de réparation existe tant dans le contexte d’erreurs procédurales qu’en présence d’erreurs substantives (Société canadienne des auteurs au para 99).

[85] Toutefois, a précisé la Cour suprême, ce pouvoir discrétionnaire en matière de réparation doit être exercé avec retenue, car le choix de la réparation doit notamment « être guidé par la raison d’être de l’application de [la norme de la décision raisonnable], y compris le fait pour la cour de révision de reconnaître que le législateur a confié le règlement de l’affaire à un décideur administratif, et non à une cour » (Vavilov au para 140). Ainsi, lorsque la décision contrôlée selon la norme de la décision raisonnable ne peut être confirmée, il conviendra, la plupart du temps, de renvoyer l’affaire au décideur pour qu’il revoie sa décision, à la lumière des motifs donnés par la cour, et détermine alors s’il arrive au même résultat ou à un résultat différent (Vavilov au para 141; Société canadienne des auteurs au para 99; Robbins au para 17). En somme, le seuil à atteindre pour opter de ne pas remettre l’affaire au décideur administratif lorsque sa décision est jugée déraisonnable est élevé (D’Errico c Canada (Procureur général), 2014 CAF 95 aux para 14–17).

[86] Dans la mesure où la norme de la décision raisonnable loge à l’enseigne de la déférence et du respect de la légitimité et de la compétence des décideurs administratifs dans leur domaine d’expertise, la discrétion des cours de révision de ne pas retourner une décision déraisonnable au décideur administratif pour réexamen doit donc s’exercer soigneusement, avec prudence et parcimonie, et se limiter aux rares cas où le contexte ne peut qu’inéluctablement mener à un seul résultat et où l’issue ne laisse aucun doute. Ces situations feront plutôt figure d’exceptions. Les brèves remarques faites par la Cour suprême dans Vavilov sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de réparation ne constituent pas une ouverture faite aux cours de révision pour se substituer au décideur administratif et s’immiscer dans le mérite de la décision à rendre, s’il est concevable que le décideur puisse arriver à une décision à la fois différente et raisonnable. Il serait pour le moins ironique que le pouvoir discrétionnaire de réparation associé à la norme de la décision raisonnable, une norme ancrée dans la reconnaissance et le respect du rôle dévolu aux décideurs administratifs, puisse devenir un ferment sur lequel pourrait aisément prospérer un transfert du pouvoir décisionnel des décideurs aux cours de justice chargées de leur surveillance (Quele c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 108 aux para 31–35; Dugarte de Lopez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 707 aux para 29–35).

[87] Bien sûr, il se pourrait que, même informé des présents motifs sur l’erreur commise par le CLSST, un comité différemment constitué puisse raisonnablement reconduire la même décision et rejeter à nouveau la Plainte CCT de M. Pothier. Cependant, ce comité différemment constitué pourrait aussi arriver à une conclusion différente, plus favorable à M. Pothier. C’est au CLSST, et non à la Cour, qu’il appartient de mener cette évaluation. Je ne peux pas simplement présumer qu’une considération adéquate des questions de manquements au droit de se faire entendre ne changerait pas la donne devant le CLSST, et usurper l’autorité décisionnelle que le législateur a confiée au décideur administratif sur la question. Dans le présent dossier, je ne suis pas en mesure d’affirmer que le dossier va tellement à l’encontre de l’accueil de la Plainte CCT de M. Pothier qu’il ne servirait à rien de renvoyer l’affaire (Lemus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 114 au para 38).

C. Le caractère raisonnable des enquêtes

[88] Vu ce qui précède, je n’ai pas à déterminer davantage si les conclusions auxquelles ont abouti les Enquêtes externe et interne possèdent tous les attributs de décisions raisonnables.

IV. Conclusion

[89] Pour les motifs exposés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Pothier est accueillie en partie.

[90] Compte du succès uniquement partiel de M. Pothier, aucuns dépens ne sont accordés.

 


JUGEMENT au dossier T-325-20

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie, sans dépens.

  2. La décision et le rapport d’enquête du Comité local de santé et sécurité au travail [CLSST] daté du 24 février 2020 sont annulés et la plainte de M. Pothier est retournée au CLSST pour qu’elle soit examinée de nouveau par un comité nouvellement constitué.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-325-20

INTITULÉ :

MICHEL POTHIER c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

24–25 OCTOBRE 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

GASCON J.

DATE DES MOTIFS :

LE 26 MARS 2024

COMPARUTIONS :

M. Michel Pothier

POUR LE DEMANDEUR

À SON PROPRE NOM

Me Patrick Turcot

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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