Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Dossier : T-1560-23

Référence : 2024 CF 506

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 2 avril 2024

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

DAVID PELLETIER

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le gouvernement du Canada a instauré la Prestation canadienne de la relance économique [la PCRE] afin d’offrir un soutien du revenu aux personnes qui avaient perdu leur emploi pendant la pandémie de COVID-19, en adoptant la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2 [la LPCRE].

[2] Au titre de la LPCRE, les personnes qui avaient reçu des prestations d’assurance-emploi (AE) n’étaient pas admissibles à la PCRE, même si, dans sa version actuelle, la LPCRE prévoit une exception pour les personnes qui avaient reçu des prestations parentales ou de maternité : LPCRE, art 3(1)h).

[3] M. David Pelletier a reçu des prestations régulières d’AE du 1er mars 2020 au 14 novembre 2020. Il a présenté une demande de PCRE le 1er décembre 2020, après avoir reçu toutes les prestations d’AE auxquelles il avait droit. L’Agence du revenu du Canada [l’ARC] a versé la PCRE à M. Pelletier pour sept périodes de deux semaines s’échelonnant du 8 novembre 2020 au 13 février 2021, soit 1 000 $ pour chaque période de deux semaines.

[4] Dans la décision qu’il a rendue le 30 juin 2023 après un deuxième examen de l’admissibilité de M. Pelletier à la PCRE, un agent de l’ARC [l’agent] a conclu que ce dernier n’était pas admissible à la PCRE pour la première période de deux semaines, soit celle du 8 novembre 2020 au 21 novembre 2020 parce qu’il avait reçu des prestations d’AE du 8 novembre 2020 au 14 novembre 2020 [la décision]. L’ARC a demandé à M. Pelletier de rembourser la totalité de la somme de 1 000 $ qu’il avait reçue au titre de la PCRE pour la période de deux semaines en question. De plus, en raison du trop-payé, l’ARC a retenu les remboursements d’impôt et les crédits d’impôt auxquels M. Pelletier avait droit.

[5] M. Pelletier soutient devant la Cour que la décision découlant du deuxième examen n’est pas équitable sur le plan procédural et qu’elle est déraisonnable.

[6] Bien que je sois sensible à la situation dans laquelle se trouve M. Pelletier, je conclus que la décision est raisonnable et qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale.

II. Question en litige

[7] La principale question dont je suis saisie est celle de savoir si la décision est raisonnable.

[8] La norme de contrôle applicable aux motifs de l’agent quant à l’admissibilité du demandeur à la PCRE est celle de la décision raisonnable, conformément à ce qui est énoncé dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65. Voir aussi : Walker c Canada (Procureur général), 2022 CF 381 au para 15. En ce qui concerne la question de l’équité procédurale, aucune déférence n’est due au décideur : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54 et 56.

III. Analyse

[9] Tout d’abord, je tiens à mentionner que M. Pelletier est d’avis que le trop-payé a découlé d’un [traduction] « problème de communication » entre les programmes d’AE et de l’ARC. Cependant, je ne souscris pas à la thèse de M. Pelletier qui affirme qu’il n’y a pas eu de chevauchement des paiements puisque son premier versement de la PCRE a été déposé le 4 décembre 2020. Selon le mécanisme mis en place pour la PCRE, chaque versement couvrait les deux semaines précédentes, et ce, pendant la période préétablie par le gouvernement, conformément à ce qui est énoncé au paragraphe 4(1) de la LPCRE. M. Pelletier a peut-être reçu son premier versement de la PCRE le 4 décembre 2020, mais on ne peut conclure à l’absence de chevauchement entre ce versement et le dernier versement des prestations régulières d’AE qu’il a reçu.

[10] Je comprends toutefois la frustration de M. Pelletier d’avoir à rembourser la totalité du versement de 1 000 $ qu’il a reçu pour cette période de deux semaines, alors que les versements de l’AE et de la PCRE ne se sont chevauchés que pendant une semaine.

[11] En effet, la LPCRE, dans sa version actuelle, prévoit des situations comme celle de M. Pelletier, où il y a un chevauchement partiel entre les versements de l’AE et de la PCRE.

[12] Selon l’article 9.1 de la LPCRE, si la dernière semaine pour laquelle la personne a reçu les prestations d’AE est la première de la période de deux semaines de versements de la PCRE, « le ministre peut lui verser, pour la période de deux semaines, une prestation d’un montant de trois cents dollars ».

[13] Avant l’audience, j’ai demandé aux parties de me soumettre des observations écrites supplémentaires sur l’application de l’article 9.1 à la situation de M. Pelletier. J’ai reçu les observations des parties.

[14] Dans ses observations supplémentaires, le défendeur soutient que le défaut de l’ARC de prendre en considération l’article 9.1 de la LPCRE ne rend pas la décision déraisonnable puisque l’article 9.1 n’était pas en vigueur pendant la période en question. L’article 9.1 a été édicté le 29 juin 2021 et le législateur a décidé de l’appliquer de manière rétroactive, mais seulement à compter du 19 juin 2021 : Loi no 1d’exécution du budget de 2021, LC 2021, c 23 [la LEB], art 301.

[15] Après avoir pris connaissance de la modification législative pertinente, je suis d’accord avec le défendeur.

[16] L’article 9.1 découle d’une modification à la LPCRE par application de l’article 292 de la LEB ainsi que du Règlement modifiant la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique et le Règlement sur les prestations canadiennes de relance économique, DORS/2021-204.

[17] La justification de la modification a été énoncée dans la Gazette du Canada, Partie II, volume 155, numéro 18, et est rédigée en ces termes :

La LEB de 2021 a modifié la [LPCRE] pour permettre à certaines personnes qui recevaient des prestations en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi (Loi sur l’a.-e.) depuis le 27 septembre 2020 de recevoir également des prestations en vertu de la [LPCRE]. Lorsqu’une personne épuise ses prestations d’a.-e. au cours de la première semaine d’une période de prestations de deux semaines en vertu de la [LPCRE], elle peut avoir droit à un paiement de 300 $ pour la semaine d’interruption, équivalent à une semaine de prestations en vertu de la [LPCRE]. L’objectif du paiement pour la semaine d’interruption est de fournir un soutien du revenu supplémentaire aux personnes qui, autrement, auraient été admissibles à la PCRE (si elles n’avaient pas reçu de prestations d’a.-e. pendant une partie de la période de demande de la PCRE). Le paiement de 300 $ pour la semaine d’interruption est prescrit comme un revenu afin de s’assurer que les personnes ne peuvent pas recevoir la PCMRE ou la PCREPA pour la même semaine où elles ont reçu le paiement de 300 $.

[18] Malheureusement pour M. Pelletier, le législateur n’a pas jugé bon d’étendre le versement de la prestation de 300 $ à tous les bénéficiaires de la PCRE, mais seulement à ceux qui avaient reçu la PCRE avant le 19 juin 2021. M. Pelletier fait valoir que, puisque l’ARC a demandé le remboursement le 24 novembre 2022, la LPCRE dans sa version actuelle devrait s’appliquer. Il n’en demeure pas moins que l’article 9.1 ne s’applique pas à sa situation compte tenu du moment où la PCRE lui a été versée.

[19] Hormis l’application possible de l’article 9.1 à la situation de M. Pelletier, je ne vois aucun motif justifiant l’annulation de la décision. L’agent n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en concluant que la dernière semaine pour laquelle M. Pelletier a reçu des prestations d’AE a chevauché la première période de deux semaines pour laquelle la PCRE lui a été versée. Je ne suis également pas d’avis qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale puisque M. Pelletier a eu suffisamment d’occasions de faire valoir son point de vue et qu’il l’a fait au mieux de ses capacités. L’article 9.1 ne s’appliquant pas à la situation de M. Pelletier, le défaut de l’ARC d’en tenir compte n’équivaut pas à un manquement à l’équité procédurale.

[20] Le défendeur a d’abord demandé que les dépens lui soient adjugés. Il s’est toutefois ravisé dans ses observations supplémentaires. Je partage cet avis.

[21] Je refuse également d’accorder l’autre réparation demandée par M. Pelletier parce qu’elle excède la portée de la présente demande.

[22] À l’audience, l’avocat du défendeur a informé la Cour que l’ARC avait accordé à M. Pelletier un remboursement d’impôt de 300 $ compte tenu de sa situation financière. Il a également indiqué que l’ARC avait transféré dans le compte de M. Pelletier la somme de 193 $ au titre de l’Incitatif à agir pour le climat, somme qui pourrait lui être remboursée si aucune autre dette ne doit être acquittée. Dans des observations qu’il a soumises après l’audience, M. Pelletier confirme avoir reçu le remboursement d’impôt de 300 $, mais soutient qu’il y a d’autres erreurs de calcul dans son compte. Par ailleurs, j’encourage l’ARC à envisager de collaborer avec M. Pelletier pour trouver une façon de recouvrer le trop-payé sans aggraver davantage les difficultés financières de ce dernier.

IV. Conclusion

[23] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[24] Aucuns dépens ne sont adjugés.




 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.