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Date : 20240418


Dossier : T-2196-22

Référence : 2024 CF 593

Ottawa (Ontario), le 18 avril 2024

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demanderesse

et

DESJARDINS ASSURANCES GÉNÉRALES INC.

défenderesse

et

JEAN-FRANÇOIS MALO

intervenant proposé

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une requête déposée par Jean-François Malo en vue d’obtenir le statut d’intervenant dans le cadre du litige entre la Ministre de revenu Canada (« la Ministre ») et Desjardins Assurances Générales Inc. (« Desjardins »).

[2] La Ministre a institué une demande visant l’obtention d’une ordonnance en vertu du paragraphe 231.7 de la Loi sur l’impôt sur le revenu du Canada, LRC 1985, ch 1 (5e suppl) [LIR]. La demande de la Ministre fait suite à deux demandes de production ou fourniture de renseignement (DPR) envoyées à Desjardins en vertu du paragraphe 231.2(1) de la LIR, dans le contexte de la vérification et l’enquête de recouvrement visant M. Malo.

[3] Une particularité en l’instance et le fait que Desjardins a obtenu les documents auxquels le Ministre veut avoir accès par le biais des ordonnances interlocutoires de type Mareva et Anton Piller rendu par la Cour supérieure du Québec. Ces ordonnances ont été rendues dans le cadre d'un litige engagé par Desjardins à l'encontre de M. Malo et portant sur des irrégularités financières présumées.

[4] M. Malo soutient que sa participation dans le litige en l’instance est nécessaire parce que, parmi d’autres motifs, le triage de documents saisi en vertu des ordonnances Mareva et Anton Piller inclut tout sort de renseignement, y compris les documents protégés par le secret professionnel. Il y avait un règlement du litige entre Desjardins et M. Malo, et il affirme que ce règlement (qui ne figure pas dans le dossier de la Cour en ce moment) est pertinent en l’instance. Il soutient que la Cour a besoin de son point de vue en ce qui concerne l’interprétation du règlement.

[5] Desjardins ne s’oppose pas à la requête d’intervention. Toutefois, la Ministre s’oppose à la requête d’intervention au motif que M. Malo n’a pas satisfait au critère énoncé dans la Règle 109 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, et la jurisprudence.

[6] Pour les motifs qui suivent, la requête sera rejetée.

I. Contexte

[7] Le 3 mai 2022, l’Agence du Revenu du Canada (l’ARC) a transmis à M. Malo des projets de nouvelle cotisation, pour les années d’imposition 2013 à 2018 et 2020. Les cotisations portent sur des revenus non déclarés pour ces années. Le 13 avril 2022, en vue du recouvrement de ces nouvelles cotisations, la Cour a rendu des ordonnances autorisant la Ministre à exécuter des mesures de recouvrement en vertu des alinéas 225.1(1)a) à g) de la LIR. Le 12 septembre 2022, les personnes et entités visées par les ordonnances ont déposé une requête pour prolonger le délai de contestation, laquelle a été rejetée par la Cour.

[8] Le 24 octobre 2022, la Ministre a introduit un avis de demande sommaire en vertu de l’article 231.7 de la LIR à l’encontre de Desjardins. L’objet de la demande est d’ordonner Desjardins de se conformer à deux DPR datées le 14 et le 16 juin 2022, établies par la Ministre suivant le paragraphe 231.2(1) de la LIR. Les deux DPR sont envoyées par la Ministre dans le cadre d’une vérification et d’une enquête de recouvrement de la Ministre envers M. Malo pour les années d’imposition 2013 à 2020.

[9] Il est utile d’examiner le contexte pour les DPR, étant donné son importance pour les questions en jeu en l’instance. En 2019, Desjardins a institué une poursuite en dommages à l’encontre de M. Malo et des autres personnes et entités. Ce litige a donné lieu aux jugements et ordonnances et procédures suivantes :

  1. Le 1 février 2019, à la demande de Desjardins, la Cour supérieure du Québec a rendu une ordonnance injonctive de type Anton Piller, Mareva et Norwich, qui autorise la saisie des biens meubles et immeubles à l’endroit de M. Malo et autres;

  2. Le 30 septembre 2019, la Cour supérieure a rejeté la demande en annulation des ordonnances de M. Malo et autres;

  3. Le 19 novembre 2019, la Cour supérieure a rendu une ordonnance qui homologue un protocole d’accès à la preuve saisi et aux documents obtenu dans le cadre de l’exécution de l’ordonnance Anton Piller/Norwich;

  4. Le 26 novembre 2019, la Cour d’appel du Québec a rejeté la demande de permission d’appeler le jugement de la Cour supérieure de M. Malo et des autres;

  5. Le 24 janvier 2020, M. Malo et autres ont déposé un avis de demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada.

[10] Le 19 juin 2020, les « avocats superviseurs indépendants » désignés par la Cour supérieure dans l’ordonnance Anton Piller/Norwich a déposé une demande pour obtenir des instructions en vue de compléter leur mandate. Ils ont indiqué que « conformément au Protocole, l’Avocat superviseur indépendant a donné accès à la preuve saisie et aux documents à [Desjardins] »;

  1. Le litige entre Desjardins et M. Malo et autres a fait l’objet d’un règlement en août 2020.

[11] Ce contexte explique pourquoi la Ministre a envoyé les DPR à Desjardins. Il y a des différences entre les deux DPR envoyés à Desjardins, mais aucune n’est pertinente en l’instance. L’essentiel est que les DPR demande que Desjardins remette les renseignements ou fournis les documents décrits comme suit:

Copie de tout document et matériel, sur support papier, informatique ou autre, obtenu par Desjardins Groupe d'assurances générales inc., en application du protocole d'accès à la preuve saisie et aux documents obtenus dans le cadre de 1'exécution des ordonnances de type Anton Piller et Norwich émises par 1'Honorable Frédéric Bachand, J.C.S. en date du ler février 2019 » établi par l'honorable David R. Collier, J.C.S. , le 19 novembre 2019, dans le dossier de la Cour supérieure du Québec, district de Montréal, portant le numéro 500-11-056166-198, à l'exception de :

- Tout document et matériel décrit au paragraphe précédent qui aurait fait 1'objet d'une contestation de l'une ou l'autre des parties défenderesses ou mises en cause à 1'instance susdite, fondée sur le secret professionnel de l'avocat ou du notaire, le privilège de litige ou d'intérêt commun, ayant été accueillie par jugement passé en force de chose jugée.

[12] Le 20 juillet 2022, l’avocat de Desjardins a répondu au DPR, indiquant que Desjardins « estime qu’elle ne peut vous remettre les documents visés par les demandes péremptoires sans jugement d’une autorité compétente… ». Desjardins fait référence au fait que les documents visés contiennent ou pourrait contenir des renseignements concernant des personnes non désignées nommément, au sens de l’article 231.2(2) de la LIR. De plus, Desjardins note les obligations qu’elle est subie selon le règlement du litige avec M. Malo, à l’effet qu’elle ne peut pas « utiliser ou distribuer les documents et autres objets saisis dans le cadre de l’exécution de la saisie de type Anton Piller sauf sur ordonnance finale d’un tribunal compétent… ».

[13] Suite à cette réponse, la Ministre a entamé la demande pour une ordonnance de la Cour, en vertu du paragraphe 231.7 de la LIR. Desjardins a envoyé une copie de courtoisie des DPR à M. Malo, comme l’exigeaient les termes du règlement. M. Malo a informé les procureurs de Desjardins ainsi que celle de la Ministre qu’il a l’intention de déposer une requête pour obtenir le statut d’intervenant dans ce processus, et il l’a fait le 14 novembre 2022.

II. Questions en litige

[14] La seule question devant la Cour est : est-ce que M. Malo satisfait les exigences du Règle 109 et la jurisprudence concernant les requêtes en intervention?

III. Analyse

A. Cadre juridique

[15] La règle 109 régit les demandes d’intervenir dans une cause devant cette Cour :

Interventions

Autorisation d’intervenir

109 (1) La Cour peut, sur requête, autoriser toute personne à intervenir dans une instance.

Avis de requête

(2) L’avis d’une requête présentée pour obtenir l’autorisation d’intervenir :

a) précise les nom et adresse de la personne qui désire intervenir et ceux de son avocat, le cas échéant;

b) explique de quelle manière la personne désire participer à l’instance et en quoi sa participation aidera à la prise d’une décision sur toute question de fait et de droit se rapportant à l’instance.

Directives de la Cour

(3) La Cour assortit l’autorisation d’intervenir de directives concernant :

a) la signification de documents;

b) le rôle de l’intervenant, notamment en ce qui concerne les dépens, les droits d’appel et toute autre question relative à la procédure à suivre.

Intervention

Leave to intervene

109 (1) The Court may, on motion, grant leave to any person to intervene in a proceeding.

Contents of notice of motion

(2) Notice of a motion under subsection (1) shall

(a) set out the full name and address of the proposed intervener and of any solicitor acting for the proposed intervener; and

(b) describe how the proposed intervener wishes to participate in the proceeding and how that participation will assist the determination of a factual or legal issue related to the proceeding.

Directions

(3) In granting a motion under subsection (1), the Court shall give directions regarding

(a) the service of documents; and

(b) the role of the intervener, including costs, rights of appeal and any other matters relating to the procedure to be followed by the intervener.

[16] Notre Cour et la Cour d’appel fédérale a récemment examiné dans de nombreuses affaires les critères relatifs aux autorisations d’intervenir au tire du Règle 109. À l’audience en l’instance, j’ai attiré l’attention des parties à la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Ralliement national des Métis et la Fédération des Métis du Manitoba Inc c Varley, 2022 CAF 110 [Métis de Manitoba].

[17] La jurisprudence confirme que la Cour se concentre sur trois facteurs : (1) l’utilité de l’intervention par rapport aux questions que la Cour sera appelée à trancher; (2) l’intérêt du requérant dans l’affaire; et (3) l’intérêt de la justice. Les critères doivent s’appliquer avec souplesse et ne seront pas tous pertinents dans chaque affaire : voir Sport Maska Inc c Bauer Hockey Corp, 2016 CAF 44 [Sport Maska] au paragraphe 42.

[18] Dans Métis de Manitoba, le test est résumé comme suit :

[7] Comme l’a conclu le juge Stratas de notre Cour dans Canada (Procureur général) c. Kattenburg, 2020 CAF 164, cité dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Conseil canadienne pour les réfugiés, 2021 CAF 13, le principal élément du critère encadrant les autorisations d’intervenir, aux termes de l’article 109 des Règles, est l’utilité des observations du requérant (Kattenburg au para. 8). Plus précisément, le libellé de l’alinéa 109(2)b) exige que la partie qui présente la requête explique en quoi sa participation aidera à la prise d’une décision sur toute question de fait et de droit se rapportant à l’instance. Plus récemment, le juge Stratas a affirmé que les meilleures demandes d’intervention se concentraient sur l’utilité des observations (Right to Life Association of Toronto and Area c. Canada (Emploi, Développement de la main-d’œuvre et Travail), 2022 CAF 67 au para. 11). Il faut répondre à quatre (4) questions pour déterminer l’élément d’utilité du critère encadrant l’intervention :

1) Quelles sont les questions que les parties ont soulevées?

2) Quelles observations l’intervenant éventuel a-t-il l’intention de présenter concernant ces questions?

3) Les observations de l’intervenant éventuel sont-elles vouées à l’échec?

4) Les observations défendables de l’intervenant éventuel aideront-elles la Cour à trancher les véritables questions en jeu dans l’instance?

(Conseil canadien pour les réfugiés au para. 6; Kattenburg au paragraphe 9)

[19] Le premier facteur, l’utilité de l’intervention, doit être traité en considération du litige entre la Ministre et Desjardins. En l’instance, la Cour sera appelée à examiner si la Ministre a satisfait les critères applicables à une demande en vertu du paragraphe 231.7 de la LIR, qui stipule:

Ordonnance

231.7 (1) Sur demande sommaire du ministre, un juge peut, malgré le paragraphe 238(2), ordonner à une personne de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir en vertu des articles 231.1 ou 231.2 s’il est convaincu de ce qui suit :

a) la personne n’a pas fourni l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents bien qu’elle en soit tenue par les articles 231.1 ou 231.2;

b) s’agissant de renseignements ou de documents, le privilège des communications entre client et avocat, au sens du paragraphe 232(1), ne peut être invoqué à leur égard.

Compliance order

231.7 (1) On summary application by the Minister, a judge may, notwithstanding subsection 238(2), order a person to provide any access, assistance, information or document sought by the Minister under section 231.1 or 231.2 if the judge is satisfied that

(a) the person was required under section 231.1 or 231.2 to provide the access, assistance, information or document and did not do so; and

(b) in the case of information or a document, the information or document is not protected from disclosure by solicitor-client privilege (within the meaning of subsection 232(1)).

[20] Les DPR en l’instance sont envoyées à Desjardins en vertu du paragraphe 231.2(1) de la LIR :

Production de documents ou fourniture de renseignements

231.2 (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l’application ou l’exécution de la présente loi (y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi), d’un accord international désigné ou d’un traité fiscal conclu avec un autre pays, par avis signifié ou envoyé conformément au paragraphe (1.1), exiger d’une personne, dans le délai raisonnable que précise l’avis :

a) qu’elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

b) qu’elle produise des documents.

Requirement to provide documents or information

231.2 (1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act (including the collection of any amount payable under this Act by any person), of a listed international agreement or, for greater certainty, of a tax treaty with another country, by notice sent or served in accordance with subsection (1.1), require that any person provide, within such reasonable time as is stipulated in the notice,

(a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return; or

(b) any document.

B. Les positions des parties

[21] M. Malo soutient que sa participation dans cette affaire est nécessaire et utile. Sa position reste sur quelques propositions :

Les termes du règlement intervenu entre Desjardins et M. Malo sont pertinents, et la Cour doit savoir son interprétation des articles clé, au lieu d’entendre seulement la position de Desjardins;

Les documents et autres matériaux saisis et dans la possession de Desjardins peuvent inclure des documents contenant des éléments soumis au privilège de secret professionnel de l’avocat. Il y a une question quant à la renonciation du privilège : la position de la Ministre est à l’effet que M. Malo l’a renoncé, mais il n’est pas d’accord. Lié à cet élément, il soutient que le « triage » de ces documents n’a pas été fait, et si la Cour accorde la demande en vertu du paragraphe 231.7, il faut adopter un processus pour éviter la brise du privilège avant que les documents soient envoyés à la Ministre;

les ordonnances rendues par la Cour supérieure du Québec touchent plusieurs autres personnes et entités, et il faut considérer leurs intérêts avant de donner suite à la demande de la Ministre; et

Il y a des erreurs dans les DPR qui doivent être examinés, et Desjardins n’a pas l’intention d’opposer les demandes aux mérites.

[22] M. Malo insiste sur le fait qu'il n'y a pas de précédent concernant l'accès du gouvernement à des documents saisis dans le cadre d'ordonnances Mareva, Anton Piller et Norwich. Il affirme qu'il s'agit là d'un facteur clé qui pèse en sa faveur.

[23] Desjardins ne s’oppose pas à la requête de M. Malo. L’essence de leur position a été exprimée comme suit : ils se trouvent entre l’arbre et l’écorce. D’un côté, ils ont reçu la demande de la Ministre, qui fait valoir des droits qui sont prévus par la LIR et une jurisprudence volumineuse à l’égard de la portée de l’article 231.7. D’autre part, ils sont liés par des obligations envers M. Malo à la suite du règlement qui est intervenu dans leur litige. De plus, Desjardins doit informer les autres parties du litige de fait qu’ils ont reçu des DPR, en conformité avec les termes du règlement.

[24] Pour sa part, la Ministre s’oppose à la requête de M. Malo parce qu’elle soutient qu’il n’a pas satisfait les critères qui s’appliquent, compte tenu de la nature du litige en l’instance. Selon la Ministre, il semble que M. Malo cherche, en effet, de remplacer Desjardins comme défendeur en l’instance. Il faut se souvenir que le litige en l’instance implique une demande en vertu du paragraphe 231.7 de la LIR.

[25] Selon la Ministre, la DPR a été envoyer à Desjardins, et il n’y a pas une obligation d’informer le contribuable, parce que la loi ne prévoit pas la participation de la personne impliquée dans la vérification. En l’instance, Desjardins ne nie pas avoir reçu les DPR et ne nie pas avoir en sa possession les renseignements demandés.

[26] La Ministre affirme que la Cour devrait tenir compte du contexte juridique et factuel dans la considération de la requête de M. Malo. En particulier, la Ministre souligne l’étendue des pouvoirs qui leur sont conférés par paragraphe 231.7, le fait que les DPR demande la divulgation seulement des documents et renseignement dans la possession de Desjardins en conformité avec le protocole instauré par le juge Collier de la Cour supérieure, et qu’il y une exception expresse pour les documents qui aurait fait l’objet d’une contestation fondée sur le secret professionnel de l’avocat. Selon la Ministre, la portée des demandes dans les DPR est limitée.

[27] Selon la Ministre, la Cour doit examiner la requête de M. Malo en tenant compte du contexte spécifique, et elle soutient que la seule conclusion est qu’il ne s’est pas déchargé de son fardeau.

C. Discussion

[28] En l’espèce, les critères qui précèdent penchent en faveur du rejet de la demande d’intervention.

[29] Le deuxième facteur, c’est-à-dire l’intérêt de M. Malo dans l’affaire en l’instance, est évident. J’accepte qu’il a une raison valable de demander le statut d’intervenant.

[30] La question déterminante est l’utilité de l’intervention proposée par rapport aux questions que la Cour sera appelée à trancher.

[31] Au début, il faut mettre la question dans son contexte. L’affaire dans laquelle M. Malo veut intervenir concerne une demande de renseignements en vertu du paragraphe 231.7 de la LIR. La demande fait suite à deux DPR envoyées à Desjardins en vertu du paragraphe 231.2(1), dans le contexte d’une vérification de la revenue de M. Malo.

[32] Je suis d’accord avec Desjardins qu’il y a une jurisprudence abondante qui confirme la portée des pouvoirs accordés à la Ministre. La Cour suprême du Canada les a décrits comme suit : « Dans le cadre d’une mesure de vérification et d’exécution entreprise en vertu de la [LIR], l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») est investie de vastes pouvoirs qui lui permettent de contraindre une personne à communiquer à l’appelant, le ministre du Revenu national (« Ministre »), des renseignements et des documents relatifs à un contribuable » (Canada (Revenu national) c Thompson, 2016 CSC 21 [Thompson] au paragraphe 1).

[33] Dans Zeifmans LLP c Canada (Revenu national), 2021 CF 363 (confirmé 2022 CAF 160), la juge Elizabeth Walker (comme elle l’était à ce moment) a décrit l’étendue de ces pouvoirs :

[47] Il ne fait aucun doute que le législateur voulait que les pouvoirs du ministre d’obtenir des renseignements en se fondant sur l’article 231.2 soient vastes. Si un contribuable canadien organise ses affaires par l’intermédiaire d’une société ou d’autres entités, l’ARC a le droit d’obtenir des renseignements concernant ces entités pour effectuer une vérification et vérifier si le contribuable respecte la LIR. Si les livres et registres de l’entité sont mis en la possession de tiers, le ministre a le droit d’exiger que le tiers fournisse les renseignements demandés si les personnes non désignées nommément ne font pas l’objet d’une vérification. Les renseignements sont requis pour vérifier que le contribuable visé par la vérification se conforme à la Loi et aucune demande d’autorisation judiciaire n’est requise (citant Redeemer Foundation c Canada (Revenu national), 2008 CSC 46, au paragraphe 22).

[34] Le seuil d’établir la pertinence du document demandé en vertu du paragraphe 231.2 est peu élevé. La personne visée par une demande doit fournir « toute renseignement » et/ou « documents » et la Ministre doit seulement établir que le renseignement ou document est « pertinente » à l’administration de la LIR : Canada (Agence des Douanes et du Revenu) c Artistic Ideas Inc, 2005 CAF 68 au paragraphe 8.

[35] En ce qui concerne l’objectif du paragraphe 231.7, la Cour suprême a noté, dans Canada (Procureur général) c Chambre des notaires du Québec, 2016 CSC 20:

[9] La deuxième disposition, l’art. 231.7, entre en jeu lorsque la personne à qui est adressée une demande péremptoire refuse de fournir les renseignements ou les documents recherchés. Dans un tel cas, aux termes de cet article, le Ministre peut avoir recours aux tribunaux au moyen d’une procédure qui se veut sommaire. Sur demande du Ministre, l’article permet à un juge, s’il est convaincu qu’une personne ne l’a pas fait alors qu’elle y était tenue en vertu des art. 231.1 ou 231.2 de la LIR, d’ordonner à cette dernière de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le Ministre cherche à obtenir. Par contre, l’article prévoit que le juge ne peut prononcer une ordonnance à l’égard des renseignements ou des documents recherchés que si le privilège des communications entre client et avocat, au sens de la par. 232(1) de la LIR, ne peut être invoqué à leur endroit.

[36] De plus, la LIR ne fait pas la distinction entre les documents dans la possession d’un tiers partie (c.-à-d. autre que le contribuable sujet de vérification) en vertu d’une relation commerciale (par exemple les documents bancaires), ou des documents que le tiers a obtenus par autres moyennes. L’essentiel est le fait que le tiers a des documents ou renseignements dans sa possession.

[37] Compte tenu de ces dispositions, on peut distinguer entre les questions auxquelles la Cour sera appelée de tranchée en l’instance, et celles qui ne semblent pas être en jeu. En particulier, à ce stade du processus, il me semble que le fait que Desjardins est en possession des documents et renseignements qui sont pertinents à la vérification du revenu de M. Malo n’est pas en question. De plus, Desjardins a refusé de se conformer à la DPR.

[38] Selon M. Malo, il y a plusieurs questions sur lesquelles la Cour bénéficierait de sa participation. Dans ses représentations écrites, il a soulevé quelques irrégularités dans la procédure entamée par la Ministre. Il soutient que la demande péremptoire est invalide parce qu’elle était adressée à Desjardins Groupe D’Assurances Générales Inc. et non à Desjardins Assurances Générales Inc. Il note aussi que la demande était adressée aux soins de Me. Sébastien Caron, avocat, mais les articles 231.1, 231.7 et 232.1 de la LIR sont inapplicables aux avocats du Québec.

[39] M. Malo a aussi souligné qu’il n’y a pas de précédents visant une demande péremptoire ou une entité gouvernementale qui souhaite avoir accès aux documents saisis dans le cadre d’une ordonnance de type Anton Piller dans un dossier ou elle n’est pas partie. La seule décision qui s’apparente à la demande en l’instance est un arrêt de la Cour d’appel du Québec, dans Desmarteau c Ontario Lottery and Gaming Corporation, 2013 QCCA 2090 [Desmarteau]. Dans cette décision, la Cour d’appel a rejeté la demande pour faire examiner les ordinateurs personnels de M. Desmarteau, parce que, inter alia, la Cour a trouvé que l’encadrement de ce qui est recherché est inadéquat et incomplet. M. Malo affirme que la même crainte existe en l’instance, compte tenu de l’ampleur de la demande péremptoire de la Ministre et l’étendue des documents et renseignements saisis.

[40] À l’audience, M. Malo se concentre sur deux autres points. Premièrement, il affirme qu’il peut y avoir des documents qui sont soumis au secret professionnel de l’avocat, et que le tri des documents saisis n’a pas encore été effectué. Deuxièmement, il estime que si la Ministre considère qu'il a renoncé à son privilège sur ces documents, la Cour doit entendre sa position à ce sujet.

[41] Il y a plusieurs problèmes avec la position de M. Malo. Quant à ses représentations sur les mérites, il n’a pas démontré en quoi ces arguments aideront le juge sur le fond. Ses observations écrites tendent à étayer la position de la Ministre selon laquelle il cherche à remplacer Desjardins.

[42] En ce qui concerne ses représentations à l’audience, il faut noter quelques points. Premièrement, il n’y a pas une confirmation que parmi les documents et renseignements saisis, il y a celles qui sont soumises au secret professionnel de l’avocat. À ce stade du processus, ce n’est que spéculation. M. Malo est au courante de ce qui a été saisi, et il ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait d’établir que ces documents ou renseignements sont protégés par le privilège professionnel de l’avocat.

[43] Deuxièmement, même si j'admets que certains documents peuvent être couverts par le secret professionnel, le tribunal dispose des outils nécessaires pour traiter cette question. C'est ce qu'il fait couramment, en suivant des procédures acceptées et comprises depuis longtemps. Voici l’explication qu’a donnée le juge Richard Mosley au paragraphe 12 de la décision Canada (Ministre du Revenu national – MRN) c Revcon Oilfield Constructors Inc, 2015 CF 524 :

[12] La Cour dispose du pouvoir de recevoir sous enveloppe scellée des documents à l’égard desquels le privilège des communications entre client et avocat est revendiqué, et d’examiner ces documents en vue de se prononcer sur le bien‑fondé de la revendication. Dans Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44 [Blood Tribe], le juge Binnie a expliqué (au paragraphe 17) qu’il fallait user de ce pouvoir de façon modérée : « Même les tribunaux refusent d’examiner des documents protégés par le secret professionnel de l’avocat pour statuer sur l’existence du privilège, à moins que des éléments de preuve ou des arguments démontrent la nécessité de le faire pour trancher la question en toute justice […] ».

[44] En l’instance, c’est évident que Desjardins veut respecter les deux obligations qui lui contraigne, c’est-à-dire l’obligation de divulgation en réponse aux DPR émises par la Ministre, et l’obligation de respecter les termes du règlement du litige avec M. Malo et autres. Dans ce contexte, la Cour est convaincue que Desjardins prendra les mesures nécessaires pour s'assurer que tout document susceptible de relever du secret professionnel de l'avocat soit identifié et porté à son attention, afin que les procédures appropriées puissent être suivies.

[45] M. Malo affirme qu’il devrait avoir la possibilité de répondre à la question de savoir s’il a renoncé à son privilège du secret professionnel de l’avocat. À ce stade du processus, je suis d’avis que cette question reste sur la spéculation. La portée des DPR envoyés à Desjardins est limitée. Il faut souligner les termes exacts des demandes, et en particulier que la Ministre ne cherche que la divulgation de documents ou renseignements en conformité avec le protocole établi par la Cour supérieure. De plus, les termes des DPR ont exclu les documents qui auraient fait l’objet d’une contestation fondée sur le secret professionnel de l’avocat ayant été accueilli par un jugement.

[46] À l’audience, M. Malo a noté que la question de renonciation de son privilège du secret professionnel de l’avocat a été soulignée dans le contexte d’une autre cause semblable, et il fait référence à l’Ordonnance prononcée par le juge Denis Gascon : Dans l’Affaire de la Loi de l’Impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e supp) et autres (Dossiers de la Cour : ITA-1146-22, ITA-1147-22, ITA-1149-22, ITA-1150-22, ITA-1153-22), rendu le 16 décembre 2022 [Ordonnance ITA]. Cette ordonnance confirme deux choses. Premièrement, la Cour reconnait l’importance capitale de la protection du privilège du secret professionnel de l’avocat : le juge Gascon le décrit comme « une pierre angulaire du régime juridique canadien et on ne peut y porter atteinte que dans des situations de nécessité absolue… » (Ordonnance ITA, au paragraphe 23). Deuxièmement, je note que la Cour n’a pas accueilli la position de la Ministre en ce qui concerne la prétention qu’il y avait une renonciation du privilège. Ceci est une indication du fardeau lourde qui pèse sur la Ministre pour satisfaire la Cour sur cette question.

[47] De plus, M. Malo soutient que la Ministre a déposé une demande très similaire dans le contexte du litige devant la Cour supérieure, et qu’il n’y avait pas d’objections à sa participation dans ce processus. Il affirme que c’est une indication de l’importance de lui accorder le statut d’intervenant en l’instance.

[48] Je suis d’accord avec la position de la Ministre sur ce point. Le contexte procédural de l’affaire devant la Cour supérieure est complètement différent de celui devant cette Cour. Il faut tenir compte du fait que la LIR établit un processus pour l’obtention de renseignement pour les fins de l’administration de la loi, et que l’affaire en l’instance est réglée par les termes de cette loi. En vue de ces distinctions, la participation de M. Malo dans le contexte du litige devant la Cour supérieure n’est pas très pertinente à la question devant la Cour en l’instance.

[49] Compte tenu de l’étendue des demandes dans les DPR, ce n’est pas évident si la question de la renonciation du privilège n’est pas levée dans le cadre du litige en l’instance. Si cette question devient pertinente, le juge saisi de l'affaire pourra décider s'il est approprié et nécessaire d'informer M. Malo de cette question et de lui donner l'occasion de s'exprimer à ce sujet. À ce moment-là, le juge pourra bénéficier des observations de Desjardins et de la Ministre, et disposera d'un dossier plus complet pour examiner la question.

[50] En ce qui concerne le troisième élément du test d’intervention – si c’est dans l’intérêt de la justice que l’intervention soit autorisée – une approche souple s’impose. Voici la liste des facteurs énumérés par le juge Stratas dans LeVel Brands :

L’intervention est-elle compatible avec les impératifs de la règle 3 des Règles selon laquelle l’instance doit être instruite « de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible »? Par exemple, le cours ordonné de l’instance ou le calendrier de celle-ci seront-ils indûment perturbés?

L’affaire a-t-elle pris une dimension tellement publique, importante et complexe que la Cour doit être exposée à des perspectives autres que celles offertes par les parties qui comparaissent devant elle?

La cour de première instance dans cette affaire a-t-elle autorisé l’intervention de la partie?

L’autorisation de multiples intervenants va-t-elle emporter une « inégalité des moyens » ou un déséquilibre en faveur d’un camp ou en donner l’apparence?

[51] En l’instance, l’affaire n’a pas une dimension publique, et il n’y a pas question d’une « inégalité des moyens ». Mais je soutiens que la participation de M. Malo va tarder le processus, compte tenu de l’ampleur des arguments qu’il a soulevé dans ses représentations écrites soumises en l’instance. Il faut se souvenir que les DPR, et la procédure en vertu du paragraphe 321.7 entamé par la Ministre, sont adressés à Desjardins, et pas à M. Malo.

[52] Même si on accepte que le résultat du processus de vérification de la Ministre peut avoir des conséquences pour M. Malo, si cela se produit, il aura d’autres occasions de contester le processus et les résultats.

[53] Pour les motifs exposés ci-dessus, je suis d’avis qu’il est prématuré et spéculatif de décider que la participation de M. Malo est nécessaire ou opportune. En conséquence, la requête de M. Malo est rejetée.

[54] Dans toutes les circonstances, aucuns dépens ne sont adjugés.

[55] Finalement, la Cour reconnait le temps qu'il lui a fallu pour rendre cette décision et s'excuse auprès des parties pour le délai.


ORDONNANCE au dossier T-2196-22

LA COUR STATUE que :

  1. La requête en intervention de M. Malo est rejetée.
  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« William F. Pentney »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2196-22

INTITULÉ :

MINISTRE DU REVENU NATIONAL c DESJARDINS ASSURANCES GÉNÉRALES INC. ET JEAN-FRANÇOIS MALO

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL, QUÉBEC

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 décembre 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

LE 18 avril 2024

COMPARUTIONS :

Me Pierre Lamothe

Me Christian Lemay

POUR LA PARTIE demanderESSE

Me Samuel Perron

 

 

POUR LA PARTIE DÉFENDErESSE

 

Me Jean-François Brière

 

POUR L’INTERVENANT JEAN-FRANÇOIS MALO

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal, Québec

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l. / LLP

Québec, Québec

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Me Jean-François Brière

POUR L’INTERVENANT JEAN-FRANÇOIS MALO

 

 

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