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Date : 20240422


Dossier : IMM-4863-22

Référence : 2024 CF 592

Ottawa (Ontario), le 22 avril 2024

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

MOMEN KHALIL

ADAM KHALIL

SHAIMAA ABDELMEGUID S. MOHAMED

DARINE KHALIL

parties demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) ayant confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) à l’effet que les demandeurs n’ont pas la qualité de réfugiés au sens de la convention ni celle de personnes à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2] Les demandeurs soutiennent que la décision de la SAR est déraisonnable, parce qu’elle n’a pas tenu compte de la totalité de la preuve, et a omise de considérer leur situation dans son propre contexte.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

I. Contexte

[4] Le demandeur principal (le demandeur), son épouse et leurs deux enfants mineurs sont citoyens de l’Égypte. Les demandes d’asile de la famille reposent sur le fondement de la demande du demandeur. Voici son récit.

[5] Lorsqu’ils vivaient en Égypte, le demandeur travaillait au centre de contrôle de l’aéroport international du Caire. Le demandeur affirme que, le 6 mars 2017, il a été arrêté par des agents de la sécurité nationale qui l’attendaient à son arrivée au travail et qui l’auraient détenu pendant 22 heures. Les agents l’auraient interrogé sur le fait que son père était membre des Frères Musulmans et que le demandeur avait critiqué le gouvernement lors de discussions avec des collègues de travail. Le demandeur allègue aussi avoir été torturé. Le demandeur allègue que certains de ces collègues auraient subi le même sort.

[6] Ensuite, le demandeur constate qu’il a subi des représailles au travail :

  • Il a été transféré et rétrogradé à son ancien poste dans un autre département, résultant en une importante baisse salariale;

  • À partir de la fin mars 2017, il devait se présenter tous les mois au bureau de la sécurité nationale à l’aéroport pour s’enregistrer;

  • En juillet 2017, puis en septembre 2017, sa carte d’employé a été renouvelée pour une durée de seulement trois mois, contrairement à l’habituel renouvèlement d’une durée d’un an, au motif qu’il n’aurait pas reçu l’habilitation de sécurité.

[7] En décembre 2017, le demandeur et sa famille ont entamé des démarches afin de voyager au Canada pour une période de 6 mois pour visiter la belle-mère du demandeur. Celle-ci travaillait comme vice-consul au Consulat général d’Égypte à Montréal. Le demandeur a aussi un frère qui était prétendument un employé du ministère des Affaires étrangères d’Égypte.

[8] Le 28 janvier 2018, le demandeur se voit accorder un congé sans solde d’une année pour s’occuper de son père malade, alors qu’il affirme n’avoir demandé qu’un congé annuel de deux mois pour des vacances, suivi d’un congé sans solde de quatre mois. Il y voit un nouveau cas de représailles en raison de l'appartenance de son père au Frères Musulmans et de ses propres critiques à l'égard du gouvernement.

[9] Le 7 février 2018, les demandeurs ont quitté l’Égypte et sont arrivés au Canada munis de leurs visas de visiteurs. En juin 2018, les demandeurs ont demandé une prolongation de six mois de la durée de leurs visas. Le 17 juillet 2018, le frère du demandeur l’informe qu’un de ses collègues a été congédié en juin, puis a été arrêté, accusé d’avoir écrit à propos de la politique sur Facebook. Le 19 juillet 2018, le frère du demandeur aurait informé celui-ci que les services de sécurité s’étaient présentés chez lui et l’auraient informé d’un mandat d’arrêt contre lui à son retour en Égypte.

[10] Peu après, les demandeurs ont fait une demande d’asile au Canada. La SPR a rejeté leur demande d’asile en octobre 2021. La question déterminante est la crédibilité.

[11] La SAR a rejeté l’appel des demandeurs en avril 2022. La question déterminante est la crédibilité. La SAR est d'accord avec l'évaluation de la crédibilité par le SPR, et a trouvé que les multiples incohérences et l'incohérence du récit du demandeur ont miné sa crédibilité. L’analyse de la SAR s’est concentrée sur les éléments suivants.

A. L’arrestation de mars 2017:

[12] Le demandeur affirme qu’il a été arrêté et questionné par les agents de sécurité nationale. Il constate que les agents ont dit que son père était membre des Frères Musulmans, et ils l'ont interrogé sur les critiques du gouvernement qu'il avait exprimées à ses collègues de travail. Après cela, il a été libéré suite à sa promesse de ne plus critiquer le gouvernement.

[13] La SPR a noté que son profil ne correspond pas aux groupes qui font l'objet d'une répression de la part de l'État, tels qu’ils sont définis dans le cartable nationale pour l’Égypte. En outre, il affirme avoir été libéré après avoir promis de ne plus discuter de politique au travail, mais ce traitement ne correspond pas aux preuves concernant le traitement des dissidents politiques par les autorités de l'État.

[14] Le fait qu'il ait été autorisé à continuer à travailler dans une zone sécurisée de l'aéroport et que ses collègues qui ont également été interrogés soient restés à leur poste a miné sa crédibilité. La SPR a trouvé une incohérence entre le conduit du demandeur et son récit. Il a indiqué qu’il n’a pas des craintes pour sa sécurité, parce qu’il a pensé que l’affaire avec les agents de sécurité est finie. Par contre, dans son récit il affirme qu’il a fui l’Égypte parce qu’il craignait la persécution par les agents de sécurité.

[15] La SAR a affirmé la conclusion de la SPR quant à la crédibilité du demandeur en ce qui concerne son arrestation en mars 2017. LA SAR a noté que le témoignage du demandeur était confus et incohérent, et que ses réponses aux questions sur cet incident n'étaient pas convaincantes.

B. Les représailles au travail

[16] La SPR a discuté les allégations du demandeur par rapport à son traitement au travail, incluant les éléments suivants :

  • Il affirme avoir été rétrogradé pour le punir de ses opinions politiques, mais les documents qu'il a présentés ne corroborent pas cette affirmation;

  • Il a déclaré qu'il était contraint de renouveler son permis de travail plus souvent qu'auparavant et que ses collègues étaient soumis au même traitement. Toutefois, aucun élément ne permet d'établir un lien avec ses opinions politiques et il a conservé son emploi jusqu'à ce qu'il quitte le pays;

  • Il a déclaré avoir été mis en congé sans solde pendant un an, mais les preuves ont montré que son employeur lui a accordé un congé après qu'il l'a demandé. Il n’y a pas une indication que c’est une représailles contre le demandeur;

[17] La SAR a rejeté les arguments du demandeur contre les conclusions du SPR sur ces points :

[38] The RAD does not agree with the appellants' arguments. The RPD provided clear and intelligible reasons as to why the principal appellant has not established the well-foundedness of the allegations underlying his claim. In this regard, the RPD's credibility concerns were also brought to the attention of the principal appellant during the hearing, particularly with respect to inconsistencies in his own evidence.

[39] The RPD considered the principal appellant's responses unreasonable given the circumstances. The RAD agrees with this conclusion.

[Version originale en anglais]

[38] La SAR ne souscrit pas aux arguments des appelants. La SPR a fourni des motifs clairs et intelligibles quant à la raison pour laquelle l’appelant principal n’a pas établi le bien-fondé des allégations qui sous-tendent sa demande d’asile. À cet égard, les préoccupations de la SPR quant à la crédibilité ont également été portées à l’attention de l’appelant principal durant l’audience, notamment concernant les incohérences dans ses propres éléments de preuve.

[39] La SPR n’a pas jugé raisonnables les réponses de l’appelant principal compte tenu des circonstances. La SAR est d’accord avec cette conclusion.

C. Incidents après son départ d'Égypte

[18] Le demandeur affirme qu’il a décidé de demandé l’asile au Canada après être informé que les agents de sécurité de l’Égypte a dit à son frère qu'il figurait sur une liste de personnes recherchées et qu'il serait arrêté s'il revenait. La SPR a relevé plusieurs incohérences dans cette histoire, en observant :

  • Le fait que le demandeur ait vécu dans le pays sans problème pendant un an après sa prétendue arrestation;

  • Sa belle-mère et son frère aient tous deux été employés par le gouvernement mais n'aient jamais été interrogés à son sujet ;

  • Le fait qu'il n'ait eu aucun problème à quitter le pays en février 2018 malgré les documents prouvant que des dissidents avaient été interceptés à l'aéroport.

[19] La SAR n’a pas trouvé erreur dans cette analyse, en concluant que l’explication du demandeur n’était pas satisfaisante. Le fait que les agents de sécurité n’ont pas pris des mesures à l’encontre du demandeur qu’après son départ; que sa belle-mère n’avait pas été contactée pour obtenir de l’information concernant le demandeur, et le fait que le demandeur témoignage du demandeur n’était pas cohérent en ce qui concerne son contact avec ses co-équipiers, ont contribué à saper la crédibilité de cette partie de son récit.

[20] La SAR a aussi rejeté la soumission du demandeur quant au fait que la SPR n’a pas entamé une analyse distincte en vertu de l’article 97 de la LIPR.

[21] Pour tous ces motifs, la SAR a rejeté la demande des demandeurs. Ils sollicitent le contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la SAR.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[22] La présente demande de contrôle judiciaire soulève une seule question : la décision de la SAR est-elle raisonnable?

[23] La norme de contrôle appropriée pour la révision d’une décision de la SAR est celle de la décision raisonnable, selon le cadre d’analyse énoncée dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], et récemment affirmé dans Mason v Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21.Une décision sera déraisonnable lorsque la Cour est convaincue que la décision souffre de lacunes grave « à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (au paragraphe 100). En vertu du principe de justification, quand la décision a des répercussions particulièrement graves sur les droits et intérêts de l’individu visé, les motifs doivent tenir compte proportionnellement de ces enjeux (Vavilov au paragraphe 133).

III. Analyse

[24] Les demandeurs soutiennent que la SAR n’a pas pris en compte le profil personnel du demandeur, en particulier le fait qu’il a subi des représailles parce que son père était membre du groupe Frères Musulman. Ils soutiennent aussi que la SAR n’a pas tenu compte de la chronologie des événements et n’a donc pas noté l’effet cumulatif des différents incidents.

[25] En ce qui concerne le profil personnel du demandeur, les demandeurs argumentent que ni la SPR ni la SAR ne prennent en considération le fait que son père était un membre connu de l’organisation des Frères musulmans par les autorités égyptiennes, tel qu’il a noté dans son récit et qui a été soulevée par ses persécuteurs lors de son interrogation. En notant que cette information n’était pas mise en doute par les décideurs, les demandeurs affirment que cette information était de nature à influer les conclusions quant à la crédibilité du demandeur.

[26] Selon les demandeurs, la manque d’explication pourquoi cet élément n’a pas été pris en considération rend la décision de la SAR déraisonnable. Ils affirment que cette information est essentielle pour comprendre la conduite des autorités à l’égard du demandeur autant au moment de son interrogatoire et par son employeur par la suite, ainsi que pour expliquer le fait que les autorités ont placé son nom sur une liste de personnes recherchées.

[27] Les demandeurs sont d’avis que le fait que le père du demandeur soit un membre connu des Frères musulmans, ajouté au fait que le demandeur avait critiqué le régime dans une conversation au travail, permet d’expliquer l’intérêt des autorités pour sa personne, sa détention, son interrogatoire ainsi que les mesures prises au travail à son égard immédiatement après.

[28] L'absence de l’analyse de la séquence des événements est une deuxième erreur, selon les demandeurs. Le fait que ces événements se soient succédés ne peut s'expliquer que par la volonté des autorités de punir le demandeur pour son opinion politique.

[29] L’argument des demandeurs ne peut pas fonctionner. L’analyse de la SAR est claire, cohérente et est axée sur la preuve au dossier. C’est les indicateurs d’une décision raisonnable, en vertu du cadre d’analyse énoncée dans Vavilov.

[30] Les demandeurs reconnaissent que la SAR a reconnu que les autorités sont d’avis que le père du demandeur était membre des Frères musulmans, et que ce fait a été soulevé lors de l’interrogation du demandeur par des autorités de sécurité. Ce fait n’est pas été ignoré dans l’analyse. Par contre, la SAR a noté la preuve dans le cartable national concernant le traitement des membres de cette organisation par les autorités. Il est également pertinent que la seule référence au sujet de l’implication du père du demandeur dans l’organisation se trouve dans son narratif :

He also told me that they knew that my father was a member of the Muslim Brotherhood. As a matter of fact, my father is about 80 years old and he has been harassed many times by the Police and other Security Services because of his long beard and his religious devoutness in the mosque.

[Version originale en anglais]

Il m’a également dit qu’ils savaient que mon père était membre de l’organisation des Frères musulmans. En fait, mon père a environ 80 ans. La police et des représentants d’autres services de sécurité l’ont harcelé à de nombreuses occasions parce qu’il porte une longue barbe et qu’il est un fervent pratiquant à la mosquée.

[traduction]

[31] Il convient également de noter que le demandeur a nié tout engagement politique ou toute activité d'opposition au régime. En effet, après avoir été détenu et interrogé, il a promis aux autorités chargées de la sécurité de ne plus parler de politique au travail.

[32] Compte tenu de la preuve au dossier, et le fait que la SAR a expressément mentionné l’implication du père du demandeur dans l’organisation, je rejette l’argument des demandeurs que la SAR n’a pas tenu compte de ce fait, et n’a pas respecté son obligation d’explication de sa conclusion sur ce point. À la lumière de ce qui précède, j’estime que les arguments reviennent simplement à demander à la Cour de réapprécier les éléments de preuve. Ce n’est pas le rôle d’une cour de révision (Vavilov au paragraphe 125).

[33] De plus, Vavilov exige qu’une cour de révision traite la décision sous contrôle dans son ensemble; ce n’est pas une « chasse au trésor » (au paragraphe 284). En l’instance, la SAR a trouvé plusieurs allégations du demandeur invraisemblables, incluant le fait qu’il a continué à travailler à l’aéroport dans le zone de sécurité après son interrogation; qu’il a pu quitter l’Égypte utilisant son passeport, sans problèmes avec les autorités; et le fait que sa belle-mère et frère travaille pour le gouvernement égyptien, malgré le lien du père avec les Frères musulmans. La SAR a aussi noté que les autorités n’ont pas questionné le belle-mère au sujet des demandeurs. C’est une analyse fondée sur la preuve, et la ligne d’analyse est claire. C’est une analyse raisonnable.

[34] Ce n’est pas nécessaire de traiter les soumissions des demandeurs quant à la manque d’analyse de leur demande en vertu de l’article 97(1) de la LIPR. Compte tenu des conclusions de la SAR quant à la crédibilité du demandeur, et du fait que les demandes des autres membres de la famille s’appuient sur son récit, ce n’est pas déraisonnable pour la SAR de conclure que la SPR n’a pas erré en concluant qu’un tel analyse n’était pas nécessaire. C’est raisonnable, compte tenu des circonstances de l’affaire.

[35] En résumé, j'estime que la décision de la SAR est raisonnable. Je ne suis pas convaincu par les arguments des demandeurs. La demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

[36] Il n’y a aucune question de portée générale pour la certification.

 


JUGEMENT au dossier IMM-4863-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4863-22

INTITULÉ :

MOMEN KHALIL, ADAM KHALIL,

SHAIMAA ABDELMEGUID S. MOHAMED ET

DARINE KHALIL

c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL, QUÉBEC

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 juin 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

LE 22 avril 2024

COMPARUTIONS :

Me Jacques Beauchemin

POUR LEs PARTIES DEMANDERESSES

Me Margarita Tzavelakos

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Beauchemin Avocats

Montréal, Québec

POUR LEs PARTIES DEMANDERESSES

Procureur général du Canada

Montréal, Québec

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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