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Date : 20240404


Dossier : IMM-5270-23

Référence : 2024 CF 512

Ottawa (Ontario), le 4 avril 2024

En présence de la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

SABRI BEN HARIZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Survol

[1] M. Sabri Ben Hariz, citoyen de la Tunisie, est interdit de territoire pour grande criminalité. Il a été expulsé du Canada en 2019 et vit depuis en France avec sa conjointe (à tout le moins au moment de la demande sous-jacente) qu’il a épousé en 2021 et qui a la double citoyenneté française et canadienne. Leur fille est née en France en mars 2021 et a également la double citoyenneté.

[2] Il a demandé au ministre la levée de son interdiction de territoire et une dispense de l’application des dispositions de la Loi sur l’immigration et de la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] relatives au parrainage d’un étranger et ce, pour des considérations d’ordre humanitaire.

[3] La déléguée du ministre a considéré l’argument du demandeur à l’effet que son épouse trouve difficile de vivre à l’extérieur du Canada et que sa fille sera séparée de l’un de ses parents si la demande est refusée. Toutefois, elle accorde davantage de poids au fait que la fille du demandeur est née en France et qu’elle y vit avec ses deux parents depuis sa naissance. Le demandeur n’explique pas en quoi une séparation serait inévitable autrement que suite à un choix de ses parents. Elle note également que le demandeur est détenteur d’une carte de séjour en France et qu’il y a effectué toutes les démarches d’intégration. Elle ne voit donc aucun empêchement pour la famille de demeurer en France jusqu’à ce que le demandeur ait obtenu, le cas échéant, la suspension de son casier judiciaire. La déléguée du ministre rejette donc la demande de dispense.

II. Questions en litige et norme de contrôle

  1. Quelles sont les obligations du ministre à l’égard d’une demande de dispense pour des considérations humanitaires présentées par un étranger se trouvant à l’extérieur du Canada?

  2. La déléguée du ministre a-t-elle erré dans son analyse du meilleur intérêt de l’enfant?

[4] La norme de contrôle applicable à une décision discrétionnaire prise en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65).

III. Analyse

A. Quelles sont les obligations du ministre à l’égard d’une demande de dispense pour des considérations humanitaires présentées par un étranger se trouvant à l’extérieur du Canada?

[5] Suite à l’audience tenue devant la Cour, j’ai communiqué avec les procureurs des parties afin de leur laisser l’opportunité de formuler des observations sur la distinction faite par le législateur entre la demande de dispense pour des motifs humanitaires faite par un demandeur se trouvant au Canada et celle faite par un demandeur se trouvant hors du Canada. Au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR, le ministre doit étudier la demande de l’étranger se trouvant au Canada et il peut le faire à la demande de celui qui se trouve à l’extérieur du Canada.

[6] Le procureur du demandeur a référé la Cour à un ouvrage de doctrine (Guilbault, Louis, « Des considérations d’ordre humanitaire : les limites de la décision raisonnable dans le contexte d’application de l’article 25 (1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés » (2018) 48:1-2 RDUS 123), ainsi qu’à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Lemus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 114, qui ne traitent pas de la question. Le procureur du défendeur, pour sa part, ne répond malheureusement pas à la question et traite plutôt de la distinction à faire entre le paragraphe 25(1) et le paragraphe 25(1.3).

[7] Quoiqu’il en soit et compte tenu de ma conclusion sur le caractère raisonnable de la décision de la déléguée du ministre, la question de savoir si le ministre est tenu de considérer la demande de dispense présentée par un étranger se trouvant hors du Canada sera laissée pour une autre occasion.

B. La déléguée du ministre a-t-elle erré dans son analyse du meilleur intérêt de l’enfant?

[8] Dans un premier temps, le défendeur demande à la Cour de ne pas tenir compte de la lettre de l’épouse du demandeur datée du 6 avril 2021 et soumise au soutien de sa demande de parrainage, dans laquelle elle confirme habiter en France avec le demandeur mais indique qu’elle prévoit rentrer au Canada en décembre 2021, à l’expiration de son congé de maternité. Le défendeur plaide que cette information n’était pas devant la déléguée du ministre et ne peut être considérée par la Cour.

[9] Dans sa demande de dispense, le demandeur affirme plutôt ce qui suit concernant sa conjointe :

- Ma conjointe réside hors Canada, lors de la procédure, engageant des moyens financiers considérables. (Son emploi est au Canada, elle est actuellement en télétravail, ce qui rend difficile ses projections.)

- Ma conjointe étant hors Canada, trouve la situation difficile.

[10] Bien que le défendeur ait raison sur ce point, je ne crois pas que cela ait un impact sur la réelle question soulevée par cette demande de contrôle judiciaire, laquelle concerne l’intérêt supérieur de l’enfant.

[11] Le demandeur est arrivé au Canada en 2008 comme visiteur. En 2012, une mesure d’exclusion a été émise à son endroit pour être resté au Canada au-delà de la période de séjour autorisée.

[12] Il a été trouvé coupable de plusieurs infractions criminelles en 2015, 2017 et 2018 et une mesure d’expulsion a été prononcée contre lui le 8 février 2018. Il a été renvoyé du Canada en 2019.

[13] C’est dans ce contexte qu’il a épousé sa conjointe en février 2021 et que sa fille est née en France en mars 2021.

[14] À mon sens, la déléguée du ministre a bien identifié l’intérêt supérieur de la fille du demandeur, soit de demeurer en France, où elle est née, avec ses deux parents.

[15] Que l’on considère la preuve présentée au soutien de la demande de parrainage ou celle présentée au soutien de la demande de dispense, elle concerne l’intérêt de la mère de l’enfant — et non pas celui de l’enfant, ainsi qu’une succession de choix exercés par les parents de l’enfant. S’il est vrai que dans le cadre de l’examen d’une demande de dispense pour des motifs humanitaires le ministre a l’obligation de considérer l’intérêt supérieur de tout enfant touché par la décision, cela n’exonère en rien les parents de l’enfant de faire des choix de vie qui tiennent compte de l’intérêt supérieur de leur enfant.

[16] À mon sens, en tenant compte de l’ensemble des circonstances de cette affaire, il était loisible à la déléguée du ministre d’accorder un poids considérable au fait que l’enfant est née en France et qu’elle y vivait avec ses deux parents au moment de la demande.

[17] L’interdiction de territoire du demandeur était connue des parents au moment où ils ont décidé de se marier et de mettre leur fille au monde en France. Leur situation actuelle est davantage le résultat de choix éclairés qu’ils ont faits et non d’évènements malheureux qu’ils auraient subis.

[18] À mon sens, les circonstances de cette affaire ne sont pas « de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs » du demandeur (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 au para 21, citant Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 AIA 338, [1970] DCAI no 1).

[19] La déléguée du ministre a considéré tous les facteurs qui lui ont été soumis, particulièrement l’intérêt supérieur de l’enfant, et il lui était loisible de conclure que la situation du demandeur ne justifiait pas de lever son interdiction de territoire.

IV. Conclusion

[20] Je suis d’avis que la décision de la déléguée du ministre est raisonnable et intelligible, et qu’elle est justifiée au regard des contraintes factuelles et légales de cette affaire. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est donc rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question d’importance générale pour fin de certification et je suis d’avis que cette affaire ne soulève aucune telle question.


JUGEMENT dans IMM-5270-23

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question d’importance générale n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5270-23

 

INTITULÉ :

SABRI BEN HARIZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 mars 2024

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 avril 2024

 

COMPARUTIONS :

Ibrahima Dabo

 

Pour lE demandeUr

 

Chantal Chatmajian

Pour lE défendeUr

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ibrahima Dabo

Québec (Québec)

 

Pour lE demandeUr

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour lE défendeUr

 

 

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