Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20240502

Dossier: IMM-4479-23

Référence: 2024 CF 677

Ottawa (Ontario), le 2 mai 2024

En présence de monsieur le juge Régimbald

ENTRE :

ANALITH BETANZOS RAMIREZ

Demanderesse

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse est citoyenne du Mexique. Elle demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR], datée du 13 mars 2023, refusant son appel et confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR], datée du 24 août 2022, qui a refusé sa demande d’asile. La SAR a conclu que la demanderesse n’est pas réfugiée au sens de la Convention au terme de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], et ne se qualifie pas à titre de personne à protéger au terme de l’article 97 de la LIPR, car elle a une possibilité de refuge intérieur [PRI] dans la ville de Mérida, dans l’état du Yucatan.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La décision de la SAR est claire, justifiée, et intelligible au regard de la preuve soumise (Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 au para 8 [Mason]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 99 [Vavilov]). La demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de démontrer que la décision de la SAR était déraisonnable.

I. Contexte factuel

[3] La demanderesse, Analith Betanzos Ramirez [demanderesse], est une citoyenne du Mexique. Elle demande l’asile au Canada en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR, en alléguant craindre ses beaux-parents au Mexique.

[4] La demanderesse est mariée et est mère de trois enfants. Depuis son mariage à son époux en 1998, la demanderesse allègue que sa belle-famille, particulièrement sa belle-mère, s’oppose ardemment à leur union. Par conséquent, sa relation avec sa belle-famille a été hostile depuis plusieurs années.

[5] La demanderesse a quitté la maison familiale en fin 2018, suite à une dispute avec sa belle-mère. Elle a ensuite quitté le Mexique vers le Canada en mars 2019 et y a présenté sa demande d’asile, craignant d’une part les menaces de sa belle-mère, et d’autre part l’association de son beau-père avec l’organisation criminelle Los Zetas.

[6] Dans une décision émise le 24 août 2022, la SPR rejette sa demande d’asile en statuant qu’elle a une PRI dans la ville de Mérida. Cette décision a été portée en appel devant la SAR, qui a rejeté l’appel et confirmé la décision de la SPR dans une décision rendue le 13 mars 2023 [Décision].

[7] La Décision de la SAR fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

II. Décision contestée

[8] Tout d’abord, la SAR a traité la question de la nouvelle preuve soumise par la demanderesse. En appel devant la SAR, la demanderesse a soumis les documents suivants comme nouvelle preuve :

  • Une déclaration datée du 25 octobre, 2022, de Sergio Cruz Ventura;

  • Une déclaration datée du 25 octobre, 2022, de Gerardo Reyes Velasco;

  • Une déclaration non datée de Marie Angélica Cruz Ramirez; et

  • Une déclaration datée du 25 octobre, 2022, de Maria Fernanda Reyes Betanzos.

[9] La SAR a rejeté la nouvelle preuve car ces quatre déclarations étaient accessibles avant le rejet de la demande d’asile et, de ce fait, auraient pu être normalement obtenues et présentés à cet instant. De plus, le contenu de ces déclarations est similaire à la preuve présentée devant la SPR, donc cette preuve n’est pas nouvelle.

[10] Par la suite, la SAR aborde la question de la PRI, en particulier les arguments soulevés par la demanderesse alléguant que la SPR n’a pas correctement évalué la preuve soumise sur l’implication du beau-père dans l’organisation criminelle Los Zetas, la nature des agents de persécution, et le manque de protection étatique pour les individus ciblés par des organisations criminelles au Mexique.

[11] La SAR ne conteste pas la capacité de Los Zetas de trouver la demanderesse sur le territoire mexicain, mais se questionne plutôt sur l’intérêt de cette organisation de poursuivre la demanderesse en l’espèce. En d’autres mots, il n’y a pas suffisamment de preuve, selon la SAR, démontrant l’intérêt de Los Zetas et du beau-père à poursuivre la demanderesse dans la ville de PRI proposée. Au contraire, la preuve démontre que les soucis familiaux étaient entre la demanderesse et sa belle-mère; celle-ci voulait que la demanderesse quitte le logement familial, ce qu’elle a fait en 2018. De plus, la preuve démontre que la belle-sœur de la demanderesse, qui subissait le même traitement hostile de la belle-mère, a pu déménager dans une autre ville au Mexique et y vivre sans se faire persécuter par la belle-famille.

III. Norme de contrôle et questions en litige

[12] Les questions en litige devant la Cour sont les suivantes :

  1. La Décision de la SAR refusant d’admettre la nouvelle preuve soumise par la demanderesse est-elle raisonnable?

  2. La Décision de la SAR, concluant que la demanderesse a une PRI dans la ville de Mérida, est-elle raisonnable?

[13] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Vavilov aux para 10, 25; Mason aux para 7, 39–44). Une décision raisonnable est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85; Mason au para 8); et qui est justifiée, transparente et intelligible (Vavilov au para 99; Mason au para 59). Un contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas qu’une « simple formalité »; c’est une forme de contrôle rigoureuse (Vavilov au para 13; Mason au para 63). Une décision peut être déraisonnable si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte (Vavilov aux para 125–126; Mason au para 73). Finalement, il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov au para 100).

IV. Analyse

A. La SAR a raisonnablement conclu que la nouvelle preuve est inadmissible

[14] Pour qu’une nouvelle preuve soit admissible devant la SAR, elle doit satisfaire aux critères du paragraphe 110(4) de la LIPR, qui sont énumérés comme suit :

Éléments de preuve admissibles

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenue depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessible ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

Evidence that may be presented

(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[15] Il importe de noter que ces critères « […] ne laissent place à aucune discrétion de la part de la SAR » (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 96 au para 35 [Singh]).

[16] Si la nouvelle preuve satisfait aux critères énumérés ci-dessus, elle doit par la suite satisfaire aux critères dégagés dans la jurisprudence, soit la crédibilité, la pertinence et la nouveauté (Singh au para 38, citant Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 au para 13).

[17] En l’espèce, la décision de la SAR sur l’admission de cette preuve est raisonnable. Tel qu’analysé par la SAR, la nouvelle preuve soumise par la demanderesse est composée de quatre déclarations d’individus de son entourage, présentant de la preuve qui existait lors de sa demande d’asile et qui aurait pu raisonnablement être présentée auprès de la SPR. De plus, ces déclarations sont composées de preuves similaires à ce qui avait été présenté devant la SPR, et donc ne satisfont pas au critère de nouveauté.

[18] Considérant ceci, ainsi que le fait que la SAR n’a aucune discrétion d’ignorer les critères établis dans la LIPR et la jurisprudence dans son évaluation de l’admission de la nouvelle preuve (Singh au para 35), je suis satisfait que la Décision de la SAR est raisonnable à cet égard. La demanderesse n’a pas soulevé d’erreur justifiant l’intervention de cette Cour.

B. La SAR a raisonnablement conclu que la demanderesse a une PRI

[19] Le test pour déterminer s’il y a une PRI est élaboré dans les arrêts Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706, 1991 CanLII 13517 (CAF) et Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589, 1993 CanLII 3011 (CAF). Il s’agit d’un test à deux volets : (i) le décideur administratif doit être convaincu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a aucune possibilité sérieuse que le demandeur d’asile soit persécuté dans la région de la PRI, et (ii) les conditions de vie présentes dans la PRI font en sorte qu’il n’est pas déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, pour un individu d’y trouver refuge (Reci c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 833 au para 19; Titcombe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1346 au para 15). Pour conclure à l’existence d’une PRI, chacun des deux volets doit être rempli (Feboke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 155 au para 15).

[20] Sous le premier volet de ce test, le demandeur d’asile peut contester la viabilité de la ville de PRI proposée en établissant que l’agent de persécution a l’intérêt et la capacité de le trouver dans la PRI proposée (Ortega v Canada (Citizenship and Immigration), 2023 FC 652; Leon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 428).

[21] Par ailleurs, le fardeau de démontrer qu’une PRI est déraisonnable, soit le second volet du test, incombe au demandeur d’asile, et il s’agit d’un fardeau très élevé (Huenalaya Murillo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 396 au para 13; Mora Alcca c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 236 au para 14). Pour se décharger de ce fardeau, le demandeur d’asile doit présenter une preuve réelle et concrète de l’existence de conditions qui mettraient sa vie ou sa sécurité en péril dans la ville de PRI proposée (Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16789 au para 15, [2001] 2 CF 164 (CAF); Campos Navarro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 358 au para 20).

[22] En l’espèce, la demanderesse ne s’est pas acquittée de ce fardeau.

[23] L’argument de la demanderesse dans le cadre de cette demande de contrôle judiciaire porte principalement sur l’analyse de la SAR au premier volet du test de la PRI. La demanderesse soutient que la SAR n’a pas accordé assez de poids à la preuve présentée sur le lien entre le beau-père de la demanderesse et Los Zetas, et ne s’est pas suffisamment penchée sur la nature et l’influence des agents de persécution, Los Zetas. Finalement, la demanderesse soulève l’incapacité de l’état mexicain à adéquatement protéger les individus ciblés par des organisations criminelles.

[24] À mon avis, la SAR a adéquatement analysé l’agent de persécution – le beau-père appuyé par Los Zetas – et la menace qu’il pourrait poser à la demanderesse. En se basant sur les éléments de preuve dans le dossier, la SAR reconnait que l’agent de persécution a la capacité de trouver la demanderesse ailleurs au Mexique; par contre, il n’y a pas de preuve démontrant son intérêt à la poursuivre et la persécuter. En effet, il n’y a pas de preuve dans le dossier indiquant que la demanderesse aurait reçu des menaces de son beau-père ou de Los Zetas directement, ou d’autres preuves concrètes et convaincantes établissant l’intérêt de l’agent de persécution (son beau-père) de la poursuivre.

[25] La preuve démontre surtout que ni le beau-père ni Los Zetas n’ont directement menacé la demanderesse. Celle-ci faisait plutôt l’objet de menaces de sa belle-mère. La demanderesse n’ayant pas été en mesure de démontrer l’intérêt de son beau-père et de Los Zetas de s’en prendre à elle, elle n’a pas été en mesure non plus de démontrer l’incapacité de l’état mexicain à adéquatement protéger les individus ciblés par des organisations criminelles. Sur ce point, une preuve au contraire existe. Tel que l’a conclu la SPR et la SAR, sa belle-sœur a elle-même été victime de menaces de sa belle-mère lui demandant de quitter la famille, ce qu’elle a aussi fait. Suite à sa relocalisation ailleurs au Mexique, celle-ci n’a plus fait l’objet de menaces. Il n’y a aucune preuve en l’espèce que la demanderesse ne pourrait donc pas se relocaliser ailleurs, comme dans la PRI proposée.

[26] Pour conclure, la demanderesse n’a pas soulevé de lacune grave dans la Décision qui justifierait l’intervention de cette Cour. La demanderesse demande plutôt à cette Cour d’effectuer sa propre évaluation de la preuve car elle est en désaccord avec l’analyse effectuée par la SAR et la manière dont elle a traité la preuve au dossier. Ce type d’intervention n’est ni approprié ni justifiable dans un contrôle judiciaire sous la norme de contrôle de la décision raisonnable, où la cour de révision n’est pas permise de « soupeser et apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 au para 55, citant Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 64).

[27] En conséquence, je suis d’avis que la décision de la SAR est raisonnable, puisqu’elle est transparente, intelligible et justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques du dossier (Mason au para 8; Vavilov au para 99).

V. Conclusion

[28] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[29] Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification, et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4479-23

LA COUR STATUE:

  1. L’intitulé de la cause est modifié pour que le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit désigné comme le défendeur approprié.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Aucune question n’est certifiée.

« Guy Régimbald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER:

IMM-4479-23

INTITULÉ:

ANALITH BETANZOS RAMIREZ c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE:

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE:

LE 23 AVRIL 2024

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE RÉGIMBALD

DATE DES MOTIFS:

LE 2 MAI 2024

COMPARUTIONS:

Me Stewart Istvanffy

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Simone Truong

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Étude Légale Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.