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Date : 20240322


Dossier : T-1282-23

Référence : 2024 CF 455

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 mars 2024

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

ANTHONY EDWARD STARK

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] Le demandeur, Anthony Stark, a demandé la Prestation canadienne d'urgence (PCU) et a reçu des paiements pour cinq périodes de quatre semaines en 2020. Approximativement deux ans plus tard, M. Stark a appris qu'il avait été déclaré inadmissible à la PCU et était donc tenu de rembourser l'argent qu'il avait reçu. L'Agence du revenu du Canada (ARC) avait conclu qu'il était inadmissible parce que la preuve ne démontrait pas qu'il avait gagné un revenu d'au moins 5 000 $ en 2019 ou dans les douze mois précédant la date de sa première demande (le « critère d'admissibilité du revenu »).

[2] M. Stark demande le contrôle judiciaire de cette décision. Il soulève plusieurs arguments. À mon avis, la question déterminante en l'espèce est l'omission de l'agent d'examiner la preuve et les explications fournies par M. Stark. Je conclus que cette omission rend la décision déraisonnable. Je ne prendrai pas de décision moi‑même au sujet de l'admissibilité comme l'a demandé M. Stark. Comme je l'explique plus loin, j'estime que le renvoi de l'affaire pour une nouvelle décision, en donnant à M. Stark l'occasion de fournir plus d'éléments de preuve et d'arguments, est la solution qui convient le mieux dans les circonstances.

II. Questions préliminaires

[3] Deux questions préliminaires ont été soulevées au début de l'audience. Premièrement, M. Stark a demandé l'autorisation que son intervenant en santé mentale, Matthew Foxall, fasse des observations en son nom. M. Foxall n'est pas avocat. Le défendeur ne s'est pas opposé à ce que M. Foxall fasse des observations. Dans les circonstances, j'ai estimé qu'il était de mise d'autoriser une dispense de l'exigence prévue au paragraphe 119(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106) (les Règles), qui dispose que seuls les avocats peuvent présenter des observations au nom d'une personne physique comparaissant devant la Cour.

[4] Deuxièmement, à la demande du défendeur et conformément à l'article 303 des Règles, l'intitulé est modifié afin de désigner le procureur général du Canada à titre de défendeur dans la présente instance.

III. Historique des procédures

[5] Durant la période visée, M. Stark exploitait une petite entreprise qui offrait des services de célébrant, de planification et de disque-jockey pour des mariages. Les restrictions imposées en réponse à la pandémie de COVID‑19 ont nui à son entreprise. M. Stark a fait une demande de PCU pour quatre périodes de quatre semaines du 15 mars 2020 au 4 juillet 2020 et pour une période de quatre semaines du 30 août 2020 au 26 septembre 2020. Il a reçu des paiements de PCU pendant ces périodes.

[6] M. Stark a appris que l'ARC avait des doutes quant à son admissibilité à la PCU en juin 2022. On lui a donné l'occasion de fournir des éléments de preuve pour établir son admissibilité. M. Stark a produit des éléments de preuve sous forme de factures commerciales et des observations. En août 2022, l'ARC a informé M. Stark qu'elle mènerait un examen officiel de son admissibilité. Encore une fois, M. Stark a fourni plus de renseignements, notamment des captures d'écran de virements Interac. Au moment de ce premier examen, la déclaration de revenus de 2019 de M. Stark indiquait que ses revenus de travailleur autonome étaient de 674,24 $. Il a été conclu que M. Stark était inadmissible parce qu'il ne remplissait pas les exigences du critère d'admissibilité du revenu.

[7] M. Stark a demandé un second examen de la conclusion d'inadmissibilité. Avant ce second examen, M. Stark a produit une nouvelle déclaration de revenus de 2019 et la nouvelle cotisation montrait qu'il avait gagné des revenus admissibles d'environ 5 500 $ en 2019. La preuve présentée à l'agent de l'ARC responsable de ce deuxième examen (« l'agent du second examen ») comportait les éléments suivants : un document d'enregistrement de petite entreprise, une preuve d'assurance commerciale, des captures d'écran du site Web de l'entreprise, un échantillon de vœux créés pour la célébration d'un mariage, une photo du mariage, des factures détaillées et des contrats de services rendus de 7 062,50 $ au total pour la période visée, des captures d'écran de virements électroniques de 2 742,50 $, un document confirmant le changement de nom du demandeur en septembre 2019, un enregistrement d'une cérémonie de mariage, des étiquettes d'adresse, un permis principal d'entreprise et une carte de visite professionnelle avec un modèle de consultation au verso.

[8] M. Stark a parlé avec l'agent du second examen le 24 mai 2023. L'agent du second examen a demandé à M. Stark s'il avait des relevés bancaires confirmant les montants des factures. M. Stark a expliqué que, puisqu'il avait changé de nom en 2019, il ne pouvait plus obtenir ces documents de sa banque. M. Stark a expliqué qu'il ne pourrait obtenir ces relevés bancaires qu'avec une ordonnance judiciaire. L'agent du second examen a demandé d'autres documents en lien avec l'entreprise du demandeur. M. Stark a fourni son permis d'entreprise ainsi que des photos sur son site Web. Le 29 mai 2023, l'agent du second examen a eu un autre appel avec M. Stark et l'a informé qu'il ne pouvait lier qu'environ 1 200 $ des revenus déclarés avec les virements Interac et les factures. Encore une fois, l'agent du second examen a demandé des relevés bancaires et M. Stark a expliqué qu'il lui était toujours impossible de les obtenir. M. Stark a aussi expliqué qu'il avait fourni tous les documents qu'il avait au sujet des services rendus dans la période visée.

[9] Le 8 juin 2023, l'agent du second examen a informé M. Stark qu'il avait aussi conclu que M. Stark était inadmissible parce qu'il ne remplissait pas les exigences du critère d'admissibilité du revenu. L'ARC a conclu qu'elle était [TRADUCTION] « seulement en mesure de valider des revenus admissibles de 1 687,50 $ » et que M. Stark [TRADUCTION] « n'était pas en mesure de produire les documents supplémentaires pour appuyer ses revenus de travailleur autonome de 2019 » et donc qu’il [TRADUCTION] « était impossible de dire si [...] [M. Stark] avait gagné le montant net requis de 5 000 $ en travaillant à son compte ».

IV. Analyse

[10] En 2020, la PCU était offerte aux employés et aux travailleurs autonomes admissibles qui avaient subi une perte de revenu en raison de la pandémie de COVID-19. Le critère d'admissibilité en cause est le critère d'admissibilité du revenu décrit à l'article 2 de la Loi sur la prestation canadienne d'urgence, L.C. 2020, ch. 5, art. 8, qui exige que le demandeur démontre que son revenu s'élevait à au moins 5 000 $ pour l'année 2019 ou au cours des douze mois précédant la date de sa première demande.

[11] Bien que je sois d'accord avec le défendeur que notre Cour a conclu à maintes reprises que le dépôt d'une déclaration de revenus n'est pas une preuve concluante du revenu (Aryan c. Canada (Procureur général), 2022 CF 139, au par. 35), M. Stark a aussi fourni des factures détaillées et des contrats de service. L'agent du second examen n'a pas expliqué pourquoi ces documents, en plus des autres documents présentés démontrant que le demandeur avait exploité une entreprise pendant la période visée, étaient insuffisants pour prouver qu'il satisfaisait au critère d'admissibilité du revenu. Selon les lignes directrices de l'ARC intitulées [TRADUCTION] « Confirmation de l'admissibilité à la PCU, à la PCRE, à la PCMRE ou à la PCREPA », un travailleur autonome peut présenter une preuve de revenus acceptable afin de satisfaire au critère d'admissibilité du revenu au moyen de factures pour services rendus. L'agent n'a pas exprimé de réserves quant aux factures que M. Stark a fournies. Comme notre Cour l'a conclu dans Crook c. Canada (Procureur général), 2022 CF 1670 (Crook), au par. 17, Sjogren c. Canada (Procureur général), 2022 CF 951, au par. 28, et Moncada c. Canada (Procureur général), 2023 CF 114, au par. 12, l'absence de justification du rejet d'un type de preuve prévu dans les lignes directrices peut rendre une décision déraisonnable.

[12] De plus, l'agent du second examen n'a pas tenu compte des explications de M. Stark concernant la raison pour laquelle il ne pouvait pas avoir accès à ses relevés bancaires de 2019. M. Stark a expliqué qu'il avait changé de nom et que sa banque avait refusé de lui fournir les documents demandés sans ordonnance judiciaire. L'agent du second examen n'a pas relevé cette explication : elle est notée sans plus. Étant donné que le fait de ne pas avoir fourni de relevés bancaires était une des principales raisons pour conclure que M. Stark était inadmissible aux prestations, l'agent du second examen devait tenir compte de l'explication fournie par M. Stark (voir Crook, au par. 26, et Bishop c. Canada (Procureur général), 2023 CF 755, au par. 13).

V. Redressement

[13] M. Stark demande à notre Cour de déterminer son admissibilité à la PCU et de ne pas renvoyer l'affaire pour un nouvel examen. Le pouvoir de substitution indirecte de la Cour est exceptionnel et utilisé seulement lorsque le renvoi de l'affaire serait inutile ou si une seule issue est possible (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Tennant, 2019 CAF 206, aux par. 79 à 82, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653, au par. 142). Ni l'une ni l'autre de ces conditions ne s'applique en l'espèce.

[14] Lors du réexamen, un autre décideur devra évaluer l'admissibilité de M. Stark selon la preuve et les arguments déjà présentés ainsi que selon toute autre documentation ou toutes autres observations que M. Stark voudrait présenter pour démontrer son admissibilité.

[15] L'article 400 des Règles confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire d'adjuger des dépens. Après avoir considéré les facteurs énumérés au paragraphe 400(3), je conclus qu'il n'y a pas lieu d'adjuger des dépens en l'espèce.


JUGEMENT dans le dossier T-1282-23

LA COUR ORDONNE :

1. L'intitulé est modifié avec effet immédiat pour désigner le procureur général du Canada à titre de défendeur dans le présent contrôle judiciaire.

2. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

3. L'affaire est renvoyée à un autre décideur pour un nouvel examen.

4. Le demandeur aura l'occasion de fournir d'autres observations et des documents supplémentaires lors du nouvel examen.

5. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1282-23

 

INTITULÉ :

ANTHONY EDWARD STARK c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

le 27 Février 2024

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

le 22 Mars 2024

 

COMPARUTIONS :

Matthew Foxall

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ian Pillai

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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