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Date : 20240328

Dossier : T‑121‑24

Référence : 2024 CF 494

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 mars 2024

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

ASB HOLDINGS LIMITED

CEB HOLDINGS LIMITED

NSB HOLDINGS LIMITED

SDH HOLDINGS LIMITED

SDS HOLDINGS LIMITED

défenderesses

ORDONNANCE

[1] L’instance sous‑jacente est une demande présentée par le demandeur au titre de l’article 231.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1, en vue d’obtenir une ordonnance exécutoire exigeant que les défenderesses lui fournissent certains documents précis pour les années d’imposition 2019 et 2020.

[2] Après l’achèvement des contre‑interrogatoires, un certain nombre de requêtes interlocutoires et le dépôt des dossiers de demande, la présente demande devait être entendue sur le fond le 22 mars 2024. Toutefois, lors d’une conférence de gestion de l’instance convoquée en urgence le 19 mars 2024, les défenderesses ont demandé l’autorisation de déposer un affidavit souscrit par Peter Grater [affidavit de M. Grater]. Le demandeur s’est opposé à la demande. À la conférence de gestion de l’instance, j’ai informé les parties que je n’étais pas disposée à exercer mon pouvoir discrétionnaire de refuser d’entendre la requête et que je n’étais pas disposée à trancher la requête de façon informelle au cours de la conférence de gestion de l’instance en raison de l’opposition du demandeur à celle‑ci. Par conséquent, j’ai ajourné l’audition de la demande sur le fond et, à sa place, j’ai entendu la requête des défenderesses.

[3] Pour les motifs qui suivent, la requête des défenderesses est rejetée.

I. Contexte

[4] Le 22 janvier 2024, le demandeur a déposé la présente demande qui devait être entendue le 6 février 2024.

[5] Le 24 janvier 2024, le demandeur a signifié les affidavits de François Cloutier et de Ian Charpentier.

[6] Le 31 janvier 2024, le demandeur a signifié et déposé son dossier de demande complet. Dans la demande sous‑jacente, le demandeur affirme ce qui suit :

  1. Abraham Bleeman [Abraham] et sa conjointe Eva Bleeman [Eva] ont cinq enfants : Aaron Bleeman [Aaron], Eli Bleeman [Eli], Nathan Bleeman [Nathan], Deena Smursz [Deena] et Shifra Hofstedter [Shifra] [collectivement, la fratrie].

  2. Les défenderesses, ASB Holdings Limited [ASB], NSB Holdings Limited [NSB], CEB Holdings Limited [CEB], SDS Holdings Limited [SDS] et SDH Holdings Limited [SDH], sont des sociétés constituées en vertu des lois de l’Ontario. Aaron est actionnaire et administrateur de ASB, Nathan est actionnaire et administrateur de NSB, Eli est actionnaire et administrateur de CEB, Deena est actionnaire et administratrice de SDS et Shifra est actionnaire et administrateur de SDH.

  3. La fiducie de la famille Bleeman a été créée le 30 novembre 1998 [fiducie de 1998]. Abraham est le constituant de la fiducie de 1998, ainsi que l’un de ses fiduciaires avec Eva, Aaron et Nathan. Les membres de la fratrie sont les bénéficiaires de la fiducie de 1998. Le 21e anniversaire de la fiducie de 1998 a eu lieu le 30 novembre 2019.

  4. Asden Holdings Inc. [AHI] et Bleeman Holdings Limited [BHL] sont des sociétés constituées en vertu des lois de l’Ontario. La fiducie de 1998, les défenderesses, 1206139 Ontario Limited, Abraham et les membres de la fratrie, sont ou étaient actionnaires de BHL. Les défenderesses, Abraham et les membres de la fratrie sont ou étaient actionnaires d’AHI.

  5. La fiducie familiale Aaron Bleeman 2019, la fiducie familiale Nathan Bleeman 2019, la fiducie familiale Eli Bleeman 2019, la fiducie familiale Deena Smursz 2019 et la fiducie familiale Shifra Hofstedter 2019 ont toutes été créées le 31 juillet 2019 [collectivement, les fiducies de 2019]. Abraham est le constituant des fiducies de 2019. Les membres de la fratrie sont fiduciaires de chacune de leurs fiducies respectives de 2019 ainsi que les bénéficiaires.

  6. Les défenderesses, Abraham, Eva, les membres de la fratrie, la fiducie de 1998, les fiducies de 2019, AHI et BHL, sont collectivement appelés le « groupe Bleeman » par le demandeur.

  7. Au cours des années d’imposition 2019 et 2020, le groupe Bleeman a effectué des opérations de gel successoral au titre des articles 51, 85 ou 86 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Ces opérations comprenaient le transfert par les membres de la fratrie de leurs actions d’AHI et de BHL aux défenderesses respectives le 1er janvier 2019, en échange d’actions des défenderesses. À la suite des opérations, les défenderesses et les fiducies de 2019 détenaient toutes les actions privilégiées et ordinaires des défenderesses.

  8. Les membres de la fratrie ont chacun déposé des formulaires de choix au titre de l’article 85 auprès de l’Agence du revenu du Canada [ARC] affirmant que la juste valeur marchande [JVM] des 1 000 actions ordinaires émises et en circulation de BHL s’élevait à 1 097 973 630 $.

  9. L’ARC a demandé des audits du groupe Bleeman pour les années d’imposition 2019 et 2020, qui ont commencé le 22 mars 2022 ou vers cette date [audits].

  10. Les audits visent à vérifier si les membres du groupe Bleeman se sont conformés aux devoirs et obligations qui leur incombent en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu et s’ils ont correctement déclaré leur revenu mondial pour les années d’imposition 2019 et 2020. Il s’agit notamment de vérifier la JVM des actions d’AHI et de BHL au 1er janvier 2019 et d’établir si les opérations sont conformes aux articles 51, 85 ou 86 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

[7] Les documents pour lesquels une ordonnance exécutoire est demandée dans la demande sous‑jacente sont les suivants :

  1. Le rapport d’évaluation pour l’achat des actions d’AHI et de BHL effectué le 1er janvier 2019 ou, à défaut, les documents attestant la juste valeur marchande (JVM) du bien transféré [demande no 1].

  2. Toute note de service de planification fiscale et tout document connexe (c.‑à‑d. le plan de clôture de l’opération) [demande no 2].

  3. La présentation de l’opération aux défenderesses [demande no 3].

[8] Le 31 janvier 2024, après que le demandeur eut déposé son dossier de demande, les défenderesses ont signifié leur affidavit en réponse de Michael Belz. Aux fins de la présente requête, voici les principaux éléments de l’affidavit de M. Belz :

[traduction]

[3] Le 4 novembre 2022, j’ai parlé avec M. François Cloutier, de l’ARC, au sujet des premières demandes; toutefois, je ne lui ai pas mentionné que des rapports d’évaluation des actions d’AHL et de BHL avaient été préparés par KPMG s.r.l. L’achat des actions d’AHL et de BHL le 1er janvier 2019 a eu lieu au titre du paragraphe 85(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) sur une base d’imposition différée au coût (comme il est consigné dans les formulaires T2057 pertinents fournis précédemment à l’ARC). Comme l’évaluation des actions transférées était sans conséquence pour l’opération, aucun rapport d’évaluation officiel n’a été demandé à l’égard des transferts d’actions de 2019.

[4] À ma connaissance, toute note de service de planification fiscale et tout document connexe concernant les transferts d’actions de 2019 ont été préparés par un conseiller juridique et sont donc protégés par le secret professionnel de l’avocat.

[5] À ma connaissance, aucune présentation de l’opération n’a été faite au contribuable.

[9] Le 2 février 2024, M. Belz a été contre‑interrogé au sujet de son affidavit. Une partie importante du contre‑interrogatoire de M. Belz portait sur l’étendue de sa connaissance personnelle relativement aux questions abordées dans son affidavit et, lorsque son témoignage était fondé sur des croyances, sur la source de sa croyance. Lors de son contre‑interrogatoire, M. Belz a admis que sa connaissance du fait que certains documents n’existaient pas provenait de M. Grater.

[10] M. Cloutier a été contre‑interrogé les 2 et 5 février 2024.

[11] Le 5 février 2024, les défenderesses ont signifié un avis de requête en vue d’obtenir une ordonnance ajournant l’audience du 6 février 2024 relative à la demande sous‑jacente ou, subsidiairement, d’obtenir la radiation des affidavits de M. Cloutier et de M. Charpentier et le rejet de la demande sommaire. Toutefois, aucun dossier de requête n’a été déposé et les défenderesses n’ont pas non plus déposé leur dossier de réponse à la demande (ou demandé une prorogation du délai pour le faire) en vue de la tenue de l’audience sur le fond prévue le 6 février 2024.

[12] Le 6 février 2024, le demandeur a présenté une requête visant à mettre fin au contre‑interrogatoire de M. Cloutier ou, subsidiairement, à restreindre le temps que les défenderesses pouvaient consacrer au contre‑interrogatoire de M. Cloutier.

[13] Le 6 février 2024, les parties ont comparu devant le juge McHaffie, qui a conclu que l’audition de la demande sous‑jacente ne pouvait pas se poursuivre, et que la Cour n’entendrait que la requête du demandeur. Dans son ordonnance rendue le 8 février 2024, le juge McHaffie a conclu qu’un examen des transcriptions du contre‑interrogatoire de M. Cloutier avait révélé que les défenderesses avaient fait preuve d’inefficacité dans la conduite du contre‑interrogatoire, et que l’avocat de celles‑ci avait eu une conduite inappropriée. Plus précisément :

  1. Un temps considérable a été perdu lorsqu’un grand nombre de questions tout à fait inappropriées concernant la décision de M. Cloutier d’être contre‑interrogé en français, y compris des insinuations inappropriées selon lesquelles le choix avait été fait pour obtenir un avantage tactique et qu’il devrait choisir d’être interrogé en anglais pour la commodité de l’avocat, dont les questions allaient bien au‑delà de la confirmation raisonnable que M. Cloutier comprenait les éléments de preuve contenus dans son affidavit ainsi que dans les documents et conversations auxquels il faisait référence;

  2. Un temps considérable a été perdu lorsque l’avocat a répété des questions auxquelles des objections avaient déjà été formulées, y compris les questions à savoir si M. Cloutier s’était vu conférer des pouvoirs au titre de l’article 231.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu, les questions concernant la compréhension de M. Cloutier quant au droit relatif à la preuve par ouï‑dire, les questions concernant la correspondance en août et septembre 2023 dont M. Cloutier, selon son témoignage, ne se souvenait pas avoir vue à l’époque, ainsi que les questions concernant les opérations sous‑jacentes;

  3. Une certaine perte de temps découle des indications répétées de l’avocat selon lesquelles il avait l’intention de demander à la Cour de tirer des conclusions défavorables en ce qui concerne les objections à certaines questions;

  4. L’observation des défenderesses, selon laquelle des retards importants ont été occasionnés par l’ingérence de l’avocat du ministre et des objections inappropriées qu’il a soulevées à des questions pertinentes et appropriées, était en grande partie non fondée.

[14] J’ai examiné l’enregistrement de l’audience tenue devant le juge McHaffie et, comme l’a déclaré le demandeur dans ses observations écrites à propos de la présente requête, le juge McHaffie a soulevé des préoccupations quant au caractère suffisant des éléments de preuve des défenderesses concernant l’absence de documents pertinents relativement aux requêtes nos 1 et 3 et la revendication de privilège relativement à la requête no 2, ainsi que la question de savoir si M. Belz était au courant des faits.

[15] Le juge McHaffie a ordonné que les défenderesses pussent poursuivre le contre‑interrogatoire de M. Cloutier pour une durée maximale d’une demi‑journée, et que la durée prévue pour l’audition de la demande sous‑jacente était une journée complète.

[16] Le 23 février 2024, avant que ne se poursuive le contre‑interrogatoire de M. Cloutier et après que le juge McHaffie a formulé ses commentaires concernant le témoignage de M. Belz, M. Charpentier a reçu une télécopie de l’avocat des défenderesses, qui a été envoyée à M. Cloutier à laquelle était jointe une lettre de M. Grater datée du 16 février 2024 [lettre de M. Grater]. La lettre de M. Grater énonçait, en partie, ce qui suit :

[traduction]

J’ai examiné les dossiers des contribuables et je peux confirmer ce qui suit :

a) En ce qui concerne le point 2, aucun rapport d’évaluation n’a été produit, comme il est décrit dans les dossiers.

b) En ce qui concerne le point 5, une note de service datée du 6 juillet 2017 a été préparée par Dentons Canada S.E.N.C.R.L. et est protégée par le privilège des communications entre le client et l’avocat.

c) En ce qui concerne le point 6, aucune présentation de l’opération n’a été faite aux contribuables.

[17] Le contre‑interrogatoire de M. Cloutier a pris fin le 23 février 2024. Au cours de cette comparution, les défenderesses ont, pour la première fois, informé le demandeur de leur intention de contre‑interroger M. Charpentier, et elles ont signifié une assignation à comparaître visant la tenue d’un contre‑interrogatoire devant avoir lieu le 5 mars 2024.

[18] Le contre‑interrogatoire de M. Charpentier a été mené et terminé le 5 mars 2024.

[19] À la suite de la délivrance de l’ordonnance du juge McHaffie, les parties ont informé l’administrateur judiciaire qu’elles étaient disponibles pour l’audition de la présente demande le 22 mars 2024, et l’affaire a été mise au rôle pour une audience d’une journée complète devant moi à cette date.

[20] Le 7 mars 2024, j’ai convoqué une conférence de gestion de l’instance pour discuter du calendrier de livraison du dossier de réponse à la demande des défenderesses. Au cours de cette conférence de gestion de l’instance, les défenderesses ont soulevé, pour la première fois, auprès de la Cour, la nécessité de présenter une requête relative au refus de répondre à des questions par suite des contre‑interrogatoires des deux déclarants du demandeur. J’ai établi un calendrier pour la livraison des documents relatifs à la requête (sous forme de tableau) afin de permettre que soit entendue rapidement la requête relative aux refus de répondre à des questions et j’ai mis en garde les parties contre le fait de demander à la Cour de se prononcer sur des questions inutiles, sur le refus de répondre aux questions pertinentes et sur le défaut de répondre aux questions sous réserve d’une opposition, conformément au paragraphe 95(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles).

[21] Le 15 mars 2024, j’ai rendu une ordonnance rejetant l’intégralité de la requête relative au refus de répondre à des questions des défenderesses et obligeant celles‑ci à payer des dépens majorés au montant de 22 000 $ (1 000 $ par requête relative au refus) au motif que la requête n’aurait jamais dû être présentée.

[22] À la fin de la journée du vendredi 15 mars 2024, les défenderesses ont signifié et déposé une lettre demandant la tenue d’une conférence urgente de gestion de l’instance au cours de la fin de semaine ou au plus tard le lundi 18 mars 2024 pour, entre autres choses, discuter de la demande d’autorisation de la Cour pour déposer un affidavit supplémentaire d’une personne qui n’a pas été identifiée.

[23] Le 16 mars 2024, j’ai émis la directive suivante :

[traduction]

La Cour a reçu la lettre des défenderesses datée de ce jour et demandant la tenue d’une conférence urgente de gestion de l’instance au cours de la fin de semaine ou lundi. La demande repose sur le fait que les défenderesses souhaitent discuter « entre autres choses » de la demande d’autorisation présentée au titre du paragraphe 84(2) des Règles pour déposer un affidavit supplémentaire en réponse à la demande, qui doit être entendue le 22 mars 2024.

La Cour n’accueillera pas la demande des défenderesses de tenir une conférence urgente de gestion de l’instance avant que ces dernières ; a) fournissent un ordre du jour décrivant en détail toutes les questions qu’elles souhaitent aborder à la conférence de gestion de l’instance, ainsi que des renseignements détaillés sur leur position concernant chacune des questions; b) signifient et déposent l’affidavit proposé (il n’est pas nécessaire qu’il soit fait sous serment ou par déclaration solennelle); et c) vérifient la disponibilité de l’avocat du demandeur, et qu’elles fournissent, conjointement, des dates et des heures pour la tenue d’une conférence de gestion de l’instance.

Dans la mesure où la Cour peut être disposée à entendre une autre requête dans la présente affaire, une telle requête devra être présentée et entendue à brève échéance afin de conserver la même date d’audience.

[24] La Cour n’a reçu aucune réponse à la directive au cours de la fin de semaine ou avant la fin de la journée du lundi 18 mars 2024. Les défenderesses ont plutôt signifié et déposé leur dossier de réponse à la demande.

[25] Toutefois, le mardi 19 mars 2024, la Cour a reçu une lettre urgente des défenderesses demandant la tenue d’une conférence de gestion de l’instance afin d’aborder, entre autres choses, l’autorisation de déposer l’affidavit de M. Grater, qui était joint à la lettre. L’affidavit de M. Grater énonce, dans son ensemble, ce qui suit :

[traduction]

[1] Je suis le chef des finances de Medallion Properties Inc. (« Medallion »), dont le siège social est situé au 970, avenue Lawrence Ouest, bureau 304, à Toronto (Ontario) M6A 3B6 (« 304‑970, avenue Lawrence Ouest »). Il s’agit également de l’adresse commerciale pour chacune des défenderesses.

[2] En raison de mon poste de chef des finances de Medallion, je suis au courant des opérations d’entreprise effectuées par des sociétés liées à Medallion, y compris l’achat des actions d’Asden Holdings Inc. et de Bleeman Holdings Limited qui a eu lieu le 1er janvier 2019.

[3] Par conséquent, je suis personnellement au courant des questions figurant dans le présent affidavit, à l’exception de celles qui, ainsi qu’il est déclaré, reposent sur des renseignements et des croyances, et lorsque de tels faits et questions sont tenus pour véridiques, je les considère comme étant vrais.

[4] Dans des lettres datées du 4 novembre et du 5 décembre 2022 et envoyées aux défenderesses au 304‑970, avenue Lawrence Ouest, l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») a demandé aux défenderesses :

a) de fournir le rapport d’évaluation relatif à l’achat des actions d’Asden Holdings Inc. et de Bleeman Holdings Limited effectué le 1er janvier 2019 ou, si aucun rapport n’a été produit, les documents attestant la juste valeur marchande du bien transféré (la « demande no 1 »);

b) de fournir toute note de service de planification fiscale et les documents connexes, c.‑à‑d. le plan de clôture (« demande no 2 »);

c) de fournir la présentation de l’opération faite au contribuable (« demande no 3 »).

[5] En ce qui concerne la demande no 1, aucun rapport d’évaluation n’a été produit ni d’autres documents attestant la juste valeur marchande du bien transféré, comme il est décrit.

[6] En ce qui concerne la demande no 2, une note de service datée du 6 juillet 2017 a été préparée par Dentons Canada S.E.N.C.R.L. à l’intention de Shifra Hofstedter, et elle est protégée par le privilège des communications entre le client et l’avocat.

[7] En ce qui concerne la demande no 3, aucune présentation de l’opération n’a été faite aux défenderesses.

[8] Le 16 février 2024, j’ai écrit à MM. Ian Charpentier et François Cloutier, de l’ARC, au sujet des demandes énoncées ci‑dessus. J’ai également envoyé ma lettre à M. Aaron Tallon, avocat du demandeur. Jointe à mon affidavit, à titre de pièce « A », vous trouverez une copie certifiée conforme de ma lettre datée du 16 février 2024. À ce jour, l’ARC n’a pas répondu à ma lettre.

[9] Je souscris cet affidavit conformément aux Règles des Cours fédérales DORS/98‑106, telles que modifiées, et à l’appui de la réponse des défenderesses à la présente demande, et ne vise aucune autre fin ou fin illégitime.

[26] Une longue conférence de gestion de l’instance a eu lieu le 19 mars 2024 en après‑midi, au cours de laquelle le demandeur a confirmé qu’il s’opposait à la requête. Après avoir entendu les parties, j’ai ordonné que les documents relatifs à la requête soient déposés à brève échéance pour tenir l’audition d’une requête en autorisation de déposer l’affidavit de M. Grater et que la requête soit entendue le 22 mars 2024, afin de ne pas perdre le temps d’audience qui avait déjà été prévu pour l’audition de l’affaire. L’audition de la demande sous‑jacente a été ajournée.

[27] Les défenderesses ont remis leur dossier de requête le 20 mars 2024. Il comprenait un autre affidavit souscrit par M. Grater à l’appui de la requête.

[28] Le 21 mars 2024, le demandeur a contre‑interrogé M. Grater sur son affidavit à l’appui de la requête, puis, plus tard dans l’après‑midi, le demandeur a signifié et déposé son dossier de réponse à la requête.

II. Question préliminaire

[29] Comme ce fut le cas pour tous les autres contre‑interrogatoires qui ont été menés dans cette affaire, le contre‑interrogatoire de M. Grater sur son affidavit à l’appui de la présente requête a été litigieux. Chacune des parties se plaint de la conduite de l’autre et l’une et l’autre demande à la Cour de tirer des conclusions découlant d’une telle conduite, soit en ce qui concerne le bien‑fondé de la requête, soit en ce qui concerne les dépens devant être adjugés dans le cadre de la présente requête.

[30] En ce qui concerne le contre‑interrogatoire lui‑même, je conclus que l’avocat des défenderesses a entravé le contre‑interrogatoire en soulevant des objections à l’égard de questions appropriées posées quant à la question de savoir si M. Grater avait rédigé la lettre de M. Grater (après avoir déclaré qu’il lui avait été demandé de signer la lettre de M. Grater) et si M. Grater avait eu une discussion avec M. Belz au sujet des questions soulevées dans la demande sous‑jacente.

[31] De plus, l’avocat des défenderesses a refusé de laisser M. Grater répondre à des questions sur la date à laquelle l’avocat des défenderesses a communiqué, pour la première fois, avec lui à propos de la présente demande ou sur d’autres communications avec l’avocat des défenderesses au sujet de la possibilité de témoigner dans le cadre de la présente instance, au motif que leurs communications étaient protégées par le secret professionnel de l’avocat ou par une autre forme de secret professionnel non identifié. Après avoir exprimé ce refus, l’avocat des défenderesses a ensuite refusé de permettre que soit posée toute question concernant le moment où le mandat de représentation en justice a commencé et à quel titre les défenderesses ont retenu les services de l’avocat des défenderesses. Il a été refusé de répondre à toutes ces questions eu égard aux paragraphes 13 et 14 des observations écrites des défenderesses à l’appui de la présente requête, et qui faisaient expressément référence à des communications entre l’avocat des défenderesses et M. Grater relativement à la présente instance.

[32] En ce qui concerne le réinterrogatoire, ce dernier vise, en grande partie, à donner des précisions et des explications. Le réinterrogatoire d’un affidavit doit se limiter à traiter ou à expliquer des questions qui ont été soulevées en contre‑interrogatoire, et ne peut servir d’excuse pour présenter des éléments de preuve qui auraient dû figurer dans l’affidavit (voir Monarch Marketing Systems, Inc c Glenwood Label & Box MFG Ltd, [1988] ACF n1206, 20 CIPR 99; R v Candir, 2009 ONCA 915 au para 148).

[33] Je conclus qu’il était inapproprié pour le demandeur d’empêcher les défenderesses d’interroger M. Grater sur l’avis de demande au cours du réinterrogatoire. Le demandeur avait contre‑interrogé M. Grater à propos de la question de savoir s’il était au courant des questions en litige énoncées dans la demande sous‑jacente. M. Grater a répondu : [TRADUCTION] « Franchement, il y a tellement de questions en litige que je dois voir celle dont il s’agit pour savoir exactement laquelle c’est et m’en rappeler. » Et il a confirmé qu’à ce moment‑là, il n’était pas en mesure de dire à l’avocat quelles étaient les questions en litige. Lorsqu’il lui a été demandé s’il avait lu le dossier de demande présenté par le demandeur, M. Grater a répondu qu’il était sûr de l’avoir lu, mais qu’il ne se souvenait pas de quand il l’avait lu et a répondu [TRADUCTION] « S’il m’était possible de voir le document, je pourrais vous le dire. »

[34] Lors du réinterrogatoire, l’avocat des défenderesses a présenté l’avis de demande à M. Grater et a tenté de lui poser des questions sur sa compréhension des questions en litige qui sont énoncées dans divers paragraphes de celui‑ci. Le demandeur s’est opposé à la série de questions et a refusé de permettre à M. Grater de répondre à la majorité des questions posées par l’avocat des défenderesses. Comme le demandeur avait demandé à M. Grater s’il était au courant des questions en litige contenues dans la demande sous‑jacente et que M. Grater avait déclaré qu’il lui faudrait voir le dossier de demande, je conclus que les questions posées par l’avocat des défenderesses au sujet de la compréhension qu’avait M. Grater des questions en litige constituaient des questions qui pouvaient être posées en réinterrogatoire.

[35] Toutefois, la série de questions de l’avocat des défenderesses est immédiatement devenue inappropriée lorsqu’il a posé un certain nombre de questions à M. Grater sur sa connaissance des faits liés aux questions en litige qui ont été soulevées dans la demande sous‑jacente. La connaissance qu’a M. Grater des faits, par opposition à sa connaissance des questions en litige elles‑mêmes, est une question qui n’a pas été posée pendant le contre‑interrogatoire. Malgré les objections du demandeur, l’avocat des défenderesses a ensuite tenté d’examiner avec M. Grater des éléments de preuve supplémentaires portant sur l’existence de documents pertinents qui ne figurent ni dans son affidavit ni dans tout autre affidavit présenté à la Cour en ce qui concerne la demande sous‑jacente. Je conclus que cette série de questions constituait un abus de procédure qui visait à compléter indûment le dossier de la preuve au mépris flagrant des règles de preuve et des Règles des Cours fédérales. L’ensemble des questions ne pouvant pas être posées en réinterrogatoire est donc radié.

III. Questions en litige

[36] Les questions devant être tranchées dans la présente requête sont les suivantes :

  1. la question de savoir si les défenderesses devraient obtenir l’autorisation de déposer l’affidavit de M. Grater;

  2. la question de savoir s’il y a lieu d’adjuger des dépens dans le cadre de la présente requête et, le cas échéant, à qui ils doivent être adjugés et quel doit en être le montant.

IV. Analyse

A. Principes juridiques applicables

[37] Le paragraphe 84(2) des Règles énonce que [l]a partie qui a contre‑interrogé l’auteur d’un affidavit déposé dans le cadre d’une requête ou d’une demande ne peut par la suite déposer un affidavit dans le cadre de celle‑ci, sauf avec le consentement des autres parties ou l’autorisation de la Cour.

[38] Puisque les demandes sont des procédures sommaires dont la décision ne devrait pas souffrir de retard injustifié, le pouvoir discrétionnaire de la Cour de permettre le dépôt de documents additionnels devrait être exercé avec une grande circonspection : Mazhero c Canada (Conseil canadien des relations industrielles), 2002 CAF 295 au paragraphe 5.

[39] La Cour doit tenir compte des facteurs suivants, et les soupeser, pour déterminer s’il y a lieu d’accorder l’autorisation : i) la pertinence de la preuve proposée; ii) si la preuve proposée était disponible ou si elle aurait pu être considérée comme pertinente avant le contre‑interrogatoire; iii) l’absence de préjudice causé à la partie adverse; iv) si la preuve proposée aide la Cour à rendre sa décision définitive; et v) si la preuve proposée sert les intérêts de la justice [voir Janssen‑Ortho Inc c Canada (Santé), 2009 CF 1179 au para 9; Pfizer Canada Inc c Rhoxalpharma Inc, 2004 CF 1685 au para 16; Havi Global Solutions LLC c IS Container PTE Ltd, 2020 CF 803 aux para 6 et 33, 39 et 40 [décision Havi] NOCO Company, Inc c Guangzhou Unique Electronics Co, Ltd, 2023 CF 208 au para 59].

[40] Les facteurs énoncés ci‑dessus ne sont pas des conditions distinctes et obligatoires. Ce sont plutôt des facteurs à considérer et à soupeser lorsque la Cour doit décider s’il convient ou non d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder l’autorisation demandée. L’absence d’un des facteurs n’est pas nécessairement fatale à la demande de redressement, et aucun facteur individuel n’est déterminant [voir la décision Havi, précitée, au para 58]. Chaque affaire comporte une appréciation différente selon les faits portés à la Cour [voir Campbell c Élections Canada, 2008 CF 1080 aux para 25 à 27].

[41] En ce qui concerne le deuxième facteur, il faut rappeler que le paragraphe 84(2) des Règles ne vise pas à autoriser une partie à scinder sa preuve. Une partie est tenue de présenter la meilleure preuve le plus tôt possible [voir Rosenstein c Atlantic Engraving Ltd, 2002 CAF 503 au para 9 [arrêt Rosenstein]]. L’affidavit supplémentaire demandé à être déposé ne doit pas porter sur des éléments de preuve qui auraient pu être communiqués au moment du dépôt des premiers affidavits, sauf si l’on ne pouvait prévoir à l’époque qu’ils deviendraient pertinents par la suite [voir Pfizer Canada Inc c Canada (Santé), 2006 CF 984 aux para 21 et 22].

B. La demande d’autorisation de déposer l’affidavit est rejetée

[42] Les défenderesses affirment que l’autorisation devrait être accordée en vue de leur permettre de s’appuyer sur l’affidavit de M. Grater, car la demande satisfait à tous les facteurs que la Cour doit prendre en considération.

[43] Les observations des défenderesses lors de l’audition de la requête portaient principalement sur leur explication quant à la raison pour laquelle l’affidavit de M. Grater n’était présenté qu’à cette étape de l’instance. Les défenderesses affirment que le demandeur a adopté, de façon inattendue, une nouvelle position lors du contre‑interrogatoire de M. Belz — celle selon laquelle c’est M. Grater qui était au courant des opérations pertinentes par opposition à M. Belz, à qui les demandes de production de documents avaient été envoyées. La nouvelle position adoptée par le demandeur n’avait jamais été communiquée auparavant par ce dernier. De plus, il n’est fait aucune mention à l’affidavit de M. Grater dans le dossier de demande du demandeur.

[44] Les défenderesses soutiennent que le demandeur ne fait pas preuve de transparence envers la Cour, car les documents du demandeur ne font aucunement mention que le demandeur admet avoir effectivement reçu une réponse de la part des défenderesses selon laquelle les documents faisant l’objet des demandes nos 1 et 3 n’existent pas, et que les documents faisant l’objet de la demande no 2 sont protégés par le secret professionnel de l’avocat. En allant de l’avant avec la demande sous‑jacente après avoir reçu les réponses des défenderesses, ces dernières affirment que le demandeur a « changé les conditions ». Maintenant, les défenderesses soutiennent que le demandeur affirme ne pas être satisfait des réponses des défenderesses, et demande à un tiers qui, selon lui, a une meilleure connaissance directe des documents faisant l’objet de la demande, à savoir M. Grater. C’est pour ces motifs que les défenderesses demandent maintenant à pouvoir s’appuyer sur l’affidavit de M. Grater.

[45] Les défenderesses affirment en outre dans leurs observations écrites que, pour une raison inconnue, lors du contre‑interrogatoire de M. Charpentier, l’avocat du demandeur a déclaré qu’il ignorait qui était M. Grater et la façon dont son témoignage pourrait être pertinent, ce qui a semé la confusion chez les défenderesses, car M. Grater avait été mentionné au cours du contre‑interrogatoire de M. Belz. Toutefois, à l’audition de la présente requête, l’avocat des défenderesses a concédé qu’un autre avocat représentait le demandeur lors du contre‑interrogatoire de M. Charpentier que celui qui avait mené le contre‑interrogatoire de M. Belz, et que cela pourrait expliquer pourquoi il n’était pas au courant en ce qui concernait M. Grater.

[46] Les défenderesses affirment qu’elles [TRADUCTION] « n’auraient pas pu raisonnablement prévoir que le statut de M. Belz pourrait devenir un point litigieux dans le cadre de la présente demande ou que le demandeur adopterait la position selon laquelle M. Grater est le déclarant étant le plus au courant des faits tout en rejetant ce fait ». Par conséquent, les défenderesses affirment qu’elles ont démontré qu’elles ne pouvaient pas prévoir avant la tenue des contre‑interrogatoires que l’affidavit de M. Grater serait pertinent.

[47] Je conclus que l’explication donnée par les défenderesses quant au motif pour lequel elles ne demandent que maintenant à présenter l’affidavit de M. Grater est fallacieuse. Cela ne devrait pas semer la confusion chez les défenderesses ni les surprendre que le demandeur cherche à « vérifier » les connaissances personnelles de M. Belz lors d’un contre‑interrogatoire. L’avocat des défenderesses, qui est un plaideur expérimenté, sait que le paragraphe 81(1) des Règles prévoit que les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui. Le paragraphe 81(2) des Règles prévoit que, lorsqu’un affidavit contient des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant, le fait de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels peut donner lieu à des conclusions défavorables. L’affidavit de M. Belz énonçait clairement que, en ce qui concerne les documents faisant l’objet des demandes nos 2 et 3, son témoignage était [TRADUCTION] « au meilleur de [sa] connaissance » et ne fournissait aucun détail sur le fondement de ses connaissances.

[48] Les défenderesses se sont opposées à cette demande principalement au motif que les documents pertinents n’existent pas, ou qu’ils sont protégés par le secret professionnel de l’avocat. Les éléments de preuve devant être présentés à l’appui du fait que les documents n’existent pas, et pour établir leur revendication du secret professionnel de l’avocat, relèvent entièrement de la connaissance des défenderesses et sont sous leur contrôle, notamment en ce qui concerne le déclarant auprès duquel ces éléments de preuve sont obtenus. Les défenderesses ont fait le choix tactique de déposer des éléments de preuve obtenus auprès de M. Belz plutôt qu’auprès d’un actionnaire, d’un administrateur ou d’un dirigeant des défenderesses, de M. Grater ou de toute autre personne ayant une connaissance personnelle de ces questions.

[49] L’affirmation selon laquelle les défenderesses ont été « dupées » par le demandeur afin qu’elles choisissent M. Belz comme leur déclarant n’est pas fondée. Je n’accepte pas l’affirmation selon laquelle le demandeur a « modifié les conditions ». L’avis de demande, les affidavits à l’appui et les observations écrites du demandeur relativement à la demande sous‑jacente montrent clairement que le fondement de la demande d’ordonnance d’exécution est que les défenderesses n’ont pas fourni les documents requis qui manquaient. Ces faits sont tout à fait exacts, et les défenderesses ont admis qu’ils l’étaient. Bien que les défenderesses reprochent au demandeur de ne pas avoir inclus dans ses documents de demande une lettre de l’avocat des défenderesses et datée du 5 septembre 2023 affirmant que les documents n’existaient pas ou qu’ils étaient protégés par le secret professionnel de l’avocat, cette lettre portait la mention « sous toutes réserves » et je ne reprocherai donc pas au demandeur de ne pas en avoir fait mention dans ses documents. De plus, la présente demande n’a pas été faite ex parte. Elle a été présentée dans un contexte contradictoire, les défenderesses ayant le droit et la capacité de présenter leurs éléments de preuve à l’encontre de la demande présentée à la Cour, ce qu’elles ont fait [voir Roofmart Ontario Inc c Canada (Revenu national), 2020 CAF 85 aux para 49 à 53].

[50] Il ne s’agit pas d’une affaire où une nouvelle question a été soulevée en contre‑interrogatoire et qui n’aurait pas pu être raisonnablement prévisible. La question de savoir si les documents existent ou s’ils sont protégés par le secret professionnel de l’avocat constitue une question en litige entre les parties depuis au moins septembre 2023, et elle a été abordée, de façon claire, dans l’affidavit de M. Belz. Les défenderesses essaient simplement d’enrichir leur dossier par des éléments de preuve visant à corriger ce que le demandeur affirme être des faiblesses dans le témoignage de M. Belz, et je conclus qu’elles n’ont fourni aucune justification adéquate pour laquelle elles l’ont fait [voir Blank c Canada (Justice), 2015 CF 956 au para 33]. Je rejette donc l’affirmation selon laquelle la pertinence de l’affidavit de M. Grater n’aurait pas pu être prévue au moment où les défenderesses ont déposé leurs éléments de preuve dans le cadre de la demande sous‑jacente.

[51] Malgré les arguments des défenderesses selon lesquels le demandeur [traduction] « a changé les conditions » et que c’est pour cette raison qu’elles demandent uniquement maintenant à déposer l’affidavit de M. Grater, les défenderesses ont également produit, à une date ultérieure, des éléments de preuve afin de tenter de démontrer que M. Grater était trop malade pour produire un affidavit. Toutefois, je ne suis pas convaincue que les éléments de preuve présentés par les défenderesses démontrent que c’était le cas. Plus particulièrement, l’affidavit de M. Grater relatif à la requête ne précise pas quand les défenderesses ont communiqué avec lui, pour la première fois, au sujet de son témoignage proposé et s’il était disponible du 22 janvier 2024 au 2 février 2024, soit la période visée au cours de laquelle les affidavits ont été signifiés et pendant laquelle M. Belz a été contre‑interrogé.

[52] De plus, la jurisprudence énonce clairement que l’affidavit supplémentaire demandé à être déposé ne doit pas porter sur des éléments de preuve qui auraient pu être communiqués au moment du dépôt des premiers affidavits. Le fait que, selon les défenderesses, les éléments de preuve qu’elles souhaitent déposer provenant de M. Grater ne sont [traduction] « pas de nouveaux éléments de preuve », qu’il s’agit plutôt des mêmes éléments de preuve que ceux fournis par M. Belz, mais qui proviennent maintenant d’une autre source. Donc, en acceptant d’emblée l’observation des défenderesses selon laquelle ces éléments de preuve ont déjà été présentés à la Cour, je dois me demander comment l’affidavit de M. Grater pourrait lui être utile.

[53] À cet égard, je me pencherai maintenant sur la question de savoir si les éléments de preuve proposés aident la Cour à rendre sa décision définitive. Je commencerais par souligner que la prétention des défenderesses selon laquelle l’affidavit de M. Grater est utile à la Cour va à l’encontre de leurs observations qui figurent dans la demande sous‑jacente, et dans laquelle les défenderesses affirment que (avant de présenter l’affidavit de M. Grater) elles ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour établir que les documents n’existaient pas, et pour invoquer le secret professionnel de l’avocat. Plus précisément :

[traduction]

[57] Les défenderesses soutiennent que la prépondérance de la preuve dont la Cour est saisie démontre que les rapports d’évaluation ou les documents décrits dans la demande no 1 n’existent pas. Comme il n’est sans doute pas possible de prouver avec certitude qu’un article n’existe pas, les défenderesses ont fait tout ce que nous pouvions raisonnablement nous attendre pour démontrer que les éléments demandés dans la demande no 1 n’existent pas.

[58] Le demandeur n’a produit aucun élément de preuve en vue de réfuter les faits énoncés ci‑dessus. Au mieux, la Couronne a tenté de faire croire, au cours du contre‑interrogatoire de M. Belz, que ce dernier ne pouvait pas avoir une connaissance personnelle de la question quant à savoir si les documents faisant l’objet de la demande no 1 existaient ou non, et qu’il avait dû consulter M. Grater pour obtenir ces renseignements. Toutefois, la position de la Couronne est indéfendable puisque les exigences ont été envoyées à M. Belz, et qu’il a fourni la plupart des réponses. M. Belz a également pris les mesures et a fait les demandes de renseignements nécessaires pour s’assurer qu’il était bien informé et qu’il était en mesure de fournir les réponses énoncées dans son affidavit.

[…]

[59] En ce qui concerne la demande no 2, les défenderesses soutiennent qu’elles ont démontré, de façon suffisante, que les documents qui y sont demandés étaient protégés par le privilège des communications entre le client et l’avocat. Ce fait a été établi dans l’affidavit et le contre‑interrogatoire de M. Belz, dans la lettre des défenderesses datée du 5 septembre et dans la lettre de M. Grater.

[…]

[61] En ce qui concerne la demande no 3, l’affidavit de M. Belz atteste qu’aucune présentation du transfert d’actions effectué en 2019 n’a été faite au contribuable. Cela a également été confirmé dans la lettre des défenderesses du 5 septembre et dans la lettre de M. Grater.

[62] Par conséquent, les défenderesses soutiennent qu’elles ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour démontrer qu’aucune présentation n’a été faite, comme il est il décrit dans la demande no 3.

[Notes de bas de page omises, non souligné dans l’original.]

[54] Dans la présente requête, les défenderesses affirment également que le fait d’autoriser la production de l’affidavit de M. Grater [traduction] « ne fera que contribuer à l’élaboration d’un dossier plus complet et plus précis qui aidera la Cour à rendre la bonne décision relativement à la présente demande ». Je rejette cette affirmation. Je tiens à souligner qu’un argument semblable a été rejeté par le juge Perell dans l’affaire Shah c LG Chem, Ltd., 2015 ONSC 776, où il a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

[38] Comme il a été mentionné précédemment, toutefois, les demandeurs soutiennent qu’il est dans l’intérêt de la justice d’accorder l’autorisation parce que le tribunal lui‑même serait lésé par l’absence d’éléments de preuve supplémentaires, car il lui manquerait des renseignements importants qui sont pertinents à l’analyse de la compétence.

[39] Toutefois, dans le contexte d’un système de justice contradictoire, où il existe des règles de procédure civile et des règles de preuve, je ne vois pas comment nous pouvons dire que le tribunal subit un préjudice s’il applique les règles de procédure civile et les règles établies en matière de preuve.

[40] Je ne peux pas faire de commentaires sur le système inquisitoire, parce que les tribunaux de l’Ontario mènent leurs activités en fonction du système accusatoire et selon ce système, avec des règles de participation qui comprennent les règles de procédure civile et les règles établies en matière de preuve, les parties adverses ont beaucoup de contrôle sur les éléments de preuve, et les juges se voient souvent refuser des renseignements importants et qui pourraient être pertinents pour rendre une décision, ou des renseignements qu’un juge souhaiterait connaître pour satisfaire sa curiosité. Ce refus de fournir des renseignements n’équivaut pas à causer un préjudice au tribunal. Quoi qu’il en soit, les litiges dans le cadre d’un système accusatoire ne portent pas sur l’intérêt ou la curiosité du tribunal; l’administration de la justice porte sur les droits procéduraux et fondamentaux des parties, et non pas sur le droit du tribunal de disposer de renseignements pour trancher des affaires.

[55] Je souscris au raisonnement du juge Perell.

[56] De plus, je ne suis pas convaincue que l’affidavit de M. Grater m’aiderait, en fait, à rendre une décision concernant la demande sous‑jacente. M. Grater n’est ni dirigeant, ni administrateur, ni actionnaire de l’une ou l’autre des défenderesses. Le fondement de sa connaissance personnelle de l’existence de documents pertinents et de la revendication du secret professionnel de l’avocat n’est pas établi dans son affidavit. La relation entre les défenderesses et Medallion Properties Inc. n’est pas clairement établie dans son affidavit et, malgré l’exhortation des défenderesses, le fait qu’elles partagent une adresse de bureau n’aide aucunement à démontrer qu’il avait une connaissance personnelle des faits. Il n’atteste pas qu’il a eu accès aux livres et aux registres des défenderesses, qu’il a effectué des recherches dans les livres et les registres ou qu’il a fait des demandes de renseignements relativement à l’existence de documents pertinents.

[57] En ce qui concerne les documents sur lesquels le secret professionnel de l’avocat est invoqué, je ne sais pas exactement comment il aurait pu savoir que le secret professionnel avait été invoqué, sauf s’il avait été renoncé au secret professionnel de l’avocat et qu’il avait eu accès aux documents. Outre l’identification de l’un des deux documents sur lesquels le secret professionnel de l’avocat a été invoqué, son témoignage est identique à celui de M. Belz et ne fournit donc aucun élément nouveau qui aiderait la Cour à déterminer si les défenderesses ont établi qu’il existe une revendication de privilège.

[58] Les défenderesses soutiennent que l’affidavit de M. Grater est clairement pertinent et probant. J’admets que le témoignage de M. Grater est, à première vue, pertinent quant à l’existence des documents pertinents et à l’invocation du secret professionnel de l’avocat par les défenderesses, mais, pour les motifs énoncés ci‑dessus, je conclus que son témoignage manque de valeur probante.

[59] En ce qui concerne la question du préjudice, les défenderesses affirment que le demandeur ne subira aucun préjudice ou que, subsidiairement, tout préjudice qu’il subirait pourrait être indemnisé au moyen de l’adjudication de dépens. Je conviens avec les défenderesses que les coûts associés au contre‑interrogatoire de M. Grater relativement à son affidavit, la nécessité de déposer tout élément de preuve constituant une réponse et la nécessité de déposer des observations écrites supplémentaires sont tous des préjudices liés à l’octroi du redressement demandé qui pourraient faire l’objet d’une indemnisation par adjudication de dépens (même si les défenderesses affirment qu’aucuns dépens ne devraient être payés).

[60] Toutefois, le demandeur affirme qu’il subirait d’autres préjudices. Plus précisément, le demandeur affirme que la conduite obstructive des défenderesses lors du contre‑interrogatoire de M. Grater porte préjudice à l’audition équitable de la demande. Bien que je ne sois pas d’accord avec les déclarations faites par le demandeur concernant le témoignage de M. Grater et son comportement lors de son contre‑interrogatoire, je conviens que l’avocat des défenderesses a entravé le contre‑interrogatoire, comme il est expliqué ci‑dessus. Ce comportement était conforme à la conduite de l’avocat des défenderesses lors des contre‑interrogatoires antérieurs, que le juge McHaffie, et moi‑même, avons jugé être inappropriée, abusive et qu’elle manquait de civilité. Mon examen de la transcription du contre‑interrogatoire de M. Belz révèle également que l’avocat des défenderesses a fait preuve d’une conduite obstructive pendant l’interrogatoire visant à déterminer l’étendue de la connaissance personnelle de M. Belz en ce qui concerne les questions abordées dans son affidavit.

[61] Si la Cour autorisait le dépôt de l’affidavit de M. Grater, j’ai toutes les raisons de croire que les défenderesses entraveraient la capacité du demandeur de mener un contre‑interrogatoire équitable, ce qui porterait au demandeur un préjudice qui ne peut être indemnisé par l’adjudication de dépens. Bien que le demandeur ait invoqué d’autres motifs de préjudice, je n’ai pas à les prendre en considération à la lumière de cette conclusion.

[62] En ce qui concerne l’intérêt de la justice, les articles des Règles portant sur la présentation d’éléments de preuve dans le cadre d’une demande sont conçus pour réglementer de façon équitable le processus de collecte d’éléments de preuve pour les demandes et pour y mettre fin. L’article 84 des Règles ne vise pas à permettre aux défenderesses de « repartir à zéro », et à servir de mécanisme pour corriger les lacunes invoquées dans leurs éléments de preuve. Je conclus que c’est ce que les défenderesses tentent de faire d’une façon inappropriée. Il s’agit du type de tactique inacceptable à propos duquel la Cour d’appel fédérale a déclaré que les tribunaux ne pouvaient pas tolérer [voir Amgen Canada Inc c Apotex Inc, 2016 CAF 121 au para 24].

[63] De plus, contrairement à ce qu’ont affirmé, à maintes reprises, des défenderesses au cours de l’audience, soit que l’affidavit de M. Grater ne constituait pas un nouvel élément de preuve, cette affirmation est tout simplement erronée. L’affidavit de M. Grater énonce qu’en ce qui concerne la demande no 1, il n’existe aucun autre document attestant la JVM du bien transféré. Ces éléments de preuve ne figuraient pas dans l’affidavit de M. Belz. En dépit du fait que le demandeur a soulevé, au cours de l’audience, le fait que l’affidavit de M. Grater contenait de nouveaux éléments de preuve, les défenderesses n’ont formulé aucun commentaire et n’ont fourni à la Cour aucune observation sur les motifs pour lesquels le dépôt de ces éléments de preuve devrait être autorisé. Je conclus que l’inclusion de cet élément de preuve constitue une tentative claire de la part des défenderesses de remédier indûment à une lacune dans leur dossier de la preuve.

[64] Après avoir examiné et soupesé les divers facteurs, je ne suis pas convaincue que les défenderesses aient démontré que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et leur accorder l’autorisation de déposer l’affidavit de M. Grater. Par conséquent, la requête sera rejetée.

V. Dépens

[65] Conformément à l’article 401 des Règles, la Cour peut adjuger les dépens afférents à une requête selon le montant qu’elle fixe et, si elle est convaincue qu’une requête n’aurait pas dû être présentée ou contestée, elle ordonne que les dépens afférents à la requête soient payés sans délai.

[66] Lors de l’audition de la requête (avant que les parties sachent si le redressement demandé serait accordé), les défenderesses ont affirmé qu’elles devraient recevoir un montant plus élevé au titre des dépens au motif que : a) la présente requête n’aurait jamais dû faire l’objet d’une opposition de la part du demandeur; b) le demandeur a refusé une offre de règlement; c) le demandeur a harcelé et insulté M. Grater pendant son contre‑interrogatoire et devrait se voir imposé des sanctions pour cette inconduite; et d) la présente requête a nécessité la réalisation de beaucoup de travail dans un court délai. Conformément au niveau des dépens adjugés dans le cadre de la requête relative aux refus de répondre à des questions et compte tenu des facteurs mentionnés par les défenderesses, ces dernières ont affirmé qu’un montant approprié pour les dépens serait 44 000 $. Toutefois, si les défenderesses n’avaient pas gain de cause en ce qui concerne la requête, elles ont affirmé que les dépens afférents à la requête devraient simplement être des dépens qui suivent l’issue de la cause.

[67] À l’audition de la requête, le demandeur a affirmé qu’il devrait se voir adjuger les dépens afférents à la requête, quelle que soit l’issue de l’affaire, car il ne peut être blâmé pour le dépôt de la présente requête. Compte tenu de l’ampleur des efforts déployés pour répondre à la présente requête dans un court délai et de la nécessité de décourager la conduite des défenderesses, le demandeur a affirmé qu’il est justifié d’accroître le montant des dépens que les défenderesses devraient lui payer à 45 000 $.

[68] En ce qui concerne l’admissibilité, je ne vois aucune raison de m’écarter du principe général selon lequel la partie qui a gain de cause devrait recouvrer les dépens afférents à la requête. Contrairement à l’affirmation des défenderesses, je ne suis pas convaincue que la conduite du demandeur atteigne le niveau qui justifierait de le priver des dépens qui devraient lui être adjugés. Bien que la description faite par le demandeur après le fait du témoignage de M. Grater lors de son contre‑interrogatoire et de son comportement pendant celui‑ci ait été quelque peu incendiaire, j’estime que le demandeur n’a pas harcelé ou insulté M. Grater comme le prétendent les défenderesses. De plus, même si j’ai conclu que certaines des objections soulevées par le demandeur au cours du réinterrogatoire étaient inappropriées, je soupçonne que ses tentatives de mettre fin au réinterrogatoire étaient grandement motivées par les expériences qu’il a eues avec l’avocat des défenderesses, et ses tentatives de présenter des éléments de preuve inappropriés pendant le réinterrogatoire, situation qui s’est produite lors du réinterrogatoire de M. Belz, puis, immédiatement après les objections qu’il a soulevées, s’est produit lors du réinterrogatoire de M. Grater.

[69] Par conséquent, je conclus que le demandeur a droit à ses dépens relativement à la présente requête.

[70] En ce qui concerne le montant des dépens, il existe un certain consensus entre les parties. Les deux parties conviennent qu’une grande quantité de travail a été nécessaire, dans un très court laps de temps, pour traiter la présente requête et qu’il est justifié d’adjuger un montant plus élevé au titre des dépens. Les deux parties ont proposé que le montant approprié se situe entre 44 000 $ et 45 000 $.

[71] Étant donné l’affirmation des défenderesses selon laquelle la somme de 44 000 $ est un montant approprié à leur accorder au titre des dépens si elles ont gain de cause, je leur ai demandé à l’audience pourquoi ce montant ne serait pas également le montant approprié devant être accordé au demandeur s’il a gain de cause. Les défenderesses se sont opposées à une telle suggestion en raison de la conduite du demandeur, comme il est décrit au paragraphe 68 ci‑dessus. Je conclus que la position des défenderesses est sans fondement. Il était approprié pour le demandeur de s’opposer à la requête, il n’a pas harcelé ou insulté M. Grater pendant son contre‑interrogatoire, et aucune offre de règlement entraînant des conséquences sur les dépens n’a été faite. Lorsque j’ai demandé à l’avocat des défenderesses à l’audience quelle était l’offre à laquelle il faisait référence, il a déclaré qu’il s’agissait d’une offre par laquelle le demandeur consentait à accorder le redressement demandé. Une telle offre ne comporte aucun degré de compromis et ne peut donc constituer une offre valide de règlement dans le but d’entraîner des conséquences sur les dépens [voir Venngo Inc c Concierge Connection Inc (Perkopolis), 2017 CAF 96 au para 87].

[72] Lorsque les parties présentent des observations relatives à un montant raisonnable des dépens devant être payés à l’égard d’une affaire, elles doivent être prêtes à accepter que, selon les circonstances, le montant raisonnable devant lui être adjugé soit également un montant raisonnable qu’elle doit payer à l’autre partie. Tel est le cas en l’espèce, d’autant plus que : a) la tentative des défenderesses de blâmer le demandeur pour la nécessité de présenter la présente requête était fallacieuse; b) la requête des défenderesses n’aurait pas dû être présentée, car il s’agissait d’une tentative inacceptable d’obtenir un avantage tactique; c) les défenderesses ont mal décrit l’affidavit de M. Grater comme ne contenant aucun nouvel élément de preuve; d) les défenderesses ont continué d’adopter une conduite obstructive et inappropriée pendant le contre‑interrogatoire et le réinterrogatoire de leurs déclarants.

[73] Par conséquent, les défenderesses doivent payer au demandeur les dépens afférents à la présente requête au montant de 44 000 $, ce montant doit être payé sans délai et quelle que soit l’issue de l’affaire.

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La requête des défenderesses est rejetée.

  2. Les défenderesses paieront au demandeur les dépens afférents à la requête qui sont fixés à 44 000 $. Ils doivent être payés sans délai et quelle que soit l’issue de l’affaire.

 

« Mandy Aylen »

 

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc

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