Date : 202404010
Dossier : T-476-24
Référence : 2024 CF 569
Montréal (Québec), le 10 avril 2024
En présence de l'honorable madame la juge Ngo
ENTRE :
|
GUILLAUME LEMAY |
demandeur |
et
|
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Le demandeur, Guillaume Lemay [demandeur] sollicite une injonction interlocutoire visant à renverser provisoirement d’urgence une décision de l’Unité nationale des appels de second palier [Unité de 2e palier] datée du 13 février 2023 [Décision]. La Décision de l’Unité de 2e palier avait confirmé la décision d’Anciens Combattants Canada [ACC] de suspendre et mettre à fin la prestation de remplacement de revenu [prestation] du demandeur sous la Loi sur le bien-être des vétérans, L.C. 2005, ch. 21 [Loi] et du Règlement sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, DORS/2006-50 [Règlement]. Le demandeur conteste cette Décision en contrôle judiciaire et a déposé sa demande le 5 mars 2024.
[2] À la lecture de son dossier et en entendant ses soumissions durant l’audience du 2 avril 2024, la Cour comprend que le demandeur cherche par voie de requête, une ordonnance a) reversant provisoirement la Décision et b) obligeant ACC de lui fournir une prestation jusqu’à la détermination finale sur le fond de sa demande de contrôle judiciaire.
[3] Pour les motifs qui suivent, je ne peux accorder la requête du demandeur. Le demandeur n’a pas satisfait les critères exigés par la jurisprudence pour l’octroi d’une injonction.
II. Faits
[4] Le demandeur est un ancien combattant qui était au service du 3 novembre 1998 au 2 juin 2009. Il participait au « Programme de réadaptation, »
soit un programme de réadaptation ou d’assistance professionnelle offert et géré par ACC en vertu de la Loi et du Règlement [Programme].
[5] Le 21 décembre 2021, l’ACC a approuvé la participation du demandeur au Programme et l’obtention d’une prestation. Pour la durée de sa participation au Programme, il était admissible à divers services de réadaptation, une formation académique ainsi qu’une prestation de remplacement du revenu.
[6] L’approbation au Programme en 2021 était la troisième participation du demandeur dans un tel programme de réadaptation. La participation du demandeur auprès des deux programmes précédents avait été annulée dû à sa non-conformité aux exigences décrites dans la Loi et le Règlement.
[7] À la suite de l’approbation reçue le 21 décembre 2021, la correspondance entre ACC et le demandeur décrit de façon régulière les attentes d’ACC envers le demandeur, soit qu’il doit participer activement et que le Programme serait annulé s’il était non conforme aux exigences législatives et réglementaires.
[8] Le dossier certifié de l’office fédéral démontre aussi une série d’échange entre ACC et le demandeur portant sur le refus du demandeur de signer les formulaires d’autorisation pour qu’ACC puisse contacter de tierces parties fournissant des services au sein du Programme, et de confirmer sa participation active, entre autres.
[9] Dans une lettre datée du 2 juin 2022, ACC demande au demandeur de communiquer avec ACC pour discuter de sa participation au Programme. La lettre indique aussi qu’à défaut de contacter l’ACC, le processus d’annuler sa prestation de remplacement de revenu pour cause de non-participation serait entamée.
[10] Par la suite, des échanges ont eu lieu le 21 juin 2022, le 27 juin 2022 et le 12 juillet 2022. Le sujet porte sur sa participation au Programme. Au cours d’une rencontre avec le demandeur du 12 juillet 2022, ACC lui indique qu’il s’agissait d’une dernière tentative, qu’il devait répondre aux appels, et de suivre les recommandations faites. Il a aussi été informé de la conséquence de tout défaut, soit l’annulation du Programme et suspens de la prestation.
[11] Plusieurs suivis ont été entamés par ACC auprès du demandeur au cours de 2022 jusqu’en 2023.
[12] En janvier 2023, le demandeur a été informé de l’intention d’ACC de suspendre la prestation. En même temps, ACC entreprend de sa part, une évaluation de l’employabilité du demandeur tenant compte de sa formation académique complétée jusqu’à ce point et une analyse du marché du travail da sa région. L’évaluation confirme qu’une formation en logistique du transport était possible pour le demandeur. Cette formation devait débuter en septembre 2023.
[13] Le 30 mai 2023, le demandeur est informé que son plan sous le Programme se dirigera vers la formation en logistique du transport. Il est aussi informé des délais reliés à la formation et l’inscription et averti encore une fois que toute dérogation aura comme résultat la suspension de sa prestation.
[14] Le 11 juillet 2023, le demandeur informe ACC qu’il ne s’est pas inscrit au programme de formation en logistique du transport qu’on lui a identifié. Il avait conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’emplois disponibles dans ce domaine. Le 13 juillet 2023, ACC lui informe qu’il doit entreprendre trois étapes au plus tard le 19 juillet 2023 à 10h. Le demandeur a complété ces étapes conformément à la demande d’ACC.
[15] Le 22 août 2023, ACC a été informé que le demandeur n’avait toujours pas fourni les deux formulaires d’autorisation qu’on lui avait envoyés, entre autres. Ces formulaires étaient nécessaires afin de permettre à ACC de communiquer avec l’établissement d’enseignement pour confirmer sa participation active au Programme.
[16] Le 29 septembre 2023, ACC a communiqué avec le demandeur demandant les formulaires nécessaires. Le demandeur n’a pas fourni ces formulaires.
[17] Le 3 octobre 2023, la prestation du demandeur a été suspendue en raison d’un manque de participation au plan de réadaptation. Le 22 novembre 2023, le Programme a été annulé.
[18] Le 6 novembre 2023, le demandeur a contesté la décision du 3 octobre 2023 devant l’Unité nationale des appels de premier palier [Unité de 1er palier].
[19] Le 8 décembre 2023, l’Unité de 1er palier a confirmé la décision d’ACC.
[20] Le 25 décembre 2023, le demandeur a contesté la décision du 8 décembre 2023 devant l’Unité de 2e palier.
[21] Le 13 février 2024, l’Unité de 2e palier confirme la décision d’ACC.
[22] Le 20 février 2024, le demandeur dépose un avis de contrôle judiciaire contestant la décision de 2e palier du 13 février 2024, mais retire cette demande avec un avis de désistement le 5 mars 2024. Ce premier avis de contrôle judiciaire portait le numéro de dossier T-336-24.
[23] Le 5 mars 2024, le demandeur dépose un avis de contrôle judiciaire contestant la décision de l’Unité de 2e palier du 13 février 2024 dans lequel il demande que la Cour accueille sa demande en contrôle judiciaire et :
a)ordonner au défendeur « de réviser et lui payer les sommes dû (sic) rétroactivement en date du 3 novembre jusqu’au 19 février 2024 […] et jusqu’au règlement complet du dossier »
b)« renverser cette décision initiale du 3 octobre et 22 novembre ainsi que celle rendu (sic) au 1er et le 2e palier d’appel ACC »
[24] Le 13 mars 2024, le demandeur dépose une requête en injonction (ex parte). Il allègue qu’il n’est pas en mesure de payer son hypothèque et qu’il cherche à éviter une saisie immobilière de sa résidence personnelle. Le demandeur met d’avant que la Décision contestée n’a aucun fondement en droit et a été rendue par goût personnel.
[25] Le 19 mars 2024, la juge Tsimberis a conclu que la requête (ex parte) du demandeur ne rencontrait pas les exigences d’une requête en injonction d’urgence sans la présence du défendeur. La juge Tsimberis a ajourné la requête de deux semaines à la condition que la requête soit signifiée au défendeur d’au moins 7 jours avant la date d’audience. Le demandeur a signifié son dossier de requête au défendeur.
[26] Le 27 mars 2024, le défendeur dépose son dossier de réponse à la requête en injonction interlocutoire.
III. Les principes de droit applicables
A. Distinction entre injonction interlocutoire et injonction interlocutoire mandatoire
[27] Avant de commencer l’analyse de la présente requête, je souligne que le demandeur a déposé une demande de requête sollicitant « une injonction interlocutoire urgente. »
En étudiant son dossier de requête et en entendant ses soumissions au cours de l’audience, ce que le demandeur cherche s’agit plutôt d’une injonction interlocutoire mandatoire et non d’une injonction interlocutoire.
[28] Il y a une distinction importante entre les deux.
[29] Une partie qui sollicite une réparation exceptionnelle comme une injonction interlocutoire doit satisfaire trois critères bien établis dans la jurisprudence. Celle-ci doit démontrer : a) qu’il existe une question sérieuse à juger; b) que le refus d’une injonction causera un préjudice irréparable; et c) que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi de l’injonction (RJR-MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RSC 311) [RJR-MacDonald]).
[30] L’objectif d’une injonction interlocutoire cherche, parmi d’autres choses, à maintenir le statu quo jusqu’à ce que la Cour ait réglé les questions juridiques. Ici, le statu quo depuis novembre 2023 s’agit de l’annulation du Programme et de la prestation associée à celle-ci.
[31] Comme l’a identifié le défendeur, la requête du demandeur cherche à exiger du défendeur à faire quelque chose et non de maintenir le statu quo du demandeur.
[32] Dans sa demande de requête et qu’il a confirmé à l’audience, le demandeur cherche à casser la Décision et cherche une ordonnance obligeant ACC de lui verser ses prestations jusqu’à la conclusion de son dossier en contrôle judiciaire.
[33] Sur la base des réparations que le demandeur cherche dans sa requête, celle-ci doit donc être considérée comme étant une injonction interlocutoire mandatoire. L’analyse sera effectuée dans le contexte de ce type de réparation exceptionnelle.
B. Critères : injonction interlocutoire mandatoire
[34] Lorsqu’il s’agit d’une demande d’injonction interlocutoire mandatoire, la Cour doit considérer la première question dans le test établi dans RJR-MacDonald de façon modifiée. Le critère n’est pas celui d’une question sérieuse à juger, mais plutôt celui d’une forte apparence de droit (R. c Société Radio-Canada, [2018] 1 RCS 196 [SRC], au para 15).
[35] La différence entre une injonction interlocutoire et une injonction interlocutoire mandatoire se trouve dans l’application du seuil plus élevé pour déterminer le bien-fondé de l’acte introductif d’instance (ici, la demande de contrôle judiciaire du demandeur). Une partie doit démontrer une « forte chance »
au regard du droit et de la preuve présentée au procès, qu’il réussirait ultimement ou obtiendrait gain de cause au procès (SRC, au para 18).
[36] La deuxième question, celle du préjudice irréparable, exige que le demandeur établisse par voie de preuve concrète et de manière détaillée qu’il subira un préjudice réel, certain et inévitable, si l’injonction n’est pas accordée. Des affirmations ou allégations hypothétiques et conjecturales ne rencontreraient pas le seuil du deuxième volet (Canada (Procureur général) c Oshkosh Defense Canada Inc., 2018 CAF 102, au para 25).
[37] Quant à la troisième question, celle de la prépondérance de probabilités, la Cour doit déterminer quelle partie subirait le plus grand préjudice en accordant ou en refusant une injonction, en attendant qu’une décision soit rendue sur le fond. Les facteurs à considérer sont la nature du redressement demandé et du préjudice invoqué par les parties, la nature de la mesure contestée et l'intérêt public (RJR MacDonald, aux p. 346 et 350).
[38] Le test est conjonctif et les trois questions doivent recevoir une réponse affirmative. Il faut satisfaire aux trois volets pour que la réparation soit accordée et aucun volet ne saurait être « facultatif »
(Janssen Inc. c Abbvie Corporation 2014 CAF 112, aux para 14, 19). Le défaut de satisfaire à l’un ou l’autre des trois éléments du critère est fatal (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Ishaq, 2015 CAF 212 (CanLII), au para 15).
[39] Ceci dit, les trois volets du critère ne sont pas des compartiments étanches et ne doivent pas être appréciés de façon isolée (Letnes c Canada (Procureur Général), 2020 CF 636 [Letnes], au para 35). Finalement, en définitive, il s’agit de déterminer s’il serait juste et équitable d’accorder l’injonction eu égard à l’ensemble des circonstances (Google Inc. c Equustek Solutions Inc., 2017 CSC 34).
IV. Analyse
A. Premier volet - une forte apparence de droit
[40] La Cour suprême dans l’arrêt SRC décrit l’établissement d’une « forte apparence de droit »
comme étant une preuve « convaincante et manifeste d’une possibilité de succès »
, une « forte chance de succès »
ou un succès « presque assuré »
. Ceci impose au demandeur le fardeau de présenter une preuve telle qu’il serait très susceptible d’obtenir gain de cause.
[41] Cela signifie que, lors de l’examen préliminaire de la preuve, la Cour doit être convaincue qu’il y a une « forte chance »
au regard du droit et de la preuve présentée que, au procès, le demandeur réussira ultimement à prouver les allégations énoncées dans l’acte introductif d’instance (SRC, au para 17). La Cour Suprême dans SRC instruit que l’analyse du premier volet exige un examen approfondi sur le fond à l’étape interlocutoire compte tenu les potentielles conséquences qui sont sérieuses pour un défendeur lorsque la Cour accorde une injonction interlocutoire mandatoire.
(1) La demande de contrôle judiciaire sous-jacente
[42] L’analyse commence avec la demande de contrôle judiciaire du demandeur. Je résume les allégations du demandeur quant à sa contestation de la Décision :
a)la Décision n’est appuyée par aucune loi. D’ailleurs, le demandeur plaide que la décision était arbitraire;
b)qu’il a accordé un accès partiel aux informations demandées par ACC (qu’il avait le droit de limiter l’accès à l’information en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, ch., A-1 avec l’emphase au paragraphe 27(2) de cette loi); et,
c)que la réparation appropriée est de rétablir la prestation.
(2) Norme de contrôle applicable
[43] Quoique je ne tranche pas sur le fond des motifs de la Décision, il faut toutefois faire l’analyse du bien-fondé de la demande sous-jacente. Il faut donc identifier la norme de contrôle applicable à la Décision.
[44] Dans le cas en l’espèce, la Décision doit être considérée en vertu de la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 16-17 et 25). Il n’y a eu aucune preuve soumise ou argument dérivant de ce dossier qui justifierait une dérogation de cette norme.
[45] Le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser au raisonnement suivi et au résultat de la décision. La Cour doit s’abstenir de trancher elle‑même la question en litige, ne se demande pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif, ne tente pas de prendre en compte l’« éventail »
des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte »
au problème (Vavilov au para 83).
[46] La Cour doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité et si elle est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes (Vavilov au para 99).
[47] Il incombe à la partie qui conteste la décision de démontrer le caractère déraisonnable. La décision doit souffrir de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence (Vavilov au para 100).
(3) L’allégation que la Décision n’est pas appuyée par aucune loi
[48] L’ACC a un pouvoir discrétionnaire vaste quant à la gestion des programmes et services comme ceux que le demandeur a reçus au cours de 2021 jusqu’en 2023. Les alinéas 12(1) a) à c) du Règlement stipulent clairement que le bénéficiaire des services « doit, sur demande du ministre, communiquer les renseignements et documents »
qui comprennent tout document attestant sa participation assidue, rapport faisant état des progrès accomplis, et tout autre renseignement ou document dont le ministre a besoin pour décider si le bénéficiaire continue d’y être admissible.
[49] Le paragraphe 12(2) du Règlement prévoit que la conséquence d’un défaut de se conformer à une demande visée par le paragraphe 12(1) autorise le ministre à suspendre la fourniture de services ou l’assistance. Le paragraphe 12(3) exige avant de suspendre la fourniture de services ou de l’assistance, le ministre doit envoyer au bénéficiaire un avis écrit l’informant des motifs ainsi que la date de prise d’effet de la suspension.
[50] Les faits menant à la suspension des prestations du demandeur ne sont pas contestés. Le demandeur avait refusé de signer les formulaires d’autorisation fournis par ACC et il a été informé à plusieurs reprises qu’une non-conformité de sa part mènera à l’annulation de sa prestation.
[51] Le demandeur soumet qu’il « a exercé ses droits en vertu de l’article 27(2) de la Loi sur l’accès à l’information »
en fournissant un consentement limité afin de permettre la divulgation de tierces parties à ACC à seulement l’information nécessaire pour confirmer sa participation au Programme et rien de plus.
[52] Le défendeur souligne, par contre, que les formulaires ne demandaient que l’information nécessaire pour les fins d’évaluer la participation du demandeur. Cette information comprend la description suivante, en lettres majuscules : « tout échange avec le personnel enseignant au sujet de mon assiduité, mon rendement, ma participation. »
[53] Je suis d’accord avec le défendeur. Le Règlement prévoit le droit au ministre de demander des documents ou informations pertinentes. Il prévoit aussi l’obligation de l’individu de communiquer et de fournir les documents lorsque le ministre le demande. La condition de participation dans le Programme et de recevoir des prestations durant la période du Programme requiert la coopération du demandeur. De plus, le type d’information identifié dans les formules d’autorisation que l’ACC a envoyé au demandeur est encadré par les dispositions réglementaires.
[54] Quoique j’ai compris du demandeur qu’il croyait avoir une justification de limiter l’information partagée entre les tierces parties fournissant les services et ACC, les exigences législatives et réglementaires sont claires.
(4) L’allégation des droits du demandeur en vertu de la Loi sur l’accès à l’information
[55] Le demandeur souligne que la question au dossier est simple. Le paragraphe 27(2) de la Loi sur l’accès à l’information lui donne le droit de restreindre l’information qu’ACC peut demander d’une tierce partie.
[56] Le défendeur, de sa part, stipule que l’argument du demandeur n’a pas de chance de succès portant sur le fond. Le paragraphe 27 ne s’applique pas aux circonstances du demandeur. Cette disposition s’applique quand l’institution fédérale a l’intention de communiquer un document qui contient des renseignements décrits dans cette loi et qui a été communiqué par le tiers à l’institution fédérale. Le demandeur applique le paragraphe 27 dans le sens inverse.
[57] Le demandeur se fie sur le paragraphe 27(2) afin de justifier ses restrictions envers ACC. Par contre, la renonciation prévue au paragraphe 27(2) s’agit d’une renonciation portant sur l’avis que l’institution fédérale doit communiquer au tiers si elle a l’intention de communiquer un document prévu par le paragraphe 27(1) de la Loi sur l’accès à l’information.
[58] À la lecture des dispositions de la Loi sur l’accès à l’information qui m’ont été citées par le demandeur, je ne suis pas d’accord avec l’interprétation des dispositions législatives de la façon que le demandeur propose.
(5) La réparation recherchée en contrôle judiciaire
[59] La position du défendeur se résume simplement : le demandeur ne peut pas obtenir en injonction ce qu’il ne peut pas obtenir en contrôle judiciaire. Le défendeur souligne que même si le demandeur a gain de cause avec sa demande de contrôle judiciaire, la réparation serait de casser la décision de l’Unité de 2e palier et de renvoyer l’affaire pour réexamen à la lumière des motifs donnés par la Cour.
[60] En autres mots, la réparation de forcer ACC à payer des sommes ou une prestation au demandeur ne découlerait pas automatiquement d’une décision favorable en contrôle judiciaire. Le résultat du réexamen n’est pas garanti et le demandeur pourrait se voir dans la même situation si la décision initiale d’ACC est confirmée de nouveau.
[61] Je suis d’accord avec le défendeur.
[62] En considérant l’acte introductif du demandeur, la preuve dans son dossier de requête, ainsi que le dossier du défendeur qui comprenait le dossier certifié de l’office fédéral, je ne suis pas convaincue que le demandeur a établi une « forte chance »
de succès au regard du droit et de la preuve présentée pour rencontrer le premier volet du critère dans SRC.
[63] Je conclus que le demandeur n’a pas satisfait les exigences du premier volet dans l’analyse d’une injonction interlocutoire mandatoire.
[64] Même si le manquement quant au premier volet était suffisant de rejeter la requête du demandeur, je continue mon analyse sur les deux autres volets.
B. Deuxième volet – aucune preuve du préjudice irréparable
[65] Le demandeur avise qu’avec l’annulation de sa prestation, il n’a pas les moyens de payer ses dépenses comme son hypothèque. Son dossier de requête indique qu’il cherchait à éviter une saisie immobilière. À l’audience, il a informé la Cour qu’il reçoit une pension et qu’il vient de recevoir des prestations par l’entremise d’un programme différent qui lui alloue 2 000$ par mois. Cependant, ces montants ne sont pas suffisants. Le demandeur exprime aussi qu’il vient d’être signifié avec des documents juridiques. Quoique le demandeur a décrit ses épreuves, il n’a fourni aucun élément de preuve concret au dossier.
[66] Malheureusement, la jurisprudence est claire que l’existence d’un préjudice irréparable ne peut pas se reposer sur de simples affirmations (Canada (Santé) c Glaxosmithkline Biologicals SA, 2020 CAF 135, [Glaxosmithkline], au para 15).
[67] Pour établir un préjudice irréparable, le demandeur doit présenter des éléments de preuve clairs et non conjecturaux qu’il subira un préjudice irréparable si la requête est rejetée (Glaxosmithkline, au para 16).
[68] Bien que je sois sympathique à la situation du demandeur, les affirmations qu’il a présentées ne sont pas étayées par une preuve claire, suffisamment probante ou non conjecturale.
[69] Je conclus que le demandeur n’a pas satisfait les exigences du deuxième volet dans l’analyse d’une injonction interlocutoire mandatoire.
C. Troisième volet - la prépondérance des inconvénients
[70] À cette étape, la Cour doit déterminer quelle partie subirait le plus grand préjudice en accordant ou en refusant l’injonction. Il faut également tenir compte de l’intérêt public (RJR‑MacDonald, à la p. 350)
[71] Le défendeur cite le juge Gascon dans Letnes pour appuyer l’argument que dans l’instance où l’injonction vise une autorité publique, une dimension d’intérêt public est en jeu. Lorsqu’un organisme public est en cause, il incombe aux parties privées de démontrer que la prépondérance des inconvénients va à l’encontre de l’intérêt public (Letnes, au para 83).
[72] À la lumière de mes conclusions portant sur les deux premiers volets ci-dessus, je conclus que la prépondérance des inconvénients milite en faveur du défendeur. Les facteurs sont les suivants : le demandeur n’a pas démontré une forte chance de succès au sein de sa demande de contrôle judiciaire sous-jacente; le demandeur sollicite en demande d’injonction le rétablissement de sa prestation, une réparation qui ne ressortirait pas d’un contrôle judiciaire même en cas de réussite; et finalement l’absence de preuve de préjudice irréparable.
[73] Je conclus que le demandeur n’a pas satisfait les exigences du troisième volet dans l’analyse d’une injonction interlocutoire mandatoire. Dans les circonstances, je ne peux conclure qu’il sera juste et équitable dans le contexte particulier de cette affaire d’accorder une injonction interlocutoire mandatoire.
V. Dépens
[74] Dans son mémoire du demandeur, le demandeur ne cherche pas à obtenir des dépens (« le tout sans frais »
). Le défendeur confirme qu’il ne cherche aucuns dépens du demandeur.
[75] Ayant considéré toutes les circonstances et en exerçant ma discrétion, je n’accorde aucuns dépens.
VI. Conclusion
[76] La demande d’injonction interlocutoire mandatoire est rejetée. Le demandeur n’a rencontré aucun des volets exigés par la jurisprudence pour l’octroi d’une injonction interlocutoire mandatoire.
JUGEMENT dans le dossier T-476-24
LA COUR STATUE que
La demande d’injonction interlocutoire mandatoire est rejetée, sans dépens.
« Phuong T.V. Ngo »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
T-476-24 |
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INTITULÉ :
|
GUILLAUME LEMAY c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
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LIEU DE L’AUDIENCE :
|
PAR VIDÉOCONFÉRENCE |
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 2 AVRIL 2024 |
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JUGEMENT ET MOTIFS
|
LA JUGE NGO |
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DATE DES MOTIFS :
|
LE 10 AVRIL 2024
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|
COMPARUTIONS :
Guillaume Lemay |
Pour le demandeur
(EN SON NOM PROPRE)
|
Me Maude Mercier et Me Miriam Cloutier |
Pour le défendeur
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AVOCAT INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada Montréal (Québec) |
Pour le défendeur
|