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Date : 20240426


Dossier : T-1026-23

Référence : 2024 CF 648

Ottawa (Ontario), le 26 avril 2024

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

MOHAMED RADHOUENE SAADI

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Monsieur Saadi a présenté une demande pour la prestation canadienne de la relance économique [PCRE]. Au stade de la révision, cette demande a été refusée au motif qu’il n’avait pas subi une baisse de plus de 50 p. cent de ses revenus par rapport à son revenu moyen calculé sur la période de douze mois précédant la date de sa demande. Il sollicite maintenant le contrôle judiciaire de ce refus. Il soutient que seules les semaines durant lesquelles il a travaillé devraient être prises en considération pour calculer son revenu hebdomadaire moyen, plutôt que de calculer son revenu moyen sur une période de 52 semaines.

[2] Je rejette la demande de M. Saadi. Les conditions d’admissibilité de la PCRE sont établies par la loi et l’agente de l’Agence du revenu du Canada [ARC] n’a pas le pouvoir discrétionnaire de modifier ces conditions. Le refus de la demande de M. Saadi était fondé sur une interprétation raisonnable de la loi.

I. Contexte

[3] Monsieur Saadi est arrivé au Canada en 2019 et a commencé à travailler peu après. Il a travaillé comme chauffeur pour l’entreprise Uber entre janvier et mars 2020. Il a dû cesser ce travail en raison des mesures sanitaires en vigueur à l’époque. Il a reçu la prestation canadienne d’urgence [PCU] pour cette période. Il a travaillé à nouveau comme chauffeur Uber entre juin et septembre 2020, mais il affirme qu’il a une fois de plus dû cesser ce travail en raison de la pandémie. Entretemps, il a commencé à travailler comme chauffeur d’autobus scolaire à temps partiel. En somme, il calcule avoir travaillé seulement vingt-deux semaines en 2020.

[4] Monsieur Saadi a demandé et reçu la PCRE pour les périodes du 27 septembre 2020 au 2 janvier 2021. Il affirme qu’avant de présenter ces demandes, il a téléphoné à l’ARC et un agent l’aurait assuré qu’il était admissible. Cependant, en janvier 2021, l’ARC lui a indiqué qu’il n’était plus admissible. Il a fait une demande de révision, ce qui a donné lieu à la première décision d’inadmissibilité en mai 2021. Au mois de juin 2021, il a fait une deuxième demande de révision et il a reçu une deuxième décision d’inadmissibilité en décembre 2021. Il a présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision le 7 janvier 2022. Le 15 août 2022, mon collègue le juge Peter G. Pamel a rendu une décision annulant la deuxième décision et retournant l’affaire à un autre agent pour réexamen : Saadi c Canada (Procureur général), 2022 CF 1195.

[5] L’agent de troisième examen a conclu que M. Saadi était inadmissible à la PCRE pour les périodes visées. Monsieur Saadi a ensuite présenté une deuxième demande de contrôle judiciaire, dont il s’est désisté après avoir conclu une entente avec le procureur général pour que l’ARC procède à un quatrième examen de sa demande.

[6] L’agente du quatrième examen a refusé la demande de M. Saadi. Quant aux six premières périodes en cause, elle a constaté que celui-ci n’avait pas subi une baisse de plus de 50 p. cent de son revenu hebdomadaire moyen par rapport à l’année précédente pour des raisons liées à la COVID-19. Quant à la dernière période, elle a conclu que M. Saadi avait cessé de travailler pour des raisons autres que la COVID-19. Ce quatrième examen fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

II. Analyse

[7] Le rôle de la Cour en contrôle judiciaire est de se demander si le décideur administratif, ici l’agente de second examen, a rendu une décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov].

[8] Pour trancher la demande de M. Saadi, l’agente devait appliquer les dispositions suivantes de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2 [la Loi], dont je ne reproduis que les parties pertinentes :

3 (1) Est admissible à la prestation canadienne de relance économique, à l’égard de toute période de deux semaines comprise dans la période commençant le 27 septembre 2020 et se terminant le 23 octobre 2021, la personne qui remplit les conditions suivantes :

3 (1) A person is eligible for a Canada recovery benefit for any two-week period falling within the period beginning on September 27, 2020 and ending on October 23, 2021 if

[…]

. . .

f) au cours de la période de deux semaines et pour des raisons liées à la COVID-19, […] soit elle n’a pas exercé d’emploi — ou exécuté un travail pour son compte —, soit elle a subi une réduction d’au moins cinquante pour cent […] de tous ses revenus hebdomadaires moyens d’emploi ou de travail à son compte pour la période de deux semaines par rapport à :

(f) during the two-week period, for reasons related to COVID-19 . . . they were not employed or self-employed or they had a reduction of at least 50% . . . in their average weekly employment income or self-employment income for the two-week period relative to

(i) tous ses revenus hebdomadaires moyens d’emploi ou de travail à son compte pour l’année 2019 ou au cours des douze mois précédant la date à laquelle elle présente une demande, dans le cas où la demande présentée en vertu de l’article 4 vise une période de deux semaines qui débute en 2020 […].

(i) in the case of an application made under section 4 in respect of a two-week period beginning in 2020, their total average weekly employment income and self-employment income for 2019 or in the 12-month period preceding the day on which they make the application . . .

[9] Dans le présent dossier, les questions déterminantes portent sur la méthode de calcul du revenu hebdomadaire moyen et sur la définition de « n’a pas exercé d’emploi — ou exécuté un travail pour son compte » de l’alinéa 3(1)f) de la Loi.

[10] En ce qui a trait à la première question, M. Saadi prétend que son revenu hebdomadaire moyen devrait être calculé en prenant la somme de ses revenus bruts et en la divisant par le nombre de semaines qu’il a travaillé, soit 22 semaines. Il reconnaît que s’il faut utiliser la méthode de calcul choisie par l’agente de l’ARC, il n’est pas admissible à la PCRE.

[11] Puisque M. Saadi n’a travaillé que deux mois en 2019, l’agente du quatrième examen a déterminé que la période de calcul du revenu moyen de comparaison serait la période de 12 mois précédant chacune de ses demandes. L’agente a fait le calcul sur des périodes de deux semaines au lieu de périodes hebdomadaires, mais cela n’affecte pas réellement le résultat du calcul. Si erreur il y a, elle est superficielle et n’affecte pas le caractère raisonnable de l’analyse : Vavilov au paragraphe 100.

[12] La méthode de calcul de l’agente consiste à faire la somme des revenus gagnés au cours des 52 semaines précédentes, puis à diviser cette somme par 26 semaines, puis à la diviser à nouveau par deux pour obtenir le montant correspondant à 50 p. cent du revenu moyen de référence pour une période de deux semaines. Il importe de noter que selon le paragraphe 3(2) de la Loi, le revenu d’emploi autonome est calculé selon le revenu net, et non le revenu brut.

[13] L’agente a ensuite comparé ce montant au revenu gagné par M. Saadi pendant chaque période. Elle a conclu que le revenu gagné pendant les six premières périodes en litige était supérieur à la moitié du revenu moyen de référence. M. Saadi n’a donc pas eu de baisse de 50 p. cent de ses revenus pendant ces périodes et n’était pas admissible à la PCRE.

[14] La décision de l’agente de l’ARC est raisonnable. Elle applique une interprétation de la Loi qui est fondée sur le sens ordinaire des mots. En effet, le sous-alinéa 3(1)f)(i) prévoit explicitement que la base de comparaison est fournie par les « revenus hebdomadaires moyens […] au cours des douze mois précédant la date » de la demande. Selon le sens ordinaire du concept de moyenne, il faut tenir compte des périodes pour lesquelles le revenu est nul. Monsieur Saadi n’a pas démontré que cette interprétation est déraisonnable.

[15] Étant donné que l’interprétation retenue par l’agente est raisonnable, je n’ai pas à me prononcer sur l’interprétation proposée par M. Saadi. En effet, même dans la situation où un texte de loi peut recevoir deux interprétations raisonnables, il appartient au décideur administratif, et non à la Cour, de choisir entre ces deux interprétations.

[16] Il est regrettable que la conversation téléphonique que M. Saadi dit avoir eue avec un agent de l’ARC ait porté à confusion. Cependant, le fait qu’un fonctionnaire a donné des informations erronées à un contribuable ne permet pas de faire exception à la loi. Dans une telle situation, c’est le texte de loi qui l’emporte : Flock c Canada (Procureur général), 2022 CF 305 au paragraphe 23; Bastien c Canada (Procureur général), 2023 CF 222 au paragraphe 14.

[17] À l’audience, M. Saadi a souligné qu’il a cessé de travailler au cours des premières semaines de la pandémie parce qu’il est lui-même asthmatique et qu’il ne voulait pas risquer de contracter la COVID-19 et de la transmettre à sa fille, dont l’état de santé était vulnérable. Par la suite, il a recommencé à travailler, parce qu’il souhaitait contribuer à la société qui l’avait accueilli. Je ne doute pas que M. Saadi ait pris ces décisions pour des motifs tout à fait louables. Cependant, la séquence de ces décisions a eu pour effet de le rendre inadmissible à la PCRE. La sympathie qu’inspire la situation de M. Saadi ne permettait pas à l’agente de faire exception aux critères prévus par la Loi.

[18] Quant à la deuxième question, M. Saadi prétend qu’il n’a pas travaillé pour la période du 20 décembre 2020 au 2 janvier 2021 en raison de la COVID-19. Il reconnaît que l’entreprise pour laquelle il travaillait était fermée en raison des vacances scolaires. Cependant, selon lui, il aurait travaillé pendant cette période comme chauffeur Uber s’il n’avait pas été obligé de cesser ce travail en septembre 2020 en raison de la COVID-19.

[19] Selon l’agente du quatrième examen, lors de la période en cause, M. Saadi avait cessé de travailler comme chauffeur Uber de façon volontaire et avait commencé un nouvel emploi comme chauffeur d’autobus scolaire depuis presque trois mois. La cessation de l’emploi durant cette période était donc causée par le calendrier scolaire et non par la COVID-19.

[20] Il s’agit là de questions de fait. Quant à de telles questions, la cour saisie d’une demande de contrôle judiciaire n’intervient que « si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » : Vavilov, au paragraphe 126. Or, l’analyse de l’agente ne laisse transparaître aucune erreur de cette nature.

[21] Comme je l’ai indiqué plus haut, l’alinéa 3(1)f) de la Loi prévoit qu’une personne est admissible à la PCRE si, « pour des raisons liées à la COVID-19 », elle « n’a pas exercé d’emploi — ou exécuté un travail pour son compte ». L’agente a raisonnablement conclu que M. Saadi travaillait comme chauffeur d’autobus à ce moment et qu’il n’a pas travaillé pendant cette période en raison du congé scolaire. Elle a pris en compte le fait qu’il a cessé de travailler comme chauffeur autonome pour Uber en septembre 2020, vu ses préoccupations pour sa santé et celle de sa fille. Elle a aussi pris en compte les mesures sanitaires en vigueur à l’automne 2020 ainsi qu’en février 2021 lorsque M. Saadi a travaillé comme chauffeur de taxi. Vu le temps écoulé depuis qu’il avait commencé son nouvel emploi, il était raisonnable pour l’agente de conclure que M. Saadi n’a pas exercé d’emploi pendant cette période en raison du congé scolaire et non de la COVID-19.

[22] La décision de l’agente de quatrième examen est donc raisonnable puisque les motifs d’inadmissibilité sont appuyés par une analyse cohérente.

III. Décision et dépens

[23] Puisque la décision de l’agente de quatrième examen était fondée sur une interprétation raisonnable de la Loi, la demande de contrôle judiciaire de M. Saadi sera rejetée.

[24] Le procureur général ne réclame pas de dépens. Monsieur Saadi a fait valoir sa position de bonne foi, en se fondant sur son interprétation de la loi et sur des conseils reçus d’un agent de l’ARC. Je ne rendrai donc aucune ordonnance relativement aux dépens.

 


JUGEMENT dans le dossier T-1026-23

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. Aucune ordonnance n’est rendue relativement aux dépens.

« Sébastien Grammond »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-1026-23

INTITULÉ :

MOHAMED RADHOUENE SAADI c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

par visioconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 avril 2024

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge Grammond

DATE DES MOTIFS :

LE 26 avril 2024

 

COMPARUTIONS :

Mohamed Radhouene Saadi

Albert Brunelle

 

Pour lE demandeUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Pour lE défendeUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Québec (Québec)

 

Pour lE défendeUR

 

 

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