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Dossier : IMM-8591-21

Référence : 2024 CF 472

[TRADUCTION FRANCAISE]

Toronto (Ontario), le 26 mars 2024

En présence de madame la juge Turley

ENTRE :

MAHDI BANIN HUSSEIN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT

(Rendus oralement à l’audience à Toronto (Ontario), le 25 mars 2024.)

[1] La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision du 29 octobre 2021 par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a, annulé, en vertu de l’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], la décision ayant accueilli la demande d’asile du demandeur. La SPR a conclu que le demandeur avait fait une présentation erronée sur sa véritable identité lorsqu’il a demandé l’asile. En conséquence, la décision portant annulation a été assimilée au rejet de la demande d’asile du demandeur, et la décision initiale de la SPR, rendue le 5 mai 2017, est devenue nulle.

[2] J’accueille la demande. Je conviens avec le demandeur que la SPR a commis une erreur en refusant d’admettre les nouveaux éléments de preuve qu’il souhaitait présenter concernant son identité somalienne pour réfuter l’allégation du défendeur selon laquelle il avait fait une présentation erronée sur sa véritable identité. En accueillant la demande, je souscris entièrement aux motifs de mon collègue le juge Norris dans la décision Bhuchung c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1009 [Bhuchung]. En effet, en l’espèce, le défendeur reprend exactement les mêmes arguments juridiques que ceux que la Cour a rejetés dans la décision Bhuchung. Je ne souscris pas à l’opinion du défendeur selon laquelle la présente affaire est différente, pour quelque motif que ce soit.

[3] Tout d’abord, réglons la question de la désignation du défendeur. Comme il en a été question avec les parties, le défendeur lors du contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la SPR a annulé, en vertu de l’article 109 de la LIPR, la décision ayant accueilli la demande d’asile de la personne concernée, doit être, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [SPPC], et non le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration. Conformément à l’article 2 du Décret précisant les responsabilités ministérielles pour l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, TR/2015-52, pris par le gouverneur en conseil, le ministre de SPPC est le ministre responsable de l’application du paragraphe 109(1) de la LIPR. J’ai examiné cette question plus en détail dans la décision Omar c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2023 CF 1334 aux paragraphes 11 à 14.

[4] Dans l’instance d’annulation introduite devant la SPR, le défendeur a allégué que le demandeur avait dissimulé sa véritable identité au tribunal initial de la SPR et qu’il était en fait Mahad Ali Hussein Sheikh, un Kényan né le 15 juillet 1994 à Nairobi, au Kenya.

[5] Le demandeur a admis que, contrairement à ce qu’il avait déclaré à la SPR lors de l’audience initiale relative à sa demande d’asile, il était entré au Canada muni d’un passeport kényan au nom de Mahad Ali Hussein Sheikh. Cependant, le demandeur a insisté sur le fait qu’il s’agissait d’une fausse identité et qu’il est Mahdi Banin Hussein et un citoyen de la Somalie. À l’appui de ses arguments, le demandeur a produit de nombreux documents qui n’avaient pas été présentés au tribunal initial de la SPR, notamment un passeport somalien, une carte d’identité somalienne, un certificat de confirmation d’identité délivré par les autorités de Mogadiscio, un courriel de l’ambassadeur de la Somalie au Canada attestant que le passeport somalien est authentique, et deux affidavits de personnes alléguant être au fait de l’identité somalienne du demandeur : motifs et décision de la Section de la protection des réfugiés du 23 septembre 2021, au para 17 [décision de la SPR].

[6] Le défendeur s’est opposé à l’admissibilité de ces documents, affirmant qu’une audience relative à l’annulation n’est pas une nouvelle audience et qu’il était interdit au demandeur de présenter ces éléments de preuve puisqu’ils n’avaient pas été présentés au tribunal initial de la SPR : décision de la SPR, au para 28.

[7] Je ne souscris pas à l’argument du défendeur selon lequel la SPR a admis ces documents en preuve, mais a tout simplement préféré la preuve du ministre : mémoire supplémentaire des arguments du défendeur, au para 37. La SPR a plutôt expressément déterminé que le demandeur « ne peut s’appuyer sur de nouveaux éléments de preuve concernant sa prétendue identité pour réfuter les présentations erronées qu’il a faites devant le tribunal initial de la SPR » : décision de la SPR, au para 29.

[8] Selon le paragraphe 109(1) de la LIPR, la SPR peut annuler la décision ayant accueilli la demande d’asile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait. Conformément au paragraphe 109(2), la SPR peut rejeter la demande d’annulation si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile.

[9] En refusant d’admettre les nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur quant à son identité somalienne, la SPR a commis une erreur dans l’application des principes concernant les éléments de preuve sur lesquels une personne peut s’appuyer pour répondre à une demande d’annulation. La SPR a donc commis la même erreur que celle commise dans l’affaire Bhuchung. Après un examen approfondi du contexte législatif et jurisprudentiel pertinent, le juge Norris a conclu que [traduction] « même si le paragraphe 109(2) ne permet pas la présentation de nouveaux éléments de preuve aux fins de la confirmation de la décision initiale, la présentation de nouveaux éléments de preuve est permise au titre du paragraphe 109(1) aux fins de la réfutation des allégations de présentations erronées » : Bhuchung, au para 48. S’appuyant sur cette conclusion, le juge Norris a statué que la décision de la SPR de refuser l’admission de nouveaux éléments de preuve était déraisonnable : Bhuchung, au para 49.

[10] En l’espèce, comme dans l’affaire Bhuchung, la SPR n’a pas autorisé le demandeur à s’appuyer sur les nouveaux éléments de preuve relatifs à son identité pour réfuter l’allégation du défendeur selon laquelle il avait fait des présentations erronées sur son identité personnelle et nationale devant le tribunal initial de la SPR. Pourtant, c’est précisément le type d’élément de preuve que la SPR devrait admettre pour déterminer si le défendeur a établi les présentations erronées alléguées au sens du paragraphe 109(1) : Hassan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1422 aux para 30-31; Bhuchung, aux para 50-51.

[11] Comme le demandeur le souligne, si la SPR avait admis ses éléments de preuve relatifs à sa citoyenneté somalienne, [traduction] « elle aurait pu conclure que le demandeur est véritablement la personne qu’il affirme être, plutôt que le citoyen du Kenya que le ministre prétend qu’il est » : mémoire supplémentaire du droit et des arguments du demandeur au para 36. Même s’il revient, en définitive, à la SPR d’apprécier la preuve et de déterminer si elle est suffisante aux fins de la réfutation des allégations du défendeur, il incombait à la SPR de tenir compte de la preuve : Bhuchung, au para 51.

[12] L’argument du défendeur selon lequel la présente affaire se distingue de l’affaire Bhuchung puisque la SPR a conclu, dans cette dernière, que l’identité kényane était authentique est sans fondement : mémoire supplémentaire des arguments du défendeur, au para 35. En effet, dans l’affaire Bhuchung, la SPR a également conclu que le passeport utilisé par le demandeur pour entrer au Canada était authentique. Le juge Norris a fait référence à cette conclusion dans le passage suivant :

[traduction]

[31] La SPR conclut ensuite, selon la prépondérance des probabilités, que le passeport népalais confirme que le demandeur est Nanang Chhokle Sherpa (alias Nawang Chhokle Sherpa). La SPR a estimé qu’il s’agissait d’un passeport authentique, car il avait « résisté à l’examen du gouvernement » lorsque le demandeur s’en est servi pour voyager entre le Népal et l’Inde, lorsqu’il s’en est servi pour présenter une demande de visa des États-Unis en 2006 et lorsqu’il s’en est servi pour entrer au Canada.

[Non souligné dans l’original.]

[13] Enfin, le défendeur invoque à tort la décision de la Cour Kingsley Ndi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2023 CF 656 [Kingsley Ndi] : mémoire supplémentaire des arguments du défendeur, au para 36. Dans cette décision, la seule question en litige était celle de savoir s’il restait suffisamment d’éléments de preuve, malgré les présentations erronées, pour justifier l’asile, comme il est prévu au paragraphe 109(2) de la LIPR : Kingsley Ndi, au para 34. La Cour a conclu que, pour l’application du paragraphe 109(2), la SPR a déterminé à juste titre qu’une version révisée des faits présentée par le demandeur ne pouvait être prise en considération, car le décideur initial ne disposait pas de cette version révisée : Kingsley Ndi, au para 35. En revanche, en l’espèce, les nouveaux éléments de preuve ont été présentés par le demandeur en réponse aux allégations du défendeur en application du paragraphe 109(1) de la LIPR.

[14] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision du 29 octobre 2021 de la SPR est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué.

[15] Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.




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