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Date : 20240409


Dossier : IMM-6731-22

Référence : 2024 CF 561

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 avril 2024

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

IVAN ALEJANDRO MANRIQUEZ RAMIREZ

KARLA MARISOL DELGADO SANCHEZ

MARIAN ALEJANDRA MANRIQUEZ DELGADO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs sont un couple marié et leur fille mineure. Ils ont fait des demandes d’asile au Canada, car ils craignent d’être persécutés par un cartel au Mexique. La Section de la protection des réfugiés [SPR] a conclu que les demandeurs avaient une possibilité de refuge intérieur [PRI] dans un endroit où ils ne risquaient pas sérieusement d’être persécutés (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1991 CanLII 13517 (CAF)). La SPR a donc refusé leurs demandes d’asile. Les demandeurs ont fait appel de cette décision auprès de la Section d’appel des réfugiés (SAR). La SAR a confirmé qu’il existait une PRI et que les demandeurs n’étaient donc pas des personnes à protéger. Elle a rejeté l’appel.

[2] Les demandeurs contestent, par voie de contrôle judiciaire, cette décision de la SAR. La seule question en litige porte sur la conclusion de la SAR selon laquelle il n’avait pas été prouvé que le cartel était toujours motivé à poursuivre les demandeurs dans la PRI proposée. Je conviens avec les parties qu’il me faut examiner cette conclusion sur le fond selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au para 25).

[3] Les demandeurs avancent deux arguments. D’abord, ils allèguent que la SAR a ignoré des éléments de preuve qui démontrent que le cartel entretient des liens avec les autorités policières. Ensuite, ils plaident que la SAR a commis une erreur, car elle n’a pas appliqué la jurisprudence de notre Cour suivant laquelle une absence de contact ne prouve pas nécessairement qu’un agent de persécution a perdu sa motivation à poursuivre un demandeur.

[4] J’estime que les demandeurs n’ont pas démontré que l’examen effectué par la SAR comportait une lacune suffisamment grave quant à la preuve ou à la jurisprudence pertinente. Je rejette donc leur demande de contrôle judiciaire.

[5] En ce qui concerne la première question, les demandeurs n’ont pas expliqué en quoi les éléments de preuve reliant le cartel en cause aux autorités policières seraient pertinents pour la conclusion de la SAR relative à la motivation du cartel. Il a été suggéré, non pas que les autorités policières avaient un intérêt à trouver les demandeurs, mais plutôt que le cartel pourrait utiliser les ressources des autorités policières pour dénicher les demandeurs dans la PRI proposée. À l’instar de la SPR, la SAR a estimé qu’il s’agissait d’un cartel puissant qui avait les moyens de retrouver les demandeurs. Cependant, la SAR a conclu que le cartel n’avait pas la motivation pour retrouver les demandeurs dans la PRI proposée. Il s’agit là de la conclusion déterminante de l’analyse de la SAR. Au regard des circonstances de l’espèce, il n’est pas clair en quoi la preuve des liens généraux entre le cartel et la police peut être pertinente lorsqu’il s’agit d’établir la motivation du cartel.

[6] Quant à la deuxième question, les demandeurs invoquent le courant jurisprudentiel de la Cour selon lequel il est déraisonnable de conclure qu’un agent de persécution n’a plus de motivation s’il n’a pas établi de contact (Rivera Benavides c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 810, au para 75; Losada Conde c Canada (Immigration et Citoyenneté), 2020 CF 626, aux paras 91–93; Monsalve c Canada (Immigration et Citoyenneté), 2022 CF 4, au para 17; Campos c Canada (Immigration et Citoyenneté), 2022 FC 1641, aux paras 70–71). Pour sa part, le défendeur invoque des affaires dans lesquelles la Cour a jugé que la conclusion de la SAR – selon laquelle l’absence de contact pendant plusieurs années signifiait que l’agent de persécution n’avait pas la motivation – était raisonnable (Leon c Canada (Immigration et Citoyenneté), 2020 CF 428, aux paras 16, 18, 23; Torres Zamora c Canada (Immigration et Citoyenneté), 2022 CF 1071, au para 14).

[7] Ultimement, ces décisions sont axées sur les faits et elles dépendent de la manière dont la SAR a apprécié certains facteurs, dont les raisons pour lesquelles les demandeurs ont initialement été visés, les démarches entreprises par l’agent de persécution, la durée de l’absence de contact et les rapports entre l’agent de persécution et les demandeurs. Il n’y a pas de formule magique pour trancher la question de la motivation de l’agent de persécution. La preuve d’une absence de contact pendant un nombre d’années donné ne signifie pas nécessairement que l’agent de persécution n’est plus motivé à rechercher les demandeurs (Rendon Segovia c Canada (Immigration et Citoyenneté), 2023 CF 868, au para 23). Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la Cour doit procéder à une analyse contextuelle qui dépend des faits de la demande et des motifs du décideur.

[8] En l’espèce, je suis d’avis que la SAR a considéré la nature des menaces et de l’agent de persécution. J’estime qu’en fonction des éléments de preuve dont elle disposait, la SAR pouvait raisonnablement conclure que les demandeurs n’avaient pas prouvé l’intérêt du cartel à les retrouver dans la PRI proposée. J’estime que la SAR a énoncé des motifs raisonnables à cet égard. Entre mai 2015 et mai 2017, sur une période d’environ deux ans, le demandeur adulte de sexe masculin a versé les frais d’extorsion que le cartel lui soutirait. Des membres du cartel lui ont ensuite dit qu’ils voulaient entreposer ou vendre de la drogue dans son établissement commercial. C’est à ce moment que les demandeurs ont décidé de fuir, et ils ont quitté le pays le mois suivant. La SAR a noté qu’il s’est écoulé environ cinq ans depuis la survenance de ces faits. Elle a conclu qu’il n’y a pas d’élément de preuve démontrant que, durant cette période, les membres du cartel avaient maintenu un contact avec les demandeurs ou avec l’un des neufs membres de leur famille immédiate qui habite la même région. Par conséquent, la SAR a déterminé que les demandeurs n’avaient pas établi que le cartel avait toujours un intérêt à les pourchasser dans la PRI proposée. Je ne vois aucune raison d’intervenir à l’égard de cette conclusion.

[9] Les parties n’ont pas soulevé de question à certifier et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6731-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6731-22

 

INTITULÉ :

IVAN ALEJANDRO MANRIQUEZ RAMIREZ, KARLA MARISOL DELGADO SANCHEZ, ET MARIAN ALEJANDRA MANRIQUEZ DELGADO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :

29 NovembrE 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS:

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

9 AVRIL 2024

 

COMPARUTIONS :

Adela Crossley

 

pOUR LES DEMANDEURS

 

Nicole John

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Crossley Law

Barrister and Solicitor

Toronto (Ontario)

 

pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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